L’information
causa un battage médiatique. La caisse de résonance fut telle que le procureur
de la République en personne dut être sollicité devant la meute insatiable des
journalistes. Cette affaire prenait trop d’ampleur et gênait le gouvernement,
cette société d’ordre, en démontrant une certaine impuissance des pouvoirs
publics face à une entité mystérieuse, un hybride homme-cerf qui les narguait.
L’avis de recherche de Lucille d’Arthémond s’étala sur tous les murs de la
région, avant de l’être en toute contrée de France et de Navarre. C’était un
kidnapping avéré, et on raisonnait classiquement, car on attendait du ravisseur
fabuleux et surnaturel une hypothétique demande de rançon. Notre moderne
croque-mitaine s’en fichait. Il n’agissait pas pour l’argent, pourriture
inventée par les autres, rupture de l’égalité fondamentale et ancestrale
homme-nature.
La
gendarmerie organisa des battues généralisées dans les bois et les champs,
tandis que la police scientifique s’occupait de la dépouille de Népomucène (il
ne fallait pas qu’on l’omît en tant que nouvel assassiné) et du morceau de peau
de cervidé rapporté par le valeureux Brisquet. Le vétérinaire avait bien
exécuté son travail ; le brave chien s’en remettrait, échappant à
l’amputation, quitte pour des pansements pour un mois. Aucun traumatisme
profond lésant ses organes internes n’avait été détecté. Brisquet ne
souffrait que de quelques fractures et de blessures superficielles, bénignes.
Il en avait vu d’autres. On le choya, le dorlota ; Capucine elle-même se
proposa et le baron dut céder sous son insistance, tandis que toute la famille
se faisait un sang d’encre au sujet de Lucille. Jean-Louis n’aimait pas à ce
que son nom, sa lignée, fussent stigmatisés, qu’ils s’étalassent cinq colonnes
à la une dans la vile presse aux manchettes tapageuses, à la radio friande de
crimes, à la télévision honnie à la rapacité criminolâtre proverbiale.
Ce
matin-là, quatre jours après l’enlèvement de la petite fille, une colonne de la
maréchaussée, dirigée par le brigadier Dullin secondé par les gendarmes Riboux
et Pichenal, arpentait les terrains et sous-bois limitrophes du domaine du
rebouteux, allant jusqu’à faire venir de Paris des experts techniques et un
matériel coûteux et sophistiqué destiné à sonder le fameux marais proche au
cas où. L’opinion publique subodorait que l’homme-cerf était un assassin
d’une telle engeance qu’il avait dû tuer Lucille après l’avoir violée et puis
avait jeté le corps dans ces variantes de syrtes nauséabondes dont il suffisait
qu’on en haleinât ou inhalât à peine l’odeur de putrescence soufrée pour,
disait-on, tomber aussitôt raide mort.
Nos
gendarmes étaient des partisans du figurisme. Il leur fallait du concret, du
palpable, du matériel, du significatif, de la preuve, de l’indice, encore,
toujours, pas de ces ramassis d’hypothèses et autres spéculations gratuites,
abstraites, invérifiables, qui constituaient l’ordinaire de la nouvelle galaxie
Marconi. Ils excrétaient donc les Jackson Pollock de la plume au profit des
rassurants Dunoyer de Segonzac
rationnels et cartésiens adeptes du tangible et
du clair comme de l’eau de roche. Mais les événements les dépassaient,
dérangeaient leur bon sens. Ils craignaient demeurer incrédules devant le
résultat en cas de résolution de l’enquête et d’arrestation du coupable
présumé. Son profil demeurait difficile à cerner, à définir avec exactitude,
tant sur le plan physique que psychologique. Il demeurait insaisissable, et
l’on médisait à l’encontre des forces de l’ordre et de leur impuissance.
C’était une silhouette impalpable, floue, indiscernable dans l’espèce de
brouillard intellectuel dans lequel se débattaient tous les spécialistes en
criminologie de France et de Navarre. A moins qu’on entérinât son côté
fantastique, rien ne lassait préjuger qu’on l’arrêterait avec facilité. Jamais
en reste, la presse à sensation avait fini par qualifier cette créature
mystérieuse, fabuleuse et éthérée, ce Deus ex machina : elle l’avait
baptisé le Couquiou, une sorte de sorcier assassin mythologique, de
mauvais plaisant, métissé d’homme et de bête, comme les anciennes divinités
celtiques ou égyptiennes, oiseleur de surcroît dont le cri ou l’appeau qu’il
employait pour dresser les corvidés et sansonnets faisait Couquiou ! Couquiou ! (du moins le supposait-on avec fantaisie).
