La
métamorphe maugréait entre ses dents parce que Daniel lui avait imposé d’être
de corvée de promenade hygiénique de toutou ce soir.
« Moi,
pauvre petite esclave, je me trouve dans l’obligation de sortir cette damnée
boule de poils ramasse poussière en plus de devoir le nourrir à la place de
Deanna! Pff! Sous le prétexte que la star a été enlevée mais aussi que mon
oncle n’aime pas les chiens! En fait, Daniel Lin ne veut pas voir O’Malley
s’accaparer de la nourriture d’Ufo comme il le fit pas plus tard que tout à
l’heure… ah! S’il s’était contenté de ces croquettes industrielles pleines de
produits chimiques et autres conservateurs que l’on faisait couramment
consommer aux malheureux canidés de la première moitié du XXIe siècle, ce qui
explique qu’ils mouraient prématurément à l’âge de dix ans alors que nos bêtes
atteignent communément vingt-cinq ans sans toucher aux gènes, je n’en serais
pas là! La brebis bêlante anglaise, cette snobe l’a éduqué à se nourrir
d’aliments de luxe, d’une fraîcheur irréprochable! »
O’Malley
tirait sans cesse sur la laisse. Il fallait des muscles pour ne pas la lâcher.
Le noble animal flairait chaque parcelle qui se présentait sous sa truffe.
Lorsque l’odeur le satisfaisait, vite, il levait la patte et urinait quelques
gouttes. Ainsi, il signalait à un congénère, et comme nous le savons, ils
étaient nombreux dans le château, sa présence olfactive. C’était là une forme
de communication ancestrale héritée de lointains aïeux proches du loup.
-
O’Malley, tu exagères! s’exclama l’adolescente. Tu es déjà passé par ici. Ça
fait au moins trois fois que tu pisses quelques gouttes dans ce massif
d’hortensias! Tu es doté d’une vessie extensible ou quoi?
Le
chien n’eut cure des reproches de Violetta. Il mettait à profit cette
semi-liberté pour aller de ci de là.
-
Sale bête! Il se fait tard! Ah! La prochaine fois, ce sera à oncle Saturnin de
s’y coller! Après tout, il a eu un chien nommé Gavroche si je ne me trompe pas…
bouge-toi, gros patapouf!
À
cet instant, Saturnin de Beauséjour, se moquant des phalènes et autres insectes
nocturnes pouvant entrer dans sa chambre, ouvrit la fenêtre et héla la jeune
fille sans discrétion.
La
métamorphe redressa la tête.
-
Oui, oncle Saturnin?
-
Miss Deanna est rentrée!
-
Quoi? Ce n’est pas possible. Il y a autant de différences entre Latude et elle
qu’entre un morceau de sucre et un jet de bile!
-
Elle s’est évadée!
-
Alors, là, elle me coupe le sifflet. Je monte…
D’une
force qu’on ne lui soupçonnait pas, la métamorphe obligea le briard à faire
demi-tour en tirant sur la laisse, parvenant presque à l’étrangler. Une minute
plus tard, le duo mal assorti était dans les appartements dévolus à Beauséjour.
***************
Bernard
Blier avait reçu des ordres qu’on ne discutait pas. Le chef suprême dont il
était le seul à connaître l’identité exacte avait commandé à l’équipe
d’abandonner la piste 1888, peu concluante, pour remonter à la source
c’est-à-dire le XVIe siècle élisabéthain, et son alchimiste le plus illustre,
John Dee. Pourquoi pas Ruggieri, s’était demandé Bernard.
Francis
et monsieur Paul contrefaisaient facilement l’accent britannique tandis que Euh
Euh avait la malencontreuse manie de parler toutes les langues étrangères comme
une vache espagnole. Cependant, elle était capable de s’exprimer en anglais, en
italien mais aussi en russe. Ainsi, elle n’avait pas démérité face aux
redoutables frères Fouchine lors du vol des plans d’une pile atomique. Ses
notions d’allemand n’étaient pas non plus à négliger mais son accent
épouvantable gâchait tout. Toutefois, elle était un précieux atout pour craquer
les codes des missives de l’ennemi.
