samedi 29 octobre 2011

Le Trottin, par Aurore-Marie de Saint-Aubain : chapitre 13 1ere partie.

Avertissement : ce roman fin-de-siècle, du fait de son érotisme saphique, est déconseillé aux mineurs.
Chapitre XIII



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Après être parvenue à revenir en cachette à la boutique, sa nudité recouverte par une vieille couverture sale, Cléore se claquemura dans le silence, refusant de fournir la moindre explication qui soutînt un minimum de vraisemblance quant à la perte de ses paniers et à son nouveau retard conséquent. Les deux sœurs, Octavie et Victoire, la harcelaient de questions indiscrètes, tandis que fort à propos, une missive de Madame la vicomtesse la rappela à son bon souvenir.

Cet acte épistolaire sonnait comme une injonction à comparaître, une assignation, comme une mise en demeure à rejoindre d’urgence Moesta et Errabunda. Madame décrivait par le menu détail la situation pitoyable des cinq fillettes dont Mademoiselle de Cresseville eût dû assumer la charge en professeur parfait. Les pauvres enfants étaient livrées à elles mêmes et divaguaient, erraient à l’air libre ou dans les corridors de chaque pavillon comme des âmes en peine, sans que les personnels demeurés sur place trouvassent quoi que ce fût à les occuper utilement. Elles ne songeaient plus qu’à manger, dormir ou jouer à la poupée avec un nonchaloir inconvenant d’enfant souffrant de consomption et d’indolence (ce qui pouvait être vrai à propos de la frêle Quitterie Moreau).
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Elles n’étaient plus bonnes à rien et se vautraient dans plusieurs péchés capitaux, dont la paresse et la gourmandise, Délia en tête, qui jouait les meneuses du groupe, aînesse oblige. Madame concluait :

« Par conséquent, ma chère Cléore, vous êtes priée de faire promptement atteler une voiture pour vous rendre à destination et remettre de l’ordre dans nos affaires communes, dès que vous en aurez terminé avec la lecture de la présente, dès votre prise de connaissance de la dramatique situation, des affres fâcheuses dans lesquelles vous avez laissé ces amours d’enfants se corrompre. »
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Doublement accablée, par Madame et par les deux boutiquières rêches, Cléore s’accorda un petit délai sabbatique de réflexion. Malgré l’abjection de sa dernière aventure avec cette Jane, elle réalisa qu’elle avait pris goût hors de toute raison à ces étreintes honnies avec les tribades, répréhensibles par toutes les cultures. Elle recherchait toujours le scandale, l’aventure, car la rupture de ban avec les bonnes mœurs, qu’elle gérait avec une maestria audacieuse, demeurait sa ligne de conduite. Avant de s’en retourner à Moesta et Errabunda, Cléore décida de mettre un atout de bamboche dans sa manche enfantine. Elle loua à une matrone peu regardante un garni innommable, à trois sous la semaine, sis dans la ruelle la plus sordide de Château-Thierry, dans un taudis puant menaçant ruine, meublé insalubre qu’elle transforma en maison de rendez-vous pour pédérastes saphiques, une maison d’un genre bien particulier, puisque la créature unique y louant son corps ne serait autre qu’elle-même, sous la défroque enrubannée d’une enfant putain indépendante qui tariferait ses passes à cinq francs, prix modique selon elle au vu des services exceptionnels attendus. Et elle avait l’intention de débuter dans ce métier dès le samedi soir suivant. Elle s’inventa même un sobriquet scabreux : Poils de Carotte, du fait de sa toison rouge coruscante qu’elle se refusait à épiler.

Cette affaire scandaleuse réglée, la comtesse opta pour le retour temporaire à l’Institution, prioritairement pour qu’on soignât son apostume qui lui faisait grand mal et la tourmentait lors jour et nuit. Madame avait équipé les lieux d’une infirmerie moderne, et engagé deux nurses, cela à cause de la santé précaire de Quitterie qui donnait constamment des inquiétudes.
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Avant de se mettre en quête d’un remède pour son orteil, Cléore fit des calculs abjects : tant de temps par semaine consacré à Moesta et Errabunda, tant d’autre à sa tâche de candide petit trottin, le dimanche aux salons et aux mondanités…et le samedi soir au garni infâme où elle expérimenterait la vie des créatures des bas-fonds…quitte à se véroler du fait de sa luxure spéciale, si toutefois il fût possible que des femmes se vérolassent entre elles, puisque il n’y aurait en toute exclusivité que des clientes pour l’aller voir.


Les nurses ne parvinrent pas à percer l’abcès du gros orteil : elles voulaient le faire avec une aiguille chauffée au rouge et Cléore, puérile et veule, plus douillette que de coutume, leur hurla sa réprobation à tue-tête, s’extravaguant comme une fillette dotée de déraison. Les jumelles avaient entendu les cris de Mademoiselle et en avaient souri.

Cléore avait jà constaté de visu le tempérament étrange et quelque peu lymphatique de Daphné et Phoebé, alors que Délia était de feu tandis que Jeanne-Ysoline aimait à jouer aux doucelines coruscantes à fins de séduction. Les jumelles aux longs cheveux blonds de lin bouclé étaient molasses et guimauves, flasques comme d’autres petites filles à leur semblance, à la diaphanéité d’albinos manquant de fer et souffrant d’un type d’anémie morbide qu’on nommait leukémia.

Mademoiselle de Cresseville diagnostiqua en ces malheureuses une forme effective de faiblesse du sang qu’elle soigna par la consommation de viande rouge, saignante, voire crue. Daphné et Phoebé y prirent goût, recouvrèrent des couleurs, un incarnat de primeroses, mais elles voulaient toujours plus. On dut, pour les satisfaire, en passer par des boissons mêlées à du sang de bœuf ou de vache, à des eaux minérales coupées de moelle. Comme cela n’était jamais en suffisance pour les estomacs fragiles des mignardes blondines qui demeuraient aussi translucides que des foeti, fillettes dont les yeux phosphoraient d’étranges lueurs à la moindre effluence fade de l’hémoglobine épandue, Cléore fut lors contrainte d’aménager un enclos où s’en vinrent paître d’innocents troupeaux de veaux et d’agneaux à peine sevrés de leur mère, pauvres bêtes pelucheuses dignes d’une ferme de Marie-Antoinette, adonisées de nœuds, qu’il fallut saigner et égorger l’une après l’autre, en présence des jumelles. En mourant, les malheureux animaux poussaient des meuglements et des bêlements pitoyables qui amusaient les deux petites sadiques. Le sang ainsi recueilli des juvéniles bestiaux sacrifiés, servit à étancher leur soif immonde de goules. Puis, comme l’anémie revenait en quelques jours à peine, Cléore dut passer à de nouvelles proies : des génisses que les gamines saignèrent elles-mêmes, s’abreuvant de leur sang à même la gorge des jeunes vaches. Daphné et Phoebé s’avérèrent d’authentiques empuses menacées d’albinisme et de leukémia pathologique. Cléore envisagea, devant la langueur sans trêve revenue de Daphné et Phoebé, que les médecins les transfusassent régulièrement de sang humain frais…


Entre-temps, elle avait trouvé la solution idoine, le bon remède à la guérison de son apostume du gros orteil gauche. Ce fut Jeanne-Ysoline qui intervint, révélant ainsi ses dons de pédicure. Nous connaissons depuis longtemps la fascination qu’exerçaient les pieds meurtris et souffrants sur ce jeune esprit d’Armor que nous avons vu officier sur Odile-Cléophée. Une attirance proprement fétichiste portait la jeune Bretonne qui tentait à tout prix d’assouvir ses fantasmes.

L’intervention se fit en la bibliothèque, un matin autour du 7 juillet 18. alors que l’abcès de la comtesse de Cresseville avait acquis des proportions inquiétantes. Cléore était affalée dans une bergère louis XV, la jambe étendue, le pied nu reposant sur un douillet coussin lui-même apposé sur un doux tabouret capitonné de velours vert, tel celui d’un célèbre goutteux podagre qui régna sur la France. Une horreur énorme et tuméfiée luisait sur cet orteil qu’approcha à pas feutrés Mademoiselle de Kerascoët. Cléore ne s’en cachait point : elle craignait pour sa vie même, songeait à une septicémie ou à une gangrène possible. Elle serrait un chapelet comme une convulsionnaire en marmottant des patenôtres. Elle luisait de transpiration et de peur, prise qui plus était de tremblotements d’enfiévrée, au point qu’on eût pu la croire atteinte d’un accès turbide de maladie infectieuse tropicale, malaria humaine, pépie de volaille ou mieux encore d’une suette médiévale assaisonnée de fièvre tierce ou quarte. La beauté de Jeanne-Ysoline
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parvint un instant à distraire l’attention de la comtesse qui en était à quémander une seringue de morphine tant elle frôlait la pâmoison sous les élancements lancinants et insoutenables de l’apostume. A cette occasion, Cléore s’était adonisée d’une robe de fillette de douze ou treize ans, toute blanche et volantée, aux friselis conséquents, qui imitait en outre celle que portait Mademoiselle Marianne Chaplin, lorsque son père, l’illustre peintre de l’enfance Charles Chaplin, l’avait portraiturée à l’occasion de son treizième anniversaire.
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Jeanne-Ysoline commença à tâter et palper ce panaris énorme, ce mal blanc formidable, cette ampoule tuméfiée blême de pus à la manière d’un roi de France touchant les écrouelles. Elle se sentait investie vis-à-vis de Cléore d’une mission de thaumaturge. C’était sa commensale et sa vassale qu’elle venait d’extirper de sa boue bretonne. Jeanne-Ysoline multipliait lors les ave Maria et les génuflexions avant d’agir, se courbant comme en un hommage vassalique, voire un hommage lige à sa bienfaitrice.