Des tenanciers de café et des restaurateurs malins avaient sauté sur l’occasion
et inventé de nouvelles boissons et plats inspirés par la créature de
l’Inconnu : cocktail du Couquiou (peppermint plus
Veuve Clicquot avec citron pressé),
fricassée de cailles et d’ortolans à la Couquiou,
sauté de biche au Couquiou, dinde de Noël du Couquiou (car les fêtes de fin
d’année approchaient et nos maîtres-queux souhaitaient innover en s’inspirant
d’une actualité qui tenait toute la France en haleine).
Peut-être
aurait-il fallu connaître sur le bout des doigts la manière dont
raisonnaient, pensaient, les hommes d’avant le Déluge biblique, ceux qui
avaient laissé des témoignages peints, sculptés, modelés et gravés, un
outillage, des grottes ornées périgourdines, des industries lithiques
successives, de l’acheuléen au micoquien, du moustérien aux microlithes. Tout
cela relevait de ce que monsieur Claude Lévi-Strauss désignait sous
l’expression de pensée sauvage, non pas qu’elle fût stupide. Jamais
le mot primitif n’a signifié idiot. La complexité de cette pensée sauvage,
préhistorique, résidait dans autre chose que la technologie de l’âge de
l’atome. L’ensemble des professions des ethnologues et des anthropologues, des
psychologues des mentalités, des psychanalystes partisans de la thèse de
l’inconscient collectif de Jung, devrait être mis à contribution, en plus des
criminologistes, des préhistoriens et des médecins légistes ; on contacterait
même des ornithologues et des tenants d’une science nouvelle du comportement
animal, qui la professaient à la suite des travaux d’un certain savant
d’origine autrichienne, herr Conrad Lorenz, science qu’on appelait éthologie.
Ils détermineraient si le comportement de tous ces étourneaux, geais,
corbeaux, corneilles, pies, était normal ou altéré à la suite d’un dressage qui
échappait à tous nos experts, même les plus éminents. Il fallait que tous nos
spécialistes évitent le recours à la charlatanerie, ou aux dresseurs de cirque
pour conserver leur crédibilité auprès d’un public qui commençait à perdre
patience alors que l’affaire, formidable, répandait ses échos
jusqu’Outre-Manche et Outre-Atlantique, au point d’inspirer des idées à une
romancière connue et à un cinéaste qui déjà l’avait adaptée[1].
On
eût pu, après tout, subodorer la folie du coupable présumé, son
irresponsabilité mentale. Peut-être demeurait-il reclus dans son propre monde
intérieur, autiste Asperger ou schizophrène, peuplé de fables, totalement
imaginaire, né dans sa tête. Il souhaitait imposer sa conception de l’univers
aux autres par la force ou se vengeait d’un monde qui l’avait rejeté à la
marge. L’hypothèse du préhistorien fou exclu par ses pairs à cause de
l’extravagance antiscientifique de ses thèses resurgit. Les seules idées
hétérodoxes en vogue dans ce domaine reposaient essentiellement sur les
interventions à tout crin d’intelligences supérieures extraterrestres, de
soucoupes volantes, qui auraient apporté la civilisation sur Terre ou mieux, façonné
l’homme moderne en éliminant les hommes-singes frustes. Là, c’était
le rayon des lectures inavouables de Dominique, de Lucille et de Paul, tous ces
romans de gare dits d’anticipation, mal foutus, mal écrits, mal torchés,
alors qu’il eût mieux valu que tous lussent Corneille, Racine ou Montaigne aux
édifiants écrits plutôt que ces fadaises aux couvertures colorées agressives
illustrées de dessins hideux. Jean-Louis d’Arthémond exécrait ces littérateurs
de caniveau, ces Henri Vernes, Maurice Limat,
Jimmy Guieu, Kurt Steiner, Isaac
Asimov, Ray Bradbury, Edgar Rice Burroughs, Stéphane Wul, BR Bruss et autres…
Restait
l’expertise du morceau de fourrure. On présumait de son ancienneté : en
leur for intérieur, les savants les plus extravagants spéculaient sur le
possible retour d’entre les morts, du passé magdalénien, d’un authentique
chasseur Cro-Magnon revêtu de ses oripeaux d’époque. On utilisa donc
