dimanche 7 décembre 2014

Cybercolonial 1ere partie : Belles Lettres d'une Rose méconnue chapitre 4 3e partie.



Le lieutenant Werner von Dehner restait courtois tout en brandissant avec fermenté son arme.
« Veuillez ne pas bouger, mademoiselle. »
Heu-Heu ne montra aucun signe de stupéfaction ou de contrariété d’être surprise en plein travail. Au contraire, elle salua son adversaire :
« Vous savez parler aux dames, vous. Un vrai gentleman, bien que vous ne soyez pas britannique. Je parie que nous cherchons la même chose tous les deux.
- Vielleicht…
- Vous causez bien en plus. Dans le métier, faut être polyglotte ! Sans rire, vous travaillez pour les Allemands, mais lesquels ? La vieille baderne de Guillaume…
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- Er ist tot.
- Ah ! Mes condoléances. Faudrait que je révise mon histoire, moi ! »
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Pendant ce temps, la pièce poursuivait sa métamorphose. La chambre d’améthyste basculait graduellement en chambre confucéenne de jade et de laque, puis se connotait de notes exotiques d’écorce : citronnier, tamarinier, palissandre embaumante. Werner eut bien du mal à garder son équilibre en ce milieu mouvant qui faisait fi des lois de l’espace euclidien. Ainsi, le jeune homme avait l’impression de grimper un escalier à vis, au sein d’une tour vertigineuse penchant comme la célèbre tour de Pise. Mais le phénomène allait plus loin encore, car nos quatre personnages étaient bien enfermés dans une tour gigogne plurimorphe à l’intérieur d’une autre tour. Qui plus est, la bâtisse avait tendance à s’effriter, à se déconstruire, les matériaux la constituant étant particulièrement friables. Que pouvait-on attendre donc d’autre de la craie et du talc ?  Or, le tour de magie de l’esprit espiègle de ces lieux se poursuivait, allant sans cesse plus loin dans l’illogisme. Désormais, la pièce était faite de boue. Werner était affecté par cette métamorphose alors que les murs fondaient. L’espion allemand avait la sensation d’être devenu un homme-tour, sorte de pièce d’échec vivante, au sein de laquelle, de ses supposées entrailles, un homoncule faisait la même ascension dans un escalier en liquéfaction. 
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En réalité, rien de cela n’avait lieu. Personne ne percevait la même chose. C’était à croire que le phénomène aidait Heu-Heu. Les bois exotiques et vénéneux cloisonnant les murs de la chambre d’écorce provoquaient ces hallucinations. Leurs émanations toxiques n’avaient d’effets que sur Werner, parce qu’il était le seul contemporain des lieux. Le statut de tempsnautes vous immunisait contre ce piège. C’était un peu comme si les voyageurs du temps n’étaient que des projections au sein d’un passé reconstitué et somme toute potentiel.
Il n’empêche. Daniel était quelque peu contrarié, car le phénomène rappelait quelques maléfices du palais et du jardin de Fu, maléfices qu’il avait surmontés, du moins le croyait-il. Ce mirage pouvait également s’apparenter aux psycho-images de la Lune qui avaient grandement affecté Benjamin.
Le pseudo-groom se posait mille questions.
« Bigre ! Ce baron Kulm ! Comment peut-il détenir de telles facultés conceptuelles ? Certains éléments s’apparentent aux méthodes de torture des ex-Asturkruks du XXVIIIe siècle. Dans les geôles de l’Archonte Keleur, il était courant d’user de drogues hallucinogènes qui déclenchaient des visions dérangeantes voire cauchemardesques. Les types de stupéfiants étaient modulés selon l’origine des victimes : Haäns, Castorii, Helladoï, Kronkos, Naoriens et ainsi de suite.  Piste à creuser. »
Werner n’en pouvait mais. Il fut pris de nausées si violentes qu’il lâcha son pistolet. Heu-Heu s’empressa de mettre à profit cette faiblesse de l’Allemand. Promptement, elle expédia un coup de savate au menton du Teuton. Celui-ci en vit mille chandelles. Déséquilibré, il tenta de se raccrocher à une tenture de lit. En vain. Il tomba lourdement sur ses muscles fessiers alors qu’Emilienne sortait de sa jarretelle un mini vaporisateur tarabiscoté. Un pschitt et c’en fut fait de Werner. Cette fois, son corps entier s’affaissa et sa tête alla heurter le faux tisonnier. Sous le choc, Violetta cria « ouille ! ».
Démasquée, l’adolescente reprit forme humaine.
« Allons, bon ! V’là autre chose ! » jeta Heu-Heu à peine démontée, tant elle était accoutumée aux missions délicates où bien souvent, sa vie ne tenait qu’à un fil. L’espionne française n’eut pas le temps d’actionner son vaporisateur une nouvelle fois. Violetta était passée à la contre-attaque. L’adolescente était diplômée et médaillée dans maints sports de combat, notamment le Harrtan. Heu-Heu, quant à elle était championne de boxe française et se défendait en jiu-jitsu. Forte de ses dix ans de danse classique et acrobatique, Emilienne bondit sur la suspension et projeta ses jambes en un magnifique ciseau vers la métamorphe. La plus jeune réagit et évita le coup théoriquement imparable, grâce à une contorsion improbable de son corps.
