En 1968, je vis mon premier train
fantôme. C’était au Luna Park du parc Chanot, où Jocelyne avait fait des
simagrées parce qu’elle ne voulait pas monter dans la grande roue. L’attraction
du train fantôme me fascina, mais je n’y montais pas : je retins ce décor peint
de château fort hanté, de fausses pierres de taille, avec son enfilade de
squelettes, ses wagonnets s’aventurant aux étages supérieurs, sur des espèces
de balcons à arcades ou arcatures, et il était incontestable que, le 6 août
1980 à OK Corral, il s’agissait du même, dans lequel je fis un tour, qui me
déçut, alors que je m’étais fait photographier posant devant ce « monument »
des arts forains de pacotille comme un grand industriel du XIXe siècle devant
son usine.(...)
Les quinze derniers jours avant
le 30 juin, nous n’apprenions plus et emmenions nos jouets en classe. C’était
le meilleur moment de l’année scolaire. C’était aussi le temps de la fameuse
foire à l’ail des allées Léon Gambetta, en haut de la Canebière, foire qui se
tenait aussi cours Belzunce selon les époques. On n’y vendait pas que ces aulx
détestés, que maman adorait, dénaturait en les cuisant, aliment le plus
exécrable bon à vomir que j’aie connu avec l’oignon et l’échalote dont sa
cuisine soi-disant à la provençale abusait. On y trouvait aussi des poteries
typiques, en argile, avec une glaçure jaune ou verte, inachevée du fait qu’elle
ne recouvrait pas toutes ces gargoulettes et autres objets que je ne savais
nommer, avec aussi les cigales de Sicard, plus aubagnaises celles-là. Par
esprit de contradiction, afin peut-être d’exorciser mes peurs, je débutai en
cette foire de juin 1971 une collection éphémère d’insectes et monstres en
caoutchouc, achetés dans des distributeurs, logés dans de petites boîtes en
carton. Jocelyne fit la dégoûtée comme de coutume.
Je suis retourné encore une fois
à Aubagne vers le début d’été. Je venais de regarder un reportage télévisé
consacré aux forains, surtout ceux de l’attraction obsédante du train fantôme,
que l’on interviewait. On voyait la succession de tunnels et de portes
automatiques s’ouvrant sur des bonshommes déguisés en fantômes, en singes ou en
squelettes en train de s’agiter et d’émettre des gémissements lugubres. (...)
D’autres crânes, d’autres
squelettes m’attendaient, d’une part quand pour une autre première fois, un
dimanche matin, papa me mena à ma première vraie visite de musée, au palais
Longchamp, au muséum d’Histoire naturelle, avec son éléphant empaillé de
l’entrée que maman jugeait puant et sa carapace de tortue de mer géante, et
d’autre part à Luna Park en février 1972 où enfin je montai dans mon premier
train fantôme, ce qui allait entraîner une théorie de dessins, de rêves et de
constructions hasardeuses.
J’ai donc pu apprécier mes
premiers crânes fossiles d’hommes préhistoriques et mes premières dépouilles
osseuses et naturalisées d’animaux, m’initiant aux rudiments de la taxinomie en
complément de l’enseignement de mon institutrice (je constatais que les espèces
inférieures – poissons, insectes, mollusques, coquillages –, selon un schéma
muséologique hérité, je le sus après, du XIXe siècle – le Palais Longchamp
remontait après tout à Napoléon III -,
étaient reléguées à l’étage supérieur, celui d’en-dessous étant dédié à
la préhistoire et aux animaux dits supérieurs, autrement écrit les mammifères)
de même que mes premiers monstres automates. Jamais dépourvue de réflexions à
mon encontre, Jocelyne, sarcastique, me déclara que si ce train fantôme avait
effectivement contenu les mêmes monstruosités et hideurs que celles peintes ou
se mouvant à l’extérieur pour appâter le chaland, j’aurais hurlé de trouille.