toutes les nouvelles techniques analytiques de pointe pour arracher à l’objet
indiciel le maximum de renseignements, son secret intrinsèque. On n’aurait
guère fait mieux pour prouver l’inauthenticité du suaire de Turin ou sa
véridicité évangélique. On recourut à la chimie, à l’histologie, à la
palynologie, à l’entomologie (à cause des œufs d’insectes parasites qui s’y
trouvaient et qu’on y repéra) au microscope optique puis électronique, à la
datation au carbone 14, méthode toute récente. On convoqua de l’autre côté du
rideau de fer, après la signature judicieuse d’accords de coopération scientifique
internationale, le spécialiste soviétique des fourrures de momies de mammouths
qu’on exhumait de la toundra gelée sibérienne. On dut démentir les rumeurs les
plus folles et spectaculaires propres à séduire les crédules, rumeurs
extravagantes étayées et véhiculées par monsieur Bernard Heuvelmans,
qui
affirma dans un article de presse tapageur que l’assassin était un hominidé
relique survivant des temps néandertaliens, une espèce de yéti, d’Almasty ou
d’Orang Pendek du Massif Central qui ne faisait après tout que se défendre
contre nous. Le professeur Heuvelmans affirma dans une tribune libre du Parisien
libéré que tous nos savants se liguaient pour refuser de dévoiler les
résultats exacts de leurs expertises répétées, la fourrure étant celle, authentique,
d’un Homo neandertalensis survivant en 1960.
Afin d’étayer sa thèse, il
fit appel à Sir Edmund Hillary, le vainqueur de l’Everest, qui parla des scalps
d’abominables hommes des neiges ou migous dont la texture se rapprochait
– supputait-il - de celle du morceau arraché par Brisquet. Des
contradicteurs affirmèrent que nous n’avions affaire qu’à un yak ou un buffle
musqué. On ne cessa de fantasmer sur cette pelure bestiale, de spéculer
indécemment dessus, alors que les avis de recherche de Lucille d’Arthémond,
avec sa petite frimousse en photo sur l’affiche, traînaient partout sur les
murs, dans tous les commissariats, toutes les gendarmeries, les bureaux de
poste, les écoles, les mairies, jusqu’aux buralistes (et aux manchettes du
fameux périodique Détective), dans tout le pays. Le Général en personne
casa une allusion à l’affaire dans une de ses inénarrables et hautes en couleur
conférences de presse, théoriquement consacrée aux événements d’Algérie.
Certes,
cette fourrure avait un aspect bizarre digne des poils de yéti ; sa face
interne présentait une patine d’ancienneté, de vieux cuir tanné tout ridulé,
comme séché et momifié à la manière de ces peaux humaines maories tatouées.
Mais, quand les laboratoires mis sur la brèche daignèrent enfin, après des
semaines, remettre leurs conclusions (entre-temps, on le verra, notre histoire
avait eu le temps de se résoudre), non seulement la déception fut grande, mais
la fièvre médiatique venait de retomber puisque tout ce cauchemar s’était enfin
achevé, alors que ces querelles ridicules et grotesques, qui nuisaient au
prestige et à la crédibilité de la science française, avaient manqué faire
oublier la tragédie de l’enlèvement de la petite Lucille et les morts
antérieures. Le résultat avait donc tourné à la palinodie, à la comédie
burlesque, à l’antithèse mâtinée de secret de Polichinelle, maintenant qu’on
savait tout grâce aux faits eux-mêmes. Rien de surnaturel, de préhistorique,
d’extraterrestre : c’était la peau prosaïque d’un cerf de cinq ans tué
il y avait dix mois et traité à la manière des trappeurs ou des Amérindiens du
grand nord canadien.
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Il
est temps de revenir à notre colonne de gendarmes…
Après
que nous eûmes relevé les empreintes de la disparue, suivant la piste où celles-ci
conduisaient, nous pénétrâmes dans le sous-bois où elle s’était rendue à la
recherche du chien Brisquet.
Ainsi
s’exprima le brigadier Dullin dans le procès-verbal d’enquête bien torché que
tenait en mains le procureur de la République.