« Parole ! pensa la Française. Cette gamine est une contorsionniste hors pair qui devrait s’embaucher au cirque Médrano ! »
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D’un bond prodigieux, l’adolescente se retrouva à courir sur le plafond, tête en bas, munie, cette fois-ci, du véritable tisonnier, dont elle se servit comme d’une épée. Heu-Heu peinait à esquiver les coups portés par la jeune fille rousse.
« Vlan ! Une déchirure à mon soutif ! Il était moins une pour mes roberts ! la vache ! Il me faut une arme blanche, vite ! »
Après un magnifique roulé-boulé, Heu-Heu s’empara d’une pelle à charbon. Ainsi, elle put parer quelques-uns des coups administrés par la métamorphe. Etrange duel en vérité que celui-là. C’était un affrontement opiniâtre, une lutte inexpiable où chacune déployait des trésors d’héroïsme, d’habileté, d’ingéniosité et de ruse. Si dissemblables qu’elles fussent, les deux ennemies apparaissaient également dotées de facultés de riposte, de réflexes sans limites, ce qui laissait craindre que leur combat se prolongeât encore longtemps. Violetta multipliait les sauts, les saltos, les boucles, les chandelles, les roues tout en ferraillant telle une épéiste expérimentée. Alors que les deux jeunes femmes s’affrontaient, les meubles étaient renversés, le lit mis en désordre, les tentures lacérées, qu’elles fussent de soie Tang ou des Gobelins (au gré de leurs transformations) gisaient sur le parquet qui avait retrouvé un aspect quasi normal.
Daniel se tenait toujours caché, indécelable. Enfin, le duel parut se terminer. La pelle avait été envoyée sous un fauteuil et Heu-Heu, désarmée, semblait devoir compter les secondes qui lui restaient à vivre. Cependant, sa main gauche se portait insensiblement derrière son dos, où elle avait glissé un mignon poignard bien aiguisé. Alors qu’elle s’en saisissait, une voix rauque retentit :
« Putain ! Cette guenon bien foutue a autant d’armes qu’un spadassin espagnol ! Holà, ma belle, prends ça ! »
Craddock assomma proprement l’espionne avec un vase en argent d’une taille conséquente. Aussitôt, Heu-Heu s’effondra sur le sol, sans connaissance.
« Hé bien, il était moins une, ma petite Violetta ! Tu allais te faire avoir comme une bleue !
- Mais non, mon vieil oncle. Je m’en sortais très bien ! N’est-ce pas, oncle Daniel ?
-  C’est presque vrai, rétorqua le faux groom, sortant enfin de sa cachette.
- Il y a foule ici, s’exclama le cachalot de l’espace, hilare, tandis que Michel Simon et Louis Jouvet le rejoignaient.
- Qui est ce type ? fit le pseudo évêque anglican.
- Pffou ! Herr Werner, jeta Violetta avec dédain. Sa courtoisie digne de Louis Salou dans Boule de Suif l’a perdu.
- Où est passé Julien ? Pourquoi ne vous suit-il pas ?
- Il a joué à faire diversion afin que nous puissions enfin grimper jusqu’ici, répondit Michel Simon en lissant sa fausse moustache.
- Il a bousculé Madame de Saint-Aubain, fort occupée dans une affaire d’honneur, expliqua Louis Jouvet. Contrefaisant le maladroit, il lui a renversé un plateau tout entier de coupes de champagne sur sa si belle robe griffée Worth.
- Ah, tout de même, ricana Daniel.
- Ce n’est pas si risible ! Reprit Michel. En bas, il y a du grabuge. La baronne va se battre en duel ces prochains jours avec la journaliste bohème Yolande de La Hire !
- Oui, c’était écrit, soupira le commandant Wu, fataliste.

***************
Revenons légèrement en arrière, afin de voir comment la scène du défi entre deux Dames sans merci s’était précisément déroulée.
La haineuse publiciste, accompagnée de l’effarouchée pseudo chanteuse des rues irlandaise, affrontait la poétesse devant un public foncièrement hostile à son intrusion. Michel Simon émit un sifflement admiratif face à cette girafe dont le courage aveugle l’époustouflait. 
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« Elle en a dans le pantalon ! », pensa-t-il vulgairement.
Une voix hystérique, haut-perchée, aux inflexions vipérines, s’extravasa de la gorge de celle que Daniel savait stipendiée par le Deuxième Bureau. Dommage que le commandant Wu ne fût pas témoin de cette altercation car fort occupé comme l’on sait dans chambre d’améthyste. De toute manière ses talents spéciaux lui permettaient de savoir ce qu’il se passait ici et ailleurs.
