Nos deux innocentines avaient conçu un langage secret, codé et fleuri, sorte de babélisme amphigourique qu’elles utilisaient pour consigner en des carnets intimes, reliés en cuir de Russie, écrits à deux mains, toutes les cochonneries et polissonneries auxquelles elles se livraient sans trêve. Afin de faire accroire à l’aspect anodin de leur chaude prose, elles renforçaient son inintelligibilité en y accolant des illustrations décalquées des chefs-d’œuvre enfantins permissifs de l’immortel auteur Teuton des inénarrables Max und Moritz.
Les dessins humoristiques du sieur Wilhelm Busch qui avaient leur préférence étaient extraits de Die Fromme Helene, La pieuse Hélène, cruelle et cynique historiette satirique et antireligieuse d’une jeune ivrognesse brune au physique ingrat de lévrier Sloughi,
qui priait la Vierge (et accessoirement feue sa maman) en promettant de ne plus jamais toucher à la dive bouteille. Cependant, in vino veritas : la bonne bouteille de vin sise près de la lampe à pétrole s’avérait si tentante qu’Hélène, abandonnant ses dévotions, y succombait et la vidait toute. Dans son ivresse, elle renversait le luminaire et périssait carbonisée : l’ultime dessin sarcastique et morbide de l’historiette moralisante et acerbe représentait l’âme de la jeune soûlarde s’envoler des restes consumés de son cadavre.
Cependant, Daphné et Phoebé noircissaient une telle quantité de carnets que ceux-ci n’y suffirent plus. Elles durent y accoler des paperolles,
parfois récupérées de papiers aux usages les plus vils. Les deux empuses affectionnaient ces fameux rouleaux hygiéniques révolutionnaires importés du Reich bismarckien, ce qui fâchait Cléore. La comtesse de Cresseville les sermonnait, leur rappelant que mieux eût valu que des fillettes comme elles réapprissent à se torcher à l’ancienne. Il faut dire qu’usant du savoir-faire acquis auprès de leur oncle Dagobert-Pierre, Daphné et Phoebé excellaient à réutiliser les rouleaux de ce papier pour cul. Il n’était point rare qu’elles usassent d’une corde à linge et étendissent ces horreurs triviales à sécher au dehors, attachées à des épingles, telles ces loques d’entrecuisse à menstrues dont Sade et Mirabeau se fussent scatologiquement extasiés et pâmés. Ces feuilles – nos lamies faisaient-elles là preuve de parcimonie et d’avarice ? –, traitées chimiquement par les procédés savants de Dagobert afin qu’elles ne puassent plus le caca et ne fussent point cassantes, voyaient leurs durées de vie et d’utilisation considérablement rallongées.
Adonc, il nous faut bien en venir aux crus et menus détails sur les mœurs particulières des jumelles. Elles n’aimaient pas seulement parfumer leur peau nue de chancissures antiques. Elles adoraient les épices, aussi. Vêtues de leurs seuls pantalons ajourés à triple ouverture érotique, elles se livraient ensemble à de longues séances de saupoudrage et d’assaisonnement de leur épiderme rose : elles saupoudraient torse, dos et abdomen de piment de Cayenne pilé, épiçant ainsi leur corps de sylphides,
puis se léchaient à s’en enflammer les papilles et les sens. En anglais, on les eût surnommées spicy girls. Elles s’allongeaient l’une l’autre sur leur couche après que chacune eut pimenté sa mie, leurs bloomers fendus abaissés fort bas sur leur pelvis de manière à ce qu’ils bâillassent sur leur sexe. Alors, Daphné et Phoebé partaient à la découverte l’une de l’autre, encourageant mutuellement leur langue à aller plus bas, toujours plus bas, jamais assez bas, jusqu’au ras du pubis duveté, jusqu’à la limite des grandes lèvres aussi, révélant à leurs yeux de nymphes enchantés par toutes ces beautés ce duvet naissant d’oiselles blondes, cette douce pubescence à peine amorcée en ces endroits, amorce qui trahissait l’approche inéluctable de leur prochaine entrée dans le royaume merveilleux de la pré-nubilité.
L’absorption de la poudre de piment ne tardait pas à produire ses effets. Filles en feu, elles s’abreuvaient lors et urinaient d’abondance. La valetaille avait dû équiper leur chambre d’une quantité pléthorique de baquets d’eau fraîche et de vases de nuit, sachant ce qu’elles allaient en faire. Perdant alors leur dernier vestige de pudicité et de bienséance, elles arrachaient l’ultime pièce de lingerie les couvrant encore – pour rappel, leurs pantalons brodés, festonnés et ouverts jà abaissés au sexe - et se mettant à croupetons, déversaient leurs flots urinaires alcalins aussi intarissables et insondables que le tonneau des Danaïdes, dans des coupes étrusques hellénistiques à engobe noir, des canthares ornés de figures noires dues au peintre d’Andokidès,
ou encore des vases sigillés gallo-romains d’un beau rouge en provenance des ateliers de Lezoux et de La Graufesenque.
Elles partageaient ensuite cette pisse de fillettes en des agapes délirantes, puis leurs mictions incoercibles repartaient pour des litres et des litres. Leurs intestins irrités et tuméfiés par l’abus d’épices de Calicut, de Cathay, du Coromandel, de Zanzibar, de Cipango et de Formose entraient ensuite dans la danse. Les déjections diarrhéiques de Daphné et Phoebé se multipliaient, liquides ou tout simplement molles, se déversaient, se débectaient dans les mêmes récipients bientôt débordants de ces humeurs immondes, qui se mixaient avec les produits de leurs vessies de poupées. Cela giclait bientôt en s’épandant sur le parterre et les plinthes, sur les meubles aussi, en explosions stupéfiantes de caecum et de côlon, jusqu’à en humecter le plafond et les lits. Les jumelles n’avaient plus qu’à consommer cette manne corporelle insane en une orgie d’enfer. Leur fondement se métamorphosait en gueule éruptive de démon, de quelque Baal-Moloch, en Stromboli, en Etna, en Vésuve, qui éjectaient sans marquer nulle lassitude leur lave en fusion, extravasaient leur merde en liquéfaction putride.
Nous pouvons constater que nos catins étaient portées sur l’amour des excréments. En scatophiles et coprophiles averties, Daphné et Phoebé inaugurèrent une nouvelle espèce de collection bien odoriférante : celle de leurs propres fèces. Elles les classaient selon des règles taxinomiques rigoureuses à l’intérieur de bocaux de verre étiquetés et bien renseignés, selon leur forme, leur couleur, leur nature (les déchets et résidus alimentaires indigestes entrant dans leur composition putride) et leur fragrance première. La conservation de ces produits vils et copronymes était permise par un procédé chimique inventé une fois encore par le grand oncle Dagobert qui avait réponse à tout, procédé qui permettait de préserver indéfiniment la plasticité et flaccidité premières de ces matières fécales et de ces crottes de poupées de porcelaine, d’éviter à la parfin qu’elles se transformassent en coprolithes fossiles. Par contre, malgré des tentatives réitérées, nos blondes démones n’étaient pas parvenues à renfermer leurs vents et autres pets dans les mêmes récipients.
Sans trop s’en rendre compte, impures se croyant encore pures, Daphné et Phoebé contribuaient par leurs hauts faits à la déliquescence de Moesta et Errabunda. Qui mettrait la main sur leurs carnets intimes et parcourrait leurs pages et paperolles d’un œil indiscret, les huerait et vitupérerait, à condition toutefois qu’on en déchiffrât le code. Quant à Lewis Carroll, il avait renoncé à cette paire de petites diablesses auxquelles n’eussent manqué que les petites cornes, préférant terminer son séjour en parties de thé, de croquet, de volant et d’énigmes mathématiques avec d’autres amies-enfants plus acceptables : Jeanne-Ysoline, Sixtine et surtout la petite nouvelle Nelly-Rose et ses padous tout blancs. Séduit par sa mélancolie et ses grands yeux pleureurs, Dodgson ne cessa pas de la gâter et de la consoler en lui offrant de petits gâteaux anglais que l’on nomme cookies. La tristounette petite rousse regrettait encore la perte de son singe et de son orgue de Barbarie. Ce fut tout juste si le révérend ne manqua pas l’emmener avec lui tant elle était adorable et attendrissante.
La seule leçon que Daphné et Phoebé avaient retenue de leur rencontre avec Charles Dodgson était d’ordre technique : telle une Castiglione, elles se prirent d’une passion immodérée pour la photographie. Certes, outre les trois clichés vaporeux incriminés tantôt, dignes de Bilitis et de Sappho, avec leurs vestiges suggestifs de draperies grecques qui les dévoilaient plus qu’ils les vêtaient, sans omettre l’épisode de l’anandryne avec l’épreuve aux pelisses, les jumelles avaient dû se soumettre aux nouveaux rituels d’enregistrement des gamines instaurés par Cléore, à ses photos décrites plus haut. Cléore avait usé, comme l’on sait, des méthodes de catalogage de Monsieur Bertillon et de l’anthropologie physique de Paul Broca. Daphné et Phoebé s’étaient donc plié à la mesure de leur angle facial et à celle de leur capacité crânienne – que Mademoiselle de Cresseville trouva bien supérieure à celle des femmes adultes ordinaires réputées fort idiotes - conformément au traité américain dit Crania Americana de Samuel George Morton, publié à Philadelphie en 1839.
