Par Michel Antoni.

YÔKO Ogawa est une écrivaine japonaise née à Okayama dans une famille shintoïste en 1962. Elle est l’autrice de nombreux romans ainsi que de nouvelles et d'essais et a reçu de nombreux prix au Japon où elle est une romancière de premier plan, avec plusieurs œuvres adaptées au cinéma et en bande dessinée. Son œuvre française est éditée chez Actes Sud. Parmi les diverses influences de ses lectures d'enfance, le Journal d'Anne Frank est celle qui l’a le plus marquée ; elle lui consacrera même un essai. Par la suite, en particulier au cours de ses études, elle dé couvre les œuvres de Haruki Murakami
et d'écrivains japonais classiques comme Jun'ichirō Tanizaki

et Yasunari Kawabata,

mais également d'auteurs américains comme F. Scott Fitzgerald, Truman Capote, Raymond Carver ou Paul Auster. Elle apprécie aussi Marguerite Duras. Ses romans sont caractérisés par une obsession de la volonté de garder la trace des souvenirs ou du passé mais aussi par plusieurs thèmes récurrents, tels que l'enfermement, psychique ou physique, ainsi que les lieux clos, le tout écrit avec des mots simples qui accentuent la force du récit. D'autres thèmes sont abordés par l'autrice dans ses livres, comme la nostalgie, le deuil ou l'abandon, ainsi que la folie ordinaire. Tous ces thèmes se re trouvent dans Cristallisation secrète, probablement le plus puissant et le plus pro fond de ses romans. Cristallisation secrète, publié en 1994 n’a été traduit en français qu’en 2009 et a été redécouvert grâce à sa traduction en anglais en août 2019, roman nominé cette même année pour le National Book Award et en 2020 pour l’International Booker Prize. Il a été adapté au cinéma en 2025 sous le titre de The Memory Policy, mis en scène par Reed Morano (The Handmaid’s Tale)

et produit par Martin Scorsese. L’île où se déroule cette histoire est
soumise à un étrange phénomène : les choses et les êtres semblent promis à une
sorte d’effacement diaboliquement orchestré. Quand un matin les oiseaux
disparaissent à jamais, la jeune narratrice de ce livre ne s’épanche pas sur
cet événement dramatique, le souvenir du chant d’un oiseau s’est évanoui tout
comme celui de l’émotion que provoquaient en elle la beauté d’une fleur, la
délicatesse d’un parfum, la mort d’un être cher. Après les animaux, les roses,
les photographies, les calendriers et les livres, les humains semblent touchés
: une partie de leur corps va les abandonner. En ces lieux demeurent pourtant
de singuliers personnages. Habités de souvenirs, en proie à la nostalgie, ces
êtres sont en danger. Traqués par les chasseurs de mémoires, ils font l’objet
de rafles terrifiantes. Un magnifique roman, angoissant et kafkaïen. Au-delà
d’une subtile métaphore des régimes totalitaires, à travers laquelle Yoko Ogawa
explore les ravages de la peur et de l’arbitraire qui peut conduire à accepter
le pire, j’y vois aussi à l’œuvre une réflexion sur la mémoire, sur l’insidieux
phénomène d’effacement des images et des souvenirs et la quête des moyens pour
les conserver, sur l’enferme ment mais aussi sur l’écriture - le personnage principal
est romancière - et la pérennité de l’écrit. Autant de thèmes et de réflexions
autour desquels nous aurons le plaisir d’échanger ensemble, grâce à Yoko Ogawa,
le jeudi 18 décembre au Café Littéraire.
Michel Antoni