Cléore, dont le doigt la lancinait plus que jamais, gouttait littéralement de sa diaphorèse de peur à l’approche de l’instant fatal où la fillette lui percerait l’apostume. Elle subodorait l’existence de cette manière de soigner parmi les gitans ou les comprachicos du grand poëte Hugo. Elle tentait vainement de penser à autre chose, concentrait son regard sur les cheveux extraordinaires de l’enfant, cette ébouriffante et nonpareille chevelure châtain clair torsadée de centaines de tire-bouchons aux reflets de vieil or, de bronze, de cuivre et d’acajou, sans omettre le santal des taches de rousseur – surtout celles de son petit nez - et le jais brillant adamantin des prunelles de Mademoiselle de Carhaix de Kerascoët. Adonc, occupée par la beauté de la fillette, Cléore ne la vit même pas pointer sur l’abcès son aiguille enflammée qui, sans crier gare, presque au débotté, creva ce bubon pestilentiel en lui arrachant à peine un couinement de surprise.

Jeanne-Ysoline se déchaîna sur la blessure, absorbant les giclées de pus par ses lèvres mignardes, s’en gargarisant en sa menue gorge pourprine, recrachant de gorgée en gorgée ce liquide de l’effroi et de la putrescence dans une cuvette de faïence Wedgwood prévue à cet effet, réduite par déréliction à cet usage vil du fait d’une ébréchure, faïence qui, en temps ordinaire, servait à la saignée. Cette cuvette toute laiteuse finit par déborder de cette prégnance horrible et jaunâtre qui épandit aussi son effluence de miasmes dans toute la bibliothèque.

Lorsqu’elle eut fini de vider l’apostume de sa purulence, Mademoiselle de Kerascoët massa l’orteil blessé avec un baume ou un dictame parfumé à l’essence d’aloès puis y plaça un emplâtre de simples. Enfin, elle le banda avec un soin extrême qui confinait à la monomanie des pieds.


L’opération achevée, Cléore constata qu’elle avait grand’soif. Elle proposa à la petiote un rafraîchissement, non point une de ces limonades puériles, mais un bon alcool qui les requinquerait toutes deux. Jeanne-Ysoline avait mieux supporté les boissons capiteuses de Madame que les autres fillettes ; sans doute il était atavique que toutes les Bretonnes s’accoutumassent aux lampées de chouchen dès leur naissance, lampées qu’elles alternaient avec la classique tétée en goulafres jà imbibées. Cependant, Cléore n’avait pas de chouchen dans les caves de Moesta et Errabunda. Aussi s’enquit-elle de Jules qu’elle envoya quérir une bonne dame-jeanne d’un lacryma-christi qu’elle savait fameux. Les deux titrées partagèrent leurs agapes. Elles firent fort grand honneur au rustique récipient pansu dans le verre duquel transparaissaient de ci, de là, des bulles d’air.


Lorsque Cléore ressentit en sa petite compagne monter la gaîté inhérente à l’ivresse, elle lui annonça la récompense obtenue pour ses services curatifs : la promotion sur l’heure comme rubans jonquille. Elle exhiba de son aumônière un padou jaune, défit les nœuds blancs qui agrémentaient le sommet de l’étonnante chevelure de la damoiselle et l’attacha en lieu et place. Jeanne-Ysoline, vive et excitée par le spiritueux, s’en fut annoncer à toute la maisonnée sa nouvelle promotion.

Ce jour-là, Jeanne-Ysoline portait des pantalons de dessous fort longs,
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qui lui tombaient à la cheville, d’un modèle archaïque et désuet en usage cinquante années plus tôt. Sans doute tenait-elle cette relique festonnée de sa grand’mère. Elle l’avait arborée telle une lingerie séduction, parfumée à l’essence de rose, à la giroflée et au pot-pourri, cela afin que Cléore l’aimât. Il était amusant de la voir trottiner dans les couloirs de l’Institution en exultant et en s’extravaguant aux cris joyeux de « Je suis rubans jonquille ! Je suis rubans jonquille ! » tout en toisant celles qu’elle croisait par des taratata de dédain. Ce n’était là que pure badinerie, qu’enfantillages anodins. Le pas preste de l’enfant retentit longtemps aux oreilles de Cléore qui s’en retourna à Château-Thierry, quoiqu’elle boitillât encore.


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L’affaire s’était vite sue. Cléore avait bousculé la hiérarchie et avait dû demander conseil à Elémir : il fallait que les grades augmentassent en nombre et en couleurs, comme autrefois à Saint-Cyr. Délia, la favorite, fut la première jalouse. Elle obligea Cléore à la promouvoir rubans orange, la couleur de la chef. Par conséquent, la comtesse de Cresseville se contraignit à l’instauration d’un nouvel échelon supérieur : les rubans émeraude, dont elle se dota. Elle décréta que toutes les autres fillettes encore en blanc passeraient au jonquille, avec effet immédiat, se promulguant elle-même officiellement rubans verts, et que désormais le blanc ne serait arboré que par les seules néophytes et nouvelles venues.


Sur les injonctions de Madame la vicomtesse, elle remit de l’ordre dans l’Institution, instaura une scolarité et une classe dignes de ce nom, acquit du matériel pédagogique, élabora un emploi du temps où les cours auraient lieu le matin et la réception des clientes l’après-midi. Sarah et Délia furent instituées professeurs en plus d’elle-même. Comme il n’y avait plus d’enfants volontaires, le recrutement commença à poser problème. Il fallut démarcher auprès des besogneux et des miséreux auxquels on fit miroiter un avenir radieux pour leurs petites filles. Les ventes d’enfants, odieuses comme du maquignonnage, commencèrent alors et Madame inventa l’expression pièces de biscuit en référence aux pièces d’ébène de la traite des esclaves. Michel et Julien furent chargés de la comptabilité de ce trafic horrible et hors la loi.


Afin de calmer Adelia, qui commençait à détester Jeanne-Ysoline, Cléore lui proposa une réconciliation à l’amiable qui s’acheva en nouveaux jeux pervers. Ils commencèrent par des préliminaires d’un genre inédit, labiaux, olfactifs et linguaux, exclusivement consacrés aux pantalons de lingerie ouatés. Cléore humait avec délectation l’étoffe de Délie, s’amusait à souffler dessus, à y expirer l’air chaud de ses narines. Son nez mutin s’imprégna de la délicieuse senteur proprette de ce dessous tout neuf, que Délia avait revêtu pour cette occasion d’exception. Mademoiselle de Cresseville entreprit ensuite de caresser ce linge de coton en le bécotant, de préférence aux endroits où l’étoffe cachait les orifices intimes, qu’ils fussent anal, génital ou urinaire.
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Elle alterna les jeux de lèvres et ceux de langue, humectant cette lingerie d’une salive parfumée, la suçotant et la léchant longuement, l’imprégnant et la mouillant tant qu’Adelia fut forcée de s’en dévêtir et d’exposer crûment tous les secrets dissimulés de son corps de poupée. Bien sûr, la pratique s’enrichit d’une réciprocité, d’un partage car il fallait que l’adorée goûtât aux mêmes sensations que sa maîtresse. Cela se prolongea un temps indéfini et les deux huppes en extase finirent par s’abreuver l’une et l’autre à la fontaine de Siloé de chacune, qui, sans pudeur, dégorgea sa liqueur de vierge dans les bouches gourmandes. Ce fut l’absorption émolliente d’un miellat intime, virginal autant que vaginal, d’un hydromel secret dégouttant du canal de la fleur sauvage, d’un chouchen spécial, d’une eau de source blanche et marbrée à la senteur suave de sainte imputrescible. La liqueur de Délie était encore meilleure que celle de Cléore, du fait qu’elle s’épreignait du col d’une bouteille de vierge non encor polluée par le sang périodique. Les lèvres intumescentes de chacune s’accolèrent aux autres lèvres conquées d’ourlures et lapèrent ce miel blanc et épais jusqu’à ce qu’elles en fussent ivres. Et le jeu s’acheva par un assoupissement doux d’après coït. Le lendemain matin, Délia s’amusa à zézayer en déclarant :

« Ma mie, z’ai conzervé de vous hier zoir un de vos zeveux zur ma langue ! »


Ravie de cette turpitude, Cléore garda un jour durant dans les muqueuses de sa bouche l’imprégnation immorale et humorale de cette bien particulière libation, de ce don de soi de la mie, offrande d’une viscosité de saint chrême.


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Le samedi vers la soirée, Cléore, habillée en fillette modèle adonisée de nœuds, de chaussures vernies à lanières et d’une robe blanche à ruchés et à fronces, avec un petit padou noir au cou complété d’un camée de chrysoprase au profil de Cérès, se rendit en son garni odieux où elle attendit sa première cliente. Elle s’assit sur le matelas défoncé où elle devait s’ébattre, en testant la mollesse avachie et la résistance des ressorts qui lui parut un peu juste pour ce qu’elle y allait faire. Ce matelas nu, sans literie aucune, n’était plus qu’un débris décati. Il apparaissait beurré de crasse, fangeux, huileux des déjections intimes de celles et ceux qui avaient précédé notre Poils de Carotte, engoncé tel un pâté en croûte dans son enveloppe grasse, squameux d’ordures diverses, comme couvert d’une couche de sel ou de natron, putrescent des mille transports obscènes qu’il avait accueillis. Il sentait fort mauvais, exhalant un fumet à la fois pisseux et passé. S’il eût pu parler, ce misérable déchet eût étalé en place publique bien des scandales de mœurs que l’on tenait secrets.