En particulier, je pus focaliser sur une araignée de mer géante, agitant ses
pattes articulées, sur le chevalier squelette, sur l’éléphant déchaîné et
l’extra-terrestre bizarre, que je supposai jupitérien, armé de son pistolet
désintégrateur, en plus de cette paroi peinte ouvertement plagiée (je le
reconnus bien plus tard), de la représentation de l’enfer dans le film muet de
1922 Haxan, la sorcellerie à travers les âges, à moins qu’elle eût été inspirée
par le Maciste aux enfers de la même époque, lui-même copié sur Dante. Il était
vrai que les wagonnets automatiques bariolés ornés de barres chromées qui
s’abaissaient et se bloquaient lorsqu’ils s’ébranlaient m’impressionnaient
aussi : ils étaient poussés par diverses créatures, sorcières, mannequins à la
dégaine couturée digne de Frankenstein et diables, que j’allais transposer en
dessins durant les prochaines vacances de Pâques. Je craignis que l’un de ces
vilains démons ne fût de notre voiture : ils étaient tout nus et arboraient de
longs poils rêches, des cornes et une fourche de mauvais aloi alors qu’ils
étaient tout bêtement en plâtre, en papier mâché et en carton-pâte. Ce fut avec
papa que je montai, échappant par bonheur à ces effigies théâtrales velues
apparentées au loup-garou, héritant d’un banal zombie ou noyé défiguré (un
spectre de loup de mer ?). Aussitôt abaissée la barre chromée de sécurité de la
voiturette, elle se mit en route sur ses rails, tournant vers une porte
automatique qui nous fit pénétrer dans la place. Au sein des ténèbres de l’attraction
bruissant de mille hululements fantomatiques et autres gémissements de maison
hantée, je vis des portiques de dragons et de sorcières fluorescents, des
boyaux phosphorant s’écartant à notre passage… Papa me dit, vers la fin : « Ne
sens-tu pas que l’on te touche ? » Notre voyage prit fin, sans que je fusse
vaseux et vert de peur.
Heureusement, dans l’atmosphère
bruyante et enfumée de cette fête foraine en hangar du parc Chanot, à côté du
boulevard Rabatau, il y avait aussi le fort attrayant manège des tacots : je
conduisis une bagnole pour la première fois.
Peut-être que ce type
d’attraction macabre généra en moi la survenue de mes premiers rituels ou TOC
nocturnes avérés : je me mis à jouer au train fantôme dans mon lit, jusqu’en
classe de 6e. Cela consistait à mimer sous les draps le verrouillage de la
barre du wagonnet, à faire comme s’il roulait, à reproduire le signal de son
ébranlement, à hululer aussitôt après les plaintes spectrales en leurs
différents registres, de baryton ou de basse noble. La literie devint pour
plusieurs années le réceptacle du tunnel lugubre où se tapissaient des légions
immondes et glauques de monstres, de squelettes et de revenants. Lorsque je
couchai dans une chambre individuelle à compter d’août 1973 à Aubagne, j’eus
tendance à sophistiquer davantage ce rite infantile puisqu’il intervenait
désormais dans mon processus de ré-endormissement lorsqu’il m’arrivait de m’éveiller
de manière prématurée. Jouer au train fantôme avec nos vieux draps blancs plus
ou moins élimés, gémir sous la couverture comme un spectre au lieu de compter
les moutons…pourquoi pas ? (...)
Mon plus beau cadeau de cet
ultime Noël de croyant, ce fut le village western que j’avais moi-même souhaité
avoir, complément astucieux du feuilleton pour enfants Aubrac City, car présent
en photo dans un catalogue de jouets. Il se complétait de cow-boys et d’Indiens
en couleurs, dont la peinture des chemises avait une fâcheuse tendance à
s’écailler, d’une diligence attelée et même d’un canon avec sa boîte de petits
boulets. Je l’avoue : ce fut papa qui monta le village, en colla les pièces :
prison, saloon, general store, maréchal-ferrant ou blacksmith, poste…le tout
servirait de cadre aux homériques batailles de petits soldats que Louis-Armand
et moi livrerions en août 1972 avant, dépareillé, d’achever en tant que
baraques démantibulées, sans façade, de train fantôme des Schtroumpf Bully
figuren à l’été 1976. (...)