« Mesdames et messieurs, représentants des castes privilégiées, daignez apprendre la vérité sur cette usurpatrice. Vos oreilles vont tinter. Madame de Saint-Aubain est à la fois un imposteur, une spoliatrice et…une hérétique ! Elle mériterait qu’on la soumît à l’instant à la question extraordinaire pour qu’elle avouât tous ses crimes, que dis-je, son hérésiarchie prosélyte ! »

Des clameurs de surprise, de colère et de réprobation jaillirent des différents témoins du scandale. Presque toute l’assistance soutenait Madame la baronne de Lacroix-Laval. Petite réflexion intérieure de Louis Jouvet :
« Elle va m’obliger à aller chercher un dictionnaire ! »
« Madame, je vous accuse d’avoir dépossédé votre ci-présente cousine, Mademoiselle Betsy O’Fallain, de l’héritage dont elle avait légitimement droit !
Madame, je vous accuse d’avoir usurpé l’identité de la poétesse Marie d’Aurore, que vous avez empoisonnée en faisant usage de la ciguë, tel le défunt regretté Socrate, profitant de sa faiblesse, de sa naïve candeur… Monstre ! Vous n’aviez que treize ans lorsque vous exécutâtes ce crime !
Madame, je vous accuse d’hérésiarchie ! Vous êtes la grande prêtresse d’une secte fanatique d’apostats qui, sous le prétexte de réhabiliter Marcion de Sinope, Simon le Mage et Basilide, ne recherche que le pouvoir !
Madame, nierez-vous que vous fûtes intronisée cette fatale nuit du 18 au 19 septembre 1877, dans les catacombes de Cluny ? Madame, nierez-vous que votre père, Albéric de Lacroix-Laval, mourut dans des circonstances étranges, victime d’une arme anglaise ?  Madame, nierez-vous que cette brutale disparition vous mit à la tête d’une immense fortune qui vous permit de financer les projets bellicistes démesurés de certain général-va-t-en-guerre ? »
Boulanger laissa échapper un « Oh ! » offensé.
« Madame, nierez-vous que vous avez condamné l’innocente Betsy O’Fallain à la misère noire ? Cette pure jeune fille en est réduite à mendier sa pitance dans la rue et sur les marchés en goualant de sottes chansonnettes contre quelques blanches piécettes.
Madame, nierez-vous vous être amourachée indécemment de Mademoiselle Angélique de Belleroche, à peine nubile, de l’avoir séduite, et que vous fûtes à deux doigts de la déshonorer ? Un revenez-y de remords vous y empêcha ! »
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Un silence de plomb s’établit ; il fut encore alourdi par l’ultime révélation de Mademoiselle de La Hire. Les Dames comme-il-faut s’éventaient furieusement, les joues cramoisies ou blêmes, tandis qu’un boulangiste criait, à la cantonade :
« Chiennerie ! N’y a-t-il personne dans ce salon pour jeter dehors cette furie ? Je vais moi-même lui botter les fesses ! »
Madame de Lacroix-Laval, aussi chlorotique qu’une statue d’ivoire, semblait perdre le souffle. Inconsciemment, ses doigts ses crispaient et ses yeux ambrés s’assombrissaient jusqu’à ressembler à des puits sans fond.
« Madame, acheva Yolande, nierez-vous que vous êtes l’amante de Madame Marguerite de Bonnemains, et que pour vous retrouver en toute intimité, vous avez loué un petit appartement confortable sis sur l’île Saint-Louis ? Là, ni vu ni connu, vous vous adonnez au plaisir contre nature des anandrynes, les mercredis et vendredis, de cinq à sept heures. »
A cette abomination, la maîtresse du brav’général tomba comme une masse. Craddock, qui se tenait à deux pas, lui porta secours. S’emparant d’un mouchoir, il le trempa dans un seau à champagne, puis avec, lui humecta le front et les lèvres. Georges Boulanger s’agenouilla et fit : « Merci, monsieur.
- Y’a pas d’quoi, répondit Symphorien. Il lui faudrait des sels, ou encore, quelques gouttes de vinaigre pour lui masser les tempes. »
Durant tout cet échange, Betsy Blair n’avait pas bronché, portant son regard halluciné sur les aîtres et les êtres. Lorsque Mademoiselle de La Hire se tut, elle se décida à desceller ses lèvres.
« J’affirme, dit-elle dans un français hésitant avec un accent rocailleux, que tout ce qu’a dit Madame n’est que pure vérité. »
Enfin, Aurore-Marie de Saint-Aubain, les mains moites de diaphorèse, sortit de sa stupéfaction, ôta son gant droit dans un mouvement calculé et en souffleta, dressée sur ses talons, la féministe écarlate. Carette se pâmait d’aise.
« Julien Duvivier, Marcel Carné et René Clair n’ont jamais pensé à ce genre de scène ! Faudrait inventer le noble art féminin ! »
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Craddock lui murmura :
« D’ici un siècle, ce sera fait ! »
Le pseudo amiral avait laissé Marguerite auprès de son chevalier-servant. Elle reprenait ses esprits. Quant à Betsy Blair, elle retomba dans son hébétude, comme si elle eût été assommée par le laudanum absorbé par verres entiers.
« Ma parole, cette gonzesse est sous l’emprise de l’hypnose, et ce n’est pas cette Yolande l’hypnotiseuse ! A moins qu’un télépathe la maintienne sous son contrôle mental.
- Bah, tu fais erreur ! Le commandant Wu n’a pas intérêt à faire éclater pareil scandale, rétorqua Julien au cachalot de l’espace.