Le
petit groupe s’était assemblé au fin fond du bois jouxtant le parc de Bonnelles
aux coordonnées géographiques et temporelles fixées par le grand maître.
Naturellement, il ignorait qu’un témoin privilégié l’épiait car il s’était
rendu indécelable. Nous devinons son identité. Daniel Lin lui-même.
Tous
ces faits se déroulaient concomitamment à la promenade d’O’Malley et au retour
de l’usurpatrice.
Paul
Meurisse fut le premier à percevoir le faible tintement émis par une bien
étrange et bien encombrante machine. Une espèce d’objet volumétrique à la forme
losangée se matérialisa en un chuintement digne des films de science-fiction
fauchés du milieu du XX e siècle. L’engin n’était pas tout à fait posé sur le
sol. Il semblait léviter en diffusant un « vouh, vouh » rappelant les
sons du générique d’un feuilleton mythique américain nommé en français Au-delà
du réel.
Le
commandant Wu retenait de justesse un fou rire justifié.
«
Que ne voilà-t-il pas un translateur primitif! Il est à peine moins kitch que
le Tardis™ avant que celui-ci soit coincé sous la forme d’une cabine
téléphonique de police bleue, mais il n’aurait pas dépareillé dans un nanar
d’Ed Wood ! »
Daniel
Lin prenait la chose bien à la légère. Il aurait dû se demander comment des
Français du milieu du XX e siècle avaient pu acquérir la maîtrise du voyage
temporel même s’ils appartenaient à une chronoligne non souhaitée par lui. Le
SDEC, en supposant qu’il fût parvenu à retourner des scientifiques soviétiques
ou anciennement nazis, n’aurait pas pu aboutir à des véhicules fonctionnels. Il
allait de soi que Franz von Hauerstadt n’avait rien à voir là-dedans. Il
n’avait pas trahi. Fort opportunément, Dan El se remémora Antoine Fargeau et le
message d’alerte qu’il lui avait donné.
«
Cela ne me fait pas changer d’avis. Je règle tout d’abord l’affaire
d’Aurore-Marie et du Congo puis je m’occuperai de ce mystère… ».
Cependant,
à l’orée du bois, l’instant du départ devenait imminent. Un volet métallique
s’était soulevé permettant au quatuor de taupes de pénétrer à l’intérieur du
véhicule temporel que Daniel Lin avait du mal à qualifier de translateur. Le
volet se referma. L’appareil décolla comme un hélicoptère s’élevant au-dessus
du faîte des arbres et tout en vibrant quelques secondes, disparut de la
réalité en un chuintement capable de réveiller les morts.
«
Mazette! Heureusement qu’on ne parlait pas d’ovni en 1888. C’est fou ce qu’ils
sont discrets les Frenchies! »
Abandonnant
sa cachette improbable (l’ex commandant Wu avait semblé fusionner avec un tronc
d’arbre), le tempsnaute s’empressa de regagner les aîtres du château car
Saturnin venait de le prévenir mentalement du retour inespéré de DS De B de B.
****************
Azzo
faisait de rapides progrès. Ses facultés prodigieuses de récupération ne
cessaient de surprendre Lorenza. Elle s’occupait de lui non seulement parce
qu’elle était docteur en médecine, mais également, parce qu’elle voulait percer
le mystère de cet être antédiluvien.
« Certes,
Uruhu nous a fait comprendre qu’Azzo était un hybride. Il constitue une preuve
vivante que le métissage a toujours existé entre les diverses espèces mais les
paléontologues du début du XXIe siècle n’étaient pas tous prêts à entendre
cela. Un bon point pour moi, je ne lui fais plus peur. Il s’habitue à ma
présence. Ici, son sort ne pourra être que meilleur que celui qu’on lui aurait
réservé dans le Maroc colonial des années trente, entre exhibitions foraines et
dissection de médecins fourvoyés. »
Pour
l’heure, il était temps de donner à manger à Azzo. Le pré néandertalien était
particulièrement friand de lait frais, de sauterelles et de termites. L’apport
protéiné de ces arthropodes lui convenait parfaitement. Gaston se chargeait de
le nourrir. Au contraire de notre hominien relique, la répulsion éprouvée par
l’ancien mousquetaire était visible, bien qu’elle eût tendance à s’atténuer.
