Les
michetons et toutes les créatures
avaient été conviés à assister au spectacle
d’une nouvelle attraction qui placerait Le Chabanais au-dessus de tous les
autres établissements de la capitale : la vierge de fer.
Ce divertissement
d’un goût fort douteux consistait en une réinterprétation d’un supplice
inquisitorial, la vierge de Nuremberg, sorte de sarcophage métallique
anthropomorphe à l’intérieur fort contondant. L’officiante qui devait y prendre
place avait revêtu une longue tunique de lin, blanche, à l’étoffe si
arachnéenne qu’on y voyait à travers sans peine. La prostituée, volontaire pour
étrenner la nouveauté promise à un bel avenir, s’était voilée avec un maphorion
de vestale, bien dans le goût antique d’un Catulle Mendès. Le supplice qu’elle
devait subir était faussement apparenté à quelque instrument de martyre
paléochrétien alors que l’anachronisme s’avérait manifeste.
Curieuse
de tout, Deanna Shirley s’était placée aux premières loges. Un silence de
sépulcre s’abattit sur l’assistance, à peine troublé çà et là par quelques
toussotements de messieurs qui avaient trop forcé sur leur puros,
lorsque Madame fit refermer le couvercle de la vierge de fer sur le
corps harmonieux de la pseudo victime qui n’était autre que Conception en
personne. Cette dernière, jalouse du succès du Bébé anglais, avait trouvé ce
moyen pour remonter sa cote auprès des habitués, qui, depuis quelques temps,
paraissaient préférer la platitude des bourgeons de notre Britannique aux
attributs plus développés de l’Andalouse.
« Voilà
qu’on joue à la prestidigitation. », se dit Michel Simon.
Il
n’était pas ébahi, mais cela le démangeait par avance de savourer avec délice
la promesse de nudité intégrale du Bébé andalou. Il attendit donc qu’elle
s’extirpât de sa prison et apparût, triomphante, telle la Vérité sortant du
puits. Qui disait illusionnisme ne signifiait pas que Conception réapparaîtrait
dans le même lieu. Il était certain qu’aux yeux des initiés, le sarcophage
jouait le rôle d’un prestige.
Comme
pour confirmer cela, on entendit une voix caverneuse en sortir en appelant à
l’aide, et comme des coups précipités qui parurent secouer cette cage
extraordinaire.
Quelle
ne fut pas la surprise des gogos de retrouver la pierreuse en haut des marches
de l’escalier qui menait aux cabinets particuliers, en Salomé sans voiles, avec
pour seuls atours sa longue chevelure brune dénouée et ses bijoux savamment
placés : boucles d’oreilles, bagues aux orteils, bracelets et crucifix
porté en sautoir cachant à peine l’essentiel.
« Tout
ça, c’est du toc ! » rumina Michel Simon dans sa barbe alors que le
public, leurré et conquis, applaudissait à tout rompre.
Ce
fut alors que des coups de sifflet stridents retentirent et vrillèrent les
oreilles. Madame crut à une descente de police. Le mécontentement s’afficha sur
son visage : n’avait-elle pas graissé la patte au préfet de police et à
ses représentants ?
Un
groupe de sergents de ville, de parfaits sergots en pèlerine, avec leurs
matraques, déboula dans le grand salon du lupanar. Michel comprit tout de suite
qu’il s’agissait d’une supercherie en identifiant l’inspecteur qui conduisait
la rafle : c’était Louis Jouvet dans un de ses rôles qu’il affectionnait.
Carette l’accompagnait, encadré par Gabin, Craddock et un jeune homme qui
rappelait vaguement quelque chose. Sa mine réjouie, ses yeux emplis de malice,
démontraient qu’il s’amusait. Le comble était atteint.
« Ce
sergot a des airs familiers ! Tiens, il rougit comme un puceau devant
certaines peintures canailles… Toi, ma belle, tu es Violetta qui n’est pas
encore sortie des jupes de sa mère ! Toute ton éducation reste à
faire, mais je ne veux pas me fâcher avec Benjamin ou Daniel. »
Tout
en gardant ses réflexions pour lui, Michel Simon écouta la fable que Louis
Jouvet avait concoctée à la mère maquerelle.
Louis
Jouvet montra des papiers en règle, estampillés préfecture de police.