Enfin, après une demi-heure d’impatience immodérée de la part d’une Cléore que la chose démangeait, la première cliente tapa à l’huis branlant. Elle l’introduisit dans ce réduit suant, aux tapisseries décollées, et l’invita d’abord à s’asseoir sur une méchante chaise à demi dépaillée. La stupeur éclaira son fin visage de rousse. Cette femme tant attendue n’était autre qu’Andrée Berthon, la plantureuse, bourgeoise, naïve et maladroite Andrée Berthon, tant couvée par sa maman. Insoupçonnable, elle venait s’encanailler en ce bouge, révélant à Cléore sa vraie nature, ses vrais penchants inavouables à la bonne société.
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Cléore débarrassa cette grande jeune fille brune de son réticule, de son châle et de son petit chapeau fleuri à voilette. Aussitôt, Andrée explosa en larmes dans les bras de celle qu’elle croyait à peine âgée de douze ans, car chacune s’était mutuellement identifiée. Sous les vêtements corrects et bourgeois à tournure un peu démodée, vieux d’environ deux ans, la comtesse de Cresseville ressentit cette fameuse effluence urinaire dont souffrait immodérément et incontinent la malheureuse qui, à l’instant, venait de se souiller, cette maladie l’excluant sans doute de toute prétention à convoler en justes noces. Cette odeur était si prégnante qu’elle en recouvrait presque les autres miasmes de la chambre lépreuse.

Essuyant les épanchements lacrymaux d’Andrée, Cléore lui demanda de se reprendre tout en se rasseyant elle-même sur son matelas pourri comme un vieux lougre percé par les tarets. Les tégénaires vaquèrent à leurs toiles tandis que la jeune femme de dix-huit ans épanchait son cœur meurtri à la face de la petite catin. Andrée dégoisa la sordidité de son existence tourmentée, le camouflage de ses tendances réelles, acquises au pensionnat de Soissons, qu’elle fréquenta de huit à dix-sept ans, pensionnat où elle s’était enamourée à treize ans d’une camarade blonde, phtisique qui plus était, sans que nul dans sa famille ne le sût. L’aimée était morte dans ses bras six mois après, d’une spectaculaire hématémèse, inondant de son propre sang bronchique la robe austère de la mie, qui s’était lors contrainte à dissimuler à jamais son chagrin d’anandryne jeunette.


Après ces confidences, Andrée attaqua. Elle extirpa du réticule posé sur le parterre branlant et sale un dé à coudre et une aiguille avec son chas. Elle demanda à Cléore, au débotté, d’un ton autoritaire qui l’ébaudit :

« Ôte-moi cette robe et mets-toi à l’aise. Garde juste tes bas, tes pantaloons et ta chemise et laisse-toi faire, sans broncher, je te prie. »

L’ordre était à la fois prononcé sur un ton impératif et autoritaire, avec une nuance affectée toutefois. Andrée pouvait enfin commander, demander à quelqu’un de lui obéir !


Puis, sans plus attendre, alors que Cléore s’exécutait en se déshabillant, Mademoiselle Berthon reprit ses larmoyances de mélodrame personnel tout en pointant son aiguille en l’air.

« Vous ne pouvez comprendre, Mademoiselle Poils de Carotte, aussi dévergondée et délurée que vous soyez. Je sais que vous êtes trottin et que présentement, vous vous livrez à votre cinquième quart de la journée…

- Euh, c'est-à-dire…le samedi, uniquement, mademoiselle…

- Laissez-moi parler ; je ne vous ai pas ordonné de m’interrompre. Je disais donc…vous ne pouvez comprendre le sens du premier amour, un amour inassouvi, entre ma pauvre Clémence de Lastours et moi-même, du fait de nos seulement treize ans… »

Cléore se dit qu’au même âge, Adelia était bien plus instruite, entreprenante et audacieuse. Sans doute l’éducation bourgeoise avait-elle inhibé sa cliente. Submergée par son émotivité, Mademoiselle Berthon alternait tutoiement et vouvoiement sans aucune logique.

« Je revois encore Clémence ; j’hume encore sa fragrance de violette. Ses yeux de myosotis, le lait de son épiderme si translucide qu’il en était hyalin. La triangularité souffreteuse de sa face, la tarlatane de ses mains, la bengaline de ses ongles, la percale de ses longs cheveux blonds miels lisses comme de la soie satinée… Comme tu étais belle, ma Clémence, et comme tu souffrais de la poitrine. Chacun de tes crachats sanglants, rosés et séreux, épandus en ton mouchoir de dentelle délicate, rappelait en moi la Passion de Notre Seigneur. La fièvre qui te secouait toute et consumait ton corps chétif était tel le martyre de notre sainte Blandine… Tu mourus certes dans mes bras doux, mais ton souvenir, ta remembrance, demeurèrent imputrescibles en mon cœur bien que la terre et les vers te rongeassent en ta bière de sapin.

- Mademoiselle, je suis prête, déclara timidement Cléore.

- Allonge-toi sur ton matelas en écartant bien tes jambes… N’omets pas au préalable de déboutonner tes pantaloons à ton entrefesson. Mon effilée aiguille doit accéder facilement à ton hymen sacré. » sanglota-t-elle avec hystérie.

Des ictères de honte envahirent les taches de son de la figure de Cléore qui saisit ce qu’Andrée allait lui faire.

« Mon Dieu ! Elle veut me déflorer avec cette aiguille ! Elle va percer mon… »

Elle ne put en penser davantage. La brune jeune femme mit son dessein scabreux à exécution en disant :

« Je veux que tu fasses pareil avec moi ! Débarrasse-moi de mon encombrante virginité comme je mets fin présentement à la tienne ! »

La douleur de Cléore fut atroce. Ce premier sang frais de la perte goutta à terre et, telle une lamie de plus, Andrée Berthon s’agenouilla et lapa de sa langue ce breuvage de la défloration en miaulant comme une chatte satisfaite de sa jatte de lait. Elle s’en revint à son réticule et en sortit du fil. Avec, sans façon ni pudeur, elle recousit crânement l’orifice de Cléore afin de faire accroire que rien n’avait eu lieu, suturant la membrane comme le plus expert des chirurgiens. Puis, elle reprit :

« Fais-moi la même chose, allez ! Du courage ! »


Cléore, encore étourdie et choquée, se leva du matelas en flageolant.

« Dénude-moi, vite ! Je suis tout échauffée ! Le bas, uniquement le bas, s’il te plaît ! »


Mademoiselle de Cresseville dut obtempérer devant cette bouche impérieuse aux lèvres encor écarlates de son sacrifice. Elle dégrafa la longue jupe de casimir et de velours, puis fit tomber le jupon de la folle. Au fur et à mesure que ces pièces de vêtements chutaient, la fragrance d’urine en devenait suffocante. Andrée ne portait aucun pantalon de dessous. La bosse de la tournure était directement attachée à ses fesses nues. Certes, elle arborait des bas de soie avec leurs jarretières, mais, sous le corset, il n’y avait que cette serviette infecte d’incontinente, non changée depuis une quinzaine, depuis l’achat sans doute, intégralement trempée et imprégnée. Et Andrée, qui jamais ne parvenait à se retenir, arrosa Cléore de cette horreur urique, sans qu’elle pût la percer à son tour de l’aiguille, jusqu’à la pamoison fatale.


La comtesse de Cresseville ne reprit ses esprits qu’une heure environ après cet incident. Andrée était partie sans demander son reste, l’abandonnant en son galetas comme un bibelot inutile. Elle constata que la passe n’avait pas été réglée, ces cinq francs pourtant fixés pour chacune des tribades, des michetons femelles.

« Ah, la gredine ! Elle m’a escroquée ! » grogna-t-elle.



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samedi 22 octobre 2011

Le Trottin, par Aurore-Marie de Saint-Aubain : chapitre 12 2e partie.

Avertissement : ce roman publié pour la première fois en 1890 est déconseillé aux mineurs.http://www.artsunlight.com/NN/N-B0032tn/tnN-B0032-010-le-trottin.jpg
Le lendemain, premier juillet 18 . et les trois journées suivante, Cléore-Anne refusa de s’en retourner à l’Institution et se consacra sans relâche à son métier de trottin. Elle alla jusqu’à envisager de refaire sa vie sous son faux état civil. Elle partait du magasin, chargée de fournitures diverses, dentelles du Puy, boutons, lacets, passements, jarretières, bas de soie ou de laine, pelotes pour le tricot, aiguilles, coupons, lingerie diverse, puis s’en revenait, les panerées encore plus lourdes et débordantes de nouvelles pièces d’étoffe, de dés à coudre, d’épingles, de points d’Alençon, de faveurs, de bolducs, mais aussi d’en-cas : brie coulant titillant ses narines de poupée, bêtises du Cambrésis,
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pains d’épices, huile, vinaigre, poireaux, bottes de carottes, petit pain de sucre, abricots… Elle soufflait, ahanait, présumant de ses forces de sylphide. Elle n’avait plus de doute : sa bottine gauche guêtrée, coquetterie et affèterie à laquelle elle se refusait à renoncer, la blessait et une apostume croissait sur son gros orteil gauche. Elle ne savait comment soigner cette saleté enflée, blanchâtre, cette ampoule de peau vive et dure qui la lançait et l’empêchait de bien dormir. Désormais, elle claudiquait comme Quitterie.


