Chapitre 15
Outre les vestiges de murailles
cyclopéennes, qui témoignaient d’une partie ancienne, abandonnée, de la cité
tant recherchée, Daniel et ses compagnons firent le constat qu’ils se
retrouvaient à la lisière d’une nouvelle forêt de type tropical : il s’agissait
là de l’ultime barrière à franchir avant de se retrouver aux abords de la forteresse
de Maria de Fonseca.
Ces mésaventures en cascades ne
laissaient aucun répit à Saturnin dont le corps et l’âme criaient grâce. Le
replet retraité eût souhaité qu’on le laissât s’extasier, s’émerveiller au
spectacle de ces ineffables vestiges dont il supposait que des géants les
eussent érigés. Le vieil homme croyait encore aux mythes et légendes dont il
s’était tant abreuvé dans ses jeunes années. Ainsi, il imaginait quelque
Teutobochus africain, monarque d’un peuple de Titans, présider à l’édification
de cette citadelle zimbabwéenne dérivée. Cependant, Craddock le tira par la
manche, le ramenant dans le monde « réel ».
- Allez, fieu, c’est par là!
Les narines de l’ancien
fonctionnaire se pincèrent lorsque d’infects effluves de charognes s’en vinrent
fouetter sa face. La forêt que le groupe devait traverser jouxtait un cimetière
d’éléphants, charnier, nécropole de proboscidiens, dont la décomposition des
corps de tous les spécimens n’était pas encore achevée pour quelques
dépouilles.
- Ah! Non! Je ne veux pas passer
par là, gémit monsieur de Beauséjour. C’est l’épreuve de trop.
- Monsieur préfère retourner à
Wassy? Ricana sardoniquement le Loup de l’Espace.
- Passent encore le fleuve
souterrain, Guise et ses soudards, mais là, c’en est trop!
L’ex-chef de bureau se rebellait
et le faisait savoir de vive voix. Il regrettait le confort cinq étoiles et les
facilités de la Cité.
- P’pa, fit Violetta à l’adresse
de Benjamin, qu’est-ce qu’on fait de ce traînard récalcitrant?
- On le porte, jeta avec humour
le commandant Sitruk.
Même O’Malley se mit de la partie
en grognant contre Beauséjour.
- Je ne suis pas encore podagre,
lança avec fierté Saturnin. Je vous suis mais permettez-moi tout d’abord de
remettre mon masque filtrant.
- Faites, répondit aimablement
Gaston.
Si quelqu’un avait renoncé à se
plaindre depuis longtemps, c’était Deanna Shirley. La jeune femme savait
pertinemment qu’on n’écoutait plus ses jérémiades. Heureusement qu’elle ne
disposait plus de la moindre glace pour observer les ravages que ces péripéties
avaient occasionnées non seulement à sa toilette qui partait en lambeaux mais
également à sa frimousse. Des rigoles de larmes traçaient des sillons sur ses
joues encrassées. Des cernes profonds défiguraient son visage. On l’aurait crue
apparentée à la Fée Carabosse plutôt qu’à la starlette qu’elle était encore il
y avait quelques semaines. Cependant, sa santé de fer faisait qu’elle
supportait relativement bien les fatigues de ce trek hors normes.
Tous cheminèrent plus ou moins
vaillamment parmi un amoncellement de squelettes de proboscidiens, certains
disloqués, d’autres encore en décomposition. Cette nécropole que Ftampft n’eût
pas dénigrée était entourée d’un halo brumeux verdâtre, phosphorescent même,
nimbé de fulgurances, d’éclairs pourpres, de feux follets, alors qu’un nuage
d’insectes nécrophages bourdonnait au-dessus des squelettes aux chairs
racornies ou liquéfiées. Des hiboux Grand-Duc, incongrûment présents,
déployaient leurs ailes dans le ciel assombri pour se jeter en piqué sur les
corps afin d’en arracher des becquées immondes. Rajoutant à l’ignoble scène,
les rapaces, une fois repus, fientaient d’abondance.
Ces pachydermes étaient des mutants, car la contrée avait été
mystérieusement irradiée : nous avions là des victimes des radiations
émanant de la terre. Leur batterie de molaires, à peine usées, témoignait de
leur fin prématurée : il s’agissait là de la preuve incontestable de
l’approche imminente du but du voyage. La nature malmenée avait engendré des
dépouilles putrides et des squelettes difformes, aux défenses
disproportionnées, parfois semblables à celles des mammouths du temps jadis,
quelques fois soudées, unifiées en une sorte de « corne buccale ou
nasale » recourbée, spiralée, impressionnante, ayant ôté aux éléphants
toute possibilité de se nourrir. Certains cependant avaient péri en combats
singuliers, en des duels les ayant mis aux prises avec des ours nandi
gigantesques,
mutants eux aussi, à la fourrure chamois ou ocre fluorescente,
d’une stature plus élevée que le grizzli et l’ours des cavernes. On pouvait
apercevoir ainsi une de ces créatures encore à l’agonie, enchevêtrée, coincée
par le cadavre de l’éléphant qu’elle avait vaincu ; la malheureuse
créature poussait des grognements pitoyables alors que des charognards se
multipliaient, renforcés par la présence de lycaons et d’hyènes, ricanant d’une
manière sardonique. Ces opportunistes nécrophages la harcelaient sans répit.