Après
tout, il avait déjà accompli des missions en compagnie du commandant Wu où il
avait dû payer culinairement de sa personne en absorbant des chairs plus ou
moins corrompues d’animaux extraterrestres n’entrant pas dans les
classifications habituelles, des créatures mi insectes, mi reptiliennes, ou
encore des sortes de singes ailés à carapaces de tatous ou de pangolins.
Une
fois bien repus, le pré néandertalien rota, ce qui indiquait à la fois son
contentement et sa confiance. Lorenza vint lui prendre la température.
-
Comme vous le voyez, il a bien mangé.
-
Oui, en effet, Gaston.
Azzo
émit des petits cris de satisfaction et réussit à prononcer merci. Puis, il but
avidement de l’eau fraîche dans laquelle aucun insecte n’avait séjourné. Il se
frotta le ventre, faisant ainsi comprendre que sa faim était rassasiée.
-
Je crois qu’il va faire une bonne sieste.
-
Sans doute, Lorenza, mais je trouve qu’il dort beaucoup.
Le
docteur Di Fabbrini eut un léger sourire et expliqua au baron :
-
Justement. Ainsi, il guérit plus vite.
-
Oui, mais je me souviens que, lorsque j’ai été transféré d’un siècle à un
autre, je n’ai pas éprouvé le besoin de tant me reposer, objecta l’ancien
mousquetaire de Louis XIII.
-
Parce que vous êtes une force de la nature mon ami.
-
Pourtant, Daniel m’a toujours affirmé, preuve Uruhu à l’appui, que les hommes
de la Préhistoire étaient plus robustes et endurants que nous.
-
Sans nul doute ; vous omettez un élément de taille, les mauvais traitements.
Tout
en discutant, les deux amis avaient perdu de vue Azzo qui se prélassait,
allongé sur son lit de camp. Désormais, son visage ne reflétait plus la
béatitude d’un ventre bien plein, mais une sourde inquiétude. Celle-ci
grandissait de seconde en seconde, à tel point que le pré néandertalien finit
par lancer :
« Peur
! Mal ! Danger ! Vous fuir ! Noire nuée ! Viennent ! Vite, fuir, partir !
-
Ah, ça ! Qu’est-ce à dire ? Un cauchemar éveillé ? »
Le
docteur Di Fabbrini fronçait les sourcils. Elle réfléchissait.
-
Gaston, je fais le parallèle avec Uruhu. Tout comme moi, vous savez qu’il est à
la fois un médium et un empathe hors pair. Il est fort possible qu’Azzo
perçoive avant nous un danger encore lointain. Je vais prévenir Benjamin et
Marcel de se tenir sur leurs gardes.
Aussitôt
dit, aussitôt fait. Elle expliqua à ses deux compagnons ce qui était arrivé
dans la case médicalisée. A peine eut-elle fini que, pour confirmer les
craintes d’Azzo, la lumière diminua alors qu’il était à peine trois heures de
l’après-midi, tandis que des nuées d’oiseaux complétement affolés
tourbillonnaient dans le ciel tout en piaillant. Un instant, il fit nuit. Une
sorte d’entonnoir sépia déchira l’azur.
« Bon
sang ! S’écria le commandant Sitruk. Une singularité quantique en formation !
Elle grossit à vue d’œil ! »
Gaston
s’était précipité à l’extérieur de la case.
« Tudieu
! » Proféra l’ex mousquetaire. Machinalement,
il se signa.
L’étrange
phénomène n’avala pas tout le paysage. Au contraire, il paraissait circonscrit
à la lisière de la brousse, ce qui ne l’empêchait pas d’être tout à fait
impressionnant. Agissant comme une interface entre deux mondes, il dévoila une
scène hallucinante anachronique. Gaston fut le premier à réagir.
« Ah
! Par le sang du Christ ! La rue de la Ferronnerie ! Je reconnaîtrais cette
niche avec la statue de la Vierge entre mille, et cette enseigne aussi ! »
Benjamin
leva un sourcil.
« La
rue de la Ferronnerie. Ça me dit quelque chose…
Lorenza,
pragmatique, émit une réflexion sensée.
-
Nous voyons des personnes. Peuvent-elles aussi nous voir ?
