samedi 29 janvier 2022

Café littéraire : les Transparents.

 

Les Transparents

Ondjaki

 

Les Transparents, Ondjaki, Métaillié 2015. Par Michel Antoni.

 Description de cette image, également commentée ci-après

Luanda, capitale de l'Angola.

Luanda

 Un immeuble aux vertus mystérieuses, où coule une source magique et dont les murs délivrent une énergie vitale. Ses habitants partagent leurs existences entre petites aventures et projets, espoirs et drames, de la vie en somme. On croise aussi dans cet étrange immeuble des politiciens véreux et des affairistes avides qui se mêlent à tous les figures de la société urbaine africaine, dans une fantastique et picaresque fresque sociale. Certains bouffent la vie avec acharnement et truculence, d’autres se laissent aller au désespoir d’une vie sans lendemain, dans un pays qui est passé, après la violence de la guerre, de la marche lente de la forêt à l’industrialisation forcenée et à l’exploitation et l’humiliation des plus faibles. Les Transparents, c’est ce peuple («  peuple, c’est un mot …plein de gens » dit l’un d’entre eux)  qu’on ne voit pas, ignoré par les puissants et les hommes de pouvoir ;  transparent c’est aussi ce que devient, littéralement, l’un des personnages principaux, dans son refus de vivre. On y rencontre aussi une blatte albinos qui vous sauvera la vie si vous l’avez préservée, une éclipse de soleil à venir, une église évangélique originale, autant d’épisodes qui s’entremêlent jusqu’à l’explosive  fin.

De la pure poésie (renforcée par une présentation stylistique originale), du réalisme magique, une profonde originalité, de l'humour, de l'ironie caustique, de la tendresse, de la chaude sensualité, de la tragédie jusqu'à l'embrasement final dans un style simple et limpide, universel, mais aussi une fable apocalyptique d’une authentique actualité.

Et que le lecteur classique ne se bloque pas sur  une ponctuation inhabituelle (absence de majuscule, des points simplement à la fin du paragraphe)  et des sauts de à la ligne qui participent à une véritable lecture poétique en prose et à une certaine oralité du texte, à la manière d’un griot. Un texte original, qui ne ressemble à rien de connu mais qu’on pourrait situer aux confins des univers de José Saramago et Gabriel Garcia Marquez. Boris Vian ou Jacques Prévert.

Cet ouvrage conclut pour le Café Littéraire notre riche trilogie des jeunes écrivains africains du vingt-et-unième siècle, après le francophone In Koli Jean Bofane, au Congo et l’anglophone Chimamanda Ngozi Adchie au Nigéria, à l’heure où la littérature africaine gagne la reconnaissance internationale.  

Michel Antoni

 

 

Pour aller plus loin :

 Né en 1977,  l’auteur, de son vrai nom  Ndalu de Almeida, est un écrivain déjà prolixe et reconnu. Il s’est illustré dans la littérature pour enfant, la poésie, des contes et du théâtre. Avec Les Transparents, il a reçu en 2013 le Prix José Saramago qui récompense tous les 2 ans un écrivain lusophone. Il est considéré comme l’un des plus brillants et prometteurs parmi les jeunes écrivains africains.  

Contexte historique et géographique

L’Angola d’après la guerre civile 

Description de l'image Angola carte.png.

L’Angola, ancienne colonie portugaise devient indépendant en novembre 1975. Une guerre civile, dans le contexte de guerre froide, oppose pendant 26 ans le régime communiste, soutenu par Cuba, à des mouvements soutenus en particulier par l’Afrique du Sud et fait plus d’un million de morts. Le roman se situe après la guerre civile, mais les allusions à cette période sont nombreuses.

Si le régime s’est démocratisé depuis 1992, fin de la guerre civile,  le pouvoir en place a gardé la mainmise sur les ressources naturelles du pays, notamment le pétrole et les principales entreprises. La critique de cette mainmise et le détournement des richesses du pays au profit d’une oligarchie est clairement l’un des thèmes majeurs de ce roman.

 Illustration.

Luanda, la capitale, ville maritime qui est un des personnages phare du récit  est une trépidante mégalopole africaine dont la population est passée de 600 000 habitants à l’indépendance, à 7 millions d’habitants. Elle connait tous les problèmes des grandes mégalopoles en développement, et, en particulier, l’insécurité et le problème de l’approvisionnement en eau y est fréquent. Le principal moyen de locomotion est le taxi-bus appelé candongueros.