Notre ours nandi mourant ne parvenait plus à administrer que de dérisoires
coups de sa seule patte antérieure demeurée libre, aux griffes usées, aux
hyènes qui s’écartaient en protestant du moribond. La tête de la noble bête
était tourmentée, accablée même par les nuées de mouches sentant la mort
prochaine.
Les larmes aux yeux, Violetta demanda à achever l’ours par compassion.
Refusant de montrer son dégoût, Craddock jeta :
- C’est quoi ce succédané minable de roman de Jim Caudron mal torchonné
par Pierre de Robida ? Bon sang de bonsoir ! Quand est-ce que vous
avouerez, Daniel, que nous sommes plongés dans une putain d’holo simulation de
catégorie Z ?
Le commandant Wu hésita avant de rétorquer. Un quart d’attoseconde, il
avait eu la tentation de ressusciter l’animal. Juste à temps, il s’était
souvenu qu’il s’agissait d’un être légendaire. Autant lui demander de recréer
les licornes et les Riu Shu. Dans sa planification de la réalité, sur 2000
pistes temporelles dévolues à l’humanité, il n’était pas question que de telles
créatures vissent le jour.
- Capitaine, je ne suis que la cinquième roue de la charrette, dois-je
vous le rappeler ? Nous ne sommes pas dans une simulation. Sinon, vous n’auriez
pas besoin de moi.
- Ah, bah, pourquoi donc ?
- Les sécurités fonctionneraient.
Comme de coutume, Dan El mentait.
Après la nécropole irréelle vint le décor de bananeraie. De celle-ci
émanaient d’étranges lueurs provenant de ses fruits d’un bleu cobalt, d’un
cyan luminescent, certainement mortels à la dégustation. En témoignaient des
cadavres de singes disséminés un peu partout sur le sol, des mandrills, des
macaques et des colobes. Les babouins et les chimpanzés avaient dédaigné avec
raison cette nourriture toxique. Les dépouilles simiesques contaminées
émettaient à leur tour des rayonnements nocifs. Azzo Bassou avait compris que
les régimes étaient inconsommables. Il exprima sa répugnance par de grands
gestes démonstratifs. Tandis que les narines de l’hybride d’hominien
frémissaient, il jetait des cris d’avertissement à ses compagnons. DS de B de
B, qui était occupée à grommeler au sujet de sa tenue puante, encore imprégnée
par l’eau sale du Congo souterrain, eut de la peine à retenir O’Malley qui
grognait et jappait afin d’alerter les humains du danger encouru, alors qu’Ufo
lui-même, d’habitude indifférent, feulait et faisait le gros dos.
D’un sous-bois émergea sans prévenir un nouvel être, familier aux
visions lunaires cauchemardesques de Benjamin. A sa vue, Sitruk frissonna
instinctivement. Le groupe avait affaire à l’anthropopithèque de Susemihl, ou
plutôt son frère cadet, l’autre ayant été capturé par Cornelis Van Vollenhoven
afin d’enrichir la bien spéciale ménagerie cryptozoologique et tératologique de
Sir Charles Merritt. Cette espèce de chèvre-pied simien, prognathe, arborait
une fourrure rousse clairsemée, raréfiée. Lui aussi, comme toute la faune et la
végétation de la contrée, était nimbé par un halo verdâtre, une vapeur
radioactive, comme une sorte d’aura épousant sa silhouette bancroche.
« Mince, on nous ressert du réchauffé ! Un homme-babouin
dépiauté ou je ne sais trop quoi ! » s’exclama Dalio. Ce faisant, il
cracha de dégoût dans le mouchoir d’apache crasseux qui entourait son cou.
Lorenza se retint de lui dire de mieux se tenir. Plissant les yeux,
elle observa le nouveau venu.
L’être était vêtu d’un pagne d’écorce ou de fibres d’arbre à pain et un
galet aménagé était passé à sa ceinture en peau de python. Visiblement, il
n’avait nullement l’intention de s’en servir.
Il reniflait et ne parlait qu’un langage désarticulé, n’usant que de
deux mots : « ’tou » et « ’ou », aphérèses de K’tou et
de Pi’ ou. Toutefois, il parvint à
engager un dialogue laborieux avec Azzo. Il en ressortait que la cité
fabuleuse de Maria de Fonseca n’était plus qu’à quelques kilomètres d’ici, et
qu’il fallait couper à travers ce bois fortement irradié. Aucun autre chemin
n’était possible. De fait, un vortex, un nouveau trou de ver se constitua, sans
même que Daniel l’eût concrétisé, tourbillonnant, qui allait conduire tout
droit nos héros au cœur même des souterrains de la forteresse zimbabwéenne en
roches métamorphiques vitrifiées. Notre Ying Lung oubliait parfois les tours
que pouvait lui jouer son inconscient. Mais était-ce bien lui qui avait
engendré ce raccourci ?
