samedi 28 août 2021

La Conjuration de Madame Royale : chapitre 8 10e partie.

Aude Angélus étrenna son uniforme bleu à bonnet en l’école militaire du Champ-de-Mars

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 avec la même grâce enjouée qu’une Espagnole sa basquine.

 File:Basquine MET 1981.185.1 B.jpg - Wikimedia Commons

 Le mois de mai 1800 débutait et le test qu’elle s’apprêtait à passer – aussi court vêtue qu’une cantinière – allait s’avérer décisif pour les plans d’armes secrètes de Napoléon qui venait de lire un rapport alarmant de Dupin de la ville nouvelle de La Roche-sur-Yon : un convoi d’armes de contrebande destinées aux Poitevins loyalistes venait d’être intercepté, et le rôle de l’Angleterre dans son acheminement prouvé.

Elle arpenta la cour d’honneur, éprouvant le sol pavé sous ses pas, là où des exercices singuliers allaient lui être promis. A l’extérieur, le Champ-de-Mars en personne – dont elle devinait les senteurs herbeuses variées - lui tendait les bras, la sollicitait afin qu’elle brillât toute et démontrât ses facultés à l’ensemble du gratin belliqueux napoléonide. Elle, une arme ? Cela était absurde !  On allait la tester comme un nouveau canon ou un nouveau fusil. Cet « entraînement » intensif n’aurait rien à envier à toutes les expériences supportées à Bicêtre

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 avec stoïcisme. Ce qu’Aude appréhendait le plus, était qu’on lui demandât de tuer un homme. Jamais elle ne s’abaisserait à cette vilenie ; jamais au grand jamais elle n’obtempèrerait à ces sollicitations oiseuses quelles que seraient les pressions exercées à son encontre par tous ces bicornes empanachés et ces généraux aux uniformes chamarrés, surchargés de passements et de galons dorés. Napoléon venait de décider une fournée toute neuve de maréchaux. Pour l’heure, ils conservaient le traditionnel bâton royal fleurdelisé, mais bientôt, l’on murmurait en haut lieu qu’abeilles et aigles se substitueraient aux symboles bourboniens car tel était déjà le cas sur les plaques de ces coiffures nouvelles, ces shakos et colbacks chers à Joachim Murat.

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 Tous ces bonnets fourrés anthracite, surmontés d’un plumet extravagant et bariolé de sinople, de cramoisi ou de vermeil, impressionnaient les âmes naïves et avivaient le sentiment patriotique.

Aude déclina son identité au bureau d’enrôlement. Elle décacheta et exhiba le sauf-conduit signé de Napoléon en personne, papier qui valait tous les laisser-passer du monde, dont ses doigts caressaient la matière et frémissaient au doux froissement d’une texture dont elle devinait l’essence d’arbre dont elle était issue, arbre sacrifié pour les papetiers. Aude imaginait la cognée l’ayant abattu. C’est à Annonay que ladite feuille avait vu le jour. Elle savait son âge : un mois tout au plus. Par contre, peu lui importait qu’elle ne vît rien de son interlocuteur, un sergent en bonnet de police, mais ses narines captaient les exhalaisons refroidies de l’herbe à Nicot dont sa pipe au tuyau démesurément long, lors éteinte, abusait. Il en allait de même des effluves d’alcool et de chicots gâtés s’extirpant d’une bouche jamais gargarisée. Que la dentition des Français était donc peu soignée, déplorable ! Les yeux blancs de l’ancienne pauvresse suscitèrent la crainte du sous-officier, qui tamponna ledit sauf-conduit royal sans autre formalité.

Aude prit connaissance de la chambre qui lui avait été allouée, au confort tout spartiate, et put goûter au brouet de la vie de garnison, à part toutefois des autres, compte tenu de son sexe et de son handicap.

Mallet du Pan,

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 indéfectible soutien à la cause légitime, sur sa couche consomptive d’exilé à Richmond,

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 près de Londres, parvenu au terme de ses errances européennes, eut juste le temps avant de trépasser de vomir son courroux à l’encontre de la politique napoléonide de recours aux plébéiennes des bas-fonds pour asseoir la prétendue supériorité tactique de l’usurpateur. Il avait reçu l’information des espions sous les ordres d’Antraigues qui noyautaient l’Ecole militaire. L’ultime page de ses Mémoires inachevés, publiés seulement sous Napoléon IV[1], fustigea celle qu’il qualifia entre deux hémoptysies de nymphe putain aveugle de Buonaparte qui découcha avec la bougresse du Châtelet, allusion explicite à l’inspecteur Maria-Elisa di Fabbrini dont il soupçonnait une tendance ambigüe au saphisme sadique.  