« Je
suis mandaté par le commissaire Ganimard. »
A
ce nom, Michel Simon retint une quinte de toux, à cause du sourire
irrépressible qui le prenait.
« Mes
hommes et moi-même avons pour mission de vérifier que vous n’employez pas des
irrégulières qui n’auraient pas subi la visite médicale annuelle
obligatoire. »
A
distance, Polanska grommela : immédiatement, elle comprit qui était dans
le collimateur. De justesse, elle se retint de jeter en polonais toute sa
vindicte à la figure de celle qu’elle haïssait.
Deanna
s’effara. A l’arrivée de la police, elle avait cru qu’il s’agissait d’un
contrôle authentique courant en ce lieu mal famé. Mais voilà, Louis Jouvet
l’avait dévisagée. Ses regards insistants signifiaient :
« Joue
le jeu, ma petite, sinon il va t’en cuire. »
Notre
starlette avait saisi que le commandant Wu avait envoyé son équipe pour la
sortir de là, mais ce n’était pas du tout ce qu’elle souhaitait. Célébrité pour
célébrité, celle-ci n’était pas pire qu’une autre, quel que fût le péril
sanitaire dont elle se fichait comme de colin-tampon. Il y avait déjà quelques
temps que son séjour à l’Agartha lui pesait, plus particulièrement
l’autoritarisme de Daisy Belle sa sœur aînée, qui se croyait obligée de la
gourmander et de critiquer son inconduite alors qu’elle était majeure. Si elle
avait voulu mener une vie de sainte, elle se serait faite nonne et aurait
rejoint le Carmel.
Les
acolytes obligèrent tout le monde à justifier de son identité. Comme il se
doit, miss Harriet était dépourvue de tout certificat : elle n’était pas
en règle. Avec un sourire cauteleux, Louis Jouvet s’approcha de Madame, et lui
dit d’une voix ferme :
« Désolé,
mais je suis obligé d’amener Mademoiselle au poste pour vérifications
supplémentaires.
-
Mais non, mais non ! s’écria DS De B de B. Je suis sujette
britannique !
-
Encore mieux ! répliqua le comédien. Vous n’avez point présenté de
passeport. Veuillez nous suivre immédiatement sans opposer de
résistance. »
Tandis
que le Bébé russe triomphait, l’ex Harriet fut tirée malgré toute sa résistance
à l’extérieur du Chabanais.
« Je
ne veux pas, vous dis-je ! Je ne veux pas ! Bastards !
Salopiaux ! Fuck ! »
Dès
que les faux policiers eurent franchi l’angle de la rue, ils furent téléportés
à bord du vaisseau temporel. Là, Deanna dut affronter les conséquences de sa
légèreté.
********
Le
commandant Wu avait fait mijoter plusieurs jours son illustre captive, tout en
négociant mollement avec la duchesse d’Uzès. Il gagnait du temps, parce que
prolonger l’expérience de Deanna Shirley au Chabanais l’intéressait plus que la
réclusion de madame de Saint-Aubain. Comme pour Paul Déroulède dans une autre
histoire, il lui avait fait effectuer le tour du système solaire, montré
Jupiter dans toute sa splendeur et admirer de fort près les anneaux de glace de
Saturne. Au lieu d’apprécier le spectacle, Aurore-Marie préférait murmurer et
psalmodier des vers tarabiscotés, qui dessinaient l’embryon de sa poésie
vénitienne, l’une de ses ultimes œuvres.
Cependant,
la baronne de Lacroix-Laval avait tenté de s’échapper deux ou trois fois, sans
succès, car on ne trompait pas la vigilance du geôlier.
Essayant
de vaincre sa peur, elle avait osé s’aventurer sur un des plots du téléporteur.
Mais, là, elle ne savait plus quoi dire ou faire, d’autant plus qu’Ufo était
venu se frotter contre elle, miaulant, quémandant un surplus de nourriture.
Cela avait déclenché chez la jeune femme une crise aiguë d’asthme. C’était à
croire que le félidé l’avait fait exprès, ce qui n’était pas tout à fait faux.
« Bravo
mon Ufo ! »
Tout
heureux de voir que son animal favori faisait un geôlier hors pair, Daniel Lin
le prit dans ses bras et se mit à le caresser. Aussitôt, le chat ronronna.