************
Après plusieurs heures de labeur, Beppo Gini était parvenu à installer
le pentagramme de miroirs en la nef de la basilique Santa Maria della Salute.
La vaste église était célèbre pour son dôme imposant reposant sur une base
octogonale. A l’intérieur, six chapelles s’ordonnaient autour de l’espace
central. Les motifs du pavement en marbres polychromes convergeaient vers un
centre formé de cinq roses. Chaque miroir avait été positionné sur chacune
d’entre elles. Tellier et Gini n’avaient pas le temps de s’extasier devant le
retable dû au Titien, la Descente du Saint-Esprit, réalisé en 1555. La sacristie,
quant à elle, représentait une toile du Tintoret, les Noces de Cana. En
fait, on ne saurait que plus tard que cette œuvre était un faux.
Tous attendaient avec une impatience fébrile que sonnassent les douze
coups de midi. Beppo Gini avait disposé d’un certain pouvoir puisqu’il avait
réussi à faire annuler la messe quotidienne. Être le grand maître de la
corporation des verriers permettait une certaine licence. Il manquait une
poignée de secondes avant que retentît le premier coup fatidique lorsque
l’Artiste ressentit les prémices d’un souffle glacé qui n’avait rien à faire en
ce lieu et en cette saison.
Lorsque sonna enfin le premier coup de midi, la température chuta
brutalement de plusieurs degrés sous l’haleine de l’outre-monde. Ce courant glacé
inconnu se positionnant au centre du pentagramme des psychés, autrement dit où
avait été posée la glace où Dodgson était censé être prisonnier, se subdivisa
en quatre ondes tourbillonnantes et rayonnantes qui s’en vinrent fouetter les
quatre autres miroirs placés aux points cardinaux. Alors, les douze coups
achevèrent de s’égrener. Loin de la libération espérée du révérend captif, le
miroir maître parut expulser une silhouette humanoïde constituée d’air. Cette
créature venteuse, à peine vit-elle le jour dans cette réalité qu’elle prit
aussitôt le Danseur de Cordes pour cible. Comme surgis des profondeurs
incommensurables de l’autre côté, des rires caverneux, forcément
inhumains, résonnèrent dans la chapelle, émanant des cinq glaces maléfiquement
enchantées.
La force tempétueuse du phénomène était telle qu’elle faisait voler les
objets sacrés du lieu saint obligeant les compagnons de l’Artiste à se coucher
sur le sol carrelé afin de se protéger de ce bombardement. Ainsi, des statues
oscillèrent, certaines s’abattirent même et leurs débris, à leur tour, furent
emportés par ce vent de mort. Un vitrail explosa sous la violence du coup
d’air, éparpillant et dispersant les bris de verre et de plomb. L’un d’eux
toucha Beppo Gini au bras tandis que Michel Simon dut urgemment se précipiter à
son secours afin de lui mettre un garrot. Cependant, il était incontestable que
Frédéric constituait l’objectif principal du phénomène d’outre-monde.
La silhouette de blizzard défiait l’Artiste de sa toute-puissance
supposée. Elle rappelait l’ancien éther spatial, s’apparentait à une archaïque
anti matière, anti énergie, au point que Tellier se dit: « Aurions-nous,
sans le vouloir, libéré l’Homunculus du cube de Moebius? ».
Comme son prédécesseur, l’Entité était dotée de la faculté de
bilocation, voire davantage. Elle se fit omniprésente, occupant de sa négation
noire tout le volume de la nef de la Salute. Frédéric pensa alors
qu’il s’agissait d’une dispersion susceptible d’affaiblir la monstruosité. Les
amis de l’Artiste se terraient, épouvantés. Beppo tremblait de tous ses
membres, on entendait claquer ses dents malgré le vent tempétueux. Derrière les
bancs renversés par le tourbillon, une religieuse ne cessait de réciter les
prières du rosaire, alors qu’un prêtre, réfugié dans le confessionnal,
implorait la grâce du Seigneur.
Il en fallait davantage pour impressionner Tellier qui avait jadis
combattu avec succès les créatures démoniaques engendrées par le génie
maléfique de Galeazzo. Il avait pris la bonne habitude de ne jamais se séparer
de sa canne épée dont la lame avait été forgée dans l’acier de Tolède.
- Quel que tu sois, qui que tu sois, je ne suis pas si facile à
éliminer. Prends garde à toi! Apostropha l’Artiste.
Le sifflement des vents se renforça sous la mise en garde donnant
l’impression de prononcer maintenant un nom, celui de A El. Désormais, sous le
souffle devenu suraigu, la structure même de la voûte gémit, faisant croire que
toute la Salute n’allait pas tarder à s’effondrer comme jadis le
plafond de la cathédrale de Beauvais. Nullement démonté par cette colère qui se
manifestait, Tellier fendit l’éther, le fluide démoniaque, de sa lame, lacérant
ce qui n’était point.