De plus, elle ne tarda point à constater, en lieu et place de l’ancien satyre, la présence perturbante d’une femme voilée de grande taille tout en bleu, chaque fois qu’elle sortait, toujours postée au même endroit lorsqu’elle s’en revenait. Elle fut là le premier, puis le deux, encore le jour suivant. Cette longue silhouette déhanchée et distinguée lui rappelait quelqu’un mais elle ignorait qui. L’inconnue fumait.
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Le quatrième jour, qui était un 4 juillet, Anne Médéric se décida à tenter le tout pour le tout. Adonisée de sa panoplie coruscante de pupille qui lui allait comme un uniforme de pensionnaire fantasmatique, munie de ses paniers, un à chaque bras, et bien qu’elle boitillât, elle s’approcha de l’importune avec résolution. Elle remarqua l’incognito de la Dame, sa tête coiffée d’un chapeau tout simple, sans plumes ni dentelles, l’épaisse voilette dissimulant son identité et jusqu’à la teinte de ses iris et, en sus, ce loup noir qui parachevait son camouflage. Elle portait une toilette d’un bleu étrange, peu familier à Cléore-Anne qui s’y connaissait pourtant bien en mode féminine, un bleu d’étincelles d’appareils galvaniques et magiques, un bleu d’expériences amusantes ayant cours à l’Exposition universelle qui se tenait alors.

Les mains de l’inconnue demeuraient gantées nonobstant la chaleur, et son corsage agrafé intégralement, sans décolleté aucun, avec un bijou de corindon au cou engoncé dans un chemisier montant tout en dentelles de Bruges et broderies anglaises. Adonisée avec un soin extrême, cette Dame, qui semblait familière à Anne Médéric sans qu’elle se rappelât où et quand elle l’avait vue exactement, frappait par son aspect racé, altier, par son port de tête quasi royal, bien qu’elle eût fait en sorte qu’on ne pût percevoir ni ses cheveux, ni le grain de sa peau totalement occultée. Cléore l’eût jurée blonde mais ne pouvait se prononcer. La seule chose sûre demeurait sa stature de bringue qui l’eût fait prendre pour la mère de la mignarde enfant. Elle se comporta d’ailleurs comme à une sortie d’école communale et saisit la main d’Anne Médéric, qu’elle entraîna jusqu’où elle souhaitait qu’elles allassent toutes deux.

Après huit longues minutes d’une marche pénible pour le pied de Cléore, elles parvinrent en la fatale impasse, ce qui ôta les derniers doutes de la comtesse sur les intentions de la drôlesse anonyme. L’inconnue désigna le fameux mur salpêtré et crasseux :

« Ici. » dit-elle.

Ce mot, ce seul mot, résonna comme une faute, une erreur, un impair aux oreilles d’Anne-Cléore. Il trahissait un accent étranger, semblable à celui de ces snobs anglais aux voix grasseyantes qu’elle avait fréquentés à Londres. Comme pour la conforter dans son hypothèse, la main droite gantée de la gaupe offrit à la soi-disant fillette le prix de son forfait. C’était un dollar d’argent. Elle était américaine, non point d’Albion…
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Après avoir déposé ses paniers, Cléore s’exécuta, s’adossa à cette lèpre de crépi puant. Ce fut lors que la femme se déchaîna, lui fonça dessus. Les bouches s’entrechoquèrent et les lèvres de la tribade masquée et voilée imposèrent à celles de Cléore un démoniaque enchaînement de baisers brûlants et sauvages. Jamais la comtesse de Cresseville n’avait connu une étreinte d’une telle torridité. Cette étrangère obstinée la collait contre elle, l’obligeant à ses transports voluptueux. Les langues s’emmêlèrent dans les bouches, fouaillant les maxillaires, la chair interne des joues, les gencives, allant jusqu’à rechercher le contact de la luette, du palais et de la gorge, en une profondeur exploratoire incommensurable, parcourant de leurs caresses hideuses toute l’anatomie interne buccale. La salive ardente s’épandit en conséquence, coulant des lèvres accolées et baveuses, dont la peau finissait par adhérer toute en ce bouche contre bouche inédit pour Anne soi-disant Médéric. En parallèle, il fallait qu’elle se gardât des mains entreprenantes de l’inconnue qui, brusquement dégantées, la palpaient avec une insistance scabreuse, cherchaient les failles, les brèches dans l’étoffe, afin qu’elles s’introduisissent jusqu’à la peau de la fillette supposée et lui imposassent d’autres caresses de plus en plus osées et scandaleuses. Ces mains aux ongles effilés curieusement vernis de bleu essayaient pour l’une de s’insinuer par le bas, par les jupes, tout en faisant mine de tenir les reins de Cléore et de la forcer à l’accolement contre le torse de la tribade et pour l’autre, de lisser les joues et le cou de cygne blême de Mademoiselle de Cresseville dans le but évident de s’en prendre à son corsage soigneusement agrafé.

Cléore se raidit, serra les jambes comme au garde à vous, ôtant provisoirement toute prise à ces doigts de satyre femelle en quête de son intimité. Cette diablesse accentuait son étreinte à en briser l’échine de sa juvénile victime. Elle sécrétait son excitation par tous ses pores, comme une solution sébacée de l’incontinence. Délaissant la bouche humide d’Anne inondée d’une malséante bave de volupté, la langue râpeuse de la violeuse anglo-saxonne (puisque c’est ainsi que nous devons la qualifier), marquée d’ulcères et d’aphtes, s’attaqua à son visage en des bécots violents qui pourpraient et furfuraçaient ses joues ; ses lèvres multipliaient les suçons affreux d’une sangsue de mort, d’une Sappho vampire ou goule, pompant la jeunesse et la vertu de vierge de l’enfant de douze ans à laquelle la catin croyait avoir affaire. Les éruptions d’érythèmes pourprins croissaient sur la peau de rousse de la pure jeune fille, souillant et flétrissant cet ovale virginal.


L’empuse américaine insistait toujours, voulait forcer Cléore par tous les moyens. Elle griffait, s’arc-boutait, se mettait à califourchon, essayait de l’enfourcher par la cuisse gauche, de la chevaucher, puis tentait par la droite. Cléore remarqua qu’elle n’arborait pas une jupe classique mais une sorte de pantalon très large, avec un entrejambes muni d’un empiècement renforcé comme pour les culottes de cheval, vêture inédite qu’elle eût pu qualifier de jupe-culotte, si le mot eût été usité. Sans doute exécrait-elle l’équitation en amazone, à moins qu’elle fût vélocipédiste.
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Les doigts de feu de la huppe marquèrent quelques points alors qu’elle se cabrait inconsidérément à en faire bomber et lâcher son corsage. Elle dénoua le ruban rose du gracieux chapeau de paille du petit trottin, qui roula sur le sol d’ordures puis sa main droite arracha la broche de strass qui fermait le col du chemisier de l’enfant. Elle tenta de lacérer ce tissu prude qui recouvrait sa gorge, ruinant au passage le petit nœud qui la désignait comme pupille de l’Assistance publique. Elle dévasta ses nattes, enlevant avec brusquerie les barrettes et les épingles qui les maintenaient en place. Des torrents vertigineux de mèches rousses cascadantes déferlèrent jusqu’à la chute de reins de la fillette. Cléore avait beau serrer les jambes, elle se sentait faiblir, fléchir peu à peu devant cette furie immense qui pouvait écraser sa menue personne de moins d’un mètre cinquante.

La lesbienne satyre enflammée de passion, à force de trop tendre sa poitrine, fit céder son corsage qui s’ouvrit tout entier, rompu, sur un dessous inattendu. Elle n’arborait ni chemisier, ni cache-corset, ni corset, ni chemise de dessous. Son col en fait, n’était orné que d’une simple guimpe qui s’interrompait juste au-dessus d’une espèce de brassière baleinée, sous-vêtement recouvrant simplement la poitrine, révolutionnaire vraiment, dessous provocant qui moulait les seins de la belle comme des coques renfermant des fruits odieux. La vénénosité sensuelle de cette lingerie balconnée était aggravée par le fait que l’abdomen de la putain était nu, sa peau désormais à l’air libre, son nombril obscène exposé, serti qui plus était d’un cabochon où s’insérait un second corindon, admirablement taillé et facetté, joyau bleu dans lequel Mademoiselle de Cresseville identifia un saphir. La comtesse paria sur l’existence d’un troisième bijou, peut-être une gemme-sexe enchâssée dans la vulve de la lamie, comme pour Adelia. Cléore eut une grimace de dégoût en remarquant le tatouage juste au-dessus de l’ombilic de la marie-salope ; c’était un naja crachant son venin, une atrocité indienne qui ajoutait à la pornographie quintessentielle de cette anandryne perverse.

Comme en réponse, l’hardie main droite de l’agresseur parvint à arracher la jupe d’Anne Médéric, puis ses ongles réduisirent en lambeaux son jupon de percaline, dévoilant enfin les bloomers si tentants. Échauffée à l’extrême, la catin masquée voulut promptement en finir. Elle fit rouler sa jupe-pantalon à terre et acheva de lacérer les habits de Cléore, corsage et camisole de dessous. Les pousses roses de la fillette trompeuse se retrouvèrent à la portée de la bouche goulue de la violeuse qui, sans retenue, suça, lécha et mordit aréoles et mamelons jusqu’à en faire perler un sang jeune et frais. Anne Médéric émit des cris perçants où se mêlaient la jouissance et la douleur. Sans qu’elle pût le prévenir, en un réflexe incoercible, elle sentit en son canal intime s’excréter son liquide d’extase lubrificateur tandis que ses tétons, tumescents de plaisir, se dressaient et saillaient avec orgueil. Ses bloomers s’humectèrent de cette sécrétion qui s’extravasa en coulées obscènes et détrempa ses jambes. A la vue et aux sensations olfactives et tactiles de ce miellat s’extravasant, la violeuse pensa qu’effectivement, la gamine jouissait et acceptait qu’elle allât jusqu’au bout, à la défloration et à l’acte intégral. Elle n’en était plus à une vilenie près. Cependant, Anne Médéric n’était point une pudibonde couarde.

