samedi 26 octobre 2019

La Conjuration de Madame Royale : chapitre 4 3e partie.


La brute poursuivait son martellement obstiné, menaçant d’enfoncer la porte si les occupantes n’obéissaient pas. 
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Servante inconditionnelle, Félicitée Flavie savait ce qu’elle devait faire pour protéger sa mie royale. Elle se positionna hardiment, toujours en fine chemise, face à l’huis, les pistolets chargés, pointés sans hésitation sur la cible proche afin qu’elle fît mouche aux premiers coups. Le bois faiblissait, ébranlé par le colosse. Il se fendit et les gonds cédèrent, la porte éclatant puis s’effondrant en un fracas bon à exciter les animaux noctambules errants.

Les chiens s’abaissèrent simultanément, les étincelles jaillirent et les balles jumelles s’éjectèrent des canons. Ce fut à peine si le recul fit frémir la garde du corps. Elle savait tuer son homme, à coup sûr. Elle appartenait à l’élite, dévouée au Sang Bourbon. 
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L’effet de surprise joua, non pas que le molosse pénétrant en la demeure ne fût pas endurci et s’attendît à nulle résistance. Les projectiles frappèrent en plein visage, noircissant de poudre la face de la brute tout en l’ensanglantant. Elle vacilla un instant, hésitant entre l’effondrement et l’équilibre. Optant enfin pour la chute, elle ébranla le parquet. Le cadavre bouchait presque l’accès à l’appartement, gênant ses acolytes. Il arborait désormais un masque tout à la fois écarlate et fuligineux. La première balle l’avait défiguré, éclatant le cartilage du nez et fracassant le maxillaire supérieur, conférant à la dépouille un de ces rictus de cauchemar annonciateur des gueules cassées d’un conflit potentiel, situé quelque part en une autre piste temporelle. La seconde avait crevé l’œil droit, pénétrant jusqu’au cerveau, bien mieux que la lance de Montgomery
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 elle-même. Il nous faut préciser que les balles utilisées par Félicitée étaient d’une nature nouvelle, creuses, fondues dans un alliage inédit d’argent et de tungstène, élément chimique découvert moins de vingt ans auparavant par les frères de Elhúyar, scientifiques espagnols, avec une micro-charge de fulmicoton en leur cœur, ce qui expliquait les dommages spectaculaires occasionnés à la tête de la victime car, non content d’avoir lésé la matière cervicale, le projectile numéro deux était ressorti par l’occiput, l’arrachant, le dissociant des autres éléments crâniens, après avoir creusé promptement son chemin, en vrille, à travers les matières organiques, comme les tarets creusent les coques en bois. N’omettons pas de préciser, en ce tableautin dantesque et « futuriste », les projections d’esquilles conséquentes et la matière méningée nauséabonde jaspant le sol.

C’était compter sans les autres policiers, d’autant plus que Maria-Elisa en personne dirigeait l’assaut. Après une courte hésitation, ils enjambèrent le cadavre de leur comparse. L’homme de tête se présentait comme un grand escogriffe en civil, coiffé d’un sinistre tuyau de poêle d’une teinte de suie, la redingote anthracite aux boutons sciemment ternis (art du camouflage et de l’incognito s’entend) boutonnée jusqu’au col, la figure en lame de couteau passée au brou de noix afin qu’il passât inaperçu la nuit. Félicitée Flavie vit qu’il tenait une de ces armes de poing nouvelles, un colt à barillet. Pleine de ressource, dotée d’excellent réflexes, elle exhiba en un tour de main un poignard damasquiné de la jarretière droite qu’elle avait conservée (détail érotique superbe), relevant sa chemise juste le temps d’un regard mâle fugitif et lubrique, et, se jetant sur l’homme, enfonça de sang-froid, comme une mécanique humaine de La Mettrie dépourvue de tout sentiment, la lame effilée en sa gorge avant qu’il pût faire feu. La « mouche » s’affaissa sur le colosse, le rejoignant aux enfers, gargouillant en agitant spasmodiquement ses membres de sauterelle sinistre.

Notre femme hardie vit alors bien pis – quelque chose qu’elle ne connaissait nullement, et qu’elle ne pouvait parer, sauf folie périlleuse de sa part. C’était Maria-Elisa qui brandissait une version miniaturisée de la Gatling introduite par Galeazzo en personne dans les armées royales dix-huit ans auparavant[1], prémices redoutables de la mitraillette des gangsters de la prohibition de l’autre temps.
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La jeune favorite frissonna. Elle crut sa dernière heure venue. Elle se trouvait désarmée. Quelques gouttes de sueur humectèrent le duvet blond de sa nuque. Cependant, Madame Royale veillait au grain. Elle connaissait ces machines-guns, en avait vues enfant, lorsque sa mère Marie-Antoinette avait souhaité qu’elle assistât aux manœuvres des Gardes Suisses lors qu’elle avait sept ans. Elle avait vent de la cadence de tir, du nombre de balles que le chargeur contenait, des capacités perforatrices létales de l’arme nouvelle. Comment éviter cette destinée de passoires humaines ? Madame et sa sublime mie allaient elles là achever leur brève et tragique existence, en pantins sanglants inermes transpercés de trous immondes ? Certes, elles seraient mortes pour une noble et légitime cause, donnant leur vie avec un héroïsme alliant féminisme et loyalisme…