- Chut ! Ça me rappelle vaguement quelque chose, il y a longtemps. Un type aux bras très longs et aux yeux rouges… Mais il est parti. »
Carette siffla et conclut :
« Encore une de tes réminiscences à la noix ! »
Ce que nul n’avait saisi, c’est que Yolande de La Hire avait anticipé les intentions d’Aurore-Marie. La jeune femme comptait réellement retrouver en catimini Marguerite de Bonnemains dans l’appartement en question deux jours après la soirée.
Les pensées se bousculaient dans la jolie tête de la poétesse. Si elle avait paru sans réaction jusqu’au soufflet, ce n’avait pas été sans raison.
Quelles que fussent les allégations scandaleuses de Mademoiselle de La Hire, Aurore-Marie aurait promptement souhaité y mettre fin, mais la qualité de publiciste de l'offensante féministe entraînerait un étalage sur la place publique de ces infamantes insinuations, à moins qu'elle ne fît chanter la baronne. Toute à ses supputations, habitée par un tourment proche de la maladie de la persécution, tel qu'en souffrirait le « cavalier rouge » de la prophétie de Saint Daniel, le bien connu Joseph Staline, notre Grande prêtresse pesait le pour et le contre d'une confrontation publique. Après tout, elle était l'offensée et, dans la tradition aristocratique, une perfidie de cette nature eût mérité que l'on demandât réparation sur l'heure, d’où son soufflet défi dans la grande tradition! Non seulement la légitimité de la fortune des Lacroix-Laval était remise en cause par la manifestation de cette héritière irlandaise inconnue, cette Betsy O'Fallain, cette mijaurée dont la maigreur hectique, le regard bleu hagard et les anglaises soutenues le disputaient en évanescence avec la beauté de Madame qui se croyait l'Unique – à l'exception de Deanna -, maladive femelle que Yolande de La Hire avait eu le culot d'introduire en plein salon de la duchesse, mais, de plus, chose inconcevable et proprement irrémissible, la journaliste voulait que le monde entier connût les penchants troubles de Madame de Saint-Aubain pour les fillettes et Marguerite ainsi que son action occulte à la tête d'une société secrète bien pis que la franc-maçonnerie. Yolande de La Hire se prétendait témoin rescapé de la nuit du 18 septembre 1877 à Cluny et, bien qu'Aurore-Marie eût pu facilement démontrer la vacuité testimoniale de ses affirmations (tous les témoins étaient officiellement morts noyés, n'est-ce pas!), elle ne put se résoudre à un simple démenti, à moins que des armadas d'avocats prouvassent l'innocence de la baronne. Ce fut pourquoi Aurore-Marie choisit de laver son honneur. Elle avait arrêté cette décision une fois que Yolande eut terminé ses éructations accusatrices.
« Madame de La Hire! Dit Aurore-Marie après avoir souffleté la bringue rouge. Votre offense mérite réparation. J'exige des excuses! Jeta-t-elle tout en feignant de contempler un bouquet d'arums qui égayait le guéridon Empire près duquel elle se tenait, dressée et fulminante, comme si elle essayait de se grandir à tout prix.
- Madame de Saint-Aubain, nous ne sommes plus sous la Monarchie absolue! Je veux bien oublier ce soufflet déplacé.
- Vous n’avez pas compris ! Il me faut laver mon honneur! Seul le duel...
- Un duel de femmes! Gloussa Alfred Naquet! Voilà qui est inédit! Les gazettes vont en faire leurs choux gras!
- Soit, se résigna la publiciste après un instant de réflexion. J'accepte! Mais Mademoiselle O'Fallain doit demeurer en dehors de tout cela. Je me battrai au nom de toutes les femmes.
- En tant qu’offensée, j'ai le choix des armes, reprit Aurore-Marie. Le pistolet me sied mieux que la lame. Je ne suis point une Saint-Georges! (à l'énoncé de ce nom, des souvenirs de ses aventures au XVIIIe siècle revinrent fugacement à Symphorien Nestorius) Le baron Hermann Kulm et monsieur Paul Déroulède seront mes témoins.
- Quant aux miens...Je choisis messieurs Paul de Cassagnac et José-Maria de Heredia!
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- Je vois que vous convoquez aussi le Parnasse en y instillant la division! S'exclama, persifleuse, Madame de Saint-Aubain. Un poëte qui ne me soutient pas! Fi donc! Pour plus de publicité, nous nous affronterons au Champ de Mars, côté École militaire!
- Pour la date, que diriez-vous de mardi prochain?
- Cela m'agrée, mademoiselle la journaleuse! »
De son côté, Julien Carette trépignait :
« Ras le popotin d'jouer les larbins! Jeta-t-il à l'adresse de Michel Simon qui jouait à la perfection les Irwin Molyneux. Faut faire diversion pour aller enfin fouiner dans les affaires louches d'la duchesse! On est là pour les plans secrets d' l'expédition, pas pour prendre racine. Alors, j'en ai tellement plein l'ciboulot qu'j'vais battre cette de La Hire à son propre jeu! Sa manière d'insulter la p'tite dame, c'est d'la gnognote à côté d'mon effronterie naturelle!
Michel Simon crut bon de rajouter :
- Tu crois qu' c'est vraiment des gouines?
