Chapitre
5.
En exécution des ordres de Maria-Elisa di
Fabbrini, les barrières de Paris avaient été fermées. Conséquemment, sortir de
la capitale par quelque charroi que ce fût devenait impossible. Les gendarmes
avaient dressé ce que l’on ne nommait pas encore des barrages.
Depuis l’an 1724, Paris comptait
cinquante-sept barrières « classiques » auxquelles s’étaient ajoutées
celles du célèbre mur des fermiers généraux.
Cette nouvelle enceinte parisienne se rajoutait aux précédentes. Chaque barrière des « fermiers » était munie de bâtiments dits de l’octroi ou propylées de Paris. L’itinéraire vers Calais passait par le Nord-Est, par la commune de Belleville, constituée en 1789, qui jouxtait en son ouest cette enceinte « fermière » désormais fort bien gardée. De là, notre équipage loyaliste passerait par Compiègne avant de poursuivre. Il s’agissait donc d’éviter toute interception des autorités napoléonides.
Cette nouvelle enceinte parisienne se rajoutait aux précédentes. Chaque barrière des « fermiers » était munie de bâtiments dits de l’octroi ou propylées de Paris. L’itinéraire vers Calais passait par le Nord-Est, par la commune de Belleville, constituée en 1789, qui jouxtait en son ouest cette enceinte « fermière » désormais fort bien gardée. De là, notre équipage loyaliste passerait par Compiègne avant de poursuivre. Il s’agissait donc d’éviter toute interception des autorités napoléonides.
Danton
et Fouché, principaux ministres du nouvel ordre despotique, avaient ordonné la diffusion d’affiches, comme autant d’avis de recherche de nos fugitifs comportant de grossiers portraits dessinés au cas où ils parviendraient à s’extirper de la capitale. Les têtes étaient mises à prix, la cote de la princesse Bourbon atteignant une valeur exorbitante : huit cent mille livres. Nos ministres faisaient confiance à l’esprit de délation mais aussi préalablement aux escouades gendarmesques armées jusqu’aux dents en chaque propylée. Ni Madame Royale, ni les autres proscrits loyalistes qui lui avaient prêté main forte ne se tireraient vivants des pièges multiples enserrant la capitale, la prenant comme en étau tel l’Anaconda sud-américain.
et Fouché, principaux ministres du nouvel ordre despotique, avaient ordonné la diffusion d’affiches, comme autant d’avis de recherche de nos fugitifs comportant de grossiers portraits dessinés au cas où ils parviendraient à s’extirper de la capitale. Les têtes étaient mises à prix, la cote de la princesse Bourbon atteignant une valeur exorbitante : huit cent mille livres. Nos ministres faisaient confiance à l’esprit de délation mais aussi préalablement aux escouades gendarmesques armées jusqu’aux dents en chaque propylée. Ni Madame Royale, ni les autres proscrits loyalistes qui lui avaient prêté main forte ne se tireraient vivants des pièges multiples enserrant la capitale, la prenant comme en étau tel l’Anaconda sud-américain.
Danton avait voulu s’en remettre aux
conseils avisés d’une âme grise, celle d’un ami de longue date, factotum digne
du Rochefort d’Alexandre Dumas, qu’il reçut incognito en son cabinet des
Tuileries : le sinistre Stanislas Fréron.
Il l’avait convoqué dès que l’information transmise par Maria-Elisa avait été communiquée à Fouché et à lui-même. Depuis le commencement de la fuite des régicides manqués, il ne s’était écoulé que vingt-deux minutes. La voiture en fuite errait quelque part dans les dédales ténébreux du Nord-Est, entre les Buttes Chaumont et Belleville, cherchant à s’extirper de la toile d’araignée napoléonide. Fréron avait coutume d’obéir aux sollicitations des hommes de pouvoir quelle que fût l’heure.
Il l’avait convoqué dès que l’information transmise par Maria-Elisa avait été communiquée à Fouché et à lui-même. Depuis le commencement de la fuite des régicides manqués, il ne s’était écoulé que vingt-deux minutes. La voiture en fuite errait quelque part dans les dédales ténébreux du Nord-Est, entre les Buttes Chaumont et Belleville, cherchant à s’extirper de la toile d’araignée napoléonide. Fréron avait coutume d’obéir aux sollicitations des hommes de pouvoir quelle que fût l’heure.