La créature réagit. Alors, le maître autel fut arraché et projeté en
direction du Danseur de Cordes qui l’évita en roulant sur le sol. Toute une
architecture de vanités baroques fut ensuite animée de mouvements spasmodiques
sous les coups de ce vent infernal. Des chapiteaux à têtes de mort, ou
historiés de transis dans la tradition du bas Moyen Âge, s’en vinrent harceler
l’ancien chef de la pègre parisienne. Toujours aussi maître de lui, Tellier
cinglait l’air de sa fidèle arme.
- Tu n’existes pas. Tu n’es pas…
Pourtant l’éther s’était mis à saigner. Le sang jaspait de partout, des
lambeaux et des squames fluidiques dégouttaient de la voûte, éclaboussant à la
fois le carrelage et les rares bancs épargnés jusque-là.
- Ta quintessence est le néant, répétait Frédéric, s’obstinant à
humilier la Chose.
Il n’en cessait pas moins de se battre contre le vide, le Rien…
Cependant, de la glace centrale qui ondulait, paraissant se
déstructurer afin d’acquérir une consistance semi liquide, un bras,
véritablement humain celui-là, émergeait. Le prisonnier tentait de se libérer
désespérément, mais l’emprise de l’Entité l’en empêchait. Guillaume eut le
courage de l’agripper, s’y cramponna même, essayant de le tirer du miroir.
- A l’aide, maître! À l’aide, gémissait Pieds Légers.
L’adolescent n’avait pas la force suffisante pour lutter et venir à
bout du phénomène. Certes, déjà, la moitié d’un visage, d’un front, sortaient
de la glace et l’on pouvait reconnaître les traits du révérend Dodgson. Mais la
puissance sombre l’emporta et le malheureux non seulement réintégra le miroir
mais aussi Guillaume fut absorbé à son tour dans l’outre-monde.
Avant que cessât la tempête et que se refermât (à jamais?) la porte de
cet outre-lieu, les rires changèrent brusquement de nature. Le ricanement de
sinistre mémoire de Galeazzo di Fabbrini tinta comme le glas de l’Apocalypse.
La voix s’exclama:
- Attrape-moi si tu peux!
- Galeazzo! S’écria l’Artiste.
- Non tu fais erreur. Je me nomme Don Sepulveda de Guadalajara.
Une sueur glacée coula sur l’échine de Tellier.
Michel, boitillant, soutenant un Beppo dont le bras était en écharpe et
garrotté, s’approcha de Frédéric et lui dit:
- La situation est désespérée, mon ami. Je ne sais comment nous allons
récupérer Guillaume.
- Michel, il me faut aller là-bas, que je le veuille ou non…
- Mais c’est où là-bas? Les Enfers d’Orphée derrière la glace?
- Tout à fait.
Sans rien rajouter de plus, Tellier s’élança à travers le miroir dont
il passa l’interface sans problème.
*************
Bien qu’elle eût été démasquée - et que son « maquillage »
spectaculaire impressionnât la baronne de Lacroix-Laval -, Betsy Blair
poursuivait son étrange mission, délivrant un nouveau message à une
Aurore-Marie tout occupée à la contrer. Madame de Saint-Aubain tentait de se
connecter à ses hypostases, dont l’une lui demeurait énigmatique (le
Concomitant).
« Ecoutez avec attention ce que A El m’a dit : le Danseur de Cordes est l’Agent de
l’anti-créateur chargé de vous éliminer. Il est l’exécuteur d’A El car ce
dernier veut l’éradication des Tétra-Epiphanes. A El a connu plusieurs
avatars : Daniel Deng, Antor et désormais Dan EL… »
Aurore-Marie comprit tout autre chose :
« Daniel ! A El et Daniel ne font qu’un. Ces propos tirés de la
folie sonnent vrai ! »
Une voix intérieure parasita la psyché de la poétesse.
- Avatars, est-ce vous ? Es-tu Lise ? »
Il s’agissait d’un autre enfant, d’un garçonnet. La connexion avait
partiellement abouti, mais l’enfant qui contactait malgré lui la Grande
Prêtresse lui était énigmatique.
- Quel âge as-tu ? Comment t’appelles-tu ? Demanda en vain
Aurore-Marie.
« Mon prénom est Pierre » furent les seuls termes que son
monologue intérieur pût appréhender.
À l’instant, le mental d’Aurore-Marie fut frappé de stupeur: c’était la
révélation de l’identité de l’alter ego de Lise. Elle se remémora les visions
partagées entre elle et les moines hérétiques lors de son intronisation de
1877. Ce fut une inflation exponentielle méningée hallucinatoire. Les
hypostases de la grande prêtresse avaient dévoilé leur véritable aspect. Outre
Deanna Shirley et Lise, fantômes encore incertains, Aurore-Marie se souvint
d’une silhouette masculine en robe noire de missionnaire jésuite qui tenait en
ses mains un crâne singulier, hybride de singe et d’homme.