Ce fut au Champ-de-Mars même, en l’aurore fraîche mais radieuse des ides de mai 1800, qu’Aude Angélus, soldate de Napoléon le Grand, effectua le premier test décisif. Elle fut confrontée à la puissance du feu et aux tirs cadencés des canons Gatling.

 

 A son grand soulagement, elle huma la senteur typique du bourrage de paille qui modelait les prétendus soldats prussiens et autrichiens qu’il lui fallait anéantir plus efficacement que la mitraille. Elle répugnait encore à pourvoir à la mort de l’adversaire, fût-il belliqueux. Bien sûr, elle ne vit pas le gratin des doctes officiers d’artillerie qui emplissaient la tribune ni celles de l’aide de camp de Napoléon et du chef d’Etat-major Bernadotte, mais capta les rumeurs de leurs impressions face à cette démonstration des plus concluantes. Elle dut bien faire (elle n’avait pas le choix) ; elle fit, surpassant tout ce que ledit Etat-major avait supposé de ses dons. Ce fut la montée au pinacle, suivie du triomphe.  

Les cadences de tir se poursuivaient avec une régularité métronomique et chaque rafale abattait son lot de mannequins ou décapitait les têtes de baudruches rembourrées de crins, mitrées ou coiffées du bicorne des mousquetiers prussiens.


 Mademoiselle Angélus crut en un premier temps sa tâche impossible d’autant plus que le crachement des canons-mitrailleuses perturbait son ouïe hypersensible. Elle sentit que, sur sa gauche, à dix mètres au bout de l’allée, les armes négligeaient un groupe d’une quinzaine de ces épouvantails, au fusil pointé, comme s’ils lui eussent été réservés. L’odeur de la poudre et du foin séché dégorgé des simulacres métamorphosés en passoires achevaient de l’incommoder. Une insidieuse sueur froide humecta sa nuque dénudée par le port d’un chignon imposé par la discipline. La fumée s’ajouta à cela, sans qu’elle eût toutefois d’incidence sur notre aveugle. Elle toussota, avant qu’une fulgurance rageuse vrillât son cerveau. Bien qu’elle ne sentît à proprement parler aucune menace car les mannequins, à la différence des automates du régent George, ne pouvaient ni se mouvoir ni user de leur fusil, Mademoiselle Angélus, prise de trémulations d’épouvante et de souffrance incoercible, émit un long cri, un seul, qui fendit l’éther comme un point d’orgue. Tandis que l’onde vocale vibrait, tordant l’espace, deux des mannequins éclatèrent, éparpillant leur contenu et des fragments d’uniformes et d’armes en projections périlleuses aux quatre points cardinaux du Champ-de-Mars au risque que les officiers des tribunes fussent blessés. Deux autres pseudo-soldats se consumèrent en une ignition spontanée incompréhensible. Un couple de grenadiers prussiens, identifiables à leur mitre et au bleu de leur tenue, se murent spontanément, s’affrontant et s’embrochant mutuellement avec leur baïonnette. Enfin, les « survivants » furent soit la proie des flammes communiquées par les deux premiers épouvantails brûlant, soit, leur matière compressée puis étirée, se démembrèrent, démantibulèrent ou s’aplatirent telles des galettes métalliques passées sous presse.

Aude demeura insensible aux vivats s’élevant de la tribune alors que Caulaincourt,

 Illustration.

 l’aide de camp attitré du roi, ordonnait aux Gatling de cesser leur tir parallèle. Sa démonstration n’avait duré que quarante-cinq secondes, temps bien bref, mesuré au chronomètre par le mathématicien Fourier, mais suffisant pour anéantir et réduire en charpie quinze misérables mannequins et pour convaincre Bernadotte,


 le chef de l’Etat-major, que l’ancienne mendiante incarnait en sa chair frêle l’arme absolue à même de vaincre l’Angleterre et toutes les rébellions provinciales. Qu’en serait-il lorsqu’on la contraindrait à combattre des personnes vivantes ? Elle frissonna à cette pensée, indifférente à son triomphe. Alors qu’une escouade de bonnets à poils la portait sous les hourras tel Clovis sur le pavois jusqu’à ses quartiers, Aude Angélus, épouvantée par la révélation officielle de ses facultés, choisit la pamoison. Qu’en serait-il plus tard ? Oserait-on lui imposer un corps à corps contre un soldat aguerri ou contre un androïde imité de ceux du prince-régent ? Elle une arme vivante ! … cela la répugnait.

A suivre... 

 

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[1] Notre Napoléon III dans cette chronoligne alternative.