samedi 30 novembre 2024

La Conjuration de Madame Royale : chapitre 11 1ere partie.

 Chapitre 11.


Récit de Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord.

Illustration.

Nous étions aux prémices de l’automne de l’an 1801 lorsque devint concrète ma mission italienne. Muni des lettres d’accréditation nécessaires, Je pris congé d’un Napoléon et d’un comte di Fabbrini qui partageaient une anxiété commune car ils craignaient qu’au mieux, l’expédition von Humboldt revînt bredouille de son périple et, qu’au pis, elle eût été anéantie. Aucune nouvelle de l’équipée inouïe ne nous était parvenue depuis qu’elle avait quitté Bombay.
Un espion du nom de Schulmeister,

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 qui faisait ses premières armes au service de notre monarque, nous avait informés de la présence de l’automate joueur d’échecs El Turco en Lombardie, comme une attraction fort courue par le gratin aristocratique italien et autrichien. Aussi usais-je du prétexte officiel d’une ambassade extraordinaire conduite par Joachim Murat

 Illustration.

 à Milan, ambassade à laquelle j’appartiendrais en tant que ministre des affaires extérieures, pour accomplir ma mission secrète, objectif véritable de mon déplacement dans le nord de la « Botte ».
Au grand dam de son épouse, Murat avait refusé au départ que Caroline l’accompagnât.

Illustration.

 Notre amoureuse transie, qui avait convolé avec le bouillant Joachim dès janvier 1800, à peine sortie du pensionnat, était parvenue à ses fins et avait vaincu les réticences légitimes de son frère. De même, Murat avait fini par céder, acceptant la compagnie milanaise de Caroline dont les facultés persuasives étaient sans bornes. Pour ma part, je suis indifférent au mariage d’amour car mieux valent des maîtresses à foison sachant vous procurer menus et grands plaisirs qu’un appariement avec une éternelle mineure car peu leur chaut ma boiterie. En cela, mes vues se rapprochent de celles du roi. Fixer le statut de la femme par un code civil achètera la paix sociale, car parmi la populace, trop de poissardes et de harengères se placent au premier rang des agités et contribuent à susciter ces émotions que le nouveau pouvoir réprouve et réprime.
Pour en revenir à notre espion, il était entendu que Schulmeister, qui avait embrassé un temps la profession peu honorable de contrebandier, me communiquerait avec ponctualité sous le sceau du secret, ses notes et ses rapports chiffrés grâce à un code connu de nous seuls. Même Fréron, pourtant expert en la matière, n’eût pu casser ce chiffre subtil. Tout renseignement étant bon à prendre, j’appris la présence opportune de Monsieur de Chateaubriand

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 à Milan, sans qu’il fît partie de notre ambassade, son attachement à la nouvelle dynastie apparaissant peu sûr. J’osais espérer qu’il ne se fût pas mis au service du comte de Provence et n’eût pas prêté allégeance aux Habsbourg ! Il me rendit également compte du séjour milanais en tant que membre de la délégation autrichienne, d’un jeune officier borgne dont la renommée et la vaillance étaient connues dans toute l’Europe centrale : Monsieur de Neipperg. Celui-ci avait perdu un œil lors d’une des batailles de la fameuse campagne de Rhénanie menée tambour battant par notre futur souverain, alors qu’il n’était encore que le connétable de Louis XVI.
Ce qui me gênait chez Schulmeister, c’était son apparence physique qui aurait pu le compromettre : il avait adopté la mode des coiffures ostentatoires initiée par Murat avec ses cheveux non poudrés coupés à la Titus, ses favoris et ses moustaches fournies, que je pensais réservées aux seuls housards. On disait Neipperg tout aussi extravagant que Murat dans ses atours de soldat. C’était à qui arborait le dolman, le bonnet à poils, la sabretache et le shako les plus baroques et fourrés, sans oublier leur goût immodéré et partagé pour les ceintures, capes et pelisses en peau de panthère ou de guépard. Malgré sa jeunesse – il n’avait pas plus de vingt-sept ans – Neipperg, déjà colonel,