Cependant, j’avais d’autres
projets : l’histoire de trains fantômes et de leurs monstres, notamment par le
dessin et par la construction. Utilisant les réserves de vieux cahiers de papa,
puisant autant dans les grands formats à carreaux (bleus avec une plume d’oie
blanche sur la couverture) ou à feuilles de dessin (d’un vert moche) que dans
ceux de brouillon (rouge-orangé avec un palmier), je m’attelai à mon grand
dessein, remontant aux supposés embryons forains du XIXe siècle et des années
1930, ne manquant jamais de reproduire avec gaucherie mes diables poilus
pousseurs de wagonnets. Je griffonnais mes dessins, mes guignols, comme disait
maman, d’une manière consciencieuse, appliquée, quasi maniaque. Je n’omettais
aucune traverse aux rails sommaires à petit écartement du train des épouvantes,
aucune patte à l’araignée de mer ou pieuvre robot qui décorait le fronton de ce
castel hanté. Le chevalier-squelette en armure, monté sur son destrier,
m’occasionnait plus de peine ; tous les squelettes en général, non seulement à
cause de mes maladresses enfantines, mais aussi de ma méconnaissance
anatomique, des proportions, des os divers. Cela conférait à cette catégorie de
monstres - indissociable de l’idée même de train fantôme ou de château hanté,
quintessentielle même - une difformité
maladroite, tératologique, une conformation torve digne des freaks dont je
n’avais pas entendu parler. Pour faire bref, mes squelettes avaient un
je-ne-sais-quoi d’aspect rachitique et tordu, aux jambes trop courtes, trop compactes,
des cages thoraciques disproportionnées, aux côtes sous ou surnuméraires, des
crânes simplistes etc. Ainsi qu’il en était dans mes soliloques « astérixiens
», je glosais, dissertais mezza-voce sur mon cahier à thèse à couverture
orangée au palmier orientaliste schématique, parlant de créature en créature
fabuleuse, imaginant nature et origines, caractéristiques et existence, buts et
moyens d’effrayer, engendrant ainsi une authentique exégèse des monstres
classiques forains : la momie, le fantôme, le vampire, le diable, le squelette,
le loup-garou, l’extra-terrestre, le singe… Mes fantômes, justement, se
simplifiaient à l’extrême ; ils en acquéraient une aura symbolique avec leur
drap blanc triangulaire, leurs deux trous oculaires, leur sourire énigmatique
et le boulet enchaîné qu’ils traînaient. Je sus m’en souvenir dans le roman
Mexafrica, lorsque le jeune fasciste Balilla disserte sur les différents
monstres dans une scène située en 1936 dans un parc d’attractions américain, où
Fred Astaire et Dick Powell se retrouvent piégés dans la maison hantée. Ce que
cette impénitente et bavarde chemise noire déblatère doctement au sujet de la
créature de Frankenstein ou du vampire, constitue une autoréférence à mon
propre cahier de dessins de 1972.
« Construire » mon train fantôme
fut moins évident que jamais, quoique je m’attelasse à la tâche avec
enthousiasme. Je dessinais au stylo feutre ou au crayon Caran d’Ache les parois
bariolées que je tentais d’assembler, de coller ; je ne sais pourquoi, je
voulus débuter par le bout de couloir avec la porte automatique d’entrée où
s’engouffraient les wagonnets. Le résultat fut peu probant et cochonné ; les
bouts de cartons collés ne concordaient même pas entre eux. Je demeurerai
toujours un maquettiste médiocre. J’abandonnai donc, découvrant peu après les
supports idoines : le château-fort et le chalet suisse, détournés de leurs
usages ludiques premiers. Le chalet ne fut plus qu’une longue galerie, peuplée
de dinosaures Starlux dont mes dernières acquisitions : Plésiosaure, Dimétrodon
et Shantungosaure. Détail d’une incongruité crasse, voué à un bel avenir :
l’entrée du « train » (sans rails) était surmontée de l’effigie du nain de
Blanche Neige Prof, qui saluait, figurine souple obtenue en cadeau dans une
station-service. Ainsi naquit le premier train fantôme des nains. (...)
