Mars 1952. Lequel ?
Investi de justesse Président du
Conseil, Anselme Lefort avait daigné conserver son portefeuille favori, le
Ministère des Finances. Dans le bureau lambrissé des salles Napoléon III du
Louvre que les grands argentiers de la République occupaient encore à l’époque,
l’homme politique chevronné attendait la visite discrète d’un subordonné
occulte.
Une poignée de minutes plus
tard, un type de haute taille déjà quelque peu bedonnant avec une tendance
marquée à la calvitie, toquait au battant de la porte du bureau de Monsieur le
ministre. Après que celui-ci lui eut commandé d’entrer, l’homme s’introduisit
dans la pièce luxueusement décorée et, sur un signe de son supérieur, posa son
postérieur fessu sur un fauteuil quelque peu tapageur du style Second Empire.
- Monsieur Lefort, il est
heureux que vous ayez refusé de siéger à l’hôtel Matignon, ainsi, j’ai pu
déambuler dans les couloirs sans me faire remarquer. Si vous m’avez fait venir
jusqu’à vous, je suppose que c’est pour me donner de nouvelles instructions.
- En effet, mon cher Bernard,
vous rempilez.
- La suite de l’affaire de
Bonnelles ?
- On peut dire les choses comme
cela. Cependant, je vous mets en garde. Votre prochaine mission sera plus
périlleuse que la précédente. Vous allez voir du pays, et vous retrouver
confronté à des personnes surprenantes. Toutes vos facultés intellectuelles et
physiques vont être sollicitées. J’espère que vous étiez un bon élève lorsque
vous faisiez vos humanités.
- J’avais la moyenne en latin.
- Il faudra améliorer cela.
Quant au grec ?
- J’étais meilleur qu’en latin.
- Tant mieux. Mais il faudra
réactualiser ces connaissances, puis en acquérir d’autres, notamment quelques
notions d’hébreu, et pourquoi pas de sanskrit ou d’araméen.
- Je vois. Cela signifie que je
vais me déplacer dans un lointain passé.
- Pas dans l’immédiat. Ce voyage
n’est qu’un des volets de votre prochaine mission.
- D’accord. Quant aux langues
étrangères actuelles…
- L’anglais évidemment,
rajoutez-y l’espagnol du temps d’el Siglo
de Oro et l’allemand de l’époque de l’Empereur Rodolphe.
Pour les
connaissances générales, je vous conseille de réviser des textes majeurs comme
la Kabbale, Les Upanishad, l’Avesta et
Les Veda. Rassurez-vous, vous ne les
lirez que dans des traductions.
- Oui, monsieur. Mais de combien
de temps vais-je disposer pour rafraîchir ma connaissance dans le domaine des
études orientales ?
- Oh, une semaine… et je suis
bon prince. Pour vous aérer l’esprit, allez trouver un maître d’escrime.
- D’Oriola ?
- Pourquoi pas ? Ce jeune
est fort prometteur. Je le vois bien médaillé olympique dans quelques mois.
Naturellement, vous acceptez cette mission, Bernard.
Le ton dont usa Anselme Lefort
fit ciller l’espion.
Le ministre reprit.
- … car, voyez-vous, si vous
estimez que c’est trop vous demander, je recourrai directement à Monsieur Paul.
- Non, non, cela ira. Je préfère
qu’il reste à sa place et demeure mon second.
En son for intérieur, Bernard
Blier songeait avec raison que Monsieur Paul était davantage un homme de
terrain que lui, et qu’il se mouillerait plus. Il ne s’inquiétait pas pour les
membres masculins de l’équipe. Francis Blanche en serait une fois de plus.
Avantage non négligeable : Monsieur Paul excellait dans le maniement
d’armes anciennes. Cela lui était naturel ; car il était un des
collectionneurs les plus réputés de ce genre de bibelots sur le marché.
Mousquet,
arquebuse, pistolet à rouet n’avaient aucun secret pour lui.
Toutefois, il restait l’épine de E.E. Connaissant son entregent et sa souplesse
physique, il peinait à l’imaginer user des arts martiaux, son corps emprisonné dans
un vertugadin.
Certes, la petite était douée en langues, mais les bonnes manières lui échappaient. Jamais elle ne passerait pour une « grande dame » à la cour de Rodolphe ou d’un des rois Philippe d’Espagne. Mais l’heure était venue pour lui de prendre congé de Monsieur le ministre.
Certes, la petite était douée en langues, mais les bonnes manières lui échappaient. Jamais elle ne passerait pour une « grande dame » à la cour de Rodolphe ou d’un des rois Philippe d’Espagne. Mais l’heure était venue pour lui de prendre congé de Monsieur le ministre.
Alors qu’Anselme Lefort allait
se livrer à son activité récréative coutumière la bouffarde, Bernard Blier jeta
poliment :
- Puis-je aller prévenir mon
équipe habituelle que nous reprenons du service, Monsieur ?
- Oui, bien sûr ! Allez,
j’attends votre coup de fil demain matin à sept heures au numéro que vous
savez.
L’espion se leva et salua
Anselme dans les règles. Une fois reparti, le président du Conseil et ministre
des finances tira avec satisfaction sur le tuyau de sa pipe.
*************
Fin de la seconde partie.
A suivre : épilogue...