Cléore n’avait plus sur elle que des fragments de vêtements, mis à part ses pauvres bloomers humidifiés qui résistaient encore à l’attaque de la seconde main de la huppe qui voulait en déchirer l’entrecuisse pour pénétrer son sexe. L’impudique goule se retrouvait maintenant presque nue elle-même, sauf un nouveau dessous, toujours aussi étonnant : c’était une culotte de hauts-de-chausses en soie assez bouffante, à taille basse, avec des rangées de boutons en ponts encadrant par groupes de trois un empiècement triangulaire dissimulant le pubis. Or, ce tissu semblait anormalement enflé, proéminent, comme si Cléore eût eu affaire à un hermaphrodite en rut. Ce fut alors que la salope ouvrit ce triangle et découvrit un boîtier d’acier dont elle actionna un bouton latéral. Ses yeux étincelèrent d’une excitation morbide lorsque la chose artificielle s’érigea hors de son réceptacle. Anne Médéric manqua s’évanouir. Elémir lui avait aussi parlé de cela, de ces godemichés automates prothèses que des hommes impuissants ou châtrés par accident se faisaient greffer afin qu’ils pussent poursuivre leurs activités érotiques. C’était une invention obscène venue d’Angleterre, dont l’inventeur supposé s’appelait Charles Merritt. Ce phallus automatique de métal, flexible qui plus était contenait – perversion suprême – un réservoir empli d’une liqueur séminale de substitution. Ce foutre synthétique pouvait donc reproduire toutes les fonctions érotiques des vrais, tout en déchirant les chairs internes des catins qu’il forçait jusqu’à les tuer, car certains possesseurs sadiques l’avaient armé de clous et de piquants. Des personnes averties murmuraient que le célèbre éventreur de Whitechapel,
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qui venait de défrayer la chronique policière Outre-Manche, avait été muni d’une telle arme atroce. Heureusement pour Cléore, le godemiché de l’Américaine était lisse. Mais elle ne voulut pas qu’elle la possédât d’une façon si indicible. Jamais !


Alors, notre petite Anne eut un regain d’énergie. Elle parvint à culbuter et renverser la bringue, jà en équilibre instable, à lui arracher une épingle à cheveux qui dérangea son chignon, à lui enlever chapeau, voilette et loup de soie qu’elle arborait encore, surmontant par ces oripeaux féminins un corps presque totalement dévoilé de vérité impudique et impure dénudée. Un magnifique visage de brune aux yeux bleus se révéla à la comtesse de Cresseville. La femme, à moitié sonnée, grogna. Cléore menaça de lui percer la gorge avec l’épingle. A sa grande surprise, elle reconnut miss Jane Noble. Prenant peur, elle laissa sur place la huppe chaude et échaudée par son échec final, gisante à même la fange puante de l’impasse, embrumée, rasant les murs cloaqueux, de crainte qu’on surprît une enfant torse nu, en simples pantalons mouillés, meurtrie, la peau de la poitrine écorchée et saignante, le reste de l’épiderme empourpré par les suçons affreux de l’empuse.


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samedi 15 octobre 2011

Le Trottin, par Aurore-Marie de Saint-Aubain : chapitre 12 1ere partie.