Georges-Jacques, la quarantaine passée,
avait encore gagné en laideur proverbiale. Il avait abandonné le port de la
perruque, dévoilant un crâne se dégarnissant et un cheveu grisonnant. Sa figure
demeurait terrible, hideuse. Outre la vérole et la cicatrice de la lèvre
autrefois fendue par un taureau, la tavelure du visage du ministre de la
justice reflétait son tempérament sybarite. Certes, comme en l’autre piste, il
était veuf, ayant perdu Gabrielle.
Mais son remariage s’était différencié de l’autre… car il avait préféré son ex maîtresse, Françoise Julie Duhauttoir, avec laquelle il avait eu un enfant, à tout autre épouse. Louise Gély
n’avait donc point eu la gloire éphémère de convoler avec ce monstre alourdi de bamboche qui se partageait entre trois amours : les femmes, l’argent et la puissance. La blonde enfant s’était directement unie avec Claude-François-Etienne Dupin,
grand zélateur du nouveau gouvernement. Ce dernier s’apprêtait à étrenner la nouvelle fonction de préfet, qui remplaçait celle d’intendant. Et il était amusant de savoir que Dupin devait sa promotion à Fouché et Danton en personnes. Ce pâle fonctionnaire abritait son regard derrière des lunettes cerclées lui donnant un faux air malicieux. L’affectation de Dupin s’avérait on ne peut plus stratégique : il surveillait les populations de Vendée et du Poitou, là où couvait une agitation loyaliste de mauvais aloi. Il possédait un carnet secret dans lequel figuraient les personnalités à surveiller de près. Y étaient inscrits, en tête, les noms du comte de La Rochejaquelein et de François Charette de La Contrie,
aristocrates poitevins et du pays de Retz dont on s’attendait à ce que les agents de l’Angleterre ou de Madame Royale les contactassent.
Mais son remariage s’était différencié de l’autre… car il avait préféré son ex maîtresse, Françoise Julie Duhauttoir, avec laquelle il avait eu un enfant, à tout autre épouse. Louise Gély
n’avait donc point eu la gloire éphémère de convoler avec ce monstre alourdi de bamboche qui se partageait entre trois amours : les femmes, l’argent et la puissance. La blonde enfant s’était directement unie avec Claude-François-Etienne Dupin,
grand zélateur du nouveau gouvernement. Ce dernier s’apprêtait à étrenner la nouvelle fonction de préfet, qui remplaçait celle d’intendant. Et il était amusant de savoir que Dupin devait sa promotion à Fouché et Danton en personnes. Ce pâle fonctionnaire abritait son regard derrière des lunettes cerclées lui donnant un faux air malicieux. L’affectation de Dupin s’avérait on ne peut plus stratégique : il surveillait les populations de Vendée et du Poitou, là où couvait une agitation loyaliste de mauvais aloi. Il possédait un carnet secret dans lequel figuraient les personnalités à surveiller de près. Y étaient inscrits, en tête, les noms du comte de La Rochejaquelein et de François Charette de La Contrie,
aristocrates poitevins et du pays de Retz dont on s’attendait à ce que les agents de l’Angleterre ou de Madame Royale les contactassent.