 Description de cette image, également commentée ci-après

 avait à son service une ordonnance hongroise, le comte ou Graf Arpad Apponyi, alors lieutenant des hussards. Neipperg rêvait d’en découdre encore avec tous ces Français et Joachim Murat, en sa munificence, en son ostentation outrageuse, paraissait facile à provoquer en duel, au risque de l’incident diplomatique irréparable. Les sabres devaient parler, incessamment. L’immodestie n’était pas le plus menu défaut des futurs adversaires. Autant s’empoisonner aux fruits du vomiquier !
Cependant, nous profitâmes de notre séjour diplomatique pour visiter Milan, ses monuments et ses entours avant que je passasse aux choses sérieuses. Le Duomo

La cathédrale de Milan vue depuis le nord-ouest sur la piazza del Duomo.

 nous avait été chaudement recommandé. Ledit Duomo s’édifiait dans la douleur, sa façade demeurant désespérément inachevée. L’étalement des travaux avait conféré à ce bâtiment un côté composite, hybride, tantôt gothique, tantôt baroque, s’érigeant par étapes incohérentes séparées de plusieurs siècles, en un projet architectural sans cesse remis en question. J’espérai en mon for intérieur que Napoléon mettrait bon ordre à tout cela, que son autorité suffirait à imposer l’aboutissement de la construction du monument à condition qu’il conquît la contrée un jour prochain. Pour cela, il était plus que nécessaire de mettre l’Autriche à genoux. Nos anciennes cathédrales, après tout, ne s’étaient pas bâties en un jour…
Debout, immobile sur le pavement, bien appuyé sur ma canne, je contemplais la façade inaccomplie du Duomo dont j’évaluais la profonde dysharmonie éclectique. C’était comme si l’immanence divine s’était refusée à cautionner cette pâtisserie indigeste et l’avait désertée. Cette église – excusez ma comparaison oiseuse – me rappelait quelque catin vérolée de ma connaissance qui, la face à demi-défigurée par le vitriol qu’un amant éconduit lui avait projeté, était condamnée à arborer à vie un masque de cuir comme si un boulet lui eût arraché la moitié du visage. Ô paradoxe, cette contrariété esthétique ajoutait à ses charmes ex abrupto à la manière d’un oxymore, puisque l’apparence, l’extérieur voluptueux du corps, étaient conservés. Mirabeau l’avait bien connue et l’on disait que Laclos, cet officier doté de talents littéraires incontestables, s’était inspiré d’elle pour décrire la déchéance physique de la marquise de Merteuil.
Je franchis le parvis et pénétrai en la nef du Duomo, tout aussi hétéroclite que la façade. L’Ordo médiéval se confrontait à des ajouts ultérieurs. Je songeais à cette cité chargée d’histoire, aux épisodes agités du passé, en particulier à la fin du XVe siècle, lors de la prise de Milan par les armées alliées de Louis XII, ce qui avait entraîné la chute du duc Ludovic Le More,

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 sa captivité et sa perte. Je reconstituai par la pensée la scène célèbre et désolante de la destruction du projet de statue équestre de François Sforza par les arbalétriers. L’effigie n’était qu’en argile. Les carreaux de cette arme perfide avaient mis un terme au projet du grand Léonard da Vinci, qui jamais n’avait coulé le bronze du monument définitif. Napoléon ne caressait-il pas le rêve d’implanter en Paris des œuvres plus spectaculaires encore, imitées de l’antique, destinées à pérenniser son pouvoir mal acquis ? Il était question d’un arc de triomphe à la Titus, d’un nouveau palais, d’une colonne imitée de Trajan ou de Marc Aurèle,

 Image illustrative de l’article Marc Aurèle

 que sais-je encore ?

A suivre...

mercredi 6 novembre 2024

Café littéraire : Le Soleil est aveugle, de Curzio Malaparte.

 LE SOLEIL EST AVEUGLE, de Curzio Malaparte

Par Roger Colozzi.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/56/Curzio_Malaparte.jpg

En guise d’avant-propos

"Encore un livre sur la guerre !", allez-vous soupirer. Certes, mais alors écrit par un homme, journaliste et romancier italien (1898-1957), qui en a vécu deux. Mieux : qui y a combattu, y a été blessé. Un homme pour qui le cri de guerre aurait pu être : "guerre à la guerre !"