Vous dirai-je que l’année
suivante (février 1973), Jocelyne refusa que je retournasse dans le le train
fantôme de Luna Park du parc Chanot ? Je dus me contenter de le regarder de
loin, d’en ouïr les bruits, les ululements spectraux ; j’admirais la laideur
des mannequins de diables éternellement accrochés à leurs voiturettes. Sans
doute cette hideur de papier mâché mal moulé constituait-elle la principale
raison du refus de ma sœur qui voulait tout régenter : en secret, elle avait
plus peur encore que moi de ces figures mal foutues et mal modelées, aux poils
pantelants, nues de surcroît, ce qui ne nous empêcherait pas de les décrire, en
hommage, dans le roman Le Tombeau d’Adam, au chapitre se déroulant en 1966 dans
une fête foraine où ces modestes monstruosités des arts forains contemporains
se retrouvèrent en bonne compagnie.
Adonc, en février 73, je dus me
contenter d’imposer une attraction loupée, minable : le Satanic. Il s’agissait
d’un modeste château hanté, lui aussi peuplé d’illustrations sonores de
plaintes fantomatiques. A la différence du train fantôme, on visitait cette
nullité à pieds. Elle nous parut cher payée pour ce qu’elle était. Ma taille
réduite de gamin m’empêcha de sentir les toiles d’araignée factices frôler mon
front. L’exiguïté des corridors métalliques du Satanic, plongés dans une
obscurité presque intégrale, engendrait l’unique impression oppressante des
lieux : ils n’étaient pas recommandables aux claustrophobes et aux gens extra
larges. Un paillasson sur lequel nous marchions devait figurer une fourrure de
loup-garou ou d’autre bête fauve ; des côtes de squelettes en plastique entre
lesquelles chaque client devait se faufiler dans une semi pénombre parfois
phosphorescente et rougeoyante ajoutaient aux désagréments sans que j’y eusse
eu jamais peur, sans que j’y eusse tremblé le moins du monde. Aucune marche ne
se déroba sous mes pas de minot de huit ans.
Ce fut pourquoi, lorsqu’il vint à
la maîtresse d’école de CE2 la lubie de nous faire raconter par écrit notre
expérience de Luna Park (preuve un tant soit peu qu’à Marseille, au contraire
de ce que je connaîtrai l’année suivante, une fois devenu aubagnais, nous
partagions bien une culture enfantine commune), les choses faillirent tourner
au débat contradictoire, à la querelle théologique, d’autant plus que le tout
devait aboutir à dessiner une espèce de fresque ou de frise collective autour
du thème de la fête foraine : une archi redoublante de déjà onze ans (l’hyper
cancre de la classe), avait écrit une phrase sacrilège, anhistorique, hérétique
: elle prétendait haut et fort que dans le Satanic, il y a un mannequin de
monstre qui nous donne des coups de couteau. Assener des coups de lame, de
surin, poignarder ? Allons donc ! Tous, nous nous récriâmes, connaissant sur le
bout des doigts l’exacte médiocrité de ce manège. Béatrice et moi-même fûmes
aux premières loges pour prouver que cette gamine affabulait : son imagination,
son inventivité, se peuplaient par anticipation de fantasmes victoriens d’oies
blanches de films de la Hammer, de saintes nitouches gloussantes cherchant à
s’encanailler en douce, fantasmes qui me seraient révélés avec Jack
l’éventreur. Le procès fut inquisitorial, sans pitié pour la petite cancre (par
ailleurs gigasse). Le problème fut, à notre grand dam, que l’institutrice fit
conserver la phrase fausse dans l’exposé. Voilà comment on déforme l’Histoire,
en inventant.(...)
