samedi 13 mai 2023

Café littéraire : L'Or, de Blaise Cendrars.

 Par Roger Colozzi.

 

Cendrars posing in the uniform of the Légion étrangère in 1916, a few months after the amputation of his right arm

L’OR

            ou La Merveilleuse histoire du général Johann August Suter

John Augustus Sutter c1850.jpg

 

Un beau jour, une nuit, tout comme le grand reporter que fut Cendrars le fit si souvent lui même, J.-A. Suter – « banqueroutier, fuyard, rôdeur, vagabond, voleur, escroc » – décide de tout plaquer, femme, enfants, patrie, situation…, sans que rien n’ait pu laisser deviner sa détermination.

            Souvent, comme dans Moravagine (1926), Dan Yack (1929), le récit du roule-ta-bille est autobiographique. L’auteur utilise abondamment ses souvenirs et maints épisodes de sa vie errante ; récit enrichi par une imagination qui n’a jamais à faire beaucoup d’efforts.

Toutefois, à côté de ce genre de livres, de nombreux recueils de nouvelles figurent dans l’œuvre de Cendrars ; des histoires vraies pour lesquelles l’auteur s’efface devant ce qu’il rapporte.

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            Dans l’Or, qu’il écrivit entre 1910 et 1924, l’écrivain-reporter n’intervient presque plus dans la vie de son héros. Celui-ci lui a donné la matière d’un roman, certes historique, mais dans lequel le poète sait toujours se dissimuler. Les péripéties de la vie fabuleusement aventureuse de Suter, son triomphe et sa déchéance finale (mais cette courbe n’est-elle pas celle que suivent à peu près tous les héros de Cendrars ?), de l’opulente richesse au plus misérable dénuement, de la possession des biens matériels à la quête des valeurs spirituelles, voire mystiques, ces tribulations sont cernées dans un récit dont l’action ne se perd pas dans cette prose lyrique si fréquemment préjudiciable à l’art de conter.

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            Ce récit, construit avec une grande rigueur événementielle et qui se déroule tel le plus vivant des « romans modernes » –  progression dramatique dans l’action, découpage cinématographique de la narration (l’Or a été porté deux fois à l’écran), construction aérée qui rejette tout élément décoratif superflu – ce récit est émaillé du reflet de ces paillettes que les aventuriers du Far-West, et même un peu plus loin, s’en venaient chercher sur les terres et domaines de Suter, pionnier (stricto sensu) entre tous.

            Ce sont des images flamboyantes et fuyantes que l’auteur abandonne sitôt qu’il nous les a montrées, des pépites qui jettent un éclat rutilant et très souvent inquiétant entre les mains de ces mauvais garçons, hors-la-loi qui déferlaient, obnubilés, sur la future Californie de l’empereur Maximilien (1864-1867).

 Illustration.

            Suter, héros d’épopée, fait le lien entre l’aventurier d’origine européenne qui édifie une fortune en forme d’empire, et se ruine avec une égale rapidité, et ces personnages interlopes, inquiétants, aventuriers eux aussi, certes, mais plus compliqués et pour lesquels l’aventure n’a rien à voir, ou si peu, avec la recherche de la richesse ou de la puissance, qu’ils partent dénicher sous les tropiques.

            L’Or est la première et la plus importante de ces histoires vraies ; l’œuvre qui allait  permettre à son auteur de faire son entrée officielle dans le monde de l’édition.

 Description de cette image, également commentée ci-après

Quand Blaise Cendrars se penche sur la feuille blanche, après avoir laissé vagabonder son esprit dans les vastes étendues qu’il a parcourues en tous sens et qui touchent de si près au pays de la magie et de l’imaginaire, il peut se permettre d’écrire, sans la moindre vantardise : «  En somme, je puis aussi bien vivre à San-Francisco ou à New-York qu’au Tremblay-sur-Mauldre. J’aurai été un des premiers poètes du temps à vouloir mener ma vie sur un plan mondial. »