Le
commandant Wu soliloqua sur la condition existentielle des félins de toutes les
époques de l’histoire humaine.
-
Sais-tu, mon chat, que tu comptes parmi les plus privilégiés de la gent
féline ?
-
Miaou, sembla approuver Ufo.
-
Laisse-moi poursuivre. Connais-tu l’espérance de vie réelle de tes
coreligionnaires en liberté ? Quatre ans, pas davantage !
-
Miiaaou ! opina de plus belle le félidé transgénique des forêts
norvégiennes.
Le
chat se lécha les pattes de sa langue râpeuse.
-
La loi de la rue est des plus cruelles pour les matous de gouttières. Ils
doivent se battre pour leur territoire, leur pitance et leurs femelles. Ils se
retrouvent livrés à eux-mêmes dans cette jungle humaine où la gent à deux
pattes les pourchasse pour différentes raisons pas toujours soutenables.
Aurore-Marie
crut bon d’intervenir.
-
En voilà des égards pour cet animal grincheux et toujours affamé !
-
Ah ! madame, taisez-vous ! Vous ne saisissez rien à la psychologie
féline. Cet Ufo, combien de fois m’a-t-il sauvé du spleen ?
-
Spleenétique, vous ? allons donc ! Je me refuse à croire cela.
-
Vous me connaissez fort mal, madame la baronne.
Feignant
l’indifférence à cet échange verbal entre les deux ennemis, Ufo achevait sa
toilette.
-
Madame, poursuivit le Préservateur, votre petite personne égocentrique ignore
ce qui fait la richesse des rapports homme/animal. C’est bien dommage.
-
J’aime à ce qu’Alexandre, mon cacatoès, me tienne compagnie.
-
Certes, mais c’est bien tout.
-
Pourtant, je pense que son intelligence vaut amplement celle de votre chat.
-
Permettez-moi d’en douter.
-
Je vous défie, monsieur, de me le prouver.
-
Mon chat, entends-tu ? Oui, tu as saisi qu’on se moquait de toi et tu
réprouves grandement pareil sentiment à ton égard.
Sur
le mode interrogatif, Ufo répliqua :
-
Meoow ?
-
Votre chat miaule en anglais, fit Aurore-Marie. Intéressant.
-
Il le peut aussi en mandarin… selon son humeur…
-
Tiens donc.
-
Vous ne me croyez toujours pas. Ufo pratique cinquante-six langues terrestres
aussi bien qu’extra-terrestres. Il peine avec les dialectes K’Tou et Kronkos.
Il déteste également les idiomes lycanthropoïdes et Haäns. Justement, je me souviens d’un
accrochage entre Sigur et lui qui remonte à moins d’une année.
-
Qui est Sigur ? Un personnage fictif d’un opéra ?
-
Point du tout. Il s’agit d’un de nos plus éminents citoyens. Un loup de huit
ans, fort intelligent. Mais également très soupe au lait. Il faut éviter de le
mettre en face d’un Otnikaï. Alors, ses instincts ancestraux refont surface.
Laine bleue a eu toutes les peines du monde à échapper à son ire. Toutefois,
Ufo est parvenu à lui damer le pion en lui chipant un cuissot de chevreuil.
-
Un cuissot ? s’exclama Aurore-Marie. Il n’est pas mort
d’indigestion ?
-
Comme vous le voyez, il se porte très bien. Mais il est vrai que c’est un
ventre-à-pattes.
-
Monsieur, je m’en souviens… Vous m’aviez promis la liberté.
-
C’est exact. Il ne s’agissait pas de paroles en l’air. La duchesse d’Uzès a
accepté mes conditions. C’est donnant donnant. Nous avons promis, mon équipe et
moi-même, de ne pas entraver l’appareillage du
Bellérophon noir et madame votre amie s’est engagée à ne pas nous
nuire lorsque nous aurons posé le pied en Afrique, autrement dit, votre général
Revanche aura interdiction de nous attaquer lorsque nous serons sur ses traces.
-
Je n’irai jamais là-bas. Le climat délétère me tuerait assurément. Avec
Alexandre, je me rendrai à Venise, dès le Bellérophon parti.
-
Ah ! Ce que vous me dites, madame la baronne est d’une portée sidérale.
Mais revenons à Barbenzingue. Il aura fort à faire dans ces contrées hostiles.