De
jour, les fourrés anarchiques paraissaient moins impénétrables, plus
rassurants. Nos gendarmes ne pouvaient admettre qu’ils se méprenaient en
croyant que cette recherche de terrain s’apparenterait à une simple promenade
hygiénique de routine. Ils souhaitaient ne point découvrir le pire, par
exemple, un cadavre dénudé, mutilé, ayant subi des violences qu’on dirait sexuelles,
ou pis, à demi dévoré par une créature inconnue, si tant pouvait-il être
que le bonhomme coupable du forfait eût pratiqué le cannibalisme, chose dont on
supposait les hommes des cavernes friands. Des études de préhistoriens disaient
que cette anthropophagie était à la fois rituelle et pratique, afin d’éviter
que les bêtes sauvages se repussent des corps des chasseurs morts. En même
temps, nos hommes préhistoriques rendaient un culte sacral aux défunts,
s’appropriant leur force, leur esprit, en en consommant la chair. Cervelle et
moelle osseuse avaient leur préférence, du fait que l’apport protéiné de ces friandises,
en ces temps de précarité, d’incertitude alimentaire, n’était pas négligeable.
Nos paléoanthropologues avaient analysé des os humains néandertaliens ou
Cro-Magnon où apparaissaient des traces de débitage et de découpure, des
entailles révélatrices d’un suçage de moelle. Il arrivait que les crânes,
découverts retournés parmi des squelettes disloqués et dispersés, fussent
évidés à leur base, au niveau du trou élargi où s’inséraient les cervicales
supérieures.
Tel
un obèle signalant une interpolation falsificatrice dans un manuscrit ancien, d’autres
savants avaient récemment déjoué des canulars préhistoriques, comme le crâne de
Piltdown,
niant toute intelligence à ces bêtes bipèdes rustres et poilues,
encore simiesques, au forcément petit cerveau, tandis que d’autres,
avides de controverses, voulaient qu’on prouvât au contraire l’existence de
grandes connaissances médicales et anatomiques
dès cette époque reculée, en prétendant que nos Cro-Magnon savaient déjà
opérer les têtes en pratiquant la trépanation. Ils déniaient ainsi la réalité
sauvage du cannibalisme, parce que les trous détectés aux pariétaux ou
occipitaux de ces faces lugubres d’ossuaires paléolithiques, outre les
évidements post-mortem, prouvaient aussi la pratique d’interventions
chirurgicales du vivant du spécimen.
Nos
gendarmes progressaient, si l’on peut l’écrire, en terrain miné sans en avoir
conscience. La détrempe du sol s’était encore aggravée du fait de
précipitations répétées, et les bottes avançaient malaisément sur la sente,
s’enfonçant sans cesse dans la gadoue où s’encastraient des branchettes et
brindilles. Il manquait aux forces de
l’ordre républicain un guide indien, un pisteur né, un trappeur, un scout,
qui eût fait dire aux traces tout ce qu’elles avaient à dire, qui aurait
détecté et déchiffré jusqu’aux écorcements artificiels des troncs et aux traces
d’urine ou d’excréments. Peut-être que quelques uns avaient des enfants
inscrits chez les éclaireurs, peut-être que d’autres lisaient Spirou et,
dans cet illustré, La Patrouille des Castors de Michel Tacq. Ça valait
mieux que Le Masque ou que La Série noire.
La
petite colonne était parvenue dans une partie plus sombre du bois lorsque le
gendarme Pichenal s’exclama : « Tiens, un geai bleu ! »
C’était
anodin ; pas de quoi s’alarmer, quoique les oiseaux approchassent de
l’hivernage. En fait, on jouxtait la zone interdite protégée par des gardiens
farouches, le territoire du Couquiou.
Il
y eut un, deux, trois geais qui voletèrent et pépièrent autour des uniformes,
comme des avions de reconnaissance de la Grande Guerre. Mais nos oiseaux ne
tardèrent pas à passer à la phase Guynemer, Garros et Fonck.
« Ah,
merde ! » cria Riboux. Un des volatiles venait de lui cochonner le
képi en déféquant dessus. C’était le coup de semonce numéro 1. D’autres
suivirent, en pluies rapprochées. Cela faisait floc floc, souillait les
vareuses, les bottes, jusqu’aux visages. Ce bombardement devenait diabolique.
Nos gendarmes ressemblaient à des vagabonds harcelés par des pigeons vengeurs
les utilisant comme latrines à colombins.
