Autour de ce livre
déroutant, antiroman où la réflexion, la critique protéiforme des arts et
lettres et de la société l’emportent sur toute velléité d’action, en rupture
avec la narration romanesque instituée depuis Balzac et Stendhal,
la figure du dandy occupe
toute la place, dandy qui, en 1884, n’est plus incarné par Barbey d’Aurevilly
(le dandy du règne de Louis-Philippe) mais par Robert de Montesquiou
(1855-1921),
au point que l’on reprocha à Huysmans de s’en être inspiré et de
l’avoir caricaturé, comme plus tard Marcel Proust avec le baron de Charlus. Le
dandy est plein d’artifices et maniéré ; il se singularise par la façon de
s’habiller, de s’exprimer, par son extravagance, son excentricité, son élégance
tapageuse, exagérée, avec un accessoire fondamental : la canne. C’est elle
qu’on remarque dans le célèbre portrait de Montesquiou exposé au musée d’Orsay
(je l’y ai vu en 2012), portrait par Boldini,
mais bien postérieur à l’ouvrage
de Huysmans (1897). Sa sexualité est équivoque et ambiguë, ses ornements pileux
aussi ostentatoires que ses costumes. Doué dans l’art de servir de mauvais
génie à ceux qu’il prend sous son aile, tel Lord Henry Wotton (dont A
Rebours est la « bible ») avec Dorian Gray, il aime à se définir
comme un esthète décadent – un grand prêtre de la Décadence même, à la manière
des empereurs romains maudits Néron et Héliogabale. Egoïste voire égocentrique,
spirituel, impertinent et scandaleux comme Oscar Wilde, voulant donner le
« la » de l’élégance comme Brummel
qui fut le prototype de sa
catégorie et que Balzac rencontra à l’époque de sa déchéance, de sa décrépitude,
le dandy, qu’il soit ou non issu de l’aristocratie, se sait talentueux,
notamment en littérature, en poésie où il excelle : Lord Byron
constitue
le second prototype, celui du dandy littéraire. Annonciateur du mauvais goût,
mains percées, il a le don de dilapider sa fortune en s’encombrant d’une
bibeloterie ornementale inutile et finit par connaître la gêne voire la ruine. Mains
percées, le dandy-poète est désargenté ou le devient. Ainsi fut Boni de
Castellane,
cependant trop jeune en 1884 pour avoir servi de référence à Des
Esseintes. Il peut illustrer le fléau de l’hérédité selon Zola, de la
consanguinité selon Huysmans, et la décadence rime en lui avec la
dégénérescence, voire l’extinction : le dandy a quelque chose de darwinien
et illustre à lui seul la théorie de l’évolution. Il souffre de mille maux plus
ou moins réels, notamment la névrose.
Persuadé de son talent
littéraire, notre dandy-homme de lettres se considère comme un incompris, un
asocial (lorsqu’il n’est pas mondain), un solitaire qui cultive son originalité
et se complaît dans son dénuement et son indépendance farouche jusqu’à
l’ignorance de ses contemporains (Charles Cros
qui ajoute le don d’inventeur à celui de poète ou Lautréamont prétendument comte). Il meurt jeune ou, quand par chance il atteint un âge certain, apparaît totalement – et volontairement - déphasé par rapport à son temps (Barbey d’Aurevilly et ses tenues 1830). Il peut avoir un cercle d’admirateurs, de disciples (Barbey, Baudelaire,
les Hydropathes et les Zutistes) mais sa classification de maudit le conduit souvent à une reconnaissance posthume, notamment parmi les surréalistes. Pessimiste, selon Schopenhauer dont la philosophie fit fureur en France à compter du Second Empire, le dandy décadent finit par se classer sous l’étiquette des antimodernes, ainsi qu’Antoine Compagnon le fit pour Baudelaire. Lacordaire,
qui impressionna Baudelaire au point que ce dernier tenta de lui succéder à l’Académie française, appartient à cette catégorie : son évocation par Des Esseintes n’est pas fortuite. Cette opposition à la modernité ambiante, celle du saint-simonisme, du positivisme, du progrès technique, de la révolution industrielle, mais aussi celle des idées, aboutit chez certains dandys à une attitude réactionnaire, un splendide isolement orgueilleux, comme Chateaubriand puis Barbey d’Aurevilly. En 1864, le Syllabus du pape Pie IX ne condamna-t-il pas le modernisme, le rationalisme et le libéralisme ? A Rebours, phare littéraire de la contre-modernité, avant Le Disciple de Paul Bourget,
constitue le manifeste d’une rupture culturelle, non seulement avec le naturalisme scientifique, mais aussi avec le positivisme d’Auguste Comte. Des scientifiques comme Crookes,
Flammarion et Richet
crurent à l’irrationnel et aux fantômes. Jules Verne lui-même peupla ses romans de savants fous et dangereux, répudiant son enthousiasme naïf pour le machinisme. On peut conclure que le dandysme s’est prolongé au XXe siècle, Serge Gainsbourg
devenant la figure tutélaire du mouvement, avec en plus un côté autodestructeur.
qui ajoute le don d’inventeur à celui de poète ou Lautréamont prétendument comte). Il meurt jeune ou, quand par chance il atteint un âge certain, apparaît totalement – et volontairement - déphasé par rapport à son temps (Barbey d’Aurevilly et ses tenues 1830). Il peut avoir un cercle d’admirateurs, de disciples (Barbey, Baudelaire,
les Hydropathes et les Zutistes) mais sa classification de maudit le conduit souvent à une reconnaissance posthume, notamment parmi les surréalistes. Pessimiste, selon Schopenhauer dont la philosophie fit fureur en France à compter du Second Empire, le dandy décadent finit par se classer sous l’étiquette des antimodernes, ainsi qu’Antoine Compagnon le fit pour Baudelaire. Lacordaire,
qui impressionna Baudelaire au point que ce dernier tenta de lui succéder à l’Académie française, appartient à cette catégorie : son évocation par Des Esseintes n’est pas fortuite. Cette opposition à la modernité ambiante, celle du saint-simonisme, du positivisme, du progrès technique, de la révolution industrielle, mais aussi celle des idées, aboutit chez certains dandys à une attitude réactionnaire, un splendide isolement orgueilleux, comme Chateaubriand puis Barbey d’Aurevilly. En 1864, le Syllabus du pape Pie IX ne condamna-t-il pas le modernisme, le rationalisme et le libéralisme ? A Rebours, phare littéraire de la contre-modernité, avant Le Disciple de Paul Bourget,
constitue le manifeste d’une rupture culturelle, non seulement avec le naturalisme scientifique, mais aussi avec le positivisme d’Auguste Comte. Des scientifiques comme Crookes,
Flammarion et Richet
crurent à l’irrationnel et aux fantômes. Jules Verne lui-même peupla ses romans de savants fous et dangereux, répudiant son enthousiasme naïf pour le machinisme. On peut conclure que le dandysme s’est prolongé au XXe siècle, Serge Gainsbourg
devenant la figure tutélaire du mouvement, avec en plus un côté autodestructeur.
Christian Jannone.