Danton ne pouvait se défaire d’un aspect
négligé, débraillé, craquant aux coutures l’habit ministériel sévère et foncé
dont il se revêtait. Stanislas Fréron présentait tout son contraire. De cinq
ans plus âgé que Danton, le fils d’Elie Fréron, ancien condisciple de
Robespierre et Camille Desmoulins à Louis-le-Grand, faisait preuve d’une
élégance recherchée, pour ne pas dire exagérée. Toujours tiré à quatre
épingles, il arborait jaquette de nankin brodée et brochée de fils d’or et
gilet de casimir de teinte vive à gousset, souliers à boucles, culotte de satin
bleu-barbeau et bas de soie d’un blanc lumineux. Jamais il n’avait renoncé à la
perruque poudrée, bien que Napoléon voulût imposer à tous les cheveux courts à
la romaine. Il exhalait un parfum capiteux, presque nauséeux, de musc ou de
civette, baguait et pommadait ses mains, enfarinait son visage assez
disgracieux qui pouvait rappeler le lapin de garenne. Mince, d’une stature
assez élevée, il s’exprimait avec préciosité, d’une voix onctueuse et
grasseyante, en blésant. Autrefois plumitif et critique en quelques feuilles
fielleuses opposées à l’absolutisme Bourbon, il s’était résolument placé, par
pur opportunisme, sous l’aile protectrice de l’usurpateur, prétextant son
amitié pour le colosse à la voix de stentor. D’aucuns, comme Cambacérès, le
croyaient antiphysique. De fait, la juvénilité féminine l’attirait, notamment
celle de Pauline Bonaparte,
jeune sœur (et préférée) de Napoléon, pour laquelle Fréron brûlait d’une flamme inassouvie depuis les treize ans de la donzelle. Le nouveau roi s’en scandalisait ; il avait dû pousser Pauline dans les bras du jeune général Leclerc, homme de guerre redoutable ayant participé à diverses opérations sanglantes (dans notre piste) outre-Rhin et outre-Alpes.
jeune sœur (et préférée) de Napoléon, pour laquelle Fréron brûlait d’une flamme inassouvie depuis les treize ans de la donzelle. Le nouveau roi s’en scandalisait ; il avait dû pousser Pauline dans les bras du jeune général Leclerc, homme de guerre redoutable ayant participé à diverses opérations sanglantes (dans notre piste) outre-Rhin et outre-Alpes.
Danton invita Fréron à prendre place en un
fauteuil capitonné aux motifs floraux et agrestes provenant peut-être du
pillage du mobilier de la reine déchue au Petit Trianon. Après qu’il se fut
assis et accoudé, il tira de son gilet une tabatière de santal finement décorée
d’arabesques orientales, objet ouvragé empreint de turquerie duquel il prit une
pincée d’herbe à Nicot.
« Puis-je ? » demanda-t-il
à son ami.
Danton ne trouva rien à redire de cette
petite manie de Fréron, bien qu’elle commençât à dater. Tandis que Stanislas
prisait, Georges-Jacques déclara tout de go :
« Cette conversation doit demeurer
strictement confidentielle. Rien ne devra filtrer hors de ce bureau.
- Oui-da, acquiesça Fréron dont l’expression
se fit des plus attentives.
- Jouons franc-jeu, mon ami. Je suis
obligé de te révéler que Napoléon premier du nom vient de connaître un échec à
Londres. Echec non point cuisant, certes, mais susceptible de retarder la
réalisation des plans du gouvernement.
- A savoir ? questionna le factotum
du stentor avec une naïveté feinte.
- L’élimination physique de la famille
Bourbon en exil chez ce jean-foutre de régent George.
- Parbleu !
- Nos androïdes sicaires ne sont pas
parvenus à mettre hors d’état de nuire le meilleur agent secret d’Albion. Aussi
perfectionnés qu’ils eussent pu paraître, ils sont tombés sur un os.
- C’est-à-dire ?
- Les Anglais sont devenus plus forts que
nous en automation ! Qui l’eût cru ? Eux aussi possèdent des
automates-armes ! A cause de ce contretemps, les services secrets du
prince-régent sont à même d’apporter leur protection à qui nous savons… Cette
péronnelle, cette anandryne faussement candide de Marie-Thérèse
Charlotte ! La morve coule encore de ses narines de fillette rongée par le
vice !
- A moins qu’elle ne puisse fuir la
France.
- Notre police vient de me communiquer
qu’elle s’apprête à quitter Paris. Là encore, les sbires de Joseph Fouché ne
sont pas parvenus à l’intercepter au domicile où elle se cachait. Tu n’es pas
sans savoir que sa responsabilité dans l’attentat manqué de la rue
Saint-Nicaise est pleine et entière…
- Je suppose que tu ne m’as pas convoqué
seulement pour m’informer de notre infortune que j’espère temporaire.