Cependant, se prenant au jeu de l’œil de la camera oscura, nos Dioscures firent l’acquisition de leur propre appareil à la condition que Délia officiât tandis qu’elles se mettraient en scène. Elles avaient décidé exclusivement de fixer sur l’image leurs pratiques spéciales et démentielles à connotation saphique. Elles s’arrangeaient à être préalablement dans les vapeurs, ayant fumé un mélange extravagant mêlant opium, kif, bétel et nard. Ainsi ensuquées, comme l’on dit chez les Occitans, elles se préparèrent lors pour la première photographie en leur chambre boudoir sous l’œil attentif de Délia. Gaie comme un pinson, la jeune dépravée d’Erin admira Daphné déshabiller sa sœur à demi assommée par les stupéfiants, jusqu’à ce qu’elle ne conservât que bottines noires, bas, jarretières, pantaloons et une sorte de mignonne chemisette de lingerie brodée toute légère, sans manches, lacée derrière, qu’elle laissa grande ouverte sur le dos afin qu’apparût la peau nue de Phoébé.
Puis, elle suspendit cette dernière, qui gémissait, au lustre à girandoles, en l’attachant avec des cordages très serrés, de manière à ce que ses jambes pendissent sans tabouret ni escabeau pour retenir ses pieds. Tenue par la seule force de ses bras, la mignonne poupée en dessous, la peau des bras presque arrachée par la forte corde de chanvre, poussait de petits hululements de douleur et de plaisir. Lors, Daphné se saisit de l’arme de géhenne, un battoir à tapis, élargit l’ouverture de derrière des panties de coton de sa jumelle insigne jusqu’à déchirer cette fragile lingerie fine et commença à la raviver en la battant au cul et au dos, comme elle l’eût fait d’un perse empesé de poussière, en demandant à Adelia de prendre lors le cliché. Elle avait placé un vase de nuit de Delft sous les pieds oscillants de Phoebé, en prévision des liqueurs de jouissance qui ne manqueraient pas de jaillir de son entrefesson à cause de l’orgasme provoqué par les coups de battoir.
L’afflux traumatique, thanatonique et érotique prodigué par le châtiment corporel savoureux rallumait l’éclat céruléen des prunelles de la jolie enfant jusque là vitreuses et hyalines, ce qui trahissait son état de droguée. Plus les marbrures violines augmentaient, plus la sensation de délice submergeait notre jumelle et, fait immanquable, inénarrable, l’entrecuisse de ses pantalons se tachait de mouillures. Daphné poursuivait sa tâche punitive, et, lorsque son œil exercé constatait l’ampleur et l’extension croissantes de la tache humide du linge de Phoebé et le début de contractions d’épreintes de son bassin trahissant l’irrépressible envie de tout éjecter, elle cessait et ouvrait carrément le bouton nacré que l’on sait, devenu tout poisseux. Elle s’en léchait les doigts tandis que, tel un épulon présidant à la préparation d’un festin antique en l’honneur d’un dieu indigète gréco-romain, elle laissait se déverser dans le vase de Delft le liquoreux cédrat de l’aimée-double, cette offrande vaginale, ce nectar mystique qui servirait d’oblation aux trois jeunes gosiers sis en cette chambre de bamboche. Il n’était point rare qu’à cette ambroisie ou à cet hypocras se mélangeassent des sanies diverses et de l’urine de cette nymphe ne se retenant mie. Lors, Délia prenait une deuxième photo. Il eût fallu qu’elles bussent autre chose que ces cochonneries.
Quelquefois, le bayou intime de Phoebé était aussi sec que si elle eût souffert de frigidité ou recouvré l’absence de réaction sensuelle du temps de ses huit ans. Daphné, par devoir sororal, se devait de ranimer l’ardeur de sa jumelle, de guérir cette sécheresse interne, afin que s’humidifiassent de nouveau cette maremme toscane et ces marais Pontins. Sa langue se mettait de la partie et sollicitait les sens endormis de la nymphe sacrée. Là, il fallait que ce fût Adelia qui battît cul et dos tandis que Daphné entreprenait buccalement le sexe de sa sœur, une fois bien écartée l’ouverture stratégique de ses pantaloons. Alors que l’index droit de la maligne fillette tripotait, palpait et lissait le petit organe secret aux fonctions érectiles, sous le contexte des coups du battoir à tapis, la vulve de Phoebé était fouaillée par des acrobaties linguales coruscantes. Cette langue danseuse de cordes, agile comme un singe ou comme un funambule, parvenait à pénétrer au sein même du marécage interne de la consentante enfant qui bientôt frémissait, tremblait et haletait alors que son sexe rougissant sous l’assaut subissait une nette intumescence préparatoire au rut. Les papilles de Daphné se promenaient au sein du Canaletto, de la grotte aux mille concrétions de chair, boyau où les émissions salivaires s’ajoutaient à la lubrification enfin ravivée.
La jeune chienne gémissante au cœur battant la chamade sentit lors toute la bouche de sa sœur marie-salope en elle, bouche qui mordilla jusqu’à l’indicible les mucosités et viscosités internes de sa zone inondable. Donc, si l’on peut l’écrire, l’eau, ou plutôt la liqueur féminine, revenait enfin, mêlée de sang, arrosant de sa pluie salvatrice et gluante toute la figure de l’aimée qui l’ingurgitait et s’en gobergeait. Délia prenait alors un autre cliché pornographique, à l’instant exact où le jet de la fontaine de Siloé vulvaire inondait la juvénile Jézabel. Elle suppliait Daphné de partager ces agapes et elle lui cédait lors la place. Vidée, Phoebé retombait peu après dans son inertie d’opiomane. Il n’était point rare que quelques poils duveteux restassent entre les dents, que Daphné ou Adelia les crachassent.
Les personnes prudes, si elles se lassent de tout ce déballage inconséquent et complaisant de débauches, sont autorisées à sauter des pages et à se rendre à l’instant où Monsieur Nikola Tesla, le concepteur de la Mère, de la serre solaire, du double-transfuseur sanguin électrique et d’autres choses encore, entre en scène. Les autres, moins pudibondes, peuvent poursuivre leur lecture édifiante de tous ces éloquents et pétulants exploits de candides expertes d’à peine treize ans fêtés depuis quelques jours.
Adonc, pour les courageux et courageuses hypocrites (certains et certaines peuvent se voiler la face tout en feuilletant en cachette ce roman d’Ancien Régime), nos Dioscures de la nouvelle Gomorrhe aimaient à ce qu’on les liât ventre à ventre à l’aide de bandelettes de lin et de jute qui servaient d’ordinaire à confectionner ces fameux pagnes de fakirs hindous et autres brahmanes mendiants, réputés parcourir les campagnes en quémandant quelques roupies, moyennant une petite représentation de leurs tours, entre autres, soulever et faire tournoyer des gros cailloux par la seule force de leur phalle. Ce pagne en bandelettes, immémorial dessous jà inventé sous l’Antiquité égyptienne, écru et moisi, les ceignant toutes deux, Daphné et Phoebé utilisaient encor Délie comme comparse de leur salauderie en lui demandant de leur apporter les différents instruments de plaisir doloriste. Nues à l’exception de leurs bas et bottines et de la saleté les entourant et les attachant telles des siamoises (en cela, quelques mois au-delà, ainsi que nous l’avons jà rapporté, Jeanne-Ysoline devinera leurs penchants), tissus pourris d’une teinte terreuse qu’on eût crus tirés de quelque momie de Psammétique rongée par l’humidité du Delta du Nil, les jumelles, disions-nous, désignaient à Délia, parmi les instruments qu’elle leur présentait sur un coussin de velours grenat, ceux ayant ce jourd’hui leur faveur sadique. Je ne vais pas vous faire accroire à une resucée du marquis de Sade mais vous exposer de nouvelles inventions de plaisir, héritées de l’Art pour l’Art et de l’exotisme anglomane du magasin Liberty. Sachez que lorsqu’on musarde et furette dans les docks londoniens, à Wapping, Whitechapel ou Limehouse, on peut mettre la main sur les objets les plus incroyables destinés à un commerce interlope clandestin tenu par des lords décadents, où l’ylang-ylang n’est pas le plus intéressant. Ces lords smugglers se livrent à une contrebande efficace d’objets exotiques on ne peut plus spéciaux, (du Liberty sous le manteau, si l’on veut) qu’on retrouve ensuite, acquis à prix d’or, dans des alcôves ou bordels encore plus spécialisés dans certaines pratiques…hem.
Adelia avait lors proposé aux jumelles qu’elles se cinglassent le dos à coups de trique, de tape-mouche, de cravache, de verges ou de fléaux chinois de Hongkong sur lesquels elles arrêtèrent leur choix. Ces objets asiates, appelés en japonais nunchakus,
ressemblaient de fait à des fléaux à battre le blé, mais en réduction. Cependant, ils étaient chinois, car employés dans un art martial du cru, art qu’enseignaient des moines du douzième degré ou dan du monastère à bonzes dit Shaolin, qui arboraient comme tenue de combat une ceinture pourpre et noire nouée sur un kimono de soie. Nous savons qu’Elémir s’était inspiré pour les grades de Moesta et Errabunda, de ceux des arts martiaux de Cipango ou de Cathay. Le grade de Cléore correspondait de fait à celui du Supérieur de Shaolin ou Grand Maître. Les fléaux, pour eux, constituaient des armes de défense, non d’attaque, contre les rônins et bandits de grand chemin qui écument le Japon et la Chine. Importés par les Anglais depuis la guerre de l’opium, ils s’acclimatent désormais en France, pour l’us exclusif de certains lupanars pour lesquels la schlague s’est banalisée sous les assauts du raffinement de l’Aesthetic Movement. Ces fléaux sont noirs, fort durs, en un bois incorruptible, avec des chaînes d’acier. Ils nécessitent une souplesse, une dextérité et une promptitude de maniement nonpareilles. Il fallait croire que Daphné et Phoebé possédaient le don inné de la souffrance jouissive en manipulant ces choses. Elles se frappaient dorsalement l’une l’autre, à s’en rompre l’échine, multipliant les meurtrissures infâmes jusqu’à ce qu’elles fussent fourbues et s’effondrassent repues.