Ce n’est pas la peine que
j’égrène et expose la totalité des événements anecdotique qui me marquèrent à
cette époque : la visite de tata
Thérèse du 20 janvier 1974 lors de la diffusion du film Sans famille,
avec sa boîte de Mon Chéri aux noisettes, amandes et autres, avec du papier
d’emballage doré ou argenté, mon rhume de la fin janvier, ma visite à Luna Park
du dimanche 17 février 1974 avec papa, où j’empruntai le meilleur de tous les
trains fantômes que je connus, le Continental Orient, craignant de tomber sur «
l’épouvanteur » déguisé en gorille,
m’encapant celui habillé en squelette fluo, auquel papa expliqua que j’étais très impressionnable… Ce train fantôme était peuplé de monstruosités diverses et appréciables, dont une araignée géante automate, un squelette de pirate avec ses coffrets emplis d’écus, de joyaux et de pierreries factices, un spectre phosphorescent bleuté à tête de mort flottant dans les ténèbres, des tombeaux d’où saillaient des corps décharnés fluo vert-orangés et des mannequins métalliques de cyclopes et autres forgerons de Vulcain armés de leurs marteaux, s’entrechoquant et s’écartant du wagonnet juste avant la sortie. L’attraction se caractérisait aussi par ses étages superposés, ses allées et venues de l’intérieur vers l’extérieur via des rails pentus dignes de mini montagnes russes, l’homme-gorille de temps à autre agrippé derrière vous, rails parfois sortant sur des balcons hantés pour se réintroduire illico dans l’obscurité angoissante. Naturellement, les plaintes enregistrées de revenants retentissaient. Je regrettais seulement l’absence de deux détails : contrairement à 1972-1973, les voitures étaient dépourvues de ces fameuses effigies de sorcières, zombies et diables en papier mâché ou carton-pâte. La licorne manquait à l’appel des peintures des parois ainsi que l’éléphant en furie ; par contre, la statue de yéti ou big foot aux gros pieds griffus et l’espèce de Ramapithèque hindou ou singe Hanuman suspendu au plafond d’une main tout en tenant un gourdin de l’autre me plurent fort, au point que le simien hominien allait tenir brièvement la vedette dans notre pièce de théâtre fantastique Monsieur Cyprien en 1981. De fait, j’eusse dû songer plutôt à un gibbon ou siamang, plus approprié à l’Asie puisque ce train fantôme était censément chargé de nous conduire en un Extrême Orient fantasmatique ainsi que le mentionnait son nom magique d’Orient Express de l’horreur. Ce fut l’apogée sans conteste de ce type de manège, demeuré inégalé jusqu’à Disneyland Paris en 1996. Bientôt, les musées d’anthropologie et de tératologie allaient tailler des croupières aux trains fantômes, désormais déclassés dans un imaginaire infantilisant. (...)
m’encapant celui habillé en squelette fluo, auquel papa expliqua que j’étais très impressionnable… Ce train fantôme était peuplé de monstruosités diverses et appréciables, dont une araignée géante automate, un squelette de pirate avec ses coffrets emplis d’écus, de joyaux et de pierreries factices, un spectre phosphorescent bleuté à tête de mort flottant dans les ténèbres, des tombeaux d’où saillaient des corps décharnés fluo vert-orangés et des mannequins métalliques de cyclopes et autres forgerons de Vulcain armés de leurs marteaux, s’entrechoquant et s’écartant du wagonnet juste avant la sortie. L’attraction se caractérisait aussi par ses étages superposés, ses allées et venues de l’intérieur vers l’extérieur via des rails pentus dignes de mini montagnes russes, l’homme-gorille de temps à autre agrippé derrière vous, rails parfois sortant sur des balcons hantés pour se réintroduire illico dans l’obscurité angoissante. Naturellement, les plaintes enregistrées de revenants retentissaient. Je regrettais seulement l’absence de deux détails : contrairement à 1972-1973, les voitures étaient dépourvues de ces fameuses effigies de sorcières, zombies et diables en papier mâché ou carton-pâte. La licorne manquait à l’appel des peintures des parois ainsi que l’éléphant en furie ; par contre, la statue de yéti ou big foot aux gros pieds griffus et l’espèce de Ramapithèque hindou ou singe Hanuman suspendu au plafond d’une main tout en tenant un gourdin de l’autre me plurent fort, au point que le simien hominien allait tenir brièvement la vedette dans notre pièce de théâtre fantastique Monsieur Cyprien en 1981. De fait, j’eusse dû songer plutôt à un gibbon ou siamang, plus approprié à l’Asie puisque ce train fantôme était censément chargé de nous conduire en un Extrême Orient fantasmatique ainsi que le mentionnait son nom magique d’Orient Express de l’horreur. Ce fut l’apogée sans conteste de ce type de manège, demeuré inégalé jusqu’à Disneyland Paris en 1996. Bientôt, les musées d’anthropologie et de tératologie allaient tailler des croupières aux trains fantômes, désormais déclassés dans un imaginaire infantilisant. (...)
