samedi 10 novembre 2018

La Conjuration de Madame Royale : chapitre premier 2e partie.


Présentement, en cet an 1800, il existait une autre personne de haut rang intéressée par les événements en cours. Ce grand personnage séjournait pour l’heure à Trèves, et avait eu vent non seulement de la réunion secrète, mais aussi de l’enquête menée par les agents de l’usurpateur.

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Louis Stanislas Xavier, comte de Provence, frère puîné de Louis XVI, avait fort mal vécu la destitution de l’aîné par cette canaille corse se prétendant de la lignée de Pharamond. Son exil anglais ne l’agréant guère, il aimait à goûter à des villégiatures continentales variées, de l’Espagne à l’Italie, de l’Autriche aux contrées germaniques, de la Prusse à la Lusitanie, qu’elles eussent ou non été annexées par le despote. Un intérêt particulier et familial l’attachait à Trèves,
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 et il avait personnellement suggéré que la réunion secrète des conspirateurs s’y tînt, sans toutefois qu’il en sût les exacts tenants.



Trèves demeurait la résidence d’un oncle déchu de la fratrie Bourbon : Clément Wenceslas de Saxe,
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 ancien archevêque-électeur et frère de feue Marie-Josèphe de Saxe, mère du roi détrôné, de Provence, d’Artois
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 et de leurs sœurs. L’annexion de la rive gauche du Rhin par les armées royales victorieuses galvanisées par le connétable avait entraîné le rattachement de la Sarre et de Trèves, puis la nomination d’un administrateur français – non pas un vice-roi ou un coadjuteur -  en lieu et place du suzerain ecclésiastique légitime. Bonaparte avait proclamé la déchéance de l’archevêque-électeur : il eût manqué de peu d’abroger la bulle d’or de Charles IV de Luxembourg,
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 mais cela représentait une simple question d’années, une fois le dessein impérial accompli.

Cependant, la mansuétude de Napoléon avait permis à Clément Wenceslas de maintenir une petite cour fantoche, en un territoire urbain symbolique réduit à la dimension d’un diaconat ou d’un canonicat, cour de vieilles perruques empoussiérées, qui ruminaient leur opprobre et espéraient beaucoup en la famille Bourbon pour eux non encore tout à fait vaincue. Agé de soixante et une années, l’ancien archevêque auquel Napoléon avait toutefois accordé le privilège de conserver ses habits sacerdotaux et sa fonction strictement religieuse, à défaut de politique (l’habit faisant lors le moine), avait accueilli avec une certaine effusion le comte de Provence
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 dans les ors ternis de sa cléricature palatiale dérisoire à laquelle ne manquait même pas un potager de plusieurs acres. Cet exil intérieur lambrissé constituait un cadre propice aux méditations et cogitations du rusé Louis Stanislas Xavier. Il reposait ainsi son corps fatigué par ses errances européennes, jà marqué d’un embonpoint certain. C’était là une cure et ses accès de goutte y étaient soignés par l’eau de Spa. 

De fait, le plan de Provence différait de celui de sa nièce, qu’il jugeait trop impulsive : il conseillait qu’elle prît son temps, qu’elle n’agît point dans la précipitation, trait fâcheux de caractère qui ne manquerait pas de mettre en grand péril la famille royale détrônée.

Provence suggérait ce que l’on ne nommait point encore le noyautage. Il s’était arrangé pour que se plaçassent ses proches, ses séides, dans les ministères napoléonides. Ils se nommaient Charles Cochon de Lapparent
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 et François Barbé-Marbois. 
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Napoléon organisait une nouvelle administration de la France, où de nouveaux fonctionnaires, les préfets, remplaçaient les anciens intendants. Cette métamorphose s’accomplissait après le redécoupage de la France conquérante en près de cent départements, dont la Sarre elle-même. Cochon de Lapparent, dont le supérieur était Joseph Fouché, avait étrenné les toutes nouvelles fonctions de préfet de police de Paris. Barbé-Marbois, quant à lui, venait d’être désigné comme ministre des finances et grand argentier du royaume. En passe d’abolir les antiques privilèges, Napoléon souhaitait leur substituer le mérite, militaire ou civil. Ainsi passerait la réforme générale, avant la restauration de la dignité impériale.

A Trèves, Louis Stanislas Xavier était accompagné de favoris, menant à l’existence d’une cour dans la cour. Cette petite coterie, ce petit cercle flagorneur, se limitait de fait à trois personnes : le comte d’Antraigues,
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 Blacas
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 et d’André.
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 Provence avait coutume de les recevoir ensemble, son postérieur imposant posé sur un fauteuil conçu pour sa corpulence de presque podagre. Encore quelques années, et c’en serait fini du peu d’agilité que le puîné de Louis XVI pût encore conserver à quarante-cinq ans.