Daphné et Phoebé avaient pareillement inventé le déshabillage pianistique : vêtues en petites filles modèles, sans qu’aucun ruban ne manquât à l’appel, elles entamaient des œuvres à quatre mains de messieurs César Franck, Gabriel Fauré et Emmanuel Chabrier, car fort ouvertes aux sonorités de la musique moderne. Seulement, elles passaient leur temps à taper à côté, sachant qu’une erreur de note signifiait ôter une touche du clavier et une pièce de leur toilette. On devine qu’elles multipliaient les bourdes et qu’il est de plus en plus délicat de jouer sur un piano dépouillé de plus en plus de touches. Cet effeuillage s’effectuait devant les Dames attentives et obsédées par ce dévoilement progressif des appas de nos nymphes. A ce régime allègre et burlesque, il était inévitable qu’elles achevassent leur leçon de musique en fort petite et suggestive tenue. Résultat de tout ce schproum, Daphné se retrouvait le bas du corps à l’air à l’exception du gainage soyeux de ses jambes enfantines, la gorge cependant encore couverte d’une ravissante brassière de lingerie en gaze et mousseline toute vaporeuse et transparente, découvrant en sus le nombril de la belle enfant, et qui ne cachait donc pas grand’chose. Quant à Phoebé, elle était nu-torse et nu-jambes, n’ayant plus sur elle que ses seuls bloomers fendus de tous les côtés, où là aussi, ce linge de plus-que-nue permettait de tout admirer de sa grâce pré-nubile. Les jumelles, accoutumées à l’étalage de leur anatomie, ne s’empourprèrent point. Par contre, leurs oreilles perçurent l’extase des clientes, leurs soupirs dérangeants. Ce soir là et d’autres encor, nombreux furent les sièges capitonnés des poufs, des sièges et des fauteuils à gluer des sécrétions de toutes ces anandrynes, au désespoir de Cléore qui dut changer ce mobilier irrécupérable.
Quand elles étaient lasses de tous ces petits jeux turpides, nos sœurs tribades se retiraient dans le fameux cabinet aux poupées, où Cléore entreposait les effigies de cire des pensionnaires, collection qui ne cessait lors de s’étoffer à chaque nouvelle arrivante. En ce musée Tussau qui instillait une impression de malaise, elles contemplaient leurs répliques tel un Narcisse son reflet, s’extasiant du rendu exact cireux de leur exquisité de craie blonde translucide, de la quintessence de leur peau de malades chlorotiques et leukémiques, où l’artiste sculpteur minutieux était parvenu à reproduire le réticulé des vaisseaux sanguins qui transparaissaient sous l’épiderme de leurs tempes de fillettes post-fœtales et au dos de leurs mains. Elles touchaient et caressaient les joues décolorées, humaient aussi l’odeur passée et pulvérulente des tissus sciemment vieillis des robes empesées de ces poupées, ces damas et brocarts étiolés de pruine. Elles regrettaient cependant que Cléore ne les eût pas vêtues en Salomé. Daphné était tout de même fascinée par sa réplique en Claude de France, reine fragile entre toutes, tandis que Phoebé mirait la sienne en Marguerite d’Autriche, comme si elle se fût elle-même contemplée dans une psyché.
Or, pour ne point accentuer le trouble de la tromperie, tous les miroirs du cabinet aux poupées de cire étaient sans tain. En tâtant le dessous des jupes de Claude de France,
Daphné constata qu’elle arborait un trousseau complet, puis, poussant son exploration plus avant, réalisa ô combien ces reproduction étaient réalistes : il ne leur manquait même pas le sexe bien qu’elle déplorât l’absence de toison, l’habileté des artistes n’allant pas jusque là. Alors, comme obéissant au signal d’Onan, nos deux gourgandines se livrèrent à une nouvelle forme de débauche sur leurs reflets de cire damassés. Relevant leurs robes, elles commencèrent à se frotter contre leurs statues avec extase et frénésie, pratiquant sur ces alter-egos inanimés une singulière forme de viol masturbatoire. Lorsqu’une autre visiteuse s’alla admirer ces effigies (il s’agissait de Sixtine), elle remarqua que Claude de France et Marguerite d’Autriche avaient leurs vêtements en désordre, plus passés que de coutume, et semblaient singulièrement empoissées – leurs visages particulièrement – d’une glue inconnue. Daphné et Phoebé s’étaient bel et bien livrées à des choses indescriptibles sur leurs autres elles-mêmes…
Fascinées par les choses d’Asie, par les traditions érotiques sino-japonaises, Daphné et Phoebé acquirent sur leurs propres deniers d’étonnants godemichés, dont le célèbre tétra-foutre dont nous reparlerons tantôt avec ses dérivés et le baguenaudier qu’elles volèrent à Dodgson. En attendant, le temps est venu d’évoquer l’affaire du Traité des massages siamois attribué au roi Po-Khun Ramkhamhaeng dit Rama le Fort ou le Hardi (1239-1317), traduit en anglais par Richard Burton et en français par Elémir de la Bonnemaison, ouvrage maudit à l’origine de deux assassinats : le premier ministre Spencer Perceval et le dramaturge August von Kotzebue, sans oublier la polémique artistique sans fin entre Ruskin et Millais
à propos de ses gravures, authentiques pour Millais, faux grossiers pour Ruskin, qui en attribuait la paternité à William Blake et à Füssli. Sans doute cette querelle dissimulait-elle un bas motif de jalousie. John Everett Millais, dont John Ruskin avait constitué le soutien critique après qu’il eut défendu Turner, avait en quelque sorte volé la femme du critique d’art, Effie Gray. On sous-entendait que l’aversion de Ruskin pour la toison pubienne touffue de son épouse avait été l’une des causes profondes de la rupture de leur union. Le point commun entre Spencer Perceval, assassiné par John Bellingham en 1812 alors qu’il était chef du gouvernement de Sa Majesté (plus exactement du Régent George), et Kotzebue, dramaturge devenu espion au service du tsar Alexandre 1er, qui avait été occis par l’étudiant en théologie libéral Karl Ludwig Sand en 1819, outre leur mort violente, était constitué par la possession du manuscrit du Traité de Rama le Hardi non encore traduit de l’antique langue Môn, traité dont la nature érotique était des plus connues et que les assassins convoitaient. Ce fut pourquoi Daphné et Phoebé, nouvelle excentricité onéreuse, exigèrent de Cléore qu’elle recrutât une authentique masseuse siamoise qui appliquerait sur elles les différentes figures extraites des illustrations de cet ouvrage, dont elles avaient déniché dans la bibliothèque de l’Institution un des exemplaires de l’édition française. Cléore, trop magnanime, céda à leur caprice d’aristocrates maladives. Ce fut Elémir qui lui envoya la masseuse, qu’elle dut payer cinquante francs or la semaine. La comtesse de Cresseville, de même que Délia, ne se privèrent pas de tels services émollients. La jeune siamoise (seize ans à peine) exécuta les figures de massage XV, XVII, XXI, XXIII, XXX et XLI, réservées aux femmes aimant les femmes. Les jumelles apprécièrent en particulier la figure XXX, qui consistait en un massage des seins, du ventre et du pubis accompli par l’exécutante de ces soins de beauté asiatiques : ce massage devait être appliqué à califourchon sur la cliente et effectué exclusivement par les fesses et le sexe de l’intervenante, qui parcouraient en les frottant jusqu’à l’extase les parties visées par la manœuvre. Le tout s’achevait en inondations générales. Le plus voluptueux pour la masseuse elle-même était le stade où chaque aréole dressée et turgescente d’excitation des pousses de Daphné et Phoebé la pénétrait à tour de rôle. Elle dégorgeait lors sa liqueur intime sur chaque petit sein qui s’y engluait avant que les gamines horribles se redressassent et que chacune léchât l’empois de la poitrine de sa sœur. La jeune Asiatique, dont le corps, très menu, était à peine plus formé que ceux de ses vicieuses clientes, gazouillait dans son dialecte natal intraduisible, où les l remplaçaient les r. Cependant, ses éructations extatiques, elles, s’avéraient compréhensibles dans toutes les langues terrestres. Inutile de décrire les autres figures tout aussi imaginatives : il est plus que temps d’accélérer pour celles et ceux qui s’impatientent de Nikola Tesla en passant aux godemichés ou pluri-foutres. Ne vous effarouchez pas, lectrices et lecteurs prévenus, à l’énumération de ces types d’instruments extasiants.
Nous savons qu’il existe plusieurs types de petits objets de plaisir que l’on nomme godemichés. Certains sont dits simples et permettent à une Dame seule de satisfaire ses envies sans l’intervention d’une tierce personne. Mais, dans le cadre d’une relation entre deux Dames s’aimant d’amour tendre, comme il faut bien un substitut au membre mâle, le choix existe entre foutre simple permettant à la Dame qui joue le rôle du Monsieur à combler d’aise sa mie sans toutefois qu’elle-même en éprouve quelque pénétrante jouissance, et foutre double, qui aide à l’assouvissement mutuel du désir. Cependant, certains foutres doubles s’avèrent spécialement conçus pour Dames seules adeptes de l’onanisme par les deux orifices.