C’est au sein de cette ville qu’un immeuble, situé sur la principale avenue va être au cœur du récit. A la manière d’autres romans, c’est à travers les habitants de cet immeuble que l’auteur va mener son intrigue et nous dépeindre la vie locale dans toutes ses couches sociologiques, ses travers, ses dérives et ses espérances. Mais c’est aussi le lieu d’une source magique, énergisante et permanente, mystère

Les personnages 

Le personnage principal est Odonato. Il donne son nom au livre et sa transformation physique, qui le rend « transparent » au fur et à mesure de sa lente dégradation mélancolique liée tant à son échec individuel et familial qu’à celui de son pays, est l’image centrale du récit. Autour de lui sa femme, ses enfants dont l’un est un petit délinquant, et une vieille femme recueillie, qui a la sagesse des vieux qui ont beaucoup souffert. En descendant les étages, on trouve toute une galerie de portrait, qui chacun à sa manière,- de Edu , caricatural par sa volumineuse hernie, au journaliste lucide et dépressif, de ceux qui sont entreprenants (et peu regardant sur les moyens), à d’autres qui essayent simplement de vivre leur quotidien. Autour d’eux va graviter une foule de personnage, du ministre maffieux à l’aveugle et au marchand de coquillages, un facteur sans mobylette et des intermédiaires véreux sans compter quelques étrangers venus voir l’éclipse, naifs et surpris, et un expert américain, lucide. Un commandant mystérieux et une blatte albinos enfin!

L’intrigue

L’intrigue est double, mêlant la vie quotidienne des habitants de l’immeuble, avec leurs émois, leu solidarité, leurs espoirs et leurs petites turpitudes auxquelles s’opposent les plus grandes malversations d’une oligarchie qui possède tout, en veut encore plus, au prix de la destruction finale, par le feu de la ville comme prix de son avidité. Le projet délirant de faire de la ville un champ pétrolifère apparait comme une hérésie à tous les esprits sensés, dont l’expert américain mais l’aveuglement de ceux qui ont déjà tout et veulent plus sera le plus fort, jusqu’à la catastrophe

Les thèmes 

Ils sont nombreux :

-          La corruption des élites mais aussi des pouvoirs inférieurs (comme la police et les intermédiaires)

-          La vie urbaine d’une grande métropole africaine avec sa  frénésie et ses problèmes (eau par exemple)

-          Les pratiques religieuses des églises évangélistes, dans une satire jouissive

-          Le souvenir et le deuil de la guerre

-          La catastrophe écologique annoncée, fruit de l’avidité et du refus de reconnaitre les risques d’une élite avide, qui condamne toute la population

Le style

D’une extrême originalité, dans l’écriture mais aussi la mise en page, donnant un rythme poétique voir chanté. Rapide, avec succession et imbrication des nombreuses intrigues secondaires avec un foisonnement de situations et de personnages. Sensualité, humour et ironie se mêlent au drame, entre tragique et burlesque, mais aussi entre onirisme et réalisme magique, voire surréalisme. 

Bonne lecture !

 Drapeau

 

samedi 22 janvier 2022

La Conjuration de Madame Royale : chapitre 9 4e partie.

 

« Messieurs, je vous suivrai jusqu’au bout du monde », avait déclaré à Humboldt et son équipe le jeune Schopenhauer


 après les mésaventures que nous vous contâmes tantôt. Nous suivîmes le périple prévu, sans cependant nous douter que nous venions de devenir des fugitifs pourchassés par les cipayes et par les habits rouges.

Après quatre semaines d’un voyage sans histoire, nous parvînmes à une quinzaine de lieues à l’ouest d’Agra

Agra

 après que nous eûmes contourné Jaipur, afin d’éviter toute mauvaise rencontre avec les autorités occupantes. Nous étions alors en passe d’achever la traversée du Rajputana,


 conformément à notre itinéraire. Au-delà de Lucknow,

 

cité illustre pour avoir bénéficié du gouvernement d’un nabab placé par les grands Moghols à la tête de la région de l’Awadh, le Népal serait à notre portée. Nous étions cependant bien intrigués qu’aucune mauvaise rencontre n’eût encore émaillé notre pérégrination. Bien que notre jeune ami eût ardemment souhaité que nous nous rendissions jusqu’au Taj Mahal, afin qu’il pût le contempler au moins une fois dans sa vie, nous étions trop sur nos gardes pour condescendre à son désir.