Il n’y avait pas d’autre échappatoire que la fenêtre, au risque qu’elles se rompissent le cou. La pièce avait vue sur une cour intérieure en contrebas, avec une écurie comportant quatre montures qui pour l’heure, se reposaient en leur box. Puis se trouvait une porte cochère, fermée à cette heure. Il fallait non pas sauter directement les cinq mètres les séparant du sol, mais s’agripper aux corniches jusqu’à la gouttière où les deux femmes se laisseraient glisser le long du tuyau de plomb servant à l’évacuation des eaux pluviales. Cela serait aisé pour Félicitée presque nue et fort souple, mais Marie-Thérèse de France s’était en partie rhabillée, ce qui ne l’allégeait point.

A l’instant, un hululement de hibou retentit dans la nuit. C’était peut-être déjà l’heure convenue, le salut, le signal : Maël de Kermor arrivait ! Madame subodora son avance salvatrice.

Il nous faut plus de temps et de mots pour décrire une action qu’en démontrer la vitesse réelle, cela faute de cinéma, puisque, dans l’écoulement normal des événements, ladite action ne prit qu’une poignée de secondes.

Adonc, toutes deux se précipitèrent à la fenêtre, en tirèrent les rideaux et l’ouvrirent, permettant à l’air froid de la nuit de s’engouffrer dans la pièce. Félicitée hissa Marie-Thérèse Charlotte de France par-dessus le rebord. Elles s’en furent à l’air libre et, en d’acrobatiques contorsions que facilitait leur jeunesse rompue aux exercices équestres et à la paume, effectuèrent un rétablissement sur la première corniche bien moulurée jusqu’à se saisir du tuyau plombé qui permettait aux eaux pluviales de la gouttière proche de s’écouler. En contre-bas, nous le disions, se trouvaient une cour intérieure, une écurie, une porte cochère. Cette porte, désormais, était ouverte, et nos deux fugitives aristocratiques purent constater l’arrivée d’un charroi, de fait, une voiture anonyme, toute noire, dépourvue d’armoiries, attelée de quatre chevaux à la robe aussi discrète que possible. C’était là le véhicule attendu, dont le cocher, un fier breton, avait la charge jusqu’à Calais avant qu’une frégate embarquât nos proscrits. Deux passagers armés s’y trouvaient : Maël de Kermor et celui qu’il était convenu d’appeler une force de la nature, Georges Cadoudal. L’expression de gorille n’était pas encore inventée : il s’en fallait encore d’un demi-siècle de l’autre temps pour que Paul du Chaillu
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 mythifiât le grand singe africain. Cadoudal rivalisait avec Danton qu’il rêvait d’affronter à la lutte. Ce fut lui qui descendit de cette voiture, intermédiaire entre le fiacre et la malle-poste. Son carrick était ceinturé de colts et il portait une cartouchière de cuir qui n’eût rien à envier à celles des révolutionnaires mexicains de l’autre XXe siècle. Le cocher lui-même arborait une carabine en bandoulière. Avec un tel équipage, nuls brigands ou escouades de gendarmes napoléonides ne se hasarderaient à une attaque périlleuse.

Cadoudal, debout, attendait les deux jeunes femmes. Le colosse scrutait la fenêtre ; il les vit en périlleuse situation. La surprise passée, Maria-Elisa et ses sbires s’étaient ressaisis et canardaient deux silhouettes mouvantes qui commençaient à glisser le long du tuyau. Notre policière arrosait de rafales le plomb de la conduite en espérant qu’elle se rompît et entraînât les deux donzelles jusqu’au bas de la cour où leurs os se briseraient. Elle répugnait à viser les chairs des fuyardes, comme si elle espérait que leurs cadavres demeurassent présentables à la morgue du Châtelet.

Ce fut alors qu’elle aperçut le géant loyaliste.

« Tirez sur cet homme ! Je m’occupe des deux aventurières ! » ordonna-t-elle aux survivants de sa troupe.