Daphné et Phoebé de Tourreil de Valpinçon avaient de si dépravées coutumes qu’elles ne savaient plus comment jouir à deux : bien renseignées par les innombrables traités de toute sorte qui encombraient les étagères des bibliothèques infernales de Cléore et d’Elémir, instruites aussi par Adelia, elles avaient réclamé à cor et à cri que la comtesse de Cresseville leur commandât un objet tout neuf et innovant : le tétra-foutre, enfourché en couple et efficace pour les deux trous que l’on sait. Les perfectionnements techniques incessants permettaient d’envisager des objets rétractables et redressables, parfois munis de petits réservoirs emplis d’un substitut liquoreux de semence mâle, pouvant donner l’illusion d’un jet d’éjaculat en la double intimité des utilisatrices. On annonçait jà d’autres innovations, pour des instruments toujours plus onéreux, mus à la fée électricité à l’aide de petites dynamos de monsieur Zénobe Gramme, de piles électriques de Volta ou même de systèmes de bobines de Ruhmkorff. Ces foutres, pluriels ou uniques, devaient vibrer au sein sacré des canaux intimes des pratiquantes de ce vice, ainsi transfigurées par le plaisir d’une manière non anagogique. Mais Cléore n’envisageait point d’acheter sous le boisseau de telles inventions, anglaises et américaines, au coût prohibitif, quelles que fussent les réclamations des deux gourgandines. Elles durent donc se contenter d’un simple tétra-foutre primitif en acajou précieux, teck, jacaranda et divers autres bois tropicaux tendres composites, gainé d’authentiques peaux humaines de phalles provenant de sauvages Papua ou Pahouin tués exprès en plein rut lors de parties de chasse immorales, ces peuplades étant réputées pour leur virilité exacerbée. La perfection du tétra-foutre exigeait que les grands chasseurs blancs au casque tropical en liège occisent leur proie au moment où l’optimum du redressement de son vit était atteint et qu’ils l’abattissent avant qu’elle éjaculât. Pour cela, il fallait qu’ils usassent de femmes-chèvres, des sauvages entièrement nues, qu’ils plaçaient comme appâts.
Dans une institution conçue pour perpétuer l’espèce des anandrynes, le refus de Daphné et Phoebé de n’aimer d’autres personnes qu’elles-mêmes comme on aime son reflet – ambivalence suprême – apparaissait à la semblance d’une pratique contre nature vouée à la stérilité. Singulière passion que celle-là, où chacune parvenait à s’accoupler en quelque sorte à elle-même, à ce reflet fait chair, à s’auto-satisfaire égoïstement en des rituels amoureux d’une inconcevable complexité, comble d’un raffinement érotique pervers qui marquait en son perfectionnement suprême l’apogée d’une civilisation vouée à l’art pour l’art, y compris dans ce qu’il a de plus trivial. Reflet…si semblable, si différent aussi de soi, si loin, si proche…
En quelque sorte, Daphné et Phoebé, contemplatives pornographes d’à peine désormais treize ans, étaient les plus novatrices d’entre les nouvelles anandrynes, bien qu’elles ne pussent avoir aucune postérité immédiate. Elles avaient inventé le plaisir solitaire à deux. L’une était l’autre, l’autre était soi, moi était elle, je était nous…jeux troublants sans cesse recommencés où la fusion des doubles engendrait une unicité plurielle et neuve…
Lorsque la séance de tétra-foutre commençait, Daphné demandait à Phoebé : « Trousse-moi et lutine-moi. » et Phoebé de répondre : « Moi itou. ». Elles s’entreprenaient lors mutuellement par leurs deux orifices, jusqu’à ce qu’elles s’inondassent du plaisir partagé et multiple et n’en pussent mais. Leurs cris d’extase nocturne parvenaient à percer les murs de leur chambre et à troubler le sommeil de leurs petites voisines. Lorsqu’elles s’effondraient, trempées et fourbues, une fois l’objet quadruple retiré, leur entrefesson échauffé exhalait, par le biais des écoulements que l’on sait, presque à la semblance du pus, un fumet soufré des plus incommodants, mais propre à exercer une forte attraction sur les hommes, si toutefois nos poupées eussent été de la classique orientation sexuelle dite majoritaire. Ce fait est fort connu : la crasse et la fragrance des putains attirent les messieurs comme l’aimant le fer, d’autant plus lorsque celles-ci sont d’âge encor tendre mais jà expertes. Elles jouent de leurs froufrous, affichent leurs jupes sales, souillées et traînassantes avec ostentation. Déguenillées par leur vice, ces filles syphilitiques épandent leur contagion épidémique, pourrissant tous les cadres de la Gueuse qui les fréquentent avec assiduité. Ne sont-elles point elles-mêmes l’incarnation de cette Gueuse ?
Heureusement pour elles, une déesse de la débauche semblait protéger les jumelles : elles ne mirent jamais la main sur le godemiché suprême, le seppuku de la geisha, car elles ignoraient la combinaison du coffre de Cléore, au contraire de Délie.
Nous poursuivons le catalogue exhaustif et exubérant des objets, en omettant toutefois cet instrument propre au siècle de la douceur de vivre dit le foutre à soubrette, voué avant tout aux amours ancillaires.
Il existait un triple-foutre pour Dame seule adepte des plaisirs simultanés de bouche, d’anus et de sexe. Si Daphné et Phoebé avaient souhaité en jouir, elles eussent dû faire mettre au point un modèle dérivé pour deux dit hexa-foutre pour couple d’anandrynes. La caractéristique de cet objet était son troisième membre artificiel, souple, très long, et pourvu d’un système à réservoir permettant que le sirop séminal ou son succédané giclât dans l’orifice buccal de la pratiquante pendant qu’elle s’entreprenait avec les deux autres par devant et par derrière. Cet appareil coruscant avait un inconvénient majeur qui freinait sa fréquente utilisation : la nécessité de remplir régulièrement le réservoir et d’acheter des doses de liqueur spermatique réelle ou synthétique. Il eût fallu pour cela moderniser d’une façon considérable la manière de réfrigérer et de conserver ce sperme, donc de disposer de sortes de banques avec des donneurs volontaires ou forcés, sauvages ou autres.
Daphné et Phoebé n’étant que deux, elles n’eurent jamais à utiliser d’autres catégories plurielles permettant à trois, quatre, voire jusqu’à six ou douze dames de s’encanailler en groupes pour ne point écrire en grappes. Imaginez d’ailleurs une grappe de raisin à laquelle on a enlevé tous ses grains et vous pourrez vous faire une idée par exemple des penta, hexa, hepta, octo, ennéa, déca, hendéca et enfin dodéca-foutre avec deux modèles différents pour ce dernier godemiché : celui pour six dames pénétrées par deux orifices et celui pour douze par un seul, au choix du trou. On annonçait la prochaine importation d’Angleterre d’un objet encore plus délirant et révolutionnaire : le triskaidéca-foutre, soit jusqu’à treize tribades ou putains sur le même instrument. A ce rythme, on pourrait bientôt mettre en grappe tout l’escadron des filles de joie du Chabanais pour un spectacle saphique onaniste unique !
Lorsqu’il plia bagage, Charles Dodgson s’aperçut que son baguenaudier avait disparu. Il songea d’évidence à un vol, mais ne put émettre aucun soupçon précis. « Bah, se dit-il, j’en acqu…acquerrai un au…autre. » Il ne conclut jamais à la culpabilité de Daphné et Phoebé qui profitèrent de ce petit larcin pour s’adonner à des expériences encore plus traumatisantes et exaltantes. Elles qui avaient l’habitude de lécher les blessures de leurs coups de fouet voire de s’amuser à s’arracher, parfois à coups de dents, des lambeaux de peau écorchés pendouillant de leurs plaies traumatiques, surent détourner le baguenaudier chinois pour le métamorphoser en inédit godemiché. Le maniement de ce casse-tête nécessitait en temps ordinaire une habileté confondante ; ce que nos jumelles en firent eut quelque chose de presque surhumain, usage qui pouvait leur prodiguer des déchirures internes irréversibles voire létales. Elles ne l’expérimentèrent qu’une seule fois, et cela fut si douloureux et atroce que cela leur servit de leçon.
Une fois de plus, ce fut Phoebé que le sort désigna pour servir de consentant cobaye et de souffre-douleur. Elle se déculotta tandis que Daphné tentait d’introduire le baguenaudier dans l’anus de la mie. Elle supposait qu’une fois placé, le jeu de plaisir consistait à l’y ôter soit par la force d’un foutre réel qui devait non seulement parvenir à entrer dans chacun des neuf anneaux, mais ensuite retirer le tout du cul par sa seule force virile, si l’on peut dire, soit, disions-nous, par l’emploi d’un phalle artificiel à condition qu’il eût assez de souplesse pour que les deux poupées se livrassent à cet exercice où le risque de mutilation des viscères était grand. Autant écrire qu’elles échouèrent en usant de la seconde méthode, la seule disponible, et que Phoebé fut victime d’une hémorragie anale conséquente, dont sa sœur empuse se régala, certes, mais à cause de laquelle elle dut demeurer un mois à l’infirmerie son postérieur bandé après avoir subi une petite opération qui la mutila d’une partie de son intestin. Elle ne put lors plus déféquer que dans des sacs ou poches spéciaux. Sur ces entrefaites, alors que nous étions en décembre 18., Nikola Tesla arriva, mandaté par Cléore.