Ce soir-là, nous avions établi notre campement près d’un point d’eau et Jacques Balmat s’était chargé de la corvée de ravitaillement de nos gourdes en ce précieux liquide. Comme nous tous, il demeurait armé en permanence, et, en outre, portait sur lui une partie de son équipement montagnard, ce pic, cette hache et ce long alpenstock à la pointe acérée qui servait, disait-on, à briser la glace des séracs, avec en sus des cordages enroulés autour de la poitrine et de la taille. Il n’était plus qu’à trois toises du point d’eau lorsqu’il y distingua un attroupement suspect dans la semi-obscurité crépusculaire. Muni d’une espèce d’appareil lenticulaire apparenté à une longue-vue, bien que ladite lentille émît une singulière lueur rougeâtre[1], celui qui paraissait commander le groupe et arborait un uniforme de sergent d’Albion surveillait les alentours, scrutant la moindre parcelle, épiant le moindre fourré du périmètre. Aussi n’allait-il pas tarder à repérer Balmat. L’alpenstock dont était armé notre montagnard illustre

 

 était-il le même dont il avait usé lors de son ascension historique du Mont-Blanc en compagnie du Docteur Paccard en 1786 ?

 

 Je ne saurais l’affirmer. Foin de certitudes ou de conjectures inutiles, car le sergent aperçut le vaillant Savoyard, et commanda aussitôt à ses cipayes de l’aller appréhender en qualité d’espion. Nous eussions dû lui porter secours dans l’immédiat, mais Atma, le carlin de Schopenhauer, nous prit de court ; il fila droit sur les Anglais, comme une flèche, poussant des aboiements bien plus intenses que sa petite taille pouvait le laisser soupçonner.

L’impulsivité du chien imposait l’évidence que nous intervinssions, cependant, me souvenant de cette peinture de Bacler d’Albe qui représentait Jacques Balmat muni de son fameux bâton alpin aussi long qu’une perche, nous goutâmes d’abord à un spectacle étonnant : le combat conjugué du montagnard et d’Atma contre les cipayes. Si Monsieur de Saussure

 Image dans Infobox.

avait encore été de ce monde, il se fût réjoui de cette lutte opiniâtre. Par pur réflexe professionnel, afin d’immortaliser cette échauffourée qui nous mettait en grand péril, Girodet-Trioson

 Image dans Infobox.

 prit son matériel de dessins sans que nous l’en priions. Il s’empara d’une feuille et d’un fusain qu’il tira tous deux de cette sorte de hotte qu’il transportait partout, hotte qui faisait penser à une grande gibecière, et commença à croquer la scène. Atma mordit le cipaye qu’il avait attaqué, lui arrachant un morceau d’étoffe de sa culotte collante. Fou de rage et de douleur, l’homme jeta un retentissant Allahu akbar propre à sa confession, mais nous n’ignorions pas que les cipayes, en particulier ceux recrutés dans la région de Bombay, pouvaient appartenir aussi aux basses castes hindoues. Ses coreligionnaires partirent à la rescousse, et nous n’eûmes d’autre choix que de prendre nos Colts et pistolets afin de riposter aux tirs des fusils. Canardés, nous dûmes éviter de nous mettre à découvert, tandis que Balmat, risquant le tout pour le tout, creva l’œil gauche de son adversaire en lui portant un coup de pointe d’alpenstock.

Ce fut lors un spectacle déconcertant qui s’offrit à nos yeux médusés. Tandis que les échanges de coups de feu faisaient rage – chaque fois qu’une balle au fulmicoton frappait un ennemi, ce dernier s’effondrait, le corps meurtri par une blessure spectaculaire et mutilante propre à cette poudre infernale – la fumée envahissait l’espace, brouillant tous nos repères et facilitant la confusion de la scène. Balmat lui-même, pris d’une ardeur combattive irrépressible, ne cessait de transpercer les uniformes rutilants des guerriers indigènes, comme si son bâton eût été une baïonnette bien aiguisée et imparable. Il semblait invulnérable, tel un de ces héros mythiques quoique les projectiles sifflassent autour de lui. Or, une aberration survint : les soldats des Indes finissaient immanquablement par se relever, quelle qu’eût été la gravité de leurs meurtrissures ! Plus sidérant encore : leur invincibilité – à ce que nous pûmes en juger en tant qu’hommes de science – tenait du miracle, en cela qu’ils étaient dotés d’une faculté régénérative surprenante, comme on la rencontre chez les hydres. Les chairs des cipayes ne cessaient de se reconstituer, de se réparer, la cicatrisation étant accélérée.