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Une guerre faite ici sur des versants frontaliers des Alpes par des Français, mais surtout par des soldats italiens "poussés dans le dos" au combat, contre un pays, la France, déjà bien meurtrie, "à genoux" devant les armées occupantes de l’Allemagne nazie.
Une guerre quasiment fratricide (une de plus, et ce sont les pires...) entre deux populations alpines aux mêmes styles de vie, mêmes mœurs, interpénétrées par des modes de vie quasi-identiques, dans de coutumières et réciproques traditions et échanges laborieux, sans esprit de séparatisme, de frontières.
Une guerre, encore, stupide au sens tragique de son inutilité, quand l’auteur n’hésite pas à affirmer : "...il est plus immoral de gagner que de perdre une guerre." Et surtout pas honte aux vaincus !

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Une guerre sans espoir, sous l’astre de vie, le Soleil, indifférent semble-t-il, impassible ("muet spectateur"), AVEUGLE aux souffrances de l’humanité. 

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Et tout esprit de vengeance ravalé, d’un bord comme de l’autre, laissez-vous gagner par la poésie des couleurs des Alpes, même et surtout accentuées par le froid des montagnes, ultime linceul des combattants alpins des deux bords ; deux clans pour lesquels nous ne manquerons pas de conclure : "Ni vainqueurs, ni vaincus !"

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Absurdité de la guerre, des guerres.

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Bonne lecture et... à bientôt !
R. Colozzi


samedi 2 novembre 2024

La Conjuration de Madame Royale : appendice (2).

Bientôt, l’influx se traduisit par des éclairs jaillissants qui parcoururent l’ensemble des connexions jusqu’au corps de Langdarma, en passant par les grenouilles spinales qui entouraient les baquets.

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Ces tristes batraciens, frappés par l’énergie galvanique, se mirent à tressauter, en une danse de Saint-Guy grotesque qui eût été risible en d’autres circonstances.

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 Quelques acrobatiques qu’eussent été leurs trépidations, ces bêtes répugnantes, hélas sacrifiées au nom de la Science, ne pouvaient être comiques. De même, les épidermes de ces anoures et autres rainettes décérébrées exhalaient une senteur marécageuse. L’intensité de leur frénésie s’alliait à la manifestation d’un autre phénomène : les nuées d’éclairs se muèrent en une nébulosité électrique qui recouvrit la dépouille de l’empereur maudit, la rendant invisible. Dans le même temps, une fragrance désagréable de natrium s’exhala des différents baquets. 

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Une première grenouille éclata : l’organisme mort n’avait pu résister à la puissance de l’influx galvanique.
« Comte Galeazzo, réduisez la puissance ! s’exclama Georges Cuvier. Un péril menace toute notre assemblée !
- Je n’en ferai rien ! » répliqua obstiné l’aristocrate italien, Deus ex machina de ce projet dément.
Comme pour répondre à son entêtement, un deuxième batracien s’embrasa, victime de la surcharge, empuantissant les lieux de la consumation de ses chairs mortes et gâtées. Désormais, un orage miniature enveloppait Langdarma.

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 Les fils cuivrés en tortillons, brouillés par le nuage d’électricité statique, laissaient échapper des flammèches malvenues. Notre aristocrate italien de mauvais aloi – au point que nous ne savions plus si nous servions les desseins de Napoléon ou les siens – fit preuve d’une hâblerie sans pareille. Alors qu’une troisième grenouille explosait telle une bombe malodorante, éclaboussant de sa bouillie les rebords du baquet près duquel on l’avait installée, voilà qu’un singulier arroi s’ajoutait à cette séance éprouvante. Di Fabbrini fit entrer quatre servants supplémentaires ; à chacun il remit un coffret de bois de santal,

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 coffret qui révéla, lorsque chaque sbire sous ses indications en ouvrit le couvercle, un appareil d’un type nouveau, qui consistait en un cylindre de cire muni d’une manivelle sur lequel courait une aiguille qui y avait creusé un sillon d’une extrémité à l’autre. Cette aiguille avait double usage : soit elle gravait les vibrations sonores qu’il lui était donné d’entendre (si toutefois l’on pouvait qualifier d’ouïe cette faculté de la mécanique d’enregistrer les sons), soit elle les restituait ou lisait. L’appareil se complétait d’un cornet acoustique conique, une espèce d’entonnoir dont le bout étroit était accolé au cylindre.
« Messieurs, je vous présente mon invention : le paléophone ! »


Je méjugeais ses prétentions car, selon ma conviction, le comte n’était pas l’inventeur de cette machine qu’il avait dû voler à quelque expérimentateur inconnu, français ou anglais (peut-être même italien !) dont il avait profité de la gêne financière pour qu’il la lui vendît à vil prix.
Les quatre assistants, exécutant les ordres de leur maître en un ensemble parfaitement coordonné et harmonieux, tournèrent leur manivelle, dans un sens puis dans l’autre. Les paléophones avaient été réglés en mode lecture.