Les dessins humoristiques du sieur Wilhelm Busch qui avaient leur préférence étaient extraits de Die Fromme Helene, La pieuse Hélène, cruelle et cynique historiette satirique et antireligieuse d’une jeune ivrognesse brune au physique ingrat de lévrier Sloughi,
qui priait la Vierge (et accessoirement feue sa maman) en promettant de ne plus jamais toucher à la dive bouteille. Cependant, in vino veritas : la bonne bouteille de vin sise près de la lampe à pétrole s’avérait si tentante qu’Hélène, abandonnant ses dévotions, y succombait et la vidait toute. Dans son ivresse, elle renversait le luminaire et périssait carbonisée : l’ultime dessin sarcastique et morbide de l’historiette moralisante et acerbe représentait l’âme de la jeune soûlarde s’envoler des restes consumés de son cadavre.
Cependant, Daphné et Phoebé noircissaient une telle quantité de carnets que ceux-ci n’y suffirent plus. Elles durent y accoler des paperolles,
parfois récupérées de papiers aux usages les plus vils. Les deux empuses affectionnaient ces fameux rouleaux hygiéniques révolutionnaires importés du Reich bismarckien, ce qui fâchait Cléore. La comtesse de Cresseville les sermonnait, leur rappelant que mieux eût valu que des fillettes comme elles réapprissent à se torcher à l’ancienne. Il faut dire qu’usant du savoir-faire acquis auprès de leur oncle Dagobert-Pierre, Daphné et Phoebé excellaient à réutiliser les rouleaux de ce papier pour cul. Il n’était point rare qu’elles usassent d’une corde à linge et étendissent ces horreurs triviales à sécher au dehors, attachées à des épingles, telles ces loques d’entrecuisse à menstrues dont Sade et Mirabeau se fussent scatologiquement extasiés et pâmés. Ces feuilles – nos lamies faisaient-elles là preuve de parcimonie et d’avarice ? –, traitées chimiquement par les procédés savants de Dagobert afin qu’elles ne puassent plus le caca et ne fussent point cassantes, voyaient leurs durées de vie et d’utilisation considérablement rallongées.
Adonc, il nous faut bien en venir aux crus et menus détails sur les mœurs particulières des jumelles. Elles n’aimaient pas seulement parfumer leur peau nue de chancissures antiques. Elles adoraient les épices, aussi. Vêtues de leurs seuls pantalons ajourés à triple ouverture érotique, elles se livraient ensemble à de longues séances de saupoudrage et d’assaisonnement de leur épiderme rose : elles saupoudraient torse, dos et abdomen de piment de Cayenne pilé, épiçant ainsi leur corps de sylphides,
puis se léchaient à s’en enflammer les papilles et les sens. En anglais, on les eût surnommées spicy girls. Elles s’allongeaient l’une l’autre sur leur couche après que chacune eut pimenté sa mie, leurs bloomers fendus abaissés fort bas sur leur pelvis de manière à ce qu’ils bâillassent sur leur sexe. Alors, Daphné et Phoebé partaient à la découverte l’une de l’autre, encourageant mutuellement leur langue à aller plus bas, toujours plus bas, jamais assez bas, jusqu’au ras du pubis duveté, jusqu’à la limite des grandes lèvres aussi, révélant à leurs yeux de nymphes enchantés par toutes ces beautés ce duvet naissant d’oiselles blondes, cette douce pubescence à peine amorcée en ces endroits, amorce qui trahissait l’approche inéluctable de leur prochaine entrée dans le royaume merveilleux de la pré-nubilité.
L’absorption de la poudre de piment ne tardait pas à produire ses effets. Filles en feu, elles s’abreuvaient lors et urinaient d’abondance. La valetaille avait dû équiper leur chambre d’une quantité pléthorique de baquets d’eau fraîche et de vases de nuit, sachant ce qu’elles allaient en faire. Perdant alors leur dernier vestige de pudicité et de bienséance, elles arrachaient l’ultime pièce de lingerie les couvrant encore – pour rappel, leurs pantalons brodés, festonnés et ouverts jà abaissés au sexe - et se mettant à croupetons, déversaient leurs flots urinaires alcalins aussi intarissables et insondables que le tonneau des Danaïdes, dans des coupes étrusques hellénistiques à engobe noir, des canthares ornés de figures noires dues au peintre d’Andokidès,
ou encore des vases sigillés gallo-romains d’un beau rouge en provenance des ateliers de Lezoux et de La Graufesenque.
Elles partageaient ensuite cette pisse de fillettes en des agapes délirantes, puis leurs mictions incoercibles repartaient pour des litres et des litres. Leurs intestins irrités et tuméfiés par l’abus d’épices de Calicut, de Cathay, du Coromandel, de Zanzibar, de Cipango et de Formose entraient ensuite dans la danse. Les déjections diarrhéiques de Daphné et Phoebé se multipliaient, liquides ou tout simplement molles, se déversaient, se débectaient dans les mêmes récipients bientôt débordants de ces humeurs immondes, qui se mixaient avec les produits de leurs vessies de poupées. Cela giclait bientôt en s’épandant sur le parterre et les plinthes, sur les meubles aussi, en explosions stupéfiantes de caecum et de côlon, jusqu’à en humecter le plafond et les lits. Les jumelles n’avaient plus qu’à consommer cette manne corporelle insane en une orgie d’enfer. Leur fondement se métamorphosait en gueule éruptive de démon, de quelque Baal-Moloch, en Stromboli, en Etna, en Vésuve, qui éjectaient sans marquer nulle lassitude leur lave en fusion, extravasaient leur merde en liquéfaction putride.
Nous pouvons constater que nos catins étaient portées sur l’amour des excréments. En scatophiles et coprophiles averties, Daphné et Phoebé inaugurèrent une nouvelle espèce de collection bien odoriférante : celle de leurs propres fèces. Elles les classaient selon des règles taxinomiques rigoureuses à l’intérieur de bocaux de verre étiquetés et bien renseignés, selon leur forme, leur couleur, leur nature (les déchets et résidus alimentaires indigestes entrant dans leur composition putride) et leur fragrance première. La conservation de ces produits vils et copronymes était permise par un procédé chimique inventé une fois encore par le grand oncle Dagobert qui avait réponse à tout, procédé qui permettait de préserver indéfiniment la plasticité et flaccidité premières de ces matières fécales et de ces crottes de poupées de porcelaine, d’éviter à la parfin qu’elles se transformassent en coprolithes fossiles. Par contre, malgré des tentatives réitérées, nos blondes démones n’étaient pas parvenues à renfermer leurs vents et autres pets dans les mêmes récipients.
Sans trop s’en rendre compte, impures se croyant encore pures, Daphné et Phoebé contribuaient par leurs hauts faits à la déliquescence de Moesta et Errabunda. Qui mettrait la main sur leurs carnets intimes et parcourrait leurs pages et paperolles d’un œil indiscret, les huerait et vitupérerait, à condition toutefois qu’on en déchiffrât le code. Quant à Lewis Carroll, il avait renoncé à cette paire de petites diablesses auxquelles n’eussent manqué que les petites cornes, préférant terminer son séjour en parties de thé, de croquet, de volant et d’énigmes mathématiques avec d’autres amies-enfants plus acceptables : Jeanne-Ysoline, Sixtine et surtout la petite nouvelle Nelly-Rose et ses padous tout blancs. Séduit par sa mélancolie et ses grands yeux pleureurs, Dodgson ne cessa pas de la gâter et de la consoler en lui offrant de petits gâteaux anglais que l’on nomme cookies. La tristounette petite rousse regrettait encore la perte de son singe et de son orgue de Barbarie. Ce fut tout juste si le révérend ne manqua pas l’emmener avec lui tant elle était adorable et attendrissante.
La seule leçon que Daphné et Phoebé avaient retenue de leur rencontre avec Charles Dodgson était d’ordre technique : telle une Castiglione, elles se prirent d’une passion immodérée pour la photographie. Certes, outre les trois clichés vaporeux incriminés tantôt, dignes de Bilitis et de Sappho, avec leurs vestiges suggestifs de draperies grecques qui les dévoilaient plus qu’ils les vêtaient, sans omettre l’épisode de l’anandryne avec l’épreuve aux pelisses, les jumelles avaient dû se soumettre aux nouveaux rituels d’enregistrement des gamines instaurés par Cléore, à ses photos décrites plus haut. Cléore avait usé, comme l’on sait, des méthodes de catalogage de Monsieur Bertillon et de l’anthropologie physique de Paul Broca. Daphné et Phoebé s’étaient donc plié à la mesure de leur angle facial et à celle de leur capacité crânienne – que Mademoiselle de Cresseville trouva bien supérieure à celle des femmes adultes ordinaires réputées fort idiotes - conformément au traité américain dit Crania Americana de Samuel George Morton, publié à Philadelphie en 1839.