- Ma'me de La Hire est sapée en homme et l'autre, elle préfère les petiotes et s'met des frusques d'poupée! Peut-être ben qu'elles s'disputent les faveurs de la même mioche à gros nœuds-nœuds!
- Pendant qu' j'l' affronte, Symphorien, Louis et toi, vous allez jouer les fouille-merde dans les tiroirs de Ma'me d'Uzès!
- Dac! Mais j'te mets en garde!  Qu'on se le dise!
- J'risque plus l'soufflet qu' l'encaissement de torgnoles, d'baffes et autres châtaignes! Après, dès qu'on aura trouvé les plans, on s'f'ra la belle avec! Advienne que pourra! Ordre de Daniel! »
Alors, mettant ses paroles à exécution, il s’approcha avec résolution d’Aurore-Marie, un plateau portant des coupes de Dom Pérignon sous le bras. Il feignit la maladresse avec un art consommé de la scène. Patatras ! Le cristal se cassa, tout en répandant une partie de son liquide pétillant sur la toilette griffée Worth de Madame la baronne. Encore une avanie de plus pour Aurore-Marie, mais elle n’était plus à cela près. Son triomphe se teintait d’amertume.
« Si je devais croire en l’astrologie, je dirais qu’aujourd’hui je suis mal aspectée. »
- Scusez, m’dame, j’lai fait exprès! Eut le culot de lancer le faux factotum, tout en s’assurant que ses compères avaient déjà déserté les lieux.
- Quelle insolence! Jeta le comte Dillon en lissant ses moustaches.
- Ma chère, je suis navrée. Allez donc vous changer avant que cette avanie ne vous tombe sous la poitrine, minauda la duchesse tout en lançant un regard empli de désapprobation en direction de Julien Carette.
Puis la noble personne reprit, s’adressant cette fois-ci au domestique suppléant.
- Vous êtes congédié illico. Sans émolument.
- Mais, m’dame, c’est pas juste!
Aggravant son effronterie, le comédien mâchouilla un mégot déjà fort mal en point.
- Décidément, j’aurais dû avoir davantage l’œil sur le recrutement des extras, se morigéna la duchesse en s’éventant nerveusement.
Carette n’attendit pas qu’on l’expulsât manu militari, il s’éclipsa de lui-même allant rejoindre ses amis.
Le transpondeur greffé à son oreille lui avait communiqué le lieu de sa destination, la chambre d’améthyste, premier étage, corridor sud.
Cependant, madame de Rochechouart de Mortemart essayait de réconforter Aurore-Marie tout en la raccompagnant dans sa chambre.
- Vous l’avez entendu, tout comme moi! Ce butor, ce malappris a agi volontairement. Pourtant, je ne le connais point. C’est à croire que nos adversaires l’ont payé pour nous nuire.
- Mais non, très chère, il ne s’agit pas d’un agent du gouvernement. Le sieur Floquet est trop stupide pour cela.
- A moins que vous ne le mésestimiez. Si ce n’est lui, c’est Yolande de la Hire qui l’a stipendié afin de m’humilier davantage.
- Je ne crois pas du tout à un complot. Cet homme, ce rustre fait tout simplement partie de cette vile mouvance socialiste qui ne nous supporte pas, nous les gens de bien.
- Peut-être avez-vous raison. Cette engeance nous hait.
Ce fut à cet instant où, rassérénée par les dernières paroles de son amie, Aurore-Marie recommençait à recouvrer un semblant de calme, que deux boules de fourrure déboulèrent dans les couloirs au risque de faire choir les deux jeunes femmes. C’était O’Malley poursuivant Ufo, ce chapardeur incorrigible. Le Briard ne supportait pas que le chat refusât de partager le saucisson qu’il venait de chiper dans les cuisines.
Malgré les injonctions de Saturnin qui s’essoufflait à courir après les deux animaux, sa bedaine secouée de spasmes, le chat et le chien n’avaient nulle intention d’obéir aux ordres du vieux bonhomme.
- Ah! Sacripants! Vous êtes dignes de mon ire! Allez! Au pied! Au pied pour une fois!
Tout rougeaud, il passa en coup de vent, ne faisant nul cas du malaise soudain de madame la baronne de Lacroix-Laval, oubliant toutes les règles de la courtoisie.
Nous rappelons l’allergie d’Aurore-Marie aux poils félins et canins, chose qui, de fait, se trouvait aggravée par la mouillure champagnisée de sa toilette et par l’agitation de sa pensée.
Prise de panique, se mettant à glapir, la poétesse décadente émit des stridulations adressées à Alphonsine qui, pour l’heure n’était pas dans les environs. C’était dire le trouble de la jeune femme. 
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Perdant toute présence d’esprit, Aurore-Marie échappa à la douceur attentionnée de sa compagne et haletant, monta inconsidérément les degrés de l’étage, spasmatique. Mal lui en prit, sa crise s’accentua. Elle s’étouffait, la face et le cou cramoisis, cherchant vainement une bouffée d’oxygène dans ses poumons. Mais l’air semblait se dérober. Alors, son corps chût sur le carrelage et ses membres se mirent à remuer dans le plus grand désordre. Son visage bleuissait.