« Il était Pierre… ».
Charlotte Dubourg avait partagé les mêmes visions et sans doute, aussi,
Charles Merritt et ses acolytes. La voix de Lise se mêla à celle du garçonnet.
« Mère, pourquoi m’appelez-vous? Êtes-vous en péril? ».
La baronne de Lacroix-Laval ne parvenait pas à surmonter les flux
d’énergie négative, qui, croissant, formaient désormais une carapace
protectrice, un champ de contention anentropique autour de Betsy Blair. A El
était là et l’avait investie. Il fallait d’urgence que la poétesse fusionnât
avec ses trois autres incarnations pour riposter à ce qui lui fit songer à une
énergie noire. Elle approchait de la vérité. Toutefois, un fil semblait être
rompu: Deanna demeurait désespérément lointaine et madame de Saint-Aubain avait
beau renouveler ses appels à l’aide, ces derniers restaient vains. Le lien avec
celle qu’elle avait crue sa jumelle venait définitivement de se briser là-bas,
dans cette outre Afrique, à la création de laquelle elle n’avait nullement
participé. Une peur indicible l’envahit. D’incontrôlables tremblements labiaux
et palpébraux déformèrent sa physionomie.
« Qui qu’il soit, il est plus fort que moi, enragea Aurore-Marie.
Mais qui est-il donc ? Daniel ? Don Sepulveda ? ».
Nimbée d’énergie négative, Betsy Blair, qui n’était plus qu’un avatar
de l’infra-sombre, absorba le Codex. Aurore-Marie tenta une ultime manœuvre; elle
tendit l’auriculaire gauche enchâssé de la chevalière du pouvoir et commença à
psalmodier la formule de l’arbre de vie telle que l’avait prononcée le
sculpteur possédé Amaury de Saint-Flour en l’an 1077.
« Archaea monerem infusoria maedusa piscis urodeles reptilia
aves mammalia simii ecce homo ».
Elle répéta l’incantation tandis qu’une langue électrique s’extirpait
du bijou gnostique. Deux énergies parurent alors se combattre. La lutte était
fort indécise, la réalité s’était estompée et, la baronne de Lacroix-Laval,
perdant toute sensation de l’espace-temps euclidien, puis de son corps
lui-même, ne fut plus qu’une sorte de trace éthérée se confondant avec les ante
particules du pré Big Bang.
Il y eut fusion des sources, celle de la chevalière mais aussi celle
d’A El. Les voix elles-mêmes de Pierre et de Lise, furtivement présentes, se
fondirent dans la Grande Unification des forces. Il n’y eut ni vainqueur ni
vaincu. A El avait retrouvé Dan El. L’espace-temps venait de s’abolir au profit
du « noyau » primordial, noyau unidimensionnel renfermant toutes les
potentialités du Pantransmultivers. L’irradiation explosive fut concomitante de
la fusion totale, une irradiation infinitésimale surmultipliée en autant
d’Univers probabilistes dont le créateur inconnu souhaitait qu’ils fussent. Ce
Tout s’étala sur des quatrillions d’années tout en conservant une instantanéité
fixiste. Il se répercuta en échos sans fin, revenant parfois à son point de
départ, pour rebondir aussitôt en autant de cycles conceptualisés par le
créateur.
***************
La baronne de Lacroix-Laval recouvra son entendement au bord du Grand
Canal. C’était déjà le crépuscule. Désormais, sa main gauche portait des traces
de brûlure et les motifs gravés de la chevalière du pouvoir s’étaient altérés,
ayant partiellement fondu. La jeune femme avait perdu tout souvenir des
dernières vingt-quatre heures. Sa tenue vestimentaire avait changé. Elle
ignorait ce qui était arrivé précisément, croyant être à peine sortie du Palazzo
Vendramin. Aurore-Marie titubait, chancelait, allant au hasard, errant dans
les Ca’ dédaléennes, balbutiant: « le codex, mon codex »,
puisqu’elle avait remarqué son absence. Elle se retrouva ainsi, sans savoir
comment, à proximité du Palazzo Grassi, nu-tête, les cheveux emmêlés. Les
murs moussus d’humidité exhalaient des volutes méphitiques qui engendraient une
brume de mauvais aloi. Tout semblait irréel, fantastique. Ce n’était plus la
vraie Venise mais une recréation de poète reclus dans sa folie. La baronne
s’attendait à voir surgir des eaux noires les cadavres en décomposition et
gainés d’algues de Franz Liszt et de Richard Wagner.
La façade presque néo-classique du Palazzo Grassi conçue par
Giorgio Massari, ultime demeure aristocratique bâtie avant la destruction de la
Sérénissime par Bonaparte, se détachait en un halo flavescent duquel sembla
surgir une jeune adolescente aux longs cheveux noirs.