Cependant, se prenant au jeu de l’œil de la camera oscura, nos Dioscures firent l’acquisition de leur propre appareil à la condition que Délia officiât tandis qu’elles se mettraient en scène. Elles avaient décidé exclusivement de fixer sur l’image leurs pratiques spéciales et démentielles à connotation saphique. Elles s’arrangeaient à être préalablement dans les vapeurs, ayant fumé un mélange extravagant mêlant opium, kif, bétel et nard. Ainsi ensuquées, comme l’on dit chez les Occitans, elles se préparèrent lors pour la première photographie en leur chambre boudoir sous l’œil attentif de Délia. Gaie comme un pinson, la jeune dépravée d’Erin admira Daphné déshabiller sa sœur à demi assommée par les stupéfiants, jusqu’à ce qu’elle ne conservât que bottines noires, bas, jarretières, pantaloons et une sorte de mignonne chemisette de lingerie brodée toute légère, sans manches, lacée derrière, qu’elle laissa grande ouverte sur le dos afin qu’apparût la peau nue de Phoébé.
Puis, elle suspendit cette dernière, qui gémissait, au lustre à girandoles, en l’attachant avec des cordages très serrés, de manière à ce que ses jambes pendissent sans tabouret ni escabeau pour retenir ses pieds. Tenue par la seule force de ses bras, la mignonne poupée en dessous, la peau des bras presque arrachée par la forte corde de chanvre, poussait de petits hululements de douleur et de plaisir. Lors, Daphné se saisit de l’arme de géhenne, un battoir à tapis, élargit l’ouverture de derrière des panties de coton de sa jumelle insigne jusqu’à déchirer cette fragile lingerie fine et commença à la raviver en la battant au cul et au dos, comme elle l’eût fait d’un perse empesé de poussière, en demandant à Adelia de prendre lors le cliché. Elle avait placé un vase de nuit de Delft sous les pieds oscillants de Phoebé, en prévision des liqueurs de jouissance qui ne manqueraient pas de jaillir de son entrefesson à cause de l’orgasme provoqué par les coups de battoir.
L’afflux traumatique, thanatonique et érotique prodigué par le châtiment corporel savoureux rallumait l’éclat céruléen des prunelles de la jolie enfant jusque là vitreuses et hyalines, ce qui trahissait son état de droguée. Plus les marbrures violines augmentaient, plus la sensation de délice submergeait notre jumelle et, fait immanquable, inénarrable, l’entrecuisse de ses pantalons se tachait de mouillures. Daphné poursuivait sa tâche punitive, et, lorsque son œil exercé constatait l’ampleur et l’extension croissantes de la tache humide du linge de Phoebé et le début de contractions d’épreintes de son bassin trahissant l’irrépressible envie de tout éjecter, elle cessait et ouvrait carrément le bouton nacré que l’on sait, devenu tout poisseux. Elle s’en léchait les doigts tandis que, tel un épulon présidant à la préparation d’un festin antique en l’honneur d’un dieu indigète gréco-romain, elle laissait se déverser dans le vase de Delft le liquoreux cédrat de l’aimée-double, cette offrande vaginale, ce nectar mystique qui servirait d’oblation aux trois jeunes gosiers sis en cette chambre de bamboche. Il n’était point rare qu’à cette ambroisie ou à cet hypocras se mélangeassent des sanies diverses et de l’urine de cette nymphe ne se retenant mie. Lors, Délia prenait une deuxième photo. Il eût fallu qu’elles bussent autre chose que ces cochonneries.
Quelquefois, le bayou intime de Phoebé était aussi sec que si elle eût souffert de frigidité ou recouvré l’absence de réaction sensuelle du temps de ses huit ans. Daphné, par devoir sororal, se devait de ranimer l’ardeur de sa jumelle, de guérir cette sécheresse interne, afin que s’humidifiassent de nouveau cette maremme toscane et ces marais Pontins. Sa langue se mettait de la partie et sollicitait les sens endormis de la nymphe sacrée. Là, il fallait que ce fût Adelia qui battît cul et dos tandis que Daphné entreprenait buccalement le sexe de sa sœur, une fois bien écartée l’ouverture stratégique de ses pantaloons. Alors que l’index droit de la maligne fillette tripotait, palpait et lissait le petit organe secret aux fonctions érectiles, sous le contexte des coups du battoir à tapis, la vulve de Phoebé était fouaillée par des acrobaties linguales coruscantes. Cette langue danseuse de cordes, agile comme un singe ou comme un funambule, parvenait à pénétrer au sein même du marécage interne de la consentante enfant qui bientôt frémissait, tremblait et haletait alors que son sexe rougissant sous l’assaut subissait une nette intumescence préparatoire au rut. Les papilles de Daphné se promenaient au sein du Canaletto, de la grotte aux mille concrétions de chair, boyau où les émissions salivaires s’ajoutaient à la lubrification enfin ravivée.
La jeune chienne gémissante au cœur battant la chamade sentit lors toute la bouche de sa sœur marie-salope en elle, bouche qui mordilla jusqu’à l’indicible les mucosités et viscosités internes de sa zone inondable. Donc, si l’on peut l’écrire, l’eau, ou plutôt la liqueur féminine, revenait enfin, mêlée de sang, arrosant de sa pluie salvatrice et gluante toute la figure de l’aimée qui l’ingurgitait et s’en gobergeait. Délia prenait alors un autre cliché pornographique, à l’instant exact où le jet de la fontaine de Siloé vulvaire inondait la juvénile Jézabel. Elle suppliait Daphné de partager ces agapes et elle lui cédait lors la place. Vidée, Phoebé retombait peu après dans son inertie d’opiomane. Il n’était point rare que quelques poils duveteux restassent entre les dents, que Daphné ou Adelia les crachassent.
Les personnes prudes, si elles se lassent de tout ce déballage inconséquent et complaisant de débauches, sont autorisées à sauter des pages et à se rendre à l’instant où Monsieur Nikola Tesla, le concepteur de la Mère, de la serre solaire, du double-transfuseur sanguin électrique et d’autres choses encore, entre en scène. Les autres, moins pudibondes, peuvent poursuivre leur lecture édifiante de tous ces éloquents et pétulants exploits de candides expertes d’à peine treize ans fêtés depuis quelques jours.
Adonc, pour les courageux et courageuses hypocrites (certains et certaines peuvent se voiler la face tout en feuilletant en cachette ce roman d’Ancien Régime), nos Dioscures de la nouvelle Gomorrhe aimaient à ce qu’on les liât ventre à ventre à l’aide de bandelettes de lin et de jute qui servaient d’ordinaire à confectionner ces fameux pagnes de fakirs hindous et autres brahmanes mendiants, réputés parcourir les campagnes en quémandant quelques roupies, moyennant une petite représentation de leurs tours, entre autres, soulever et faire tournoyer des gros cailloux par la seule force de leur phalle. Ce pagne en bandelettes, immémorial dessous jà inventé sous l’Antiquité égyptienne, écru et moisi, les ceignant toutes deux, Daphné et Phoebé utilisaient encor Délie comme comparse de leur salauderie en lui demandant de leur apporter les différents instruments de plaisir doloriste. Nues à l’exception de leurs bas et bottines et de la saleté les entourant et les attachant telles des siamoises (en cela, quelques mois au-delà, ainsi que nous l’avons jà rapporté, Jeanne-Ysoline devinera leurs penchants), tissus pourris d’une teinte terreuse qu’on eût crus tirés de quelque momie de Psammétique rongée par l’humidité du Delta du Nil, les jumelles, disions-nous, désignaient à Délia, parmi les instruments qu’elle leur présentait sur un coussin de velours grenat, ceux ayant ce jourd’hui leur faveur sadique. Je ne vais pas vous faire accroire à une resucée du marquis de Sade mais vous exposer de nouvelles inventions de plaisir, héritées de l’Art pour l’Art et de l’exotisme anglomane du magasin Liberty. Sachez que lorsqu’on musarde et furette dans les docks londoniens, à Wapping, Whitechapel ou Limehouse, on peut mettre la main sur les objets les plus incroyables destinés à un commerce interlope clandestin tenu par des lords décadents, où l’ylang-ylang n’est pas le plus intéressant. Ces lords smugglers se livrent à une contrebande efficace d’objets exotiques on ne peut plus spéciaux, (du Liberty sous le manteau, si l’on veut) qu’on retrouve ensuite, acquis à prix d’or, dans des alcôves ou bordels encore plus spécialisés dans certaines pratiques…hem.
Adelia avait lors proposé aux jumelles qu’elles se cinglassent le dos à coups de trique, de tape-mouche, de cravache, de verges ou de fléaux chinois de Hongkong sur lesquels elles arrêtèrent leur choix. Ces objets asiates, appelés en japonais nunchakus,
ressemblaient de fait à des fléaux à battre le blé, mais en réduction. Cependant, ils étaient chinois, car employés dans un art martial du cru, art qu’enseignaient des moines du douzième degré ou dan du monastère à bonzes dit Shaolin, qui arboraient comme tenue de combat une ceinture pourpre et noire nouée sur un kimono de soie. Nous savons qu’Elémir s’était inspiré pour les grades de Moesta et Errabunda, de ceux des arts martiaux de Cipango ou de Cathay. Le grade de Cléore correspondait de fait à celui du Supérieur de Shaolin ou Grand Maître. Les fléaux, pour eux, constituaient des armes de défense, non d’attaque, contre les rônins et bandits de grand chemin qui écument le Japon et la Chine. Importés par les Anglais depuis la guerre de l’opium, ils s’acclimatent désormais en France, pour l’us exclusif de certains lupanars pour lesquels la schlague s’est banalisée sous les assauts du raffinement de l’Aesthetic Movement. Ces fléaux sont noirs, fort durs, en un bois incorruptible, avec des chaînes d’acier. Ils nécessitent une souplesse, une dextérité et une promptitude de maniement nonpareilles. Il fallait croire que Daphné et Phoebé possédaient le don inné de la souffrance jouissive en manipulant ces choses. Elles se frappaient dorsalement l’une l’autre, à s’en rompre l’échine, multipliant les meurtrissures infâmes jusqu’à ce qu’elles fussent fourbues et s’effondrassent repues.