Corvisart et Laplace étaient équipés d’armes de plus gros calibre, sortes de compromis entre le tromblon, l’escopette,

 

 l’espingole

 

 et le mousquet. Ils chargèrent leurs canons de projectiles au fulmicoton plus conséquents, presque aussi dévastateurs que ceux des Gatling, et firent feu à bout portant, faisant fi de l’effet de recul. Un caporal des cipayes éclata sous l’impact du premier coup, tandis que le sous-officier anglais qui commandait, détail atroce, fut promptement décapité par la seconde balle explosive. Tandis que l’officier étêté à l’agonie tressautait à terre sous les effets végétatifs réflexes du galvanisme, le caporal cipaye, déchiqueté, eut la velléité de vouloir ressouder ses abattis et ses fressures ! Pis encore : le corps de l’infortuné, réduit à un tronc disloqué à la manière d’un supplicié régicide victime de l’écartèlement, sembla repousser comme la queue coupée d’un lézard, en cela que, des sections arrachées de ses membres, des bourgeons émergèrent. Ils acquirent en un premier temps un aspect embryonnaire,


 avant de franchir congrûment, sans nulle difformité tératologique, toutes les étapes de la croissance jusqu’à prendre leur forme adulte, achevée. Devenus inutiles, les anciens bras et jambes arrachés au guerrier fondirent en une humeur écœurante verdâtre. L’homme se releva, ô prodige ! prêt à en découdre à nouveau. Quant au sergent anglais, il nous épouvanta davantage encore car du corps sans chef jaillit la repousse répugnante d’une tête, qui d’abord rappela celle de quelque embryon humain aux fentes branchiales et à l’ébauche peu avenante de visage. Jacques Balmat vit cela, et, avant que la nouvelle tête de l’ennemi eût achevé sa régénération, comprenant le danger, notre montagnard s’empara d’un sabre de cipaye tombé dans un buisson et trancha vif le chef devenu désormais fœtal. Ce sergent hydraire, hideux, après moult gargouillements, tenta de recommencer sa « reconstitution » céphalique, condamnant notre ami à imiter sans trêve Hercule dans les marais de Lerne lorsqu’il affronta le fameux monstre. 

Description de cette image, également commentée ci-après

Nous risquions de succomber devant cette nouvelle forme d’immortalité aberrante et prodigieuse. C’était compter sans le sâdhu Rajiv. Nous fûmes heureux et redevables de la détermination d’Arthur qui avait refusé de se séparer de son mentor durant notre périlleux périple.

A la prolifération de nos adversaires ravivés – certains n’allaient-ils pas jusqu’à se scinder, se répliquer, en deux cipayes identiques afin de nous contrer ? – le brahmane trouva la parade adéquate. Le combat devint plus que jamais prodigieux, surnaturel même. Je savais les sâdhus, comme les fakirs, capables de vous illusionner. Ainsi vîmes nous tout l’organisme qu’habitait Rajiv se désassembler, se fragmenter, et chacune de ses parties attaqua séparément un ennemi. Pensant être victime d’une simple illusion d’optique destinée à semer chez l’adversaire l’épouvante et le désarroi, von Humboldt eut l’intention de venir épauler notre brahmane providentiel, mais je le priai de ne rien faire qui pût parasiter son action.

Ce fut pour nous une effrayante autant qu’originale leçon d’anatomie. Cette dislocation de bras, de jambes, de viscères et d’organes sensoriels s’en prit ardemment à ses proies. Toutes les dissections que Corvisart avait pratiquées lui semblèrent banales lorsqu’on les comparait à ce spectacle digne de la colère des dieux. Les membres antérieurs et postérieurs de Rajiv agirent à la manière des pythons

 Description de cette image, également commentée ci-après

ou des anacondas que Monsieur von Humboldt connaissait bien pour les avoir observés aux Amériques. Il en fut de même pour les intestins du sâdhu, qui, enroulés autour de la poitrine d’un cipaye pitoyable, l’enserrèrent jusqu’au broiement de la cage thoracique. Sans laisser le temps à la victime de se régénérer, la jambe droite de notre allié la foula et l’écrasa, réduisant l’être à une pulpe sanglante immonde qui partit en une fumée verdâtre soufrée. L’estomac de Rajiv alla se coller à la carotide d’un autre militaire et, telle une pompe vampirique, absorba et dissout ses fluides au point que la tête de cet ennemi se dessécha, la dessiccation se communiquant à l’ensemble de l’organisme. Une momie s’écroula, fusil lâché, et nous pûmes conclure que la faculté de « résurrection » de ces combattants, aussi fabuleux qu’ils fussent, devenait caduque quand plus aucun de leurs tissus n’abritait la vie. 