Jocelyne me déclara, à la galerie
d’anatomie comparée, que maman, heureusement, avait manqué le pire :
qu’eût-elle ressenti face à tous ces squelettes et spécimens disséqués, écorchés,
d’animaux actuels, devant ce fœtus de cheval, cette tête égorgée de singe, et
autres joyeusetés qui, dans un courrier ultérieur que j’adresserai à
Louis-Armand au début du mois d’août (car je ne vous ai pas encore dit que
j’avais entamé à compter de la fin août 1979, et pour une décennie, une
correspondance assidue avec mon cousin), me feraient attribuer la note
horrifique maximale à cette galerie faisandée et empoussiérée du Muséum,
pullulant de fressures zoologiques, lorsqu’il s’agira d’évaluer les lieux les
plus emblématiques de l’épouvante, prétexte à attribuer des notes sur vingt
fort peu mirobolantes aux trains fantômes successifs vus à la télévision, ou
dans les bédés, ou dans lesquels il m’était advenu de monter (j’en profiterai
pour attribuer un 11/20 miteux au train fantôme d’OK Corral, qui avait eu
l’insigne honneur de m’accueillir le 6 août 1980 sous du 33° à l’ombre, tandis
que le fort subliminal ghost train d’un épisode de Skippy le Kangourou se verra
gratifié d’un 10,5/20) ? Remarquons que le Musée de l’Homme allait obtenir haut
la main la deuxième meilleure note… (...)
Je me remémorais les derniers
événements notables et distrayants de l’ultime quinzaine. Je renonçais à regret
à l’approfondissement inutile de nos têtes de monstres de 1977, entreprise
graphique trash que Louis-Armand et moi avions infructueusement tenté de
relancer en juillet, dont la seule pustule novatrice, si je puis l’écrire,
avait été de sa part le bouton de pus Plastic Bertrand.
Au contraire, nous avions entrepris la construction-conception-élaboration réussie d’un train fantôme à partir de vieux bouquins de la bibliothèque rose et verte et de cartons de loto défraîchis, gribouillés au crayon par mes soins de 1967-1968. Nous l’avions peuplé avec les rescapés de nos immolations, personnages non mutilés de Walt Disney et d’Astérix, victimes de monstruosités multiples interprétées par mes dinosaures Starlux. Louis-Armand était allé jusqu’à commettre une chanson douteuse, copiée de la musique des cartoons de la WB. Cette chanson avait été attribuée aux nains de Blanche-Neige, qui mouraient, décimés, en tombant dans des pièges tous évitables : On se lève tôt le matin, poils aux pieds et poils aux mains, c’est nous les petits nains. Et il chantonnait cela, cette nullité, en prenant la voix française nasillarde de Daffy Duck, qui ne valait aucunement la caractérisation de Mel Blanc dans la VO.
Au contraire, nous avions entrepris la construction-conception-élaboration réussie d’un train fantôme à partir de vieux bouquins de la bibliothèque rose et verte et de cartons de loto défraîchis, gribouillés au crayon par mes soins de 1967-1968. Nous l’avions peuplé avec les rescapés de nos immolations, personnages non mutilés de Walt Disney et d’Astérix, victimes de monstruosités multiples interprétées par mes dinosaures Starlux. Louis-Armand était allé jusqu’à commettre une chanson douteuse, copiée de la musique des cartoons de la WB. Cette chanson avait été attribuée aux nains de Blanche-Neige, qui mouraient, décimés, en tombant dans des pièges tous évitables : On se lève tôt le matin, poils aux pieds et poils aux mains, c’est nous les petits nains. Et il chantonnait cela, cette nullité, en prenant la voix française nasillarde de Daffy Duck, qui ne valait aucunement la caractérisation de Mel Blanc dans la VO.