Daphné et Phoebé avaient pareillement inventé le déshabillage pianistique : vêtues en petites filles modèles, sans qu’aucun ruban ne manquât à l’appel, elles entamaient des œuvres à quatre mains de messieurs César Franck, Gabriel Fauré et Emmanuel Chabrier, car fort ouvertes aux sonorités de la musique moderne. Seulement, elles passaient leur temps à taper à côté, sachant qu’une erreur de note signifiait ôter une touche du clavier et une pièce de leur toilette. On devine qu’elles multipliaient les bourdes et qu’il est de plus en plus délicat de jouer sur un piano dépouillé de plus en plus de touches. Cet effeuillage s’effectuait devant les Dames attentives et obsédées par ce dévoilement progressif des appas de nos nymphes. A ce régime allègre et burlesque, il était inévitable qu’elles achevassent leur leçon de musique en fort petite et suggestive tenue. Résultat de tout ce schproum, Daphné se retrouvait le bas du corps à l’air à l’exception du gainage soyeux de ses jambes enfantines, la gorge cependant encore couverte d’une ravissante brassière de lingerie en gaze et mousseline toute vaporeuse et transparente, découvrant en sus le nombril de la belle enfant, et qui ne cachait donc pas grand’chose. Quant à Phoebé, elle était nu-torse et nu-jambes, n’ayant plus sur elle que ses seuls bloomers fendus de tous les côtés, où là aussi, ce linge de plus-que-nue permettait de tout admirer de sa grâce pré-nubile. Les jumelles, accoutumées à l’étalage de leur anatomie, ne s’empourprèrent point. Par contre, leurs oreilles perçurent l’extase des clientes, leurs soupirs dérangeants. Ce soir là et d’autres encor, nombreux furent les sièges capitonnés des poufs, des sièges et des fauteuils à gluer des sécrétions de toutes ces anandrynes, au désespoir de Cléore qui dut changer ce mobilier irrécupérable.
Quand elles étaient lasses de tous ces petits jeux turpides, nos sœurs tribades se retiraient dans le fameux cabinet aux poupées, où Cléore entreposait les effigies de cire des pensionnaires, collection qui ne cessait lors de s’étoffer à chaque nouvelle arrivante. En ce musée Tussau qui instillait une impression de malaise, elles contemplaient leurs répliques tel un Narcisse son reflet, s’extasiant du rendu exact cireux de leur exquisité de craie blonde translucide, de la quintessence de leur peau de malades chlorotiques et leukémiques, où l’artiste sculpteur minutieux était parvenu à reproduire le réticulé des vaisseaux sanguins qui transparaissaient sous l’épiderme de leurs tempes de fillettes post-fœtales et au dos de leurs mains. Elles touchaient et caressaient les joues décolorées, humaient aussi l’odeur passée et pulvérulente des tissus sciemment vieillis des robes empesées de ces poupées, ces damas et brocarts étiolés de pruine. Elles regrettaient cependant que Cléore ne les eût pas vêtues en Salomé. Daphné était tout de même fascinée par sa réplique en Claude de France, reine fragile entre toutes, tandis que Phoebé mirait la sienne en Marguerite d’Autriche, comme si elle se fût elle-même contemplée dans une psyché.
Or, pour ne point accentuer le trouble de la tromperie, tous les miroirs du cabinet aux poupées de cire étaient sans tain. En tâtant le dessous des jupes de Claude de France,
Daphné constata qu’elle arborait un trousseau complet, puis, poussant son exploration plus avant, réalisa ô combien ces reproduction étaient réalistes : il ne leur manquait même pas le sexe bien qu’elle déplorât l’absence de toison, l’habileté des artistes n’allant pas jusque là. Alors, comme obéissant au signal d’Onan, nos deux gourgandines se livrèrent à une nouvelle forme de débauche sur leurs reflets de cire damassés. Relevant leurs robes, elles commencèrent à se frotter contre leurs statues avec extase et frénésie, pratiquant sur ces alter-egos inanimés une singulière forme de viol masturbatoire. Lorsqu’une autre visiteuse s’alla admirer ces effigies (il s’agissait de Sixtine), elle remarqua que Claude de France et Marguerite d’Autriche avaient leurs vêtements en désordre, plus passés que de coutume, et semblaient singulièrement empoissées – leurs visages particulièrement – d’une glue inconnue. Daphné et Phoebé s’étaient bel et bien livrées à des choses indescriptibles sur leurs autres elles-mêmes…
Fascinées par les choses d’Asie, par les traditions érotiques sino-japonaises, Daphné et Phoebé acquirent sur leurs propres deniers d’étonnants godemichés, dont le célèbre tétra-foutre dont nous reparlerons tantôt avec ses dérivés et le baguenaudier qu’elles volèrent à Dodgson. En attendant, le temps est venu d’évoquer l’affaire du Traité des massages siamois attribué au roi Po-Khun Ramkhamhaeng dit Rama le Fort ou le Hardi (1239-1317), traduit en anglais par Richard Burton et en français par Elémir de la Bonnemaison, ouvrage maudit à l’origine de deux assassinats : le premier ministre Spencer Perceval et le dramaturge August von Kotzebue, sans oublier la polémique artistique sans fin entre Ruskin et Millais
à propos de ses gravures, authentiques pour Millais, faux grossiers pour Ruskin, qui en attribuait la paternité à William Blake et à Füssli. Sans doute cette querelle dissimulait-elle un bas motif de jalousie. John Everett Millais, dont John Ruskin avait constitué le soutien critique après qu’il eut défendu Turner, avait en quelque sorte volé la femme du critique d’art, Effie Gray. On sous-entendait que l’aversion de Ruskin pour la toison pubienne touffue de son épouse avait été l’une des causes profondes de la rupture de leur union. Le point commun entre Spencer Perceval, assassiné par John Bellingham en 1812 alors qu’il était chef du gouvernement de Sa Majesté (plus exactement du Régent George), et Kotzebue, dramaturge devenu espion au service du tsar Alexandre 1er, qui avait été occis par l’étudiant en théologie libéral Karl Ludwig Sand en 1819, outre leur mort violente, était constitué par la possession du manuscrit du Traité de Rama le Hardi non encore traduit de l’antique langue Môn, traité dont la nature érotique était des plus connues et que les assassins convoitaient. Ce fut pourquoi Daphné et Phoebé, nouvelle excentricité onéreuse, exigèrent de Cléore qu’elle recrutât une authentique masseuse siamoise qui appliquerait sur elles les différentes figures extraites des illustrations de cet ouvrage, dont elles avaient déniché dans la bibliothèque de l’Institution un des exemplaires de l’édition française. Cléore, trop magnanime, céda à leur caprice d’aristocrates maladives. Ce fut Elémir qui lui envoya la masseuse, qu’elle dut payer cinquante francs or la semaine. La comtesse de Cresseville, de même que Délia, ne se privèrent pas de tels services émollients. La jeune siamoise (seize ans à peine) exécuta les figures de massage XV, XVII, XXI, XXIII, XXX et XLI, réservées aux femmes aimant les femmes. Les jumelles apprécièrent en particulier la figure XXX, qui consistait en un massage des seins, du ventre et du pubis accompli par l’exécutante de ces soins de beauté asiatiques : ce massage devait être appliqué à califourchon sur la cliente et effectué exclusivement par les fesses et le sexe de l’intervenante, qui parcouraient en les frottant jusqu’à l’extase les parties visées par la manœuvre. Le tout s’achevait en inondations générales. Le plus voluptueux pour la masseuse elle-même était le stade où chaque aréole dressée et turgescente d’excitation des pousses de Daphné et Phoebé la pénétrait à tour de rôle. Elle dégorgeait lors sa liqueur intime sur chaque petit sein qui s’y engluait avant que les gamines horribles se redressassent et que chacune léchât l’empois de la poitrine de sa sœur. La jeune Asiatique, dont le corps, très menu, était à peine plus formé que ceux de ses vicieuses clientes, gazouillait dans son dialecte natal intraduisible, où les l remplaçaient les r. Cependant, ses éructations extatiques, elles, s’avéraient compréhensibles dans toutes les langues terrestres. Inutile de décrire les autres figures tout aussi imaginatives : il est plus que temps d’accélérer pour celles et ceux qui s’impatientent de Nikola Tesla en passant aux godemichés ou pluri-foutres. Ne vous effarouchez pas, lectrices et lecteurs prévenus, à l’énumération de ces types d’instruments extasiants.
Nous savons qu’il existe plusieurs types de petits objets de plaisir que l’on nomme godemichés. Certains sont dits simples et permettent à une Dame seule de satisfaire ses envies sans l’intervention d’une tierce personne. Mais, dans le cadre d’une relation entre deux Dames s’aimant d’amour tendre, comme il faut bien un substitut au membre mâle, le choix existe entre foutre simple permettant à la Dame qui joue le rôle du Monsieur à combler d’aise sa mie sans toutefois qu’elle-même en éprouve quelque pénétrante jouissance, et foutre double, qui aide à l’assouvissement mutuel du désir. Cependant, certains foutres doubles s’avèrent spécialement conçus pour Dames seules adeptes de l’onanisme par les deux orifices.