Je ne parle pas seulement des peuples que vous avez le tort de considérer comme
des sauvages. Les dangers seront tout autres.
-
Monsieur, vous devez m’en révéler davantage.
-
Je me l’interdis. Cela ne vous regarde pas. Toutefois, ma bonté naturelle me
permet de vous annoncer que l’Afrique ne sera pas le tombeau noir de votre
général.
-
Oh ! Oh !
-
L’heure de votre libération approche. Il est temps de vous préparer. Un comité
de libération vous attend. Hâtez-vous. Ce comité se compose de madame votre
amie, du marquis de Breteuil, de Paul Déroulède et de Dillon.
Aurore-Marie
en eut les larmes aux yeux.
-
Cela me fait chaud au cœur de voir que je n’ai pas été oubliée et que l’on
s’est préoccupé de moi.
A
cette seconde, Violetta fit irruption dans la cabine avec sa désinvolture
habituelle. Tout de go, elle lança :
-
Oncle Daniel, Deanna, t’attend à côté, l’air penaud. Elle veut faire amende
honorable.
-
Cela ne m’étonne pas d’elle. Laisse-moi conduire la baronne jusqu’en bas et je
m’enquiers de Deanna Shirley.
-
Oui, mon oncle ! Ce qu’on va rire…
***************
D’emblée, le commandant Wu constata la gêne
certaine de l’apprentie star. Elle rougissait et ses mains se tordaient sous
l’angoisse qui la taraudait comme si elle s’apprêtait à interpréter pour la
première fois le rôle de sa vie sur les plus prestigieux tréteaux de la Royal
Shakespeare C°.
-
Bonjour Deanna, fit l’ex-daryl androïde primesautier.
-
Bonjour commandant, répondit piteusement l’Anglaise.
Elle
était encore accoutrée en Bébé anglais.
-
Que voilà une tenue fort instructive. Vous me faites songer à un sucre d’orge
bariolé.
-
N’en rajoutez pas Daniel Lin, je vous en conjure…
-
Vous deviez me dire quelque chose…
-
Je sais… cela m’est difficile… Veuillez excuser mon attitude des derniers
jours…
-
Votre absence plutôt.
-
Oui, c’est cela…
-
Ah ! Mademoiselle votre sœur…
-
Ne doit pas apprendre mon escapade, s’affola Deanna.
-
Je me demande si cela est possible, murmura rêveusement le commandant Wu.
Cette
dernière phrase surprit la comédienne mais elle n’y attacha pas de l’importance
à cet instant. Plus tard, elle s’en voudra, comprenant le sous-entendu du
Préservateur.
-
Daisy Belle dirait que votre inconduite, reprit Daniel, relève de la puérilité
et de l’immaturité. En bref, vous êtes irresponsable… pourquoi me suis-je
encombré de votre personne, Deanna ? Parce que c’était écrit ?
-
Il est vrai que vous croyez au karma, hasarda la jeune femme.
-
Dans la chambre égyptienne ou dans la chambre indienne ?
-
Que sous-entendez-vous ?
-
Je suis en quête du lieu précis où votre destinée s’est jouée la semaine
passée. Bertie valait-il autant le coup ?
-
Comment ? s’offusqua l’apprentie star. Voilà bien un ton familier.
-
Pas de cachotterie avec moi. Vous saviez parfaitement avec qui vous fricotiez.
J’ai laissé faire… enfin. Cela mérite réflexion et… punition…
-
En quoi ai-je tant fauté que cela ? Cette pruderie est nouvelle chez vous…
-
Ne me donnez pas envie de rire, ce n’est guère de circonstance. Vous vous
accommodiez de finir votre existence dans un bordel… de luxe…
-
Actrice, courtisane, peu me chaut ! Les voies d’émancipation de la femme
en ces temps barbares étant des plus limitées, je n’ avais guère le choix. Du moment que je n’étais pas sollicitée pour
fouetter quelques clients comme mademoiselle Polanska qui, munie d’une canne
dissimulant des verges, se mettait au service de ces messieurs, je ne vois pas
en quoi j’étais une dépravée. D’autant plus que je me suis limitée à
l’orthodoxie sexuelle. Mes toilettes suffisaient à elles-mêmes.