L’extrémité céphalique de notre Hindou s’en prit au sergent anglais, car Balmat ne parvenait pas à le terrasser définitivement. Elle le mordit et le mutila cruellement, lui arrachant des parties entières plus ou moins vitales. Elle agissait avec une telle vélocité qu’elle dérégla le mécanisme régénératif du sous-officier qui n’en pouvait mais, déjà malmené par ses décapitations successives. Il ne fut plus qu’une créature sanglante, anarchique, pourvue de centaines de bourgeons mal placés : tête de fœtus

 Un embryon humain âgé d'environ 7 semaines

 à la place du bras gauche, jambe droite dans le dos, pied palmé embryonnaire repoussant en lieu et place du chef, genoux hypertrophiés de répliques menues et inachevées à la manière de visages d’incubes,

Dessin de trois portraits d'incube. Un profil doit, dénommé Theutus, est prognate, barbu, avec oreille en pointe et corne émergeant d'une chevelure bouclée ; un autre, gauche, nommé Asmodeus, bouche ouverte, rappelle le profil d'un félin. En dessous, l'Incubus est représenté de face, souriant, grande oreilles pointues, avec barbe et cheveux bouclés dont émergent à partir du centre deux cornes couchées.

 protubérances à la base du hausse-col s’avérant être des nez, des oreilles, voire des bouches inabouties ! La cervelle du sâdhu s’en alla harceler d’autres victimes en brouillant leurs pensées par une parasitose « télépathique » qui fascina Fourier au plus haut point tandis que ses yeux et ses mains, tout aussi autonomes, s’amusaient soit à foudroyer un rescapé ainsi qu’en était doué le regard de Méduse, soit à l’étrangler, soit à en retourner le visage comme un gant, dévoilant une face d’écorché d’un réalisme cru, soit enfin à déboîter et faire sauter l’ensemble du cap comme s’il se fût agi du bouchon d’une bouteille de cognac. Du tilak même du front de Rajiv, des flèches blanchâtres acérées furent tirées, transperçant imparablement chaque cible, crevant leurs yeux, leur gorge et leur poitrine. Le cœur de notre ami se colla contre le thorax d’un autre soldat et, comme par suggestion, fit cesser de battre l’organe correspondant de son adversaire. Enfin, le foie du brahmane arrosa les ultimes cipayes encore valides de jets de bile brûlants aptes à la dissolution des chairs. Les guerriers périrent, hurlant de douleur, tout fumants et troués. Rajiv s’amusa à épargner ce qu’il restait d’un homme : juste sa tête, seule, qui, tressautant, tentant de rejoindre un corps hypothétique, puis se résignant à la repousse d’une ébauche grêle et rosâtre, s’en vint prendre la poudre d’escampette, dans l’objectif sans doute de rendre compte du désastre à un régiment qui, nous n’en doutions pas, campait à quelque distance de là et irait nous traquer jusqu’au Népal. Nous ignorions que Cornwallis commandait en personne cette troupe.

Rajiv se réassembla aussi vite qu’il s’était disloqué, laissant sur le terrain une douzaine de cadavres démantibulés au mieux, réduits à une simple vapeur verte et fragrante au pis. Les fumeroles folâtres qui s’élevaient çà et là des restes dérisoires témoignèrent de longues minutes de la tragédie accomplie. Nous doutâmes de la véracité de cette échauffourée, autant que de la nature exacte de ceux que nous avions terrassés. Hommes ou démons, et à la solde de quelle puissance terrestre ou surnaturelle ? La bannière anglaise, prosaïque, flottait à proximité des quelques tentes qu’avait dressées cette section ou escouade qui, nous le comprîmes, n’était qu’une avant-garde. Nous reprîmes aussitôt notre route, Rajiv s’avérant avare de nos remerciements.

 A suivre...

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[1] Autrement dit, ce soldat est équipé d’une lentille à infrarouge !