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Une phrase spectrale s’extirpa de chacun des cornets et retentit aux quatre points cardinaux, phrase en laquelle nous eûmes la stupéfaction d’identifier le mantra bouddhique qui, en les premières salles du sépulcre de Langdarma, avait contribué à l’accord des hémisphères successifs !
La voix désincarnée, décorporée entonna la psalmodie Om Mani Padme Hum à l’endroit puis à l’envers, alternativement : muH emdaP inaM mO. Les pavillons des cornets amplifiaient ces sentences pieuses.
Fut-ce l’effet de ces vibrations sonores répétitives et lancinantes, encore accentuées par la réverbération de la salle ? L’influx électrique se fit paroxystique ! Di Fabbrini exultait car ce que nous étions en train de voir correspondait à ses espérances.
Cependant, l’une des quatre piles de Monsieur Volta grilla, compromettant la suite ; une fragrance de métal chauffé s’exhala de la colonne hors d’usage située au point nord tandis que des étincelles manquaient déclencher un incendie fatal.  
Alors, ce fut comme une boule d’énergie qui se constitua, non point brillante, mais noire, négative, et cette fulgurance de néant, venue de nulle part, par génération spontanée, délivrée de sa matrice par les mantras inversés, s’alla frapper au cœur la momie démoniaque, comme si la foudre l’eût atteinte.

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 Sans nul paratonnerre du grand Benjamin Franklin,

 Illustration.

cet optimum du galvanisme et de l’électricité, conjugué à la manifestation d’un phénomène physique inédit que nous pourrions qualifier d’énergie noire,

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 produisit un son intense, tel l’impact de l’éclair embrasant un arbre. Ce coup de tonnerre fut si puissant que tout le bâtiment du Muséum trembla sur ses fondations. Nous nous crûmes un instant transportés au sein du fameux tremblement de terre de Lisbonne.
Un silence angoissant suivit tandis que se dissipait l’odeur éprouvante de cuivre brûlé et des chairs mortes des grenouilles spinales.
« Il vit ! » s’écria le comte d’une voix rauque, à la manière d’un Oreste dément,

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rompant la mutité de l’assemblée. Je crus entendre qu’il prononçait le nom d’une femme que je compris mal, sentence qu’il acheva par « Tu avais raison. » S’appelait-elle Marie Chalet ou Chélet ?

Portrait ovale d'une femme portant un châle et un fin bandeau autour de la tête, sur un arrière-plan couleur de lin.
Une main d’un noir luisant se dressa, d’une brillance d’obsidienne constellée d’éclats et de grains diamantés. Tout un corps bientôt se leva de la couche, arrachant les liens, les connexions qui le reliaient encore au réseau galvanique malmené. Jamais nous n’oublierons le visage de cette chose dont les caractéristiques l’éloignaient de toute humanité. Le masque mortuaire bimétallique s’était amalgamé à la figure même de l’empereur, comme fondu en elle, adhérant tel un épiderme. Aux orbites, dont la rétractation avait disparu, deux iris aussi lumineux qu’une étoile semblaient observer le public subjugué par ce prodige. Ces prunelles pulsaient. Langdarma rappelait autant un personnage de céramique grecque archaïque et noire qu’un astre de nuit illuminant de sa seule présence tout un firmament enténébré d’avant la création. Sa « résurrection » hasardeuse l’avait transfiguré en une incarnation de ce que nous convînmes de désigner sous le vocable d’infra sombre. En lui s’étaient alliés tous les démons du monde, en la fusion imprévisible d’un pandémonium en une unique créature.
« Jésus, je t’ai égalé ! » poursuivit di Fabbrini enferré en son délire. « Soleil noir, poursuivit-il ! Avatar de mon fils ! Renaissance de l’Homunculus ! »  
Imitant quelque vers cornélien, Galeazzo ajouta :
« Va et me venge ! »
« Un trou noir ! Cette momie est un trou noir ! » balbutia notre ami Laplace, reprenant une de ses théories.
Sans crier gare, la panique s’empara de l’assistance tandis que le comte était pris d’un fou rire irrépressible.
« Allez, animalcules lilliputiens, allez ! Fuyez tant qu’il est temps ! Que Langdarma fasse de vous son gibier, sa pitance ! »
Quelle horreur avions-nous donc engendré ? C’était cela, le résultat de nos pérégrinations aventureuses ? Aucune vie humaine, aussi longue fût-elle, dussions-nous tous exister plus de cent années ne suffirait à estomper le remords qui tous nous rongeait.
« Nous avons joué avec le feu ! » entendis-je murmurer Danton. 