Un nouveau personnage entra en scène. DS de B de B, occupée à crier qu’on venait de l’agresser, tentant d’ameuter vainement le ban et l’arrière ban de Bonnelles, vit Aurore-Marie se tordant sur le sol comme Jules César lors d’une de ses crises d’épilepsie. La comédienne anglo-saxonne crut que la poétesse avait été elle aussi attaquée.
Un élan de compassion la poussa à porter secours à la désespérée qui peu à peu, sombrait dans une bienfaisante inconscience.
- What a pity ! Madam ? What is happening ? Can you breathe slowly ?
Se penchant davantage sur la baronne, Deanna Shirley glissa un de ses bras sous la nuque de la malade et lui fit respirer un mouchoir imbibé de bergamote.
L’effet en fut foudroyant. La poétesse écarquilla les yeux lorsqu’elle reconnut la personne qui venait de la tirer d’affaire.
- Dieu des artistes! Elle!
Deanna venait de sceller son destin en trahissant ainsi sa présence.

***************

Lorsque Julien rejoignit le groupe dans la fameuse chambre, non sans mal car lui-même avait été abusé par les distorsions transdimensionnelles des lieux, au risque de se croire transporté dans le Néant, il remarqua la présence insolite des corps inanimés d’Emilienne Ermont et de Werner Von Dehner.
- Que font donc là ces zigues? Ils n’étaient pas prévus au programme!
- Je gère parfaitement la situation, fit Daniel légèrement vexé.
- Puisque vous le dites, commandant, ricana le Parisien.
- On n’est pas là pour temporiser, bougonna le Cachalot de l’espace. Daniel nous a dit que les plans étaient dissimulés dans tout le saint-frusquin entreposé dans ces foutues commodes et armoires dont même ma grand-mère ne voudrait pas!
- J’suis pas un fouineur de première, objecta Carette, mais enfin, puisqu’il le faut.
- Un petit coup de main de votre Seigneurie, mister Wu, siffla l’Ecossais.
Sans gêne, Michel Simon avait commencé à ouvrir plusieurs tiroirs et à bazarder tout ce qu’il jugeait inutile. Cependant ses mains glissaient sur l’émollience d’une lingerie garantie d’époque, délicatement brodée et brochée, subtilement parfumée aux effluves de poudre de riz, jupons, chemises, cache-corset, pantalons, etc. Notre érotomane patenté se grisait de ces dessous qu’il ne pouvait s’empêcher de caresser et de humer.
- Ah! Les beaux frous-frous! Les beaux frous-frous, s’exclamait-il en extase. 
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Louis Jouvet l’apostropha avec un rien de persiflage.
- C’n’est pas le moment, mon ami. Nous ne sommes pas au Chabanais. Plus tard peut-être.
Daniel n’avait pas bougé le petit doigt pour aider ses complices, se contentant de les regarder avec condescendance, savourant la saveur de cette scène en véritable esthète.
Indifférente à la manifestation de celui qu’elle jugeait comme un vieil obsédé, Violetta, usant de ses dons, étirait et amincissait ses mains au point qu’il lui était facile de glisser ses doigts par le trou des serrures, voire par les rainures des portes des armoires. Ses mains parcouraient la garde-robe avec rapidité. Ce fut donc elle qui abattit la plus grosse besogne, comme l’avait escompté et anticipé Daniel.
L’adolescente dénicha ainsi sous la doublure d’un négligé de soie et de mousseline un maroquin vert en cuir de Russie.
- Oncle Daniel, c’est là, dans le tiroir de ce bonheur du jour. Caché dans un déshabillé en boule.
- Très bien, ma fille. Je te félicite.
- Je force la serrure? Demanda innocemment la métamorphe.
- Inutile. Ce téléporteur miniature va faire l’affaire.
- Bravo! Rugit Symphorien. Enfin, vous nous aidez! Il était plus que temps.
- Euh… Le Teuton se réveille, signala Carette. Il remue trop.
- Bah. Broutilles.
 Prestement, le commandant Wu se pencha sur Werner et le renvoya dans l’inconscience à l’aide d’une nouvelle prise helladienne.
- Bon! Patron, carapatons-nous puisque nous avons ce qu’il nous faut, jeta Louis Jouvet.
- Tout doux les amis, je n’ai pas besoin de m’encombrer de ce maroquin et des plans qu’il contient. Il me suffit de les examiner une seconde pour les mémoriser définitivement.
- Bigre! Ça c’est un prodige où je ne m’y connais point! Marmonna Carette.
Daniel Lin fit comme il l’avait dit. Il sortit délicatement les documents de leur pochette en cuir, y jeta à peine un coup d’œil puis remit en place le tout dans le petit meuble.
- C’est bien mieux, non? Personne ne pourra deviner que ce bonheur du jour a été visité.
- Vous devriez donner la recette à Frédéric et à ses pègres, fit Louis Jouvet admiratif. Vous auriez fait un sacré voleur…
- Comme le vrai Arsène Lupin, le fameux Jacob qui a servi de modèle à Maurice Leblanc, renseigna Michel Simon. 