-
Bravo pour cette plaidoirie. Mais, mademoiselle Deanna, vous êtes en train de
vous méprendre. Je ne vous juge pas en tant que moralisateur mais en tant que
commandant en chef de cette mission. Or, vous avez sciemment désobéi à mes
ordres et vous traînez une lourde réputation de catastrophe ambulante.
-
Ah ! Vous avez en tête mes mésaventures avec le sieur de Beauséjour !
Si moi, je suis la miss catastrophe, lui joue excellemment son rôle de
Paillasse de service ! Pourquoi, monsieur Wu, devez-vous vous encombrer
systématiquement de faire-valoir, comme me l’a rapporté Delphine Darmont !
Le nierez-vous ? Tout a failli capoter à cause de ce benêt de Saturnin
mais aussi du fait que vous aviez omis de mettre Delphine au courant du manque
de commodités sous Louis XI !
Disant
cela, miss Deanna Shirley s’était empourprée de colère et son cou avait pris
une teinte cramoisie. De plus, son accent anglais ressortait de plus belle.
-
Deanna, je sais ce que je fais en qualifiant Saturnin dans ces missions. Il a
son utilité.
-
Laquelle, bloody Mary ?
-
Il désamorce les tensions et met un peu de gaîté lors des situations tragiques.
-
D’accord… mais il attire les périls et alors le reste de l’équipe doit
s’ingénier à le sauver ! Dans mon cas, ce sont vos associés, Symphorien,
Michel et consorts qui m’ont conduite en ce lieu de perdition… sur vos ordres,
Daniel !
-
Ah ? Vous avez deviné cela…
-
Qu’espériez-vous de ma part ? Que je me misse à pleurer ?
-
En participant à la chasse au renard, vous avez tenté le diable. Tout est parti
de là.
-
Vous aviez donné votre aval… Au dernier moment, il est vrai.
-
Vous me cassiez les oreilles avec vos gémissements.
-
Admettons. Mais enfin, il me semble, avec un peu de recul, que vous savez à
l’avance ce qu’il doit advenir…
-
C’est possible…
-
Vous m’avez testée. Vous vouliez savoir jusqu’où j’étais capable d’aller, de me
compromettre auprès de cette détraquée d’Aurore-Marie. Vous m’avez
volontairement exposée au déshonneur. J’ai préféré celui qui résulte d’un
bordel, de mes frasques avec Bertie plutôt que de devenir une gourgandine
tribade ou une anandryne.
-
Ouille ! Quelle philippique ! Votre éloquence me laisse pantois.
-
Monsieur Wu, je ne suis pas votre souris de laboratoire, ces mignonnes petites
bêtes blanches aux yeux rouges qui courent dans le labyrinthe en remuant leurs
moustaches en quête du morceau de fromage !
-
Ah ! Voici qui est nouveau de votre part. Vous me faites un beau procès…
mais je crois que cela est dû à une crise, un prurit adolescent… Je doute
grandement de votre âge mental…
-
Venant de vous, c’est assez amusant ! répliqua du tac-au tac la miss.
-
Pourquoi cela ?
-
Je suis en train de me demander lequel de nous deux est le plus immature… sous
quelle pelure vous dissimuliez-vous à Bonnelles en cette fameuse soirée où vous
me reléguâtes en compagnie d’insupportables pimbêches et péronnelles
enrubannées ne dépassant pas treize ans ? Vous affichiez au plus quinze
ans… et je me montre généreuse. Je ne savais point que vous vous complaisiez
dans les rôles de composition de jeunes grooms acnéiques…
-
Je n’avais aucun bouton sur mon visage.
-
Défaut d’authenticité, jeta perfidement DS de B de B. vous avez refusé de vous
enlaidir alors que moi j’ai accepté bien que cela me coûtât, d’exhiber mes
taches de rousseur et de ne point me maquiller afin d’incarner au mieux la
nièce anglaise de monsieur de Beauséjour.
-
Par moment, il me faut détendre l’atmosphère car trop de responsabilités pèsent
sur mes épaules.
-
Mais c’est vous qui avez voulu commander cette mission !
-
Personne d’autre ne le pouvait… Vous ignorez beaucoup de choses la concernant.
Vos certitudes s’en trouveraient effacées et cela vous démolirait. Je ne le
désire point. En attendant, votre sort est réglé… voici votre punition.
-
Je ne vois rien de changé et ne ressens aucune différence…
- Regardez-vous dans ce miroir… observez-vous
de près.