Gaston
hocha la tête en signe de dénégation.
Ce
que montrait la fenêtre sur l’autre monde paraissait ahurissant.
Le soleil
approchait de son zénith. Des porteurs d’eau et divers portefaix et marchands
ambulants vaquaient à leurs occupations quotidiennes, mais un étrange équipage
s’approchait. Il s’agissait certes bien d’un véhicule, mais non hippomobile.
L’engin, motorisé, ressemblait, à quelques détails près, à un vis-à-vis Peugeot
Balda 1895 à dais, blanc, aux garde-boue et aux sièges bleus.
Au volant, le duc
de La Force, à ses côtés, Monseigneur, le duc d’Epernon, et, en face, ce bon
roi Henri IV himself. Il n’y avait pas à s’y tromper. Le vert-galant
était reconnaissable à sa barbe, plus sel que poivre, à son chapeau empanaché
et à son costume noir à fraise.
Hé
oui, le XVIIe siècle avait heurté la fin du XIXe.
« Mais
pourquoi cette rue ? Siffla Benjamin.
-
Vous êtes britannique d’origine…
-
Canadien, plus précisément.
-
10 mai 1610... Là, tenez, ce grand escogriffe roux tout échevelé, aux habits
empoussiérés et aux bottes usées…
-
Un vrai Méphisto !
-
François Ravaillac ! Il s’apprête à tuer notre bon roi. »
Mais
l’œil du vortex s’élargit. Il dévoila, à l’abri sous un porche, trois
personnages fort inquiétants. Un cavalier, tout de noir vêtu, brun, aux yeux
bleus, qui portait sa dextre sur la poignée d’une épée, un représentant des
Pays-Bas espagnols, coiffé d’un casque des Terceros, et dont le
pourpoint rappelait celui des gardes wallonnes, et, enfin, un moine dominicain,
le visage dissimulé sous sa capuche. Il était visible que le trio attendait ce
qu’allait faire Ravaillac. Il aurait fallu que Gaston fût âgé de quelques mois
supplémentaires et qu’il eût à ses côtés l’Hellados Spénéloss, pour identifier,
en cet escogriffe tout de noir vêtu, le sieur Thibaud de Montargis, âgé non de
trente ans, mais de vingt-six années.
Alors
que Ravaillac se jetait à l’assaut du véhicule et sortait un énorme coutelas
apparenté à une lardoire de sous son habit usé, Lorenza articula froidement :
« Nous
devons vite informer Daniel. Le temps s’emberlificote comme une bobine de
laine. »
*****************
Le
déchiffrement des carnets secrets du chef de la pègre de Londres avançait.
Spénéloss avait, une fois de plus, fait preuve de ses connaissances des
langages terrestres occultes. Les résultats obtenus pouvaient être confrontés
avec les recherches des lieutenants du baron Kulm effectuées à Gérone en 1886,
documents que Daniel était parvenu à dérober à la duchesse d’Uzès et à lui
transmettre, tandis qu’il avait mémorisé les plans du Bellérophon noir et
la carte des gisements d’uranium du Congo. Il était désormais plus qu’évident
que Kulm ne pouvait en aucun cas être un contemporain d’Aurore-Marie de
Saint-Aubain du fait que la technologie possédée par les géologues des années
1880 ainsi que les connaissances géographiques lacunaires de cette époque
touchant à l’Afrique centrale – malgré un Stanley – ne permettaient pas de
prospecter aussi facilement et de dresser des cartes aussi précises.
Spénéloss le pressentait bien que le
commandant Wu se fût tu quant à la véritable nature du baron : Hermann von
Kulm n’était pas foncièrement humain.
« Les
croquis ésotériques qui parsèment les pages de Sir Charles permettent de
reconstituer une espèce de pentagramme qui aurait Paris pour épicentre…plus
exactement les catacombes de Cluny, commença l’Hellados à l’adresse de ses
compagnons (Spénéloss aimait par-dessus tout montrer son savoir aux Terriens
qu’il jugeait avec condescendance).
-
Cela se rapporte aux événements de septembre 1877, répliqua l’Artiste. Ce qui
veut dire que cela fait au moins onze ans que Sir Charles est sur la piste…
-
Pourquoi pas depuis le jour où il prit la succession du Maudit ?