- Certes non ! (Danton éleva la voix,
au risque qu’un factionnaire ou un huissier entendissent ce qui se tramait
derrière la porte close) Je vais te charger d’une mission toute particulière,
digne de toi. Je connais bien tes capacités, et ta fidélité à notre cause…
- Notre ? Je suppose, au ton que tu
emploies, que ce n’est pas exactement celle du nouveau monarque !
- Stanislas, nous jouons double jeu dans
cette affaire. »
Fréron éternua ; la pincée de tabac
avait été trop inspirée. Reprenant, Danton s’exclama :
« Je t’envoie outre-Manche !
Incognito, cela va de soi. Ta mission sera double.
- Même Napoléon n’en saura rien, je
suppose. Ceci dit, Georges, à ta place, je surveillerais Talleyrand.
Avec sa botte orthopédique ferrée, il ne paie pas de mine, mais il a ses propres réseaux qui pourraient interagir contre nous.
Avec sa botte orthopédique ferrée, il ne paie pas de mine, mais il a ses propres réseaux qui pourraient interagir contre nous.
- J’y veillerai, rassure-toi. J’ai vent
que le roi envisage d’expédier cet ecclésiastique défroqué et dévoyé en Italie.
A l’opposé de toi, donc. Je disais donc…
- Que ma mission serait double.
- D’une part, tu devras infiltrer
l’interlope des docks de Londres, les smugglers
et autres marchands-contrebandiers au service de Pitt et du régent George. Ils
livrent secrètement des armes, des munitions et de la poudre aux provinces
rétives au nouveau pouvoir : Bretagne, Poitou, Vendée, Provence. Leur
objectif est simple : la sécession loyaliste, la guerre civile. Le
prince-régent finance aussi le parti des tièdes, les opposants libéraux comme
les fidèles au despotisme Bourbon. Il stipendie les consciences des
gentilshommes bretons, vendéens et provençaux.
- Le second volet de ma mission ?
- Découvrir la fabrique des automates
militaires du prince-régent et l’anéantir.
- Comment donc ?
- Tu disposeras d’une double option :
susciter d’une part les troubles sociaux, l’agitation, la rébellion des
briseurs de machines. Tu n’es pas sans savoir que nombreux sont les ouvriers
opposés à l’automation qui leur mâche leur pain. D’autre part, il te faudra
débusquer les ingénieurs, les inventeurs des androïdes, et les éliminer. De
même, tu t’en prendras aux arsenaux, aux fabriques d’armes secrètes. Tu auras à
ton service des hommes de main déterminés, qui sauront aussi bien user de la
force que de la ruse, jouer les agitateurs patentés, les trublions et les
surineurs…
- Palsambleu !
- Il n’est pas sans dire le risque que
nous encourons. Je tiens aussi Fouché, mon confrère, à l’œil. S’il éventait
notre combine… Elle portera d’ailleurs un nom de code.
- Qui est ?
- John Ludd.
- Joli nom. Je n’ai pas l’heur de
connaître ce gentleman.
- J’ai ouï une fois le comte di Fabbrini,
l’éminence grise du monarque, prononcer ce nom. Il sonne bien anglais, je te
l’accorde. Ce personnage – mythique, imaginaire – constituera une cause, un
emblème, un ralliement pour toutes les oppositions, chez les Anglais, à la
politique déshonnête de cette canaille débauchée de George.
- Quand dois-je me mettre à l’œuvre ?
- Lorsque nous saurons si les barrières,
les propylées de Paris, auront brisé l’élan de la petite mijaurée au sang
bleu !
- Si elle s’échappe, elle ira se réfugier
auprès de sa famille… et sera le signal de l’insurrection provinciale que nous
redoutons tant !
- Dans deux heures, nous saurons. Dès que
mes informateurs infiltrés parmi les mouches auront rendu compte de l’affaire,
tu partiras vers Calais.
- Seul ?
- Non pas, tu auras un garde du corps dont
je réponds.
- Un automate, encore ?
- Il sera bien humain ! »
A suivre...
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