Délaissant l’habit de cour à la française qu’il crevait aux coutures, Louis Stanislas Xavier
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 l’avait troqué contre une étrange vêture hybridée de civil et de militaire. Placide, longanime, il écoutait les compliments, doléances, suppliques et suggestions du trio de familiers retors en soupirant, arborant une espèce de redingote bleu de roi, la croix de Saint-Louis sur la poitrine, le cordon du Saint-Esprit barrant le torse, comme s’il se fût déjà proclamé monarque à la place de son aîné puis de son neveu, redingote militaire disions-nous, parce qu’ornée d’épaulettes dorées de colonel ou de capitaine de vaisseau, aux longues fourragères, à la double rangée de boutons. Ne supportant plus ni les bas de soie, ni les escarpins à boucles d’argent, Provence avait coutume de gainer ses jambes lourdes et endolories d’inesthétiques et peu seyantes guêtres de cuir d’un noir d’ébène. D’impotence en impotence, d’abus de la bonne chère en repas pantagruéliques, viendrait le temps où s’approcherait l’apoplexie, semblable à celle qui avait emporté, quelques années auparavant, son précédent favori, André Boniface Louis de Riquetti de Mirabeau, dit Mirabeau tonneau.
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 Ce monstre de grosseur eût été son Falstaff si toutefois on eût déjà apprécié Shakespeare au siècle de la douceur de vivre ;  ce compagnon de beuveries et de débauches, tel celui d’Henry V, avait longtemps exercé sur Provence une attraction maléfique, avant que la mort soudaine et prédictible ne le frappât et assagît celui que certains surnommaient déjà le « désiré », tant Louis XVI s’avérait incapable de recouvrer son trône et son fils le Dauphin d’une santé trop délicate pour régner bien longtemps. A moins qu’il achevât son existence comme Louis XIV, par la gangrène sénile. Mais le temps où son valet retirerait quotidiennement des fragments d’orteils de ses chausses de cuir n’était pas encore advenu…

Sous des dehors grotesques et impotents, Provence s’avérait homme de grande intelligence et de grande finesse. Telle l’araignée, il guettait les faux pas de Mousseline la sérieuse afin de prendre la tête de la conjuration.

En ce jour de février, il prit connaissance de la bouche intrigante d’Antraigues d’un projet d’attentat qu’il jugea par trop téméraire et prématuré. D’Antraigues s’avérait un excellent informateur, ayant ses entrées à Saint-James et dans le cabinet de Pitt le Jeune
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 qui exerçait depuis dix-sept ans les fonctions de Premier Ministre de Sa Majesté George III, y compris lorsque ce dernier se trouvait empêché d’exercer sa fonction royale à cause de ses accès de porphyrie.

Paraissant assoupi, Louis Stanislas Xavier fronça cependant les sourcils lorsque d’Antraigues rendit compte de la machination infernale dont Saint-Régent était la tête pensante. Lors sa voix s’éleva, sacrale et respectée, non point qu’elle fût d’argent, comme eut tort de l’écrire Honoré de Balzac dans une chronoligne différente. Mousseline la sérieuse avait remis son sort aventureux entre les mains de cet homme, ce qui déplaisait à Provence, homme sans progéniture à l’épouse d’une corpulence aussi certaine que la sienne, comme en un mimétisme de couple. Il affectionnait sa nièce turbulente, la considérant comme un garçon de substitution.

« Monsieur d’Antraigues, me voilà bien marri ! s’exclama-t-il à la nouvelle. Qu’ouï-je là ?

- Monsieur, répondit l’interpellé, car ainsi devait-il s’adresser selon l’étiquette au frère puîné tandis qu’il eût employé le terme Monseigneur s’il eût eu le cadet Artois comme interlocuteur, Madame Royale a cru bon, sans en référer à vous (à ce mot, la déférence du ton d’Antraigues monta d’un cran), de prendre l’initiative d’une action destinée à sidérer toutes les cours étrangères et à rendre l’espoir au trône légitime…

- Restaurer mon frère par un crime politique téméraire… Il s’agit bien de cela ? Mais Louis se sent-il encore apte ? A Trèves d’ailleurs, on le pense hors-jeu. De même, jamais je n’ai entendu dire ni lu que, excepté en 1617, notre monarchie – j’entends la maison de Bourbon - reposait sur la doctrine de l’assassinat nécessaire. En ce cas, il eût été plus judicieux d’agir avant l’usurpation, avant que le connétable ou prétendu lieutenant général du Royaume fît trop d’ombre au monarque sacré par l’onction du saint-chrême. Souvenez-vous : Henri III et le duc de Guise… Quant à Concini,
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 auquel je viens de faire allusion, le trône n’était pas son objectif. Selon moi, il est déjà trop tard !

- Monsieur, s’écria Blacas, est-ce à dire que vous réprouvez toute action violente à l’encontre de Buonaparte ?

- Il existe d’autres moyens. Plusieurs provinces sont prêtes à s’insurger : Bretagne, Provence, Vendée, Lyonnais… Des hommes de valeur attendent nos ordres ; à terme ne restera plus à Buonaparte que la Corse !

- Quitte à ce qu’il la métamorphose en camp retranché, en îlot de résistance, qu’il nous faudra réduire. Jamais son ambition ne pourra se satisfaire de quelques arpents et montagnes…

- D’André, vous ferez savoir à Madame Royale ma position officielle : non à l’assassinat. Oui à la prise d’armes.

- Ce sera donc la guerre civile, Monsieur.

- Avec l’aide de l’Angleterre, de la Prusse, de la Russie, nous pourrons vaincre. »



Il acheva, avant qu’un assoupissement le prît. Provence avait parlé ; rien n’altérerait son opinion. 

A suivre...



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