« Violetta! » murmura Aurore-Marie.
Elle se trompait. En fait, il s’agissait d’Alice, en mission. Le piège
était tendu.
********
La première chose qui frappa Frédéric après qu’il eut achevé de
franchir l’interface de verre avec une facilité qui le déconcerta fut le
changement brusque de clarté et d’atmosphère. Le là-bas dans lequel
désormais il allait devoir se déplacer en quête de Guillaume et de Dodgson
baignait dans un clair-obscur irréel nimbé d’une brume opalescente qui semblait
s’agréger aux vêtements.
Il ne savait où aller. Il ne percevait aucun appel à l’aide,
n’entendait aucun son. D’une voix mal assurée, l’Artiste héla dérisoirement le
vide :
« Ho-ho ! Ho-ho ! » mais rien ne répondit, ne
réagit.
Il se trouvait engagé dans une structure interne qui prenait un aspect
labyrinthique inquiétant. C’était une abondance de corridors anormaux, de
boyaux, de tuyaux, qui acquéraient une configuration pareille à des
circonvolutions cervicales spiralées et vallonnées. Tellier, instruit à
l’Agartha des avancées de l’anatomie et de la biologie, avait la sensation
déroutante de se trouver engagé dans une réplique fortement grossie d’un cerveau
humain, et ce, à l’échelle non seulement histologique, mais aussi cellulaire.
Une forêt neuronale ramifiée, infinie, se présentait au regard du Danseur de
Cordes, forêt aux troncatures énormes dont certaines sections, subdivisions,
voire des secteurs entiers, revêtaient un caractère prononcé d’abandon, de mort
même. Ces enchevêtrements de ramures – des axones, des cellules gliales et des
dendrites coupés ? – paraissaient soit tranchés vifs, comme amputés, soit
pétrifiés, grisâtres. Étaient-ce des connexions inabouties ou délaissées
puisque devenues inutiles ?
Tellier poursuivit son périple. L’intuition, seule, le guidait.
« Par-là », se dit-il. Il savait risquer l’égarement en ce dédale de
ramifications, en cet univers méningé, incertain, faiblement luminescent et
brumeux. Alors, il vit ce dont il n’avait fait nul cas jusqu’à présent :
l’outre-lieu faisait office de prison ou de nécropole, de piège éternel pour
celles et ceux qui soit n’avaient pas achevé de s’extirper du miroir, soit
s’étaient trouvés dans l’impossibilité de s’extraire, de s’en revenir de cet
anti monde. Un miroir ? Des glaces à profusion plutôt ! Des
interfaces multiples, étalées sur plusieurs continents, plusieurs siècles,
plusieurs temps ! Et, à moitié prises dans ces gangues, un pullulement de
victimes non identifiables, issues d’on ne savait quand, ni d’où,
contemporaines des premiers miroirs de métal poli de l’Antiquité comme d’une
glace vénitienne de facture récente (sortie peut-être des ateliers de Beppo en
personne !).
Tous ces devanciers malchanceux se présentaient telles des silhouettes
grotesques, figées en plein mouvement, engluées, tourmentées, disloquées par
leurs désespérantes tentatives de s’arracher à cette colle, à cette gangue. Des
chewing-gums encore vaguement humanoïdes, étirés en de multiples fils poisseux,
translucides, créant un effet semblable à celui d’organismes piégés par
l’horizon d’événements d’un trou noir, victimes s’étirant, s’étalant,
filandreuses, racinaires, à l’infini. Frédéric hésita à s’attarder à ce
spectacle.
« Quelle abomination est-ce là ? songea-t-il. Cela
dépasse l’imagination la plus perverse, surpasse en horreur ce que Galeazzo
lui-même concevait ! »
Il tenta de déchiffrer les traits, de donner une identité aux visages
difformes : il se rassura lorsqu’il comprit que ni Pieds Légers, ni le
révérend, ne se trouvaient parmi ces dépouilles collées. L’Artiste poursuivit
sa route, mû par un instinct qu’il ne s’expliquait pas. Il traversa un boyau
malcommode qui l’obligea à se courber, frôlant des parois d’une consistance
surnaturelle, spongieuses, gorgées d’une humeur saumâtre, d’une sorte de lymphe
malodorante qui gouttait tel un suint puant. De plus, ces parois infectes
étaient dotées d’une plasticité surprenante ; elles se recomposaient indéfiniment.