Chapitre XII

Avertissement : ce roman écrit en 1890, du fait de plusieurs scènes à caractère dérangeant et érotico-saphique, est strictement réservé à un public averti de plus de seize ans.
Remise de sa brève indisposition, de ce rhume somme toute bénin, Cléore-Anne Médéric reprit sa tâche de trottin après quatre jours de repos. Elle fut accueillie à bras ouverts dans la boutique par les deux filles de Madame Grémond. Leur présente aménité contrastait avec leur attitude première.
Ce qui gênait Anne, chaque fois qu’elle allait faire les commissions dont la patronne l’avait chargée, c’était cet insistant guetteur anonyme qui l’épiait à chacune de ses sorties. Elle s’en inquiéta et se confia à Octavie. Celle-ci, sceptique, voulut la rassurer.
« C’est à cause du ruban de ton joli chapeau de paille d’Italie que tu n’omets jamais de coiffer lorsque tu quittes la boutique. Tu es très mignonne avec, ma petite rousse, et ton aspect de fillette sage et bien élevée inspire les personnes en mal d’enfant. Ta coiffe est comme une invite, comme un suivez-moi-jeune-homme.
- Lorsqu’il fera plus frais et que j’aurai enfilé mon surtout gris, j’attirerai moins les regards, j’espère !
- Il te restera toujours tes nattes rouges. »
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Cléore réalisa combien Madame Grémond avait laissé ses filles dans l’ignorance de son identité véritable. Elles ne se posaient aucune question sur l’emploi du temps aberrant de la fillette. Il fallait bien, pourtant qu’Octavie et Victoire le reconnussent : la venue de notre lumineuse enfant avait apporté une salutaire bouffée d’air frais à des affaires qui périclitaient. Elle avait littéralement adhéré à la boutique, plus collante qu’une résine de pesse. Grâce à Anne, la famille Grémond reprenait du poil de la bête, au point que Cléore, poussant son imposture, s’était même proposée comme petite main, comme apprentie arpète, afin qu’elle cousît des ouvrages pour ces Dames patronnesses castelthéodoriciennes, elle qui savait à peine s’habiller seule. Madame Grémond réservait sa réponse. Elle connaissait la vie réelle harassante de la comtesse, la fin du matin à Château-Thierry, le soir à Moesta et Errabunda, le dimanche à Paris ou dans ses faubourgs chics. Pour parler avec vulgarité, elle chiadait durement et risquait de compromettre sa santé.
Anne Médéric poussa donc la porte qui tinta, la liste de ses courses soigneusement pliée dans son réticule. L’homme, pour ne pas changer, l’attendait. Elle avait ce jour là apporté deux touches de coquetterie supplémentaires à sa toilette de pupille comme il faut. D’une part, ses bottines étaient de suède, avec des guêtres de chevreau – un luxe qui détonnait – et, d’autre part, ses petites mains arboraient des mitaines de filoselle blanche.
Elle partit ainsi, en sautillant et trottinant, sur les pavés usés et maculés de centaines d’étrons équins, souple comme un convolvulus, fine comme un sarment, telle la petite fille enjouée qu’elle feignait d’être, nattes rubescentes au vent. Les talons de ses bottillons mutins guêtrés produisaient des toc toc comiques. Ils résonnaient en écho dans la vieille rue tortueuse dépourvue de trottoirs. L’intrus mystérieux lui emboîta le pas, poussant pour la première fois l’audace de la suivre. Il tenait un sachet de caramels dans sa main droite, tandis que la gauche s’appuyait sur une canne de bambou. Cléore comprit : il s’agissait d’un satyre attiré par les verts tendrons comme les fèces attirent les mouches bleues. Elle savait quelle attraction ses formes de poupée maigre aux boucles rouges pouvaient exercer sur certaines tribades, mais sur un homme ! cela lui paraissait nouveau. Perverse, elle décida lors de tenter l’aventure, sans qu’elle allât trop loin, bien sûr. Elle saisissait parfaitement que les petites douceurs représentaient le prix de la passe, toutefois si elle s’avérait consentante, mais, la plupart du temps, tout se terminait par le viol et le meurtre et les petiotes se retrouvaient dénudées et trucidées dans des buissons. Cléore choisit le consentement plutôt que la mort. Jusqu’à présent, ses seuls rapports s’étaient limités à des jeux solitaires avec ses poupées et à des tripotages digitaux avec son Adelia adorée. Sa membrane de vierge demeurait intacte, et elle tenait à la conserver longtemps telle quelle. Lorsque l’homme dégainerait son membre, elle lui dévoilerait sa vraie nature de femme.
Cette poursuite l’amusait, la distrayait. Elle pouffait et gloussait tout en feignant d’égarer l’impétrant dans les ruelles douteuses du vieux Château-Thierry. Elle se souvint du paysan qui l’avait reluquée dans le train. Elle trottait sur ses bottines menues en relevant ses jupes le plus haut qu’elle pouvait, de manière à ce que les yeux du gredin entrevissent les plis du jupon ouvragé, les bas de soie beiges de la jolie et excitante enfant, l’ourlet bouffant de ses bloomers blancs brodés et ses jarretières de caoutchouc avec des bolducs de satin rose. Cléore-Anne s’extasiait à ce jeu ; elle s’empourprait ; son rythme cardiaque s’accélérait ; elle était prise d’halètements inconvenants. Bientôt, elle ressentit l’humidification incommodante de son canal intime, mouillure qui ne tarda pas à imprégner l’entrecuisse de ses pantalons de broderie.
Anne Médéric ralentissait sciemment, s’arrangeait pour que le Priape gagnât de place en place du terrain. Elle bouscula un hère puant et pouilleux, un chiffonnier vaquant à sa récupération de vieilles saletés. Son esprit était envahi par les visions d’une fantasmasie obscène. Elle s’imaginait dans une gravure pornographique des collections spéciales du Maréchal de Richelieu, dans le rôle d’une soubrette lutinée et pourfendue par le phalle colossal d’un taureau. Elle se voyait en centauresse montée par le centaure, en nonne de couvent scandaleux troussée par un baudet poitevin dans le cadre de diverses eaux-fortes et lithographie. Elle se rappelait cet opuscule scabreux et apocryphe attribué à Désiré Nisard, ce fameux C… de la laitière réputé enseveli dans les tréfonds de l’Enfer de la Bibliothèque nationale, à moins qu’il ne fût du fonds de l’Arsenal.
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Enfin, ses trottinements gracieux la menèrent où elle voulait : une impasse nauséabonde où s’entassaient toutes sortes d’ordures, qui empestait le rat mort et l’urine. C’était le lieu idéal, isolé des voies passantes, où nul ne remarquerait son manège avec ce dépravé. Elle s’accula exprès à un mur suintant de crasse tandis que l’homme s’approchait en tendant son sachet de caramels et lui disait : « Ma petite enfant, ma jolie enfant, viens, viens donc. »
Il secouait ce sac en papier, le soupesait. Les oreilles de Cléore écoutaient le froissement de cette humble matière putrescible et l’entrechoquement de son savoureux contenu. Ses yeux magnifiques s’écarquillaient à la perspective de sentir ces douceurs fondantes dans sa petite bouche. Elle s’en pourléchait les babines. Le pédéraste amateur de fillettes portait une moustache fournie pareille à celle d’un terrier écossais. Il n’était plus tout jeune : ses cheveux s’avérèrent teints en noir et lustrés, trop brillants. Il exhalait une haleine incommode de mangeur d’aulx. Il était coiffé d’un melon défraîchi et arborait un costume de parvenu ou de souteneur, à carreaux, d’un fort mauvais genre, très criard et cintré, mais également fort prisé parmi les voyous de Whitechapel, quoiqu’il fût visiblement français du fait qu’il était dépourvu d’accent.
Notre fausse Mademoiselle Médéric avait trop présumé de sa silhouette fluette. Sa course l’avait éprouvée et elle tentait de recouvrer son souffle. De plus, elle ressentait des élancements au pied gauche, comme après une foulure. C’était sa bottine de suède guêtrée de chevreau qui la tourmentait et comprimait sa cheville et ses orteils. Elle craignit l’apostume et même le panaris.
Elle ne sut dans l’immédiat quelle suite donner aux avances de l’homme : soit s’emparer des bonbons et tenter l’esquive au risque qu’il la brutalisât pour assouvir ses bas instincts, soit révéler sur-le-champ, une fois pour toutes, sa véritable nature d’adulte. Elle avait jeté aux orties ses anciennes naïvetés et s’était renseignée sur les turpitudes humaines. Que des hommes s’intéressassent finalement à sa joliesse de sylphide juvénile ne la surprenait plus, après les frôlements indiscrets subis chez certains commerçants et les diverses avanies vicieuses par en-dessous qu’elle et Adelia avaient dû supporter durant la Saint-Jean. Elémir lui avait fourni une documentation secrète, subtilisée à la police des moeurs, alors qu’elle étudiait la vraisemblance du projet Moesta et Errabunda. Des archives sordides des bas fonds de la prostitution avaient été étalées sous ses yeux d’innocente comtesse. Les trafics d’enfants des deux sexes existaient, en France, en Angleterre, à New York et ailleurs. Il arrivait que des femmes très rustres, des mères de famille de la campagne profonde, pratiquassent une sexualité odieuse, frayant avec indifférence avec leur bétail comme avec leur progéniture. Dans la majorité des maisons de tolérance, les hommes venaient s’encanailler en purs voyeurs au spectacle de putains obligées de se convertir en tribades et de s’accoupler devant eux. Ces bordels, par le jeu d’un étrange bouche à oreilles, finissaient par accueillir des clientes d’origine respectable, appâtées par la perspective de vivre une aventure sensuelle saphique hors du commun avec une créature. Le commerce d’objets bizarres prospérait sous le manteau, alimentant des officines spécialisées dans diverses pratiques déviantes : instruments de supplice, fouets, martinets, cordes, tables de torture etc. propres aux maisons sadiques, lingerie de cuir ou de fer, cloutée ou pas, godemichés orientaux ou nègres importés d’Arabie, de Perse, du royaume Ashanti, de l’Inde, de la Chine impériale ou du Japon par l’intermédiaire de compradores portugais de Goa, d’Aden, de Cabinda et de Macao, qui envahissaient des lupanars portés sur l’esthétique exotique Liberty… où les catins elles-mêmes provenaient des cinq continents.
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Il y avait des maisons pour invertis, dont certaines entièrement vouées au sadisme entre mâles, des maisons où les hommes se travestissaient en femmes et vice-versa, inversant les rôles dans des accouplements contre nature, d’autres où les filles, toutes mineures et recrutées soigneusement parmi les plus petites et malingres, souventefois phtisiques ou rachitiques, étaient forcées de s’adoniser exclusivement en bébés de porcelaine – dessous compris - et de se donner à la chaîne à des pervers des deux sexes. Chacune devait jouer son rôle, qu’elles interprétassent le rôle de la poupée Bru, Huret, Jumeau ou Simon & Halbig,
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débordantes de nœuds malséants, de pantaloons malodorants à force de souillures répétées, et de dentelles jaunies. Cela créait chez le micheton l’illusion de trousser d’authentiques petites filles, alors que les jeunes prostituées esclaves chétives et plates étaient en fait âgées de seize à vingt ans. Les vraies tribades, quant à elle, n’éprouvaient pas le besoin de fréquenter des maisons spéciales bien que certaines jusqu’au-boutistes, dont une journaliste américaine réputée, miss Noble, que Cléore avait soif de rencontrer, militassent en faveur de l’ouverture d’établissements pour anandrynes.