Puis,
il y eut un bruissement d’ailes, mais puissant, trahissant un gros groupe.
Surgissant des faîtes dépouillés, là, tout en haut, pies grièches et étourneaux
se mirent à pleuvoir en piquets kamikazes sur les représentants de la
maréchaussée. Les hommes avaient beau s’escrimer, ils ne parvenaient pas à
éluder les coups de becs tailladant joues et tissus, arrachant les képis
dégoulinants désormais d’une empoissure puante de guano. Les geais, arrivés
aussi en trombes plurielles, s’en prirent aux orbites afin de les crever. Des
grives, des alouettes et des mésanges nonnettes se mirent de la partie, comme à
la curée. Il était dérisoire de voir nos militaires, le visage et la vareuse
lacérés, sanglants et pourris d’excréments aviaires à l’effluence alcaline, se
débattre comme des pantins pris d’une danse de Saint-Guy. Quelques uns
dégainèrent leur calibre, ayant du mal à ôter le cran d’arrêt, les gants en
lambeaux, les chairs des doigts déchirées par l’acharnement becqué, ne
parvenant pas à viser, un masque de sanguinolence de couronne d’épine
dégouttant de leur front et de leurs prunelles, quasi aveugles. Pichenal reçut
une balle à l’épaule, maladroitement tirée par le gendarme auxiliaire Brépont.
Il vacilla.
Les
blessés se multipliaient, et Dullin, lui-même souffrant de balafres multiples,
se résolut à la retraite, avant que l’hallali des oiseaux eût eu raison de lui
et de ses hommes qu’il devait protéger et épargner car ce n’était plus la
guerre. Tous eurent l’impression que ces petits monstres se fichaient d’eux,
que leurs criaillements et jacassements étaient à la semblance de ricanements
de victoire. Nos gendarmes n’étaient pas des pleutres, tant s’en fallait.
Plusieurs avaient autrefois combattu pour la France Libre ou dans les FFI,
avaient fait le coup de feu contre les boches,
les rebelles coloniaux de Sétif ou de Madagascar. Mais leur déconfiture
fut complète, et ils s’en furent, se débandant, spectacle pitoyable qui aurait
fait enrager jusqu’au plus haut sommet de l’Etat si des caméras avaient filmé
cette actualité particulière diffusée à heure de grande écoute (il n’y
avait de toute façon qu’une unique chaîne de télévision alors que les ventes de
téléviseurs connaissaient une croissance exponentielle dans l’hexagone) dans ce
journal télévisé sacro-saint bien cadenassé et corseté par le pouvoir UNR, qui,
toutefois, avait signé une sorte de pacte de bonne entente avec le PCF, de gentlemen’s
agreement, afin que se préservassent
des espaces de liberté d’expression culturelle vouée aux saltimbanques croyant
contre les géomètres en la mission éducative de l’étrange lucarne comme
on disait alors. Cependant, notre défaite peu glorieuse de gendarmes en
guenilles, micro retraite de Russie du gaullisme, qui n’aurait même pas mérité
qu’un roman policier sarcastique (censuré de toute façon d’office et interdit
de l’émission Lecture pour tous puisque relevant d’un mauvais genre)
en parlât, s’y intéressât, fut gommée avec soin par une presse aux ordres, bien
que L’Humanité, Les Lettres françaises et monsieur Sartre en
eussent eu quelque écho déformé (Boris Vian et Albert Camus n’étaient plus de
ce monde pour ironiser sur cet événement mineur illustratif des limites du
système). Seul le cénacle de la machine politico-judiciaire le sut en interne,
bien que Dullin eût mis des gants pour dresser son PV de fiasco.
C’en
était trop pour le plus illustre des Français qui tonna, tapa du poing
sur la table et exigea qu’on en terminât au plus vite avec cette affaire qui
humiliait et ridiculisait notre République restaurée depuis deux ans dans ses
prérogatives. Le préfet de la Haute-Vienne fut sacqué, démis de ses fonctions,
et le commandant départemental de la gendarmerie muté, ce qui était une
sanction visible pour la hiérarchie.
Mais
l’homme providentiel arriva sur ces entrefaites…
A suivre...
**********
[1]
Allusions à Daphné du Maurier et à Alfred Hitchcock qui interprétèrent à
leur façon cette histoire d’oiseaux.