Au-delà, notre héros aperçut une nouvelle statuaire, cadavérique ou
autre. Les morts se multipliaient à l’envi ici. Cette fois, Tellier avait
affaire à une théorie de corps décharnés, évocateurs des futures victimes de la
shoah, un entassement, un empilement,
que cependant on pouvait aussi comparer aux sculptures de Giacometti voire aux
moulages de Pompéi. C’était autant de figures imparfaites, mal dégrossies,
esquissées, de « mannequins » inachevés, constitués d’agrégats,
d’impuretés, de fonte mal puddlée, de scories de lave, de basalte, de
pouzzolane, des pantins ridicules crachés par un volcan en furie. Ces créatures
malchanceuses présentaient des faces à peine ébauchées, comme les sculptures
des Cyclades ou celles, en céramique ou en fer, de Picasso. Elles se teintaient
d’un camaïeu de gris, de blanc sale, cassé, de kaolin, d’ocre, de soufre,
étaient constellées d’un semis de limaille ferrique, de suie et d’oxyde de
carbone. Cette statuaire lugubre s’avérait flétrie et fétide.
L’Artiste commença à douter. Il ne parvenait plus à mesurer
l’intervalle de temps écoulé depuis son intrusion. Il supputait l’action d’une
des lois de la Relativité, enseignée aussi en la Cité, espérant qu’en la Salute,
les heures s’enchaîneraient normalement, que Michel, que Beppo,
l’attendraient.
Au bout d’une nouvelle galerie descendante, structurée en colimaçon, le
passage lui fut barré.
« Un cul de sac ! » dit-il de vive voix.
De fait, il s’agissait d’une abside dépourvue de sortie, abside en cul
de four, cavité au centre de laquelle « on » avait installé un autel
sur lequel était posée une « idole » hérétique. Idole ? Non
point ! Spécimen tératologique, plutôt ! Cette horreur rappelait le
culte que les Mexafricains d’un monde parallèle rendaient à leurs dépouilles
obstétricales. Car la chose, déposée là avec respect, couronnée même,
n’avait jamais pu vivre, naître. Frédéric mobilisa ses connaissances en
tératologie afin de déterminer la nature de l’être auquel il faisait face.
Certes, cela était réduit à l’état de momie, intentionnelle ou
naturelle. Ça n’avait aucune bouche, un seul œil et une trompe frontale.
C’était l’ébauche, l’épure, d’une créature mal conformée. Etait-ce là quelque
représentation statufiée d’une idole primitive ? On l’eût pensée venue de
quelque exposition d’un art de l’avenir sous influence océanienne ou autre,
brocardée en tant qu’œuvre d’« art dégénéré » par l’Allemagne nazie.
Non ! Il s’agissait bel et bien d’un être de chair, mais d’une chair
nécrosée. Frédéric parvint enfin à lui attribuer un nom, une qualité :
« Un fœtus astome cyclope ! »
Cet astome, ce sans bouche, incarnait le Gardien par excellence. Le
Danseur de Cordes, tels ces adolescents des jeux de rôles de la fin du XXe
siècle, devait passer par Lui s’il voulait poursuivre la partie. Gardien,
certes, mais de quoi ? Notre fœtus exhalait une odeur pourpre et bistre,
une fragrance de cinabre, un goût de pourriture. En cet outre-monde
confusionnel, senteurs, coloris et saveurs se confondaient. Cette monstruosité
était le symbole même de l’inachèvement. Frédéric dévisagea ce parangon
d’altérité, hésitant sur la conduite à tenir, conscient du risque d’enfermement
en cette impasse. Une impression ne cessait de s’imposer en son esprit :
cet autre côté ne correspondait pas à celui auquel il s’attendait, ni a
fortiori à l’idée qu’il s’en était fait. Il avait pensé se retrouver en un
alter ego inversé du monde normal, se confronter à son autre lui-même, à son
double, à ceux de Michel Simon, de Beppo, de Pieds Légers aussi… A terme, il se
fût aventuré en une Venise inverse sur la piste des disparus, ou plutôt, des
absorbés. C’eût été plus logique. Un autre sentiment le traversa, la
conviction d’une réclusion au risque de l’éternité dans une construction
mentale cauchemardesque inédite, non conformiste. Il se souvint de ce film
bidimensionnel Orphée, de Jean Cocteau, qu’il avait apprécié pour sa
beauté poétique. Daniel mettait à la disposition de tous une cinémathèque
inestimable. Et ce monde-là, c’était indubitable, ne correspondait ni à celui
de notre Orphée Jean Marais, aux Enfers qu’il avait parcourus en quête
d’Eurydice, ni à l’univers parallèle qu’avaient dû trouver Dodgson et
Guillaume après leur avalement. Pluralité des interfaces, différentes
d’une victime de miroir à l’autre… Cela expliquait aisément la raison de la non
manifestation (pour l’instant ?) de ceux qu’il devait sauver. En ce cas,
où étaient-ils ? La probabilité qu’ils se trouvassent déphasés spatio
temporellement effleura l’Artiste. Là, tout revêtait un caractère multidimensionnel
délicat à conceptualiser.
Or, le Danseur de Cordes l’ignorait : non seulement cet au-delà du
miroir conservait les traces mentales de celles et ceux qui avaient traversé la
glace (ou plutôt, les glaces), mais il reflétait leurs pensées mêmes.