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« Voilà un abominable homme des neiges et des cimes ! » hurla Bichat.
Comme s’il l’eût entendu, Langdarma remarqua notre physiologiste et, d’un pas assuré mais pesant, commença à s’approcher de lui. Il semblait mû par une seule volonté : occire ceux qui s’opposaient à lui, à sa toute-puissance recouvrée. Se sentant pris pour cible, Bichat bouscula ses confrères, heurtant indifféremment dignitaires et savants, voulant fuir à tout prix celui qui, décidé à l’anéantir, le poursuivait de sa vindicte aveugle. L’empereur asiate, revivifié, corps noir brûlant, exubérant, se para d’éclairs plus destructeurs que la foudre ordinaire, éclairs qu’il jeta çà et là, embrasant à son bon plaisir, à son caprice, tel ou tel élément. Il absorbait toute l’énergie autour de lui, s’en nourrissant, achevant l’anéantissement de notre installation.
« Messieurs, j’ai l’honneur de vous présenter l’Arme ultime ! » ricana le comte di Fabbrini.
Le monstre se mit à poursuivre notre confrère de sa vindicte destructrice. Tout ce qu’il touchait ou frôlait s’embrasait. A la vue de cette chasse à l’homme, sans qu’il perdît son sang-froid inébranlable, Galeazzo extirpa une espèce de crécelle de l’habit de cour à la française qu’il s’était imposé de porter en cette séance solennelle, crécelle qui s’avéra être un moulin à prières du Thibet qu’il commença à agiter comme un bouffon le fait d’une marotte. 

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Il se mit à psalmodier divers mantras dans la langue des bonzes, dialecte dont seuls ici, à ce que nous soupçonnions, Arthur et Rajiv possédaient des notions chèrement acquises.
S’agissait-il de dompter la créature des ténèbres ? Le comte espérait-il l’amadouer ? Que non pas, hélas ! car, bien au contraire, les mantras la confortaient dans sa volonté de nuire. Bientôt, Bichat ne fut qu'à quelques pieds de Langdarma dont le corps fuligineux, hideux, multipliait les fulgurances noires, comme si une étoile d'ébène eût été éruptive. Un éclair frappa le savant alors que la momie de l’empereur se saisissait de lui. Une boule incandescente contint ce couple fatal et dans l’étreinte opaque et brillante à la fois, nous entendîmes surgir un hurlement comme jamais aucun humain ne l’avait ouï. C’était pis que le mugissement du taureau égorgé lors de la mise à mort sacrificielle des Anciens. Quand s’estompa la boule de feu brune entourant les deux hommes, ainsi que s’éteint un feu d’artifice, Langdarma relâcha un cadavre calciné et broyé qui s’alla rouler aux pieds d’une allégorie de la Nature. Ce qui demeurait de notre ami dégageait des fumeroles anthracites ainsi qu’une senteur épouvantable pareille à celle des viandes d’holocauste. Nous ne pûmes retenir nos sanglots et notre stupéfaction fut telle que quelques-uns parmi nous perdirent connaissance.
Bichat devint malgré lui la victime expiatoire d’un apprenti-sorcier, sa mort tragique et atroce tempérant la réussite d’une expérience qui défiait tout à la fois les lois de la nature, l’éthique et la physique. Le comte objecterait, en ces propos énigmatiques et désinvoltes dont il avait l’habitude :
« La disparition de ce grand savant était de toute manière prévue pour cette année 1802, en plusieurs pistes temporelles. »
Etait-ce là une maxime, un aphorisme ironique brandi comme un étendard ? A moins que le comte italien usât du truisme ? Il nous avait accoutumés à ces phrases à l’emporte-pièce, à cette bravade.
Toujours était-il qu’avec une telle recrue venue de l’au-delà, nos ennemis ne feraient pas long feu. Encore fallait-il que di Fabbrini domestiquât ce démon. 

A suivre...

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