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- Résumons-nous, déclara Daniel désormais très professionnel. La pochette contenait cinq documents. L’itinéraire d’une expédition projetée dans le bassin conventionnel du Congo tout d’abord. La carte géologique montrant l’emplacement de l’uranium et de la pechblende ensuite, puis le plan de la bombe à uraninite telle qu’elle est désignée dans les termes de l’époque. Vous savez tous ici qu’il s’agit d’une bombe atomique. »
Le quatrième document ne cessait d’intriguer tant il détonnait parmi les autres. Il s’agissait d’un petit carnet de toile griffonné et à peine lisible. Rien qu’en touchant l’objet et en jetant un coup d’œil, le commandant Wu savait à qui étaient dus ces écrits. Daniel garda le silence quelques secondes, dubitatif, ne celant rien sur ce document. Il songea :
« Voilà de la besogne pour Spénéloss à Londres. Il faut bien qu’il se rende utile. Mine de rien, je le lui envoie illico. »
Le carnet de Victurnienne disparut sans que nul ne s’en aperçût. Déjà, ses compagnons avaient oublié que l’ex daryl androïde avait mentionné cinq documents. Il reprit :
« Enfin, les plans détaillés du submersible, le Bellérophon Noir. J’ai pu constater de visu que les connaissances émanant de ces documents ne peuvent être de 1888.
- Conclusion? Hasarda le capitaine Craddock.
- La duchesse d’Uzès et le général Boulanger bénéficient d’une aide venue du futur comme je l’avais déjà saisi en me retrouvant dans cette pièce d’améthyste. Pour l’heure, je soupçonne le baron Hermann Von Kulm, cette éminence grise qui est demeuré fort discret, trop à mon goût, durant la soirée.
- Ah? Bon… Vous avez usé de vos dons télépathiques? Questionna Louis Jouvet.
- Pas que cela. Je dispose d’un rapport de Pierre Fresnay qui me dit que Kulm a débauché deux ingénieurs britanniques, auparavant au service de sir Charles Merritt. Il a supervisé avec eux la mise au point des plans du sous-marin et de la bombe.
- Charles Merritt, le roi des pickpockets de Londres?
- En effet, mais pas seulement. Un scientifique hors pair, le seul qui puisse rivaliser avec le baron. Mais lui est vraiment de son siècle, le XIX e. C’est un authentique génie, un génie du mal. Il a de qui tirer. Il est à la fois l’élève de Charles Babbage et de Galeazzo di Fabbrini. Gare à qui se dressera sur son chemin. Je suis bien payé pour le savoir et Frédéric et Sarton également.
- Comment cela? Fit intrigué Carette.
- L’histoire est trop longue à raconter. Sachez que nous les avons tous combattus, du moins le Maudit et son épigone dans des temps autres. Tellier et Spénéloss ont bien remonté la piste de sir Charles.
- J’espère qu’ils se montrent prudents, grogna Craddock.
- Ne vous en faites pas; ils ont du ressort. La preuve? Frédéric a déjà éliminé un agent de Merritt qui était chargé de saboter le sous-marin. Inutile d’épiloguer sur l’itinéraire de l’expédition de Barbenzingue, les explorations de Brazza et de Stanley lui auront fourni la documentation nécessaire. Cependant, la carte géologique n’est pas d’époque, semblant provenir du milieu du XX e siècle à tout le moins. La bombe elle-même utilise la filière du graphite ce que l’Allemagne nazie avait négligé. Mais le plus troublant demeure le sous-marin, le Bellérophon Noir. Dans sa conception entrent des composés bio informatiques dignes de Stankin mais surtout des Olphéans. Cette technologie ne date pas du XX e siècle mais du XXVIIIe au minimum. Elle fut volée par les Asturkruks dans un autre cours de l’histoire. Or, cette espèce est portée disparue dans toutes les chronolignes admises et enregistrées par nos IA d’Agartha City. Kulm serait-il un Asturkruk? Comment a-t-il pu réchapper à l’effacement de Gentus? 
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Se rendant compte qu’il allait trop loin dans ses révélations, Daniel décida d’en rester là et d’occulter de quelques secondes la mémoire de ses compagnons.
La petite équipe quitta enfin la chambre d’améthyste, abandonnant les deux inanimés au bon vouloir de leurs acolytes du renseignement pour rejoindre Jean Gabin qui attendait paisiblement ses amis dans le parc. Se faisant, il guettait une nouvelle éventuelle intrusion.
Oskar allait récupérer Werner groggy tandis qu’Emilienne Hermont revenue à elle antérieurement à l’Allemand faisait son rapport à son supérieur Paul Meurisse.
Quant à Daniel Lin, sachant qu’Aurore-Marie se battrait en duel, il était plus que décidé à assister à ce spectacle inédit. Mais il attendait également les prochains rapports de Pierre Fresnay, de Frédéric, ainsi que ceux d’Alban et de Lorenza. Il oubliait dans cette prospective une épine de taille qui avait pour nom Deanna Shirley. Sans omettre cependant Saturnin de Beauséjour qui, la panse pleine, préférerait prolonger son séjour au château de Bonnelles.