-
1867 ? C’est plausible.
-
Je suis parvenu à dater l’encre et le papier des pages les plus anciennes.
-
Un jeu d’enfant pour vous !
-
Certes, opina Spénéloss tout en poursuivant. Merritt était déjà à Paris dès
1871, en pleine Commune. C’est à cette époque qu’il aurait découvert l’accès
aux souterrains tétra-épiphaniques.
-
Je suppose qu’il a dû démasquer alors le Grand Prêtre… Thiers en personne,
compléta Frédéric.
-
Choisissant le Mal pour le Mal, reprit Spénéloss d’une voix monocorde où ne
transparaissait aucune émotion, le mathématicien perverti a opté pour le parti
versaillais : il a laissé Thiers réprimer la Commune, non par idéologie, mais
pour que les codex authentiques n’échoient pas aux mains des révolutionnaires
communards, préférant attendre son heure pour s’en emparer…
-
Ouais, la mort du foutriquet et l’intronisation de la poupée poitrinaire à sa
place ! se mêla Guillaume tout en se curant négligemment les dents après
une collation substantielle.
-
Les recherches de Kulm pour le compte de la baronne de Lacroix-Laval et celles
de Merritt concordent, enchaîna Spénéloss comme s’il n’avait pas remarqué la
désinvolture du plus jeune. De Paris, on trace une première branche vers
Londres, non pas à cause de la présence des codex volés, mais des activités de
John Dee à la fin du XVIe siècle. La seconde branche aboutit à Prague ; on
sait ce qu’y fit l’Empereur Rodolphe, par ailleurs Grand Prêtre de la secte de
1576 à 1612.
-
Ses années de règne… médita le danseur de cordes.
-
En 1593, voulant appliquer le principe de l’anacouklesis et se conformant point
par point aux écrits de Cléophradès, Rodolphe II chargea l’astronome Tycho
Brahé
de reconstituer l’expérience que l’Empereur Gallien tenta vers 265, à
l’initiative de ses conseillers-philosophes néo-platoniciens eux-mêmes
adhérents de la secte, fit doctement l’extra-terrestre toujours aussi glacial
(Guillaume faisait semblant de suivre, mais il commençait à somnoler, digestion
oblige). Les sphères armillaires (cubocaèdre, icosaèdre, tétraèdre, octaèdre)
censées figurer chacune des hypostases dont il est inutile de vous rappeler les
noms, devaient engendrer l’Energie Suprême à même de provoquer un phénomène de
singularité temporelle, de rétroaction…jusqu’au prétendu Age d’Or ou stabilisatio
mundi…
-
Evidemment, ça a été le fiasco ! ricana Guillaume, sursautant lorsqu’il
réalisa que l’Hellados venait de cesser de parler et le regardait sévèrement.
-
Je doute de la santé mentale de tous ces humains… fit-il sous-entendre tout en
fixant Pieds Légers, d’un air désapprobateur.
-
Vous avez raison, Spénéloss, souligna l’Artiste. Tycho échoua lamentablement…le
seul résultat – du moins, si l’on suit la légende – fut le réveil du Golem conçu
par Rabbi Lew.
-
Il reste deux branches…reprit le savant d’Hellas. Celles du Sud-Ouest et du
Sud-Est… Gérone et…Venise. On a beaucoup glosé sur le tapis de Gérone… Il
représente les six jours de la Création du Monde. Merritt, Aurore-Marie et Kulm y ont pressenti
un message caché, gnostique, bien que l’œuvre ait été tissée au XIe siècle. Sir
Charles est parvenu à faire coïncider une reproduction de cette tapisserie avec
son pentagramme… Il appert que les paroles de la Genèse inscrites en latin
médiéval correspondent chacune à une localité et à une hypostase, un Pan. Le
Et super tenebrae faciem abyssi par exemple figurerait le Pan phusis…avec
la Colombe du Saint-Esprit planant au-dessus du tohu-bohu primitif, du moins
d’après les notes de Merritt.
-
Résumez, mon ami, proféra l’Artiste, constatant le profond ennui de son
apprenti.