C’était comme si l’Artiste se fût retrouvé à l’intérieur d’un cerveau ayant
synthétisé la psyché de tous ses prédécesseurs là-bas, y compris Aurore-Marie
de Saint-Aubain, y compris Dodgson ou celui qui l’avait laissé là, de l’autre
côté, afin qu’il prît sa place, ainsi qu’Alice l’avait déclaré en son délire.
De fait, les expériences multiples des emprisonnés s’additionnaient les unes
aux autres, complétaient l’édifice aberrant, constituaient une pluralité
incohérente, démentielle, jusqu’à engendrer un mille-feuilles de sensations
contradictoires. Toutes finissaient par se parasiter mutuellement. Cet
outre-monde ressemblait à la littérature orale des aèdes, immémoriale, qui
s’enrichit de conteur en conteur, au prix d’invraisemblances accrues, d’un
baroquisme surchargé exacerbé, de chamarrures fleuries proliférantes. Cela
signifiait aussi que Tellier se retrouvait emprisonné dans un cerveau fou,
multiple, schizophrène. Cet organe emmagasinait l’information sans jamais la
trier. Conséquemment, celle-ci, non canalisée, partait dans tous les sens, ce
qui témoignait de son infantilité présente. En ce cas, quelque part en l’outre
lieu, devait demeurer quelque chose de l’intromission d’Aurore-Marie de 1876 au
même titre que celle de Charles Dodgson en 1865. Mais, nous le savons comme le
Préservateur, depuis la fameuse cérémonie orchestrée par le Sâr Péladan, la
boîte crânienne de Madame de Saint-Aubain ne contenait absolument rien. Le
Vide, le Néant.
Par contre, le cyclope astome, le monstre, incarnait justement la
persistance mémorielle de l’existence, autrefois, de celui qui avait été le
reflet du révérend. Son double négatif… Tellier allait-il comprendre qu’il
devait reprendre la méthode d’investigation policière qui avait fait sa
réussite dans son combat contre le Maudit ? Avant de retrouver Dodgson et
Guillaume, c’est à la découverte d’indices de leur passage qu’il devait
s’atteler, des indices non conformistes, inattendus, des transpositions de
fantasmes. Frédéric, sans le savoir, se muait en pionnier de l’exploration
de l’inconscient, du ça. Après moult hésitation, Tellier choisit un
angle d’attaque. Il se rappela le mythe d’Œdipe et du Sphinx, fort déplaisant
aux yeux de Pieds Légers, qui, l’ayant lu, avait trouvé que les Anciens en
faisaient fichtrement trop. Le maître et son élève avaient eu une
discussion fournie au sujet de la tragédie grecque en la bibliothèque de
l’Artiste, fort bien pourvue, nous le savons[1]. Tellier se
décida ; c’était à lui que revenait l’honneur de poser l’énigme, la
devinette, à son interlocuteur muet.
« Suis-je en enfer ? » questionna l’Artiste, attendant
que le fœtus sans bouche lui répondît. Un son, oui, un son sourdait désormais
des entrailles abdominales racornies de la créature infortunée. C’était un
appel à l’aide en anglais, auquel se mêla, conjuguée, une voix française que
Frédéric reconnut.
« Ça a fonctionné. Ils sont quelque part là, ou là-dedans, dans,
sous, au-dessus ou derrière ce fœtus. »
L’appel double était pourtant fort ténu et, loin de crier encore
victoire, Tellier exclut malgré tout l’hypothèse du leurre, du piège, de
l’illusion ou de la ventriloquie. Cependant, l’abside s’ouvrit comme la coupole
d’un observatoire alors que l’avorton se résorbait, retournant au néant. Un
jour d’été aveugla tout, remplaça le labyrinthe glauque. Sans nulle transition,
le Danseur de Cordes se retrouvait en un jardin inverse, dont arbres, bosquets,
parterres et massifs, aux coloris vifs, paraissaient enracinés dans le ciel
alors que le faîte des ifs, par exemple, ou les pétales des roses, touchaient le
sol. La demeure que l’ancien pègre remarqua au bout des allées revêtait un
aspect tout autant singulier parce que l’intérieur, comme en ces maisons de
poupées auxquelles on a ôté façade et toiture, se dévoilait aux yeux de tous.
Cependant, la partie externe de l’architecture, les pergolas, les belvédères,
les balcons, les frontons, les pignons, les fenêtres, les mezzanines, se
trouvait encastrée derrière les pièces, les étages ainsi révélés.
Quelqu’un le bouscula sans s’excuser. Quelqu’un de juvénile
et de rieur.
« Vous pourriez tout de même faire attention ! » s’écria
Frédéric à l’adresse de l’inconnue. Il vit une robe évasée, à l’ancienne mode,
une silhouette vaporeuse d’adolescente à la chevelure noire. Apostrophée par
l’Artiste, elle se retourna. Tout en détermination, elle pointa en
direction du Danseur de Cordes le canon d’un pistolet.
« Welcome in my world ! »
Alice L. acheva sa phrase en éclatant d’un rire franc.
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