Les agissements du commandant Wu auraient pu nous paraître puérils alors que l’heure était à la gravité. Mais la nature de Dan El le poussait à cette désinvolture. Lorsqu’il avait juré de laisser le libre arbitre à ses amis humains, il s’était vite dédit de cet encombrant serment. Toutefois, l’essentiel était sauvegardé à ses yeux car Lobsang restait sa conscience en toute connaissance de cause.

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A Londres, à la réception dudit carnet de toile, l’Hellados ne marqua aucune surprise, comme s’il s’y attendait.
« Intéressant, pensa Spénéloss, fort concentré. Nous avons là, poursuivit-il les sourcils dressés, les relevés et analyses effectués par les collaborateurs du baron Kulm sur le tapis de Gérone représentant la Genèse. Il y a cependant une chose que je ne saisis pas. Le message mental du commandant Wu a précisé que ces notes étaient de la main même de la duchesse ; or, ce n’est pas sa façon de faire. Autrement dit, cette rédaction a été dictée par la baronne de Lacroix-Laval à son amie qui n’en a pas compris le sens. Ce compte rendu fait au crayon remonte à 1886 après étude de la blêmissure de la mine de plomb. Ces notes m’en apprennent beaucoup : ainsi, l’existence d’une communauté tétra-épiphanique importante au cœur de l’Espagne médiévale, donc logiquement, des époques suivantes. Sans nul doute le commandant va nous envoyer dans ce pays arriéré peut-être à la fin del Siglo de Oro. »

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Une taverne enfumée telle qu’on pouvait communément en rencontrer dans la Castille de Philippe III. 
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Le sol s’enfonçait à deux mètres sous terre et la porte de cet estaminet était dissimulée par un sycomore.
Parmi les buveurs, fort discrètement renfoncés au fond de la salle principale, deux hommes à la belle prestance, un blond roux à la royale altière, et un brun au teint cuivré dont on pouvait subodorer à tort qu’il était originaire des Amériques. Les deux amis affichaient une prudence de rigueur dans ce lieu fréquenté par les tire-laine, les coupe bourses et les coupe jarrets, les déserteurs du Tercio et les Picaros. L’attention des deux convives dont l’absorption d’un vin épais et parfumé paraissait le cadet de leurs soucis, était portée tout entière en direction d’un aventurier tout de noir vêtu.
L’inconnu, qui, pour nous, n’en était pas un, disputait une partie de dés avec un Piquero seco à la casaque de cuir. Les dés roulaient avec une régularité soupçonneuse sur une table en bois usé par les innombrables chopes bues. À la grande colère du Castillan, l’aventurier gagnait, accumulant les points.   
Un instant, c’en fut trop. Grondant et écumant, il se mit à insulter celui qui, visiblement, n’était pas d’origine espagnole. 
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- Hijo de Putana! Tu as pipé les dés. Que tonto soy! J’ai oublié qu’on ne pouvait pas faire confiance aux Français! Voy a matarte!
Thibaud de Montargis n’eut même pas un cillement des yeux. Sans que son visage trahisse son geste, il extirpa de son pourpoint usé une dague bien aiguisée et damasquinée que, sans façon, il planta dans la gorge de son adversaire avant que celui-ci l’eût frappé de son estoc. Puis, comme il n’y avait pas de petite économie, il reprit son arme, en essuya la lame et tandis qu’un silence de mort s’abattait dans la salle, le bandido s’empara de ses gains c’est-à-dire une dizaine de pistoles.
Laconique, le Français jeta à l’assistance médusée:
- Au plaisir de ne plus vous revoir… adios!
Stupéfait, Gaston marmonna à l’oreille de Spénéloss:
- Mordiou! Daniel Lin m’avait pourtant prévenu. On ne s’embarrasse pas de la vie ici! Ils sont transformés en statues ou quoi? Ils le laissent partir comme si de rien n’était… palsambleu! Les spadassins du coin sont encore plus terribles que dans mes souvenirs.
- Chut! Se contenta de rétorquer l’Hellados. Messire le baron, vos propos tenus en français ne sont pas les bienvenus pour l’heure et risquent d’être entendus par ces buveurs sur notre gauche.
- Que fait-on maintenant? Risqua Gaston de la Renardière.
- Rien. Nous savons où le retrouver grâce au pisteur que j’ai glissé dans la selle de son cheval.
- Ce Thibaud de Montargis est l’homme de main le plus efficace de Gaspar de Guzman y Pimentel, autrement dit le futur comte d’Olivares et duc de Sanlucar la Mayor. Je comprends votre prudence et je l’approuve.
- Le comte fait partie de la faction qui soutient le futur prince héritier Philippe IV. Mais il y a plus grave et important pour nous encore. Olivares est également le dauphin du grand prêtre des Tétra Epiphanes don Sepulveda de Guadalajara qui est parvenu à noyauter l’Inquisition elle-même. Pour l’heure, le comte travaille à la disgrâce du favori de Philippe III, le duc de Lerma. 
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- Quelle embrouille! Bon sang! Le commandant Wu a le don de nous envoyer au casse-pipe.
- Sans doute parce que nous mettons un point d’honneur à réussir les missions perdues d’avance.  
- Cela ne me rassure guère. Je finis mon gobelet et on se tire dare-dare.

A suivre...
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