Enfin existaient tous ces crimes sordides, isolés, parfois répétés, en ville ou à la campagne, pratiqués sur des garçonnets ou des gamines, violés et trucidés, sans que l’on retrouvât le satyre responsable, soit parce que la police ou les gendarmes avaient affaire à un goupil, soit parce qu’en haut lieu, le ministre de l’Intérieur et plusieurs notables (des sénateurs et des maires notamment) s’arrangeaient pour que l’on étouffât et tuât dans l’œuf tout velléité d’investigation. On murmurait même en haut lieu que de respectables prêtres et curés de campagne, certes minoritaires, frayaient avec les petits garçons qu’ils rencontraient au catéchisme.
Epouvantée par tant d’atrocités, Cléore jura que Moesta et Errabunda n’en viendraient jamais à de telles infamies. Ou l’Institution demeurerait un Saint-Cyr d’un nouveau genre ou elle ne serait point. C’était compter sans la vénénosité et l’entregent de Madame la vicomtesse…
En tant qu’Anne Médéric, elle se décida alors à faire flèche de tout bois, y allant avec franchise et allégresse. Elle émit de la main droite un signe d’acceptation et de soumission au satyre, s’emparant du sachet de caramels mous comme une putain de Whitechapel du Souverain tendu par la main gantée de beurre frais d’un gentleman en queue de pie et au chapeau de soie. Il fallait qu’elle se souvînt de ce qu’Elémir lui avait conté après un séjour en Italie, sur la manière dont les prostituées du Transtevere ou de l’île Tiberine étaient investies en pleine rue sans qu’elles eussent besoin de se déshabiller. Il suffisait, primo, qu’elles acceptassent le prix de la passe quel qu’il fût (présentement, il était en nature, du fait que le pervers croyait dur comme fer aux douze ans apparents de Mademoiselle de Cresseville), deuxio, qu’elles s’adossassent à une muraille, dans une sentine isolée ou une impasse de préférence (dans la situation présente, le choix d’Anne-Cléore était bon), tertio, qu’elles retroussassent leurs robes et dessous, exhibassent ce que l’on sait jusqu’à ce que l’homme y fourrât son foutre pour s’exprimer comme sous Mirabeau.
Or, Cléore se rendit compte qu’elle avait inversé les étapes une et deux. Elle s’était d’abord rendue dans l’impasse pestilentielle puis avait accepté le paiement du client. Elle manquait donc de pratique. D’autre part, l’étape numéro trois ne devait aucunement s’achever par un coït orthodoxe. Elémir, dans son récit avait omis de préciser :
petit a) si les putains avaient des pantalons dont elles ouvraient l’entrejambes pour qu’on les fourrât ;
petit b) si leur pubis était velu comme le sien ou épilé.
Cléore poussa un soupir de soulagement. Elle fut ravie de n’avoir jamais renoncé à sa toison rouge qu’elle soignait et entretenait tous les jours. Un pubis nu eût conforté le satyre dans sa croyance en la présence d’une petiote impubère et cela se serait mal terminé. Convaincue qu’elle allait l’emporter, elle commença à retrousser sa jupe grise de pupille de l’Assistance publique et son jupon de linon ordinaire, dévoilant des bloomers fort luxueux et brodés de passements peu convenables pour une petite fille. Sous le chemisier-corsage qui complétait la jupe, avec sa fameuse petite broche de strass au col, Cléore s’était délestée de son corset et de sa chemise de dessous, se contentant d’une simple camisole de coton plus légère et plus courte.
A la vue de ce linge surchargé d’adulte, digne d’une danseuse de cancan, qui plus était jà humide en l’entrecuisse, comme nous l’avons énoncé tantôt, le chaland déréglé eût dû renoncer et réclamer la restitution des gâteries sucrées, voire leur remboursement, du fait de la tromperie sur la marchandise ; en lieu et place, il insista, s’obstina, revendiqua d’un geste éloquent qu’elle poursuivît son dévoilement obscène. Il la voulait bien tota, comme le poëte Hugo le notait dans ses carnets secrets. Un nouveau vers du poëme que Cléore projetait, le fameux et embryonnaire Puella impudica, s’extirpa de son cerveau.
Baisant le fruit offert, ton intimité vénéneuse.
Elle devrait bien composer les vers intermédiaires, après le Tota pulchra es, chanta le madrigal de Bouzignac !
Optant lors pour une malvenue radicalité, Anne Médéric se déculotta, littéralement. D’abord les bas, dont elle défit les jarretières à nœuds, puis les bloomers qu’elle fit choir à ses pieds. Aussitôt, des écoulements scabreux du liquide intime de rut qu’elle retenait avec obstination dévalèrent d’entre ses cuisses à peau de pêche comme si, en gésine terminale, elle eût rompu sa poche des eaux. Ses iris vairons ne purent s’empêcher d’observer le pantalon à carreaux du satyre : son désir augmentait à ce déculottage osé et son entrejambes enflait à vue d’œil. Or, la chair pubienne de la belle rousse n’était toujours pas à l’air libre, du fait d’une ultime pièce de lingerie, d’un dernier rempart de son sexe, enveloppant juste le pubis et la vulve, d’une innovation radicale, que Cléore s’était permis d’enfiler en cas de coup tordu.
Il s’agissait d’un camouflage de sa forêt d’adulte, très novateur, inventé par certaines putains d’Albion qui jouaient des rôles de petites filles et ne supportaient pas l’épilation pubienne. C’était une sorte de cache-sexe dit en peau d’ange, très doux au toucher, très caressant, cachant jusque ce qu’il fallait pour que demeurât l’illusion d’avoir affaire à une gamine non nubile. Cette pièce de lingerie minimale se maintenait par une sorte d’élastique très fin sur le ventre en guise de ceinture, de maintien, avec un second élastique derrière, un cordon, juste apposé à la fente anale. Les catins d’Angleterre, avec leur langage fort imagé et coloré bien que grossier, avaient surnommé cet émollient et mignard petit linge the corde. Dans la langue de nos putains nationales, si elles l’avaient connu, il aurait été baptisé sans hésitation le string.
Ce cache-sexe, ainsi l’avait voulu Cléore en sa commande sur-mesure à Londres, portait une inscription pornographique brodée en lettres de soie rouges cursives, juste au mitan du triangle, inscription zozotante qui plus était : Baize-moi toute mon zoli.
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Comme le Priape ne lâchait toujours pas prise, excité qu’il était par le dévoilement incomplet de ces chairs blanches, Cléore se résigna à la révélation finale : elle fit choir le cache-sexe et exposa sa forêt d’automne rousse qu’elle avait soignée avec exagération ce matin-là, car elle s’attendait à une entreprise hasardeuse de la part de celui qui se postait chaque jour à la sortie du magasin de nouveautés. Elle avait bouclé, peigné, frisotté ces poils avec soin ; elle les avait enduits d’un doux parfum de violette. Elle avait poussé l’outrecuidance scabreuse et licencieuse jusqu’à orner de padous de satin émeraude certaines bouclettes bien fournies. Cette Origine du monde, pomponnée et bichonnée avec une ostentation trouble, apparaissait semblable à une monstrueuse coiffure de caniche ébouriffé dont une maîtresse excentrique eût teint la fourrure en rouge carotte. Le satyre, épouvanté par cette vision inattendue, s’enfuit en hurlant A la folle ! C’est une adulte ! sans même récupérer ses caramels.
Cléore, qui avait une demi-heure de retard, rajusta ses vêtements et se hâta de rejoindre les marchands où elle devait s’achalander. Lorsqu’elle s’en revint en la boutique, elle s’excusa et tenta de faire accroire à un accident : elle était tombée dans une ornière par mégarde en marchant trop vite et s’était tordu le pied. Elle avait légèrement mal, cela était exact, et Victoire accepta d’examiner sa cheville avant de lui donner de l’arnica pour soigner cette légère entorse. Cependant, ses narines sentirent l’effluence fade des eaux intimes de la fausse petite fille. Victoire lui ordonna :
« Retrousse-moi ta jupe et ton jupon, plus vite que ça ! »
Contrainte d’obtempérer, Anne Médéric dévoila ses bloomers humides et Victoire la gronda, moins niaise que Cléore l’avait supposée sur le chapitre du sexe.
« Qu’a-tu fait, petite cochonne ? Tu t’es touchée et caressée là ? Avoue donc ! Ne me mens pas ! Ici, on bannit le plaisir solitaire. Va prendre un bain, allez, monte ! Je vais te préparer un tub et du savon. »
Grommelant de plus belle, telle une petite fille prise en faute, le visage pivoine de honte, Cléore obéit. Elle devait poursuivre sa comédie même dans la tourmente.
Elle pensait que l’incident ainsi vécu se clôturerait là. Ça n’avait été qu’une amusette un peu leste et salace, certes, mais une amusette tout de même. Or, des conséquences inattendues surviendraient dès le surlendemain.
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Nous étions le 30 juin 18** , jour de l’inauguration officielle de Moesta et Errabunda, le lendemain de l’incident du satyre, qui eût dû demeurer sans suite.
Le temps restait à l’orage, comme la semaine précédente. La cérémonie se tenait en plein air, à l’extérieur du pavillon principal dont on achevait d’essuyer les plâtres. Du fait des émotions intenses de la veille, Cléore se sentait recrue de fatigue. Ses yeux vairons papillonnaient ; elle était prise d’accès intermittents de somnolence. La comtesse de Cresseville n’écouta que d’une oreille distraite le discours inaugural, prononcé par la vicomtesse de. d’une voix pâteuse et monocorde, laïus qui plus était aussi ampoulé qu’une plaidoirie d’avocat de mélodrame. Cléore ne regarda même plus Madame. Elle s’ébaudit d’un rien, d’un papillon voletant et butinant l’hibiscus, d’un scarabée noir roulant sa bouse, d’un nuage passant avec ses formes floconneuses. Les mots alambiqués de la « papesse Jeanne » des anandrynes, de l’Hébé de cette fin du XIXe siècle, ne la passionnaient plus. Il fallait qu’elle récupérât de son aventure avec le satyre et des avanies qui s’en étaient suivies, cette humiliation supportée stoïquement devant Victoire qui l’avait traitée pour ce qu’elle la prenait : une petite fille de douze ans vicieuse qui avait caché son jeu et qui méritait qu’on la renvoyât sur l’heure. Cléore craignait qu’on accusât Anne Médéric d’onanisme infantile. Elle s’imaginait jà conduite de force chez un médecin qui lui prescrirait, lui imposerait le port d’un de ces corsets spéciaux de torture sexuelle qui emprisonnent et entravent tout le pelvis, appareil de torture qui préviendrait en elle toute velléité de plaisir solitaire supposé, afin que ses mains de poupée ne s’aventurassent plus là où il ne fallait pas. C’était lors une petite malade qu’il fallait soigner, curer de son vice, alors que Cléore n’était qu’une simple poupée de Jeanneton rousse informe à défaut d’amorphe.
Le discours achevé, il y eut le classique ruban cisaillé, puis l’on se rendit à un buffet de plein air. Les cinq fillettes présentement recrutées attendirent sagement qu’on les servît à leur tour, babillant et jalousant déjà avec puérilité celle qui arborait les nœuds jaunes, Adelia, alors que les autres demeuraient tout en blanc de vierges. Cléore s’était octroyé un ruban orange, amorçant cet embryon de hiérarchie qu’elle allait étoffer et compliquer au fil des arrivées. Devant la table dressée où tout le monde butinait, Elémir, Michel, Julien, Jules, Sarah, les fillettes et toutes les anandrynes vieilles ou jeunes, la vicomtesse présenta à une Cléore à demi assoupie, ensommeillée, de nouvelles personnes – de futures clientes de l’Institution – en plus de celles de la fameuse fête qu’elle connaissait déjà. Certaines avaient opté pour la courbette désuète de cour, d’autres pour le serrement de main « viril ». Ainsi procéda une jeune Américaine, de haute stature, brune aux yeux bleus, à laquelle Cléore ne prêta qu’une attention distraite lorsque Madame la lui présenta, miss Jane Noble, de Boston.