Une pluie métallique s’abattit en bas, visant avec maladresse la masse de Cadoudal qui riposta. Certes, une balle de colt occasionna une estafilade bégnine à son bras gauche, se contentant de léser la manche du carrick. Il faut dire que les armes nouvelles n’étaient pas toujours aussi précises qu’on l’eût espéré. Ainsi, Galeazzo, promoteur des mitrailleuses, ne pouvait savoir que trois ans après son année originelle (1867) la possession de Gatling
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 montées en canons n’assurerait nullement la victoire de Napoléon III dans le conflit franco-prussien !

Au contraire des mouches, Georges savait viser : il abattit un tireur qui chuta de la fenêtre. Bientôt, les tirs de Maël et du cocher s’ajoutèrent à ceux de Cadoudal et nos canardeurs firent passer un mauvais moment aux forces du nouvel ordre. Le feu napoléonide, d’abord nourri, s’estompa comme si Maria-Elisa se résignait à abandonner la partie ; c’était mal la connaître. Elle possédait un appareil hybride, sorte de compromis entre le télégraphe optique (mais miniaturisé), les miroirs d’Archimède et le téléphone primitif qui permettait de transmettre les ordres à distance. Elle prévint ainsi les garnisons des portes de l’octroi : il s’agissait pour elles d’intercepter tout véhicule, à chevaux comme sans chevaux (y compris un simple quidam chaussé d’une paire de bottes à vapeur prohibées) qui voudrait se hasarder hors de la capitale.

Pendant ce temps, avant que le tuyau ne cédât, profitant de l’affaiblissement des tirs policiers, Madame Royale et sa fidèle sautèrent et furent réceptionnées par Cadoudal
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 et le cocher. Ce dernier rougit quelque peu quand il constata la presque nudité de Félicitée Flavie. Il s’empressa de la couvrir avant que tout le monde ne prît place dans la voiture et que l’équipage s’ébranlât par la porte cochère, sans toutefois empêcher que quelques balles attardées de mouches insistant lors sifflassent, ce qui arracha quelques échardes au charroi.

Maria-Elisa eut cette pensée :

« Mesdames, vous qui vous dites de qualité, ne triomphez pas trop prématurément ! »

Dans l’habitacle capitonné, Maël de Kermor avait baisé la main de Son Altesse.



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La même nuit, ni Napoléon, ni le comte italien ne se doutaient de ce premier échec. Le souverain usurpateur dormait de son habituel sommeil agité de mauvais songes. Outre les communes batteries obstinées de tambours, il captait des sensations olfactives désagréables.

Le fantôme d’abbé était revenu, plus décomposé que jamais. Sa bouche gâtée ne cessait de murmurer la même litanie aberrante : Fils de Saint-Louis, montez au ciel ! avant que sa main droite désincarnée et sèche n’esquissât une bénédiction.

Cependant, un fait nouveau se produisit : des lambeaux rongés de son habit ecclésiastique aulique, de Firmont
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 ou l’entité ténébreuse supposément dotée de ce nom, extirpa un livre horrible. Il s’agissait d’un codex charognard exhalant des remugles sépulcraux, comme gainé de terre et de mycélium. La reliure poissait d’ichor et de phlegme, et fait encore plus horrible, était parsemée de trous desquels des vers de charogne sortaient et rampaient. L’homme d’église ou son ombre posa l’ouvrage putrescent au chevet même du monarque. Napoléon hurla, se réveillant en sursaut.

L’aube pointait. Comme de coutume, le monarque tenta vainement de dissiper ces manifestations oniriques brumeuses et gothiques. Quelle ne fut pas sa stupeur de constater la présence effective de l’offrande du fantôme, posée à ses pieds, sur le lourd brocard du lit royal.

Le livre surnaturel revêtait un aspect contraire à celui du songe. Il paraissait tout neuf, comme sorti de la presse. Napoléon hésita d’abord, avant de s’en saisir. L’œuvre était rédigée en latin, illustrée de gravures complexes, au caractère énigmatique pour les néophytes. Le roi observa la reliure, la tournant en tout sens. Elle ne comportait ni marque, ni poinçon. A l’intérieur, nul imprimatur. Il le feuilletait, en quête de l’auteur et du titre. Le frontispice n’était pas à la place attendue : on eût dit que ledit ouvrage était inversé, débutant par la fin. Ce fut la dernière page qui en dévoila l’identité, à défaut de la clef pour tout le comprendre :

Telluris Theoria Sacra de Thomas Burnet. Edition princeps 1680. 
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La gravure du frontispice représentait Jésus-Christ debout, avec des têtes de chérubins et des inscriptions grecques. Sous les pieds du Christ brandissant une bannière, un cercle de sphères dont aucune n’avait le même aspect.
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Napoléon ne pouvait conserver un tel don pour lui seul. Il se devait d’en informer immédiatement le comte di Fabbrini. Seuls des scientifiques comme Laplace parviendraient à déchiffrer un tel ouvrage….

A suivre...



[1] Voir Le Nouvel Envol de l’Aigle.