vendredi 8 juillet 2022

Café littéraire : la plus secrète mémoire des hommes.

 

La plus secrète mémoire des hommes. Mohamed Mbougar Sarr

Par Michel Antoni.

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Dès les premières pages du roman, l’un des protagonistes s’exclame : « n’essaye jamais de dire de quoi parle un grand livre. Ou, si tu le fais, voici la seule réponse : rien. Un grand livre ne parle jamais que de rien, et pourtant tout y est ». La plus secrète mémoire des hommes est un grand livre, le raconter serait réducteur, mais en parler est impérieux. Alors disons qu’il y est question d’un livre mystérieux dont l’auteur a disparu après le succès puis l’opprobre. Un jeune auteur africain qui intègre un mythe de sa région et la littérature occidentale dans un récit publié en 1938. Quatre-vingt ans plus tard, à Paris, un jeune écrivain sénégalais en devenir se lance sur les traces de l’ouvrage disparu, puis de l’auteur, parmi les turbulences du siècle, de Paris à Dakar, de la côte atlantique à la brousse africaine, de l’Argentine au Congo. Mais aussi de femme en femme, qui parentes, amantes ou amies, ont connu cet étrange personnage, chacune ne possédant qu’une étape de sa fuite ou de sa quête. Il y est question de vie, de mort, de tragédie, de domination, de pouvoir, de désir, de combat, de hasard et de destin, de puissances occultes et de sombres et dramatiques réalités. Il y est question de livre et d’écriture, d’œuvre et de littérature, de vérité et de manipulation, d’engagement, d’injustice, de malheur, de doute, d’espoir et de désespoir. Il y est question de la vie.

 

Merci, Mohamed Mbougar Sarr, de ce magnifique récit que l’on déguste lentement, pour apprécier l’intense richesse de l’écriture et se laisser posséder par l’ambiance des chapitres, d’une case africaine où meurt un vieux sage aveugle à une scène charnelle, d’un Christ qui descend de sa croix pour partager les déboires d’un jeune amoureux transi au massacre d’un village congolais, d’un suicide par immolation à un cabaret parisien, d’une femme folle de douleur et d’autres folles d’amour.

 

Je n’en dirai pas plus ! Un mot encore sur l’inspiration, tirée du destin de Yambo Ouologuem

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 et de son premier roman, Le Devoir de violence, paru en 1968 et qui obtient le Renaudot. Trois ans plus tard, il est accusé de plagiat, une controverse s’ensuit, les accusations le dévastent et suspendent son envol littéraire. Il disparaît de la scène : rentré au Mali, il reste enfermé sans aucune apparition publique pendant cinq ans. Mohamed Mbouga Sarr a été bouleversé par cette destinée qui a servi de support à sa thèse de littérature, mais fait en sorte dans son roman de n’en garder qu’une trame lointaine. Le deuxième nom qui vient à l’esprit pour ceux qui l’ont lu, c’est bien sûr Roberto Bolano, dont un long texte est cité en exergue et que l’auteur, bien volontiers, cite comme étant un de ses maitres. Et La secrète histoire du monde rappelle évidemment la recherche de l’écrivain mystérieux de 2666, cet ouvrage exceptionnel qui nous mène à travers le monde et le Mal au vingtième siècle, dans une réflexion sur l’œuvre, l’auteur et la littérature. Inspiration mais création personnelle, où le jeune écrivain de 31 ans se hisse à la hauteur de celui qui est devenu un auteur-culte !