Daphné et Phoebé de Tourreil de Valpinçon avaient de si dépravées coutumes qu’elles ne savaient plus comment jouir à deux : bien renseignées par les innombrables traités de toute sorte qui encombraient les étagères des bibliothèques infernales de Cléore et d’Elémir, instruites aussi par Adelia, elles avaient réclamé à cor et à cri que la comtesse de Cresseville leur commandât un objet tout neuf et innovant : le tétra-foutre, enfourché en couple et efficace pour les deux trous que l’on sait. Les perfectionnements techniques incessants permettaient d’envisager des objets rétractables et redressables, parfois munis de petits réservoirs emplis d’un substitut liquoreux de semence mâle, pouvant donner l’illusion d’un jet d’éjaculat en la double intimité des utilisatrices. On annonçait jà d’autres innovations, pour des instruments toujours plus onéreux, mus à la fée électricité à l’aide de petites dynamos de monsieur Zénobe Gramme, de piles électriques de Volta ou même de systèmes de bobines de Ruhmkorff. Ces foutres, pluriels ou uniques, devaient vibrer au sein sacré des canaux intimes des pratiquantes de ce vice, ainsi transfigurées par le plaisir d’une manière non anagogique. Mais Cléore n’envisageait point d’acheter sous le boisseau de telles inventions, anglaises et américaines, au coût prohibitif, quelles que fussent les réclamations des deux gourgandines. Elles durent donc se contenter d’un simple tétra-foutre primitif en acajou précieux, teck, jacaranda et divers autres bois tropicaux tendres composites, gainé d’authentiques peaux humaines de phalles provenant de sauvages Papua ou Pahouin tués exprès en plein rut lors de parties de chasse immorales, ces peuplades étant réputées pour leur virilité exacerbée. La perfection du tétra-foutre exigeait que les grands chasseurs blancs au casque tropical en liège occisent leur proie au moment où l’optimum du redressement de son vit était atteint et qu’ils l’abattissent avant qu’elle éjaculât. Pour cela, il fallait qu’ils usassent de femmes-chèvres, des sauvages entièrement nues, qu’ils plaçaient comme appâts.
Dans une institution conçue pour perpétuer l’espèce des anandrynes, le refus de Daphné et Phoebé de n’aimer d’autres personnes qu’elles-mêmes comme on aime son reflet – ambivalence suprême – apparaissait à la semblance d’une pratique contre nature vouée à la stérilité. Singulière passion que celle-là, où chacune parvenait à s’accoupler en quelque sorte à elle-même, à ce reflet fait chair, à s’auto-satisfaire égoïstement en des rituels amoureux d’une inconcevable complexité, comble d’un raffinement érotique pervers qui marquait en son perfectionnement suprême l’apogée d’une civilisation vouée à l’art pour l’art, y compris dans ce qu’il a de plus trivial. Reflet…si semblable, si différent aussi de soi, si loin, si proche…
En quelque sorte, Daphné et Phoebé, contemplatives pornographes d’à peine désormais treize ans, étaient les plus novatrices d’entre les nouvelles anandrynes, bien qu’elles ne pussent avoir aucune postérité immédiate. Elles avaient inventé le plaisir solitaire à deux. L’une était l’autre, l’autre était soi, moi était elle, je était nous…jeux troublants sans cesse recommencés où la fusion des doubles engendrait une unicité plurielle et neuve…
Lorsque la séance de tétra-foutre commençait, Daphné demandait à Phoebé : « Trousse-moi et lutine-moi. » et Phoebé de répondre : « Moi itou. ». Elles s’entreprenaient lors mutuellement par leurs deux orifices, jusqu’à ce qu’elles s’inondassent du plaisir partagé et multiple et n’en pussent mais. Leurs cris d’extase nocturne parvenaient à percer les murs de leur chambre et à troubler le sommeil de leurs petites voisines. Lorsqu’elles s’effondraient, trempées et fourbues, une fois l’objet quadruple retiré, leur entrefesson échauffé exhalait, par le biais des écoulements que l’on sait, presque à la semblance du pus, un fumet soufré des plus incommodants, mais propre à exercer une forte attraction sur les hommes, si toutefois nos poupées eussent été de la classique orientation sexuelle dite majoritaire. Ce fait est fort connu : la crasse et la fragrance des putains attirent les messieurs comme l’aimant le fer, d’autant plus lorsque celles-ci sont d’âge encor tendre mais jà expertes. Elles jouent de leurs froufrous, affichent leurs jupes sales, souillées et traînassantes avec ostentation. Déguenillées par leur vice, ces filles syphilitiques épandent leur contagion épidémique, pourrissant tous les cadres de la Gueuse qui les fréquentent avec assiduité. Ne sont-elles point elles-mêmes l’incarnation de cette Gueuse ?
Heureusement pour elles, une déesse de la débauche semblait protéger les jumelles : elles ne mirent jamais la main sur le godemiché suprême, le seppuku de la geisha, car elles ignoraient la combinaison du coffre de Cléore, au contraire de Délie.
Nous poursuivons le catalogue exhaustif et exubérant des objets, en omettant toutefois cet instrument propre au siècle de la douceur de vivre dit le foutre à soubrette, voué avant tout aux amours ancillaires.
Il existait un triple-foutre pour Dame seule adepte des plaisirs simultanés de bouche, d’anus et de sexe. Si Daphné et Phoebé avaient souhaité en jouir, elles eussent dû faire mettre au point un modèle dérivé pour deux dit hexa-foutre pour couple d’anandrynes. La caractéristique de cet objet était son troisième membre artificiel, souple, très long, et pourvu d’un système à réservoir permettant que le sirop séminal ou son succédané giclât dans l’orifice buccal de la pratiquante pendant qu’elle s’entreprenait avec les deux autres par devant et par derrière. Cet appareil coruscant avait un inconvénient majeur qui freinait sa fréquente utilisation : la nécessité de remplir régulièrement le réservoir et d’acheter des doses de liqueur spermatique réelle ou synthétique. Il eût fallu pour cela moderniser d’une façon considérable la manière de réfrigérer et de conserver ce sperme, donc de disposer de sortes de banques avec des donneurs volontaires ou forcés, sauvages ou autres.
Daphné et Phoebé n’étant que deux, elles n’eurent jamais à utiliser d’autres catégories plurielles permettant à trois, quatre, voire jusqu’à six ou douze dames de s’encanailler en groupes pour ne point écrire en grappes. Imaginez d’ailleurs une grappe de raisin à laquelle on a enlevé tous ses grains et vous pourrez vous faire une idée par exemple des penta, hexa, hepta, octo, ennéa, déca, hendéca et enfin dodéca-foutre avec deux modèles différents pour ce dernier godemiché : celui pour six dames pénétrées par deux orifices et celui pour douze par un seul, au choix du trou. On annonçait la prochaine importation d’Angleterre d’un objet encore plus délirant et révolutionnaire : le triskaidéca-foutre, soit jusqu’à treize tribades ou putains sur le même instrument. A ce rythme, on pourrait bientôt mettre en grappe tout l’escadron des filles de joie du Chabanais pour un spectacle saphique onaniste unique !
Lorsqu’il plia bagage, Charles Dodgson s’aperçut que son baguenaudier avait disparu. Il songea d’évidence à un vol, mais ne put émettre aucun soupçon précis. « Bah, se dit-il, j’en acqu…acquerrai un au…autre. » Il ne conclut jamais à la culpabilité de Daphné et Phoebé qui profitèrent de ce petit larcin pour s’adonner à des expériences encore plus traumatisantes et exaltantes. Elles qui avaient l’habitude de lécher les blessures de leurs coups de fouet voire de s’amuser à s’arracher, parfois à coups de dents, des lambeaux de peau écorchés pendouillant de leurs plaies traumatiques, surent détourner le baguenaudier chinois pour le métamorphoser en inédit godemiché. Le maniement de ce casse-tête nécessitait en temps ordinaire une habileté confondante ; ce que nos jumelles en firent eut quelque chose de presque surhumain, usage qui pouvait leur prodiguer des déchirures internes irréversibles voire létales. Elles ne l’expérimentèrent qu’une seule fois, et cela fut si douloureux et atroce que cela leur servit de leçon.
Une fois de plus, ce fut Phoebé que le sort désigna pour servir de consentant cobaye et de souffre-douleur. Elle se déculotta tandis que Daphné tentait d’introduire le baguenaudier dans l’anus de la mie. Elle supposait qu’une fois placé, le jeu de plaisir consistait à l’y ôter soit par la force d’un foutre réel qui devait non seulement parvenir à entrer dans chacun des neuf anneaux, mais ensuite retirer le tout du cul par sa seule force virile, si l’on peut dire, soit, disions-nous, par l’emploi d’un phalle artificiel à condition qu’il eût assez de souplesse pour que les deux poupées se livrassent à cet exercice où le risque de mutilation des viscères était grand. Autant écrire qu’elles échouèrent en usant de la seconde méthode, la seule disponible, et que Phoebé fut victime d’une hémorragie anale conséquente, dont sa sœur empuse se régala, certes, mais à cause de laquelle elle dut demeurer un mois à l’infirmerie son postérieur bandé après avoir subi une petite opération qui la mutila d’une partie de son intestin. Elle ne put lors plus déféquer que dans des sacs ou poches spéciaux. Sur ces entrefaites, alors que nous étions en décembre 18., Nikola Tesla arriva, mandaté par Cléore.
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