Effectivement,
Guillaume bâillait à s’en décrocher la mâchoire.
-
Pan Zoon égale Londres, Pan Chronos égale Prague, Pan Phusis Gérone et Pan
Logos Venise. On aboutit à terme à une figure complexe impliquant et imbriquant
les propres hypostases physiques d’Aurore-Marie de Saint-Aubain… En la
supposant incarnation de Pan Logos, qui se serait féminisé en la Mater ou en la
Bona Dea, on obtient les trios suivants :
Pan
Logos –Aurore-Marie –Venise ; Pan-Zoon-jumelle temporelle
future-Londres ; Pan-Chronos-jumelle concomitante fille-Prague et Pan
Phusis- hypostase mâle concomitante à la fille-Gérone…
-
Diable, cela se complique, s’exclama notre ex Pieds légers pas tout à fait
largué.
-
Qui se cache derrière les hypostases d’Aurore-Marie ?
-
Sa fille Lise est bien sûr le Pan Chronos. Sa conception serait intervenue
durant le voyage de noces de la baronne dans l’Empire austro-hongrois, où elle
a transité par Prague ; et je ne veux point vous effrayer en vous révélant
– non point telle une sibylle – que l’hypostase jumelle future de Londres ne
serait autre que notre chère DS De B de B !
-
Mais le quatrième larron, l’Homme ?
-
En sachant que Lise de Saint-Aubain, logiquement,
ne serait que le clone parthénogénétique de sa mère, nous devons
découvrir celui qui est né exactement à la même date qu’elle, et quand je dis
même date, les deux naissances doivent tout à fait coïncider… Une erreur d’une
attoseconde suffit à tout fausser.
-
Autrement dit…
-
Nous ignorons pour l’instant l’identité exacte de la dernière hypostase.
-
Nous ?
-
Daniel a son hypothèse à ce sujet, non ? Demandons-la lui donc, osa jeter Pieds
Légers.
-
Je doute qu’il nous réponde pour l’instant, siffla Spénéloss entre ses dents.
Le plus important est que chaque hypostase-lieu signifie - en calquant sur
l’idée alchimique des quatre éléments d’Aristote et en rappelant les figures
des quatre évangélistes – qu’à l’époque de la persécution de la secte au milieu
du IIe siècle, qui suivit le rescrit d’Antonin le Pieux, les tétra-épiphanes
ont dû être obligés d’effectuer des copies – quatre – de leur corpus sacré et
que quatre groupes se sont séparés…
-
Il n’y aurait pas eu un, mais quatre originaux de la Tetra Epiphaneia ?
Bigre ! S’extasia Guillaume.
-
Cluny + Londres égale un. Si un exemplaire de ce codex a existé en Espagne, il
faudrait le trouver au cours d’une autre expédition temporelle. Je pense qu’au
XIXe siècle, il a dû être perdu. En admettant que John Dee ait vendu le sien à
Rodolphe II, cela fait trois. Le quatrième…
-
…se trouverait donc à Venise, jeta non au hasard Frédéric.
-
Bingo ! S’écria Guillaume.
-
Qui donc aurait mis la main sur l’exemplaire vénitien ?
-
Gabriele d’Annunzio, certainement.
-
Daniel a vu juste encore une fois : Aurore-Marie doit se rendre à Venise
sous peu, à l’invitation du poète décadent, dès qu’elle se sentira totalement
rétablie et que le Bellérophon noir aura appareillé. Nous serons incognito du
voyage, conclut Frédéric.
-
On va se payer du bon temps alors que nos amis vont trimer au Congo pour
neutraliser Barbenzingue ! Se réjouit Pieds Légers.
-
Guillaume, un peu de sérieux. Tu connais tout comme moi les derniers rapports
du docteur Di Fabbrini. Là-bas, la situation devient alarmante. Des trous noirs
sont apparus dans le ciel, révélant des collisions et des intrications
quantiques dans les chronolignes potentielles. Le tissu de la réalité se
déchire. Nous risquons à tout moment de disparaître.
-
C’est exact, opina l’Hellados, toujours aussi impassible.
Malgré
lui, Guillaume sentit son échine se glacer. Il n’avait pas envisagé la gravité
des phénomènes.
A suivre...
*************