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Si la comtesse de Cresseville avait pris la peine d’observer les prunelles de saphir de cette girafe, qui contrastait avec sa minuscule personne poupine, elle eût vu s’allumer en elles des étincelles de coup de foudre saphique. Etait-ce le padou orange gracieux de sa chevelure ? Etaient-ce ses anglaises érubescentes ? Son cou blanc de cygne ? Sa silhouette de sylphide de douze ans ? Cléore eût dû demeurer sur ses gardes…
La première chose qui surprenait à la vue de cette nouvelle venue, c’était, outre sa taille, la superposition de diverses nuances de bleu sur sa toilette, qu’elles fussent nattier, de roi ou encore pastel et barbeau. De plus, alors que les autres Dames étaient demeurées fidèles aux vieilles gibbosités de leur faux-cul, de ce postiche fessu où l’on pouvait presque s’asseoir, miss Jane Noble n’arborait strictement aucune tournure. Outre cela, la simplicité de sa mise était telle, réfutait tant toutes les superfluités, les faveurs, passementeries, ornements, surcharges, émaux et cabochons de leurs verroteries dont usaient et abusaient Cléore et ses consœurs, qu’un amateur averti de cocottes emplumées étalant avec une ostentation de courtisanes leurs falbalas et leurs fanfreluches l’eût repoussée – nonobstant ses goûts saphiques – comme par trop dénudée et austère.
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http://imalbum.aufeminin.com/album/D20060226/169001_R7FV6FURA8DIJ77T43XQCY36LM71LY_bustlegrayrednealbrocsm_H162823_L.jpgCependant, le buffet se poursuivait, et Cléore s’en blasait. Les roucoulements des Dames agglutinées autour des assiettées de douceurs et des coupes de champagne emplissaient la pelouse au gazon cuit et sec. Ce champagne paraissait d’ailleurs trop fumeux, trop écumeux, trop spumant dans son gosier menu, comme s’il eût été champagnisé à l’italienne. Quant aux petites filles, y compris la pauvre Quitterie avec son appareil orthopédique, qui s’était quelque peu rétablie de sa maladie, elles sautillaient à l’entour de la tablée comme des diables à ressort, leurs rubans tout secoués, et happaient le plus de bonnes choses qu’elles pouvaient. Elles gavaient leurs bouches appâtées d’une appétence exagérée en faveur des tranches suifées de plum-cake ou de plum-pudding anglais. Leurs doigts luisaient de cette graisse odoriférante bovine rancie sous le harnais, dont la fragrance faisait songer à la peau d’orange des cuisses d’une femme débordante de chairs envahies de cellulite et de sébum sous-cutané. Bref, cela sentait la grosse. Elles poursuivaient la satisfaction de leur désir gourmand jusqu’à la satiété et à la réplétion en maculant leurs joues roses de marmelade d’orange. Seules les pâtes de coing manquaient à l’appel parce que cela n’était point encore la saison.
Cléore, fatiguée, serrée dans sa robe blanche froufroutante, nu-tête, arpentait avec indifférence ces agapes, ses boucles secouées par une brise annonciatrice d’une ondée. C’était là une trêve émolliente, un bienvenu nonchaloir temporaire, au milieu du vol des abeilles besogneuses en ce triste jardin, une parenthèse entre deux épreuves dont l’une était passée et l’autre encore dans les limbes. L’amertume qu’elle ressentait en son palais l’empêchait de partager les réjouissances, de goûter tout son soûl à ces nourritures terrestres pourtant tentantes, qui selon elle, devenaient semblables à une gale scabieuse, à une insinuation de perfidie fielleuse articulée par les lèvres hypocrites d’un mauvais conseiller médiéval, d’un scabin dévoué à un comte désobéissant aux capitulaires de Carolus Magnus. Mademoiselle de Cresseville avait grand chaud à l’approche de ce nouvel orage et ne cessait de s’éventer avec son petit éventail japonais de soie aux motifs de grues sacrées cendrées alors que ses joues s’empourpraient. Des gouttelettes suries par la pâte de beauté en train de fondre perlaient sur ses mains devenues grasses. Son châle chut par inadvertance ; elle voulut le ramasser en ce doux instant de détente furtive. Elémir la prit de vitesse, alors que Jane Noble elle-même, sans que nul n’y prêtât cas, avait amorcé ambigument le même geste. Cléore allait-elle devoir choisir entre le peut-être eunuque et la tribade ?
Devant la promptitude d’Elémir, Jane s’était ravisée. Monsieur de la Bonnemaison enveloppa le buste chétif de son amie de l’étoffe frangée. Ils n’échangèrent que de brefs mots.
« Comment allez-vous, ma mie ?
- Je vous remercie, très cher. Excusez cette faiblesse, temporaire, je l’espère bien. »
Elémir chuchota à l’oreille de Cléore :
« Prenez garde à cette Américaine, là-bas. »
Cléore ressentait des bouffées de chaleur. Son fin visage triangulaire luisait. Trop de fards, trop de poudre, de touffeur et de moiteur aussi, du fait de l’orage menaçant. Elle marchait d’un pas hésitant, incertain, craignant un accès messéant de vapeurs. Il fallut qu’ils s’allassent de nouveau vers cette table à plaisirs gustatifs dont ils s’étaient distanciés. L’absorption des galimafrées et des liqueurs impures s’y poursuivait. Madame la vicomtesse distillait ces liqueurs étonnantes à partir de tout et de n’importe quoi, s’inspirant d’un Livre des propriétés des choses apocryphe n’ayant aucun rapport avec l’ouvrage homonyme originel. Elle avait aussi puisé l’idée de ces décoctions, fermentations et macérations de traités médiévaux étranges consacrés aux simples, de compilations déformées de l’abbesse Herrade de Landsberg et de la fameuse Hildegarde de Bingen, de tacuins de santé et de fragments conservés d’un Hortus, d’un Jardin des délices perdu depuis longtemps.
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Les lampées de sherry, de framboise, de framboisée, d’albicoquier, d’abricot, d’alcool d’aloès socotrin, d’encre liquoreuse de céphalopode, de fraise, de menthe poivrée, de figue, de mûre, de dattes, de prune ou d’orgeat enflammaient les gorges puériles ou matures. On servait aussi dans des bocks sales, aux fonds épaissis de dépôts tartrés, du vin de palme nègre, réputé pour sa force assommante, du saké nippon, du sirop de crapule des anciennes barrières de l’octroi, de la tequila du Mexique, du pulque indien, du chianti, de l’absinthe, et une espèce de vin vert du Portugal, étincelant en sa bouteille à panse ample de mille lueurs gemmées d’émeraude. Le tout avait été fourni par Julien et Michel. Il y avait aussi d’autres saveurs âpres ou acidulées, venues d’alambics occultes, de l’extrait de durian aux miasmes crottus, de la fleur de cactée ou d’oranger, du suc de gingembre coupé de lamelles d’amanite phalloïde ou de fausse oronge dosées juste ce qu’il fallait pour que le consommateur de ces atrocités ne fût point foudroyé, de l’hypocras, de l’hydromel, du chouchen breton aussi, du garum romain reconstitué par on ne savait quel alchimiste fol et du jus de fugu faisandé, cet étrange poisson-poison japonais délice des gourmets décadents. Les fillettes ne se gênaient pas, n’étaient pas en reste dans ces dégustations œnologiques outrées.
Ces petites mignonnes divaguaient, titubaient, assoiffées insatiables de nouvelles gorgées et lampées de cédrat confit, de liqueurs de solutions d’aconit, d’hellébore, de jusquiame, d’euphorbe et de gui des druides, de raisiné, de verjus, de Veuve Clicquot, de Marie Brizard ; elles recrachaient leur trop plein liquide par l’avant et par l’arrière, arrosant sans fin les herbes folles de leurs humeurs uriques acidifiées et fermentées, éclaboussaient et pourrissaient leurs engrêlures et leurs soieries organsinées.
Quelques anandrynes bougresses entonnaient à tue-tête des refrains paillards de piliers de cabarets borgnes, rappelaient l’adage « qu’importe le vin pourvu qu’on ait l’ivresse », reprenaient en la psalmodiant la phrase latine Bonum vinum laetificat…etc. en vacillant, puis elles s’effondraient sur la table, dérangeant la nappe, renversant les saucées sucrées et gélifiées, figées dans du sucrin chanci, coupelles où venaient se repaître des myriades de mouches et d’abeilles. Elles émettaient des ronflements lorsque Morphée les saisissait.
Secouée de rots, toujours plus boitillante, Quitterie brandissait en blasphémant le Créateur une coupe encore à demi pleine d’un alcool indéfinissable qui résultait de miscellanées diverses, de mélanges gaillards qu’elle avait effectués comme autant d’expériences gustatives d’une goulue juvénile, mélangeant tous les fonds de verres, toutes les lies des différents fruitions macérés dans leur putridité, dans leur levure, fermentés et conservés, chaptalisés avec des herbacées insanes de bouilleurs de cru ignobles où ils avaient partagé leur moisissure en compagnie d’embryons bien imbibés. Epouvantées par les injures abjectes lancées par leur camarade, sans doute apprises de sa mère, les jumelles, toutes tremblantes, se tenaient mutuellement, tout en blêmissant de terreur. Quant à Délie et à Jeanne-Ysoline, elles venaient de cesser d’écornifler, l’estomac trop empli par leur jeu de pique-assiettes et s’étaient empressées de s’aller égailler en quête d’une bonne sieste parmi les chaumes d’or.
L’une des tribades avala par mégarde un noyau de pêche qui flottait telle une crotte dans une dive bouteille cabossée, comme écrouie, au col aussi dilaté qu’un orifice utérin en gésine. Manquant mourir comme Diderot, s’étouffant, cette grande blonde bèche, spasmatique, comme prise par une névrose d’épilepsie, se débattait, s’extravasait de son corsage et de son linge à même le sol, dévoilant des seins superbes, droits, longs, effilés et pointus, aux tétins magnifiques tels les pis gonflés d’une nourrice dégénérée. Elle put enfin recracher son noyau et dégorgea sur la terre meuble.
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L’on vomissait, l’on ricanait, l’on s’échauffait. Les jupes se relevaient pour se soulager. Les boutons des pantalons de broderie cédaient, craquaient, et l’urine des tribades, libérée de leur vessie, giclait sans gêne, fertilisait le sol, le détrempant enfin d’un liquide salvateur tandis que les nuages s’aggloméraient, en devenaient noirâtres, jusqu’à ce que les écluses au zénith se rompissent. Ce fut alors que l’ondée éclata. Presque toutes, ayant perdu leur entendement sous l’effet des alcools aphrodisiaques, happèrent de leur langue cette eau azimutale bienvenue, qui dégringolait du firmament, d’un rafraîchissoir céleste. D’autres, comme si elles eussent été accouvies, d’un feu passionnel trop longtemps couvé sous la cendre, choisirent le moment favorable afin qu’elles se culbutassent en chœur dans les charmilles et les bosquets anarchiques. Des lambeaux de lingerie et des corsets arrachés se répandirent alentours, s’accrochant et pendouillant misérablement aux ramées, tandis que des oreilles indiscrètes percevaient les grognements et hurlements du rut. On finissait par se lasser de toutes ces priapées, de ces feulements de furies ardentes qui s’écorchaient et se griffaient dans leurs étreintes de brutes passionnées et saoules à coups de bagues serties de pierreries diverses. Et la vicomtesse appartenait à ces déchaînées en œstrus…
Cléore n’était pas aussi débauchée que Madame. La dégénérescence orgiaque de cette fête inaugurale l’outrait, l’outrageait. Elle jeta à Elémir, indignée et pourpre :
« Partons d’ici, j’en ai assez ! »
Sans demander son reste, elle fit atteler par Jules une petite voiture jusqu’à la gare de Château-Thierry, accompagnant son ami pour le train du retour. Puis, elle se changea en pleine nature, reprenant ses oripeaux d’Anne Médéric, remonta dans la carriole qui la ramena en la boutique de Madame Grémond. Elle ne fournit aucune explication à son retour indu. Elle y soupa et y coucha dans une minuscule chambre de bonne localisée en la mansarde, ayant abandonné toutes les dépravées de Moesta et Errabunda au cuvage de leur alcool de catins.
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