La
jeune femme s’empressa de jeter un coup d’œil sur l’aspect qu’elle pouvait
avoir revêtu.
-
Mes taches de rousseur sont toujours là… mais il me semble que je suis plus
maigre que jamais. Ma menue poitrine s’est comme effacée…
-
Cela ne vous rappelle rien ? Vraiment ?
-
Mes cheveux… Ils ne sont plus blonds. Mon châtain foncé est revenu.
-
Est-ce tout ?
-
Ainsi, on voit bien que Daisy Belle est ma sœur. Je ne me veux point.
-
Alors… Vous avez désormais douze ans.
-
Quoi ? Ce n’est pas possible ! Comment avez-vous fait ce tour ?
Est-ce là un trucage ? De la prestidigitation avec le concours de votre
salle holographique ?
-
Pas du tout. Je vous ai rajeunie d’une dizaine d’années.
-
Personne ne peut cela !
-
Personne d’humain…
- Mon Dieu ! My God !
Mein Gott !
-
Deanna, tu m’as assez fait perdre mon temps, siffla Dan El. Un beau bébé Bru
t’attend dans la cabine à côté. Va jouer à la poupée.
-
Je… je ne peux accepter ce tutoiement…
-
Je ne déroge point à la politesse, Deanna Shirley… tu n’es qu’une petite fille
pour quatre semaines… davantage pourrait s’avérer dangereux par la suite…
va-t’en ! Un message d’Erich est en attente depuis quinze secondes…
ouste ! File, sale gamine !
Mortifiée,
miss de Beauregard rejoignit la cabine limitrophe où Violetta l’accueillit avec
un sourire ironique.
-
Sommes en Mer Rouge, bâtiments attaqués par une flottille pirate de sambuks
kushites érythréens commandée par des zombies et des momies. Plus urgent que
jamais que vous veniez à la rescousse.
***************
La
corne de brume meuglait tandis que le Louise de Prusse et le Kronprinz
Ferdinand s’aventuraient au sein d’un no man’s land de ténèbres. Les
coques des deux navires fendaient un brouillard aussi épais que de la poix.
Parfois, des grincements témoignaient que les superstructures étaient à la
peine.
La
tôle s’empoissait d’une humidité acide qui déclenchait un processus accéléré de
vieillissement du métal. Il rouillait. Des boulons se fendirent et se
détachèrent ce qui affaiblit davantage les coques.
Cependant,
une effluence à la fois hircine et ichoreuse se répandait à bord, s’insinuant
jusque dans les soutes, exhalaisons insupportables mêlées à des remugles de
marécages qui semblaient provenir des eaux stagnantes du Delta. Tous les
matériaux constitutifs de ces bateaux devenaient gluants. C’était comme si
chaque pont du Louise de Prusse et du Kronprinz Ferdinand avait
été parsemé de mues pourrissantes de Sucuriju amazonien, ce mythique serpent
géant de sinistre mémoire contre lequel Daniel avait lutté de manière opiniâtre
dans une autre aventure, jadis, bien avant qu’il sût ce qu’il était.
Ces
effluves si puissants incommodèrent tant la majorité des membres des équipages
que presque tous furent saisis de nausées incoercibles à l’étrange exception
d’Erich von Stroheim, lequel, à la différence d’Alban qui ne cessait de rejeter
bile et glaires dans des sacs appropriés, se portait comme un
charme et vaquait à ses occupations comme si de rien n’était.
Les
proues paraissaient fendre des amas d’ajoncs pédonculés tandis que le niveau de
l’eau de la Mer Rouge baissait inexorablement, révélant ainsi des fonds
innommables et insoupçonnés. C’était une émergence d’agglomérats composites à
la fois sédimentaires et pétrifiés dans le natron. On distinguait des formes
emmêlées de débris de chars de guerre et de cadavres multiséculaires refaisant
aléatoirement surface au gré des caprices d’un courant de moins en moins
perceptible.
Il
s’agissait de la manifestation d’un spectre collectif, des vestiges de l’armée
du pharaon Méneptah fossilisés à l’intérieur d’une gangue saline.
Le
jeune Alban eut les yeux exorbités lorsqu’il vit, au travers du hublot de la
cabine, ce spectacle digne de l’Apocalypse