Je reprochais à mon cousin la
scatologie des paroles qui s’ensuivaient, le pléonasme honteux appliqué en
toute connaissance de cause, l’abus de moquerie odieuse concernant les
Romains au cœur entouré de graisse et à
la toge bien tendue, pathologie dont il prétendait que Siky souffrait.(...)
Je suais sous le cagnard d’OK
Corral à la nourriture méridienne infecte, à l’eau minérale servie à température
ambiante (33° pour rappel en ce 6 août 80), au grand-huit quelconque (le seul
où je ne vomis pas), au train fantôme éculé où nous tâtait impudemment un
forain hippie torse nu au sein de la fournaise enténébrée de ces tôles de
castel pastiche – celui-là même que j’avais vu à Luna Park au crépuscule des
années 1960, attraction devant laquelle j’eus la prétention de poser pour les
photos de papa, vêtu d’un polo bleu marine. Je fis prendre aussi le pauvre
vieux bison atterré par la canicule, ainsi que cet épisode de Far West
d’opérette, duel entre le cow-boy et l’Indien, alors que je me refusais à
monter à bord du bateau pirate oscillant. Et ce parc d’attractions décevant
avait constitué un de mes plus chers vœux d’enfant de l’an 1972 ! Je regrettais
le Continental Orient, le meilleur de tous mes trains fantômes, furtivement
aperçu, à distance, depuis la portière passager arrière de la 304 de papa, en
la Pointe Rouge de ce début d’août 1980. (...)
Instruit par mon échec précédent
et bénéficiant d’une courte rémission de ma sciatique grâce à des séances de
kiné, je passai en juin 1996 l’examen d’entrée en IUFM afin cette fois-ci de
préparer sérieusement le CAPES de documentation.
Cependant, au cours de
l’intermède que constitua mon séjour parisien du mois de juillet 1996, je ne
pouvais m’empêcher de ressentir, d’éprouver çà et là, d’étranges vibrations de
mon nerf (transmutation de la douleur chronique en autre chose ou
endormissement incomplet ?), vibrations qui surtout m’incommodèrent alors que
je traînais encore la jambe (avant une rechute, un redoublement de la crise en
plein mois d’août) lorsque Jocelyne et moi dûmes supporter les innombrables
attractions périlleuses et manèges calqués sur les trains fantômes sis au parc
Disneyland de Marne-La-Vallée, qu’il se fût agi du train fantôme de
Blanche-Neige (que je considérais comme tel), de ceux de Pinocchio et de Peter
Pan (les wagonnets se métamorphosaient en vaisseaux du XVIIe siècle
miniatures), de la maison hantée ou des pirates des Caraïbes. Jamais nous ne
montâmes en autant de trains fantômes qu’en cette journée couronnée de la
pierre noire du manège horrible et gerbant dénommé Indiana Jones et le Temple
du Péril, démoniaque grand-huit aux sensations nauséeuses démultipliées parce
que nous nous retrouvions à maintes reprises la tête à l’envers avant que
s’extirpât mon envie de vomir par la grâce d’une projection cinématographique
panoramique proche de celle de la Géode.
En cette Géode, d’ailleurs, nous
n’allâmes point, nous contentant d’une visite formelle à la Cité des Sciences
de La Villette, prenant notre courage à deux mains parce que le métro qui y
menait s’aventurait en une ligne lépreuse, mal famée, aux stations connotées
caillera, telles celles de Stalingrad, Barbès-Rochechouart, Abbesses et
compagnie. Et cette ligne n’avait pas usurpé sa réputation sinistre et glauque
car réputée pour son cosmopolitisme, mot dont l’usage connoté – selon mon
libraire – se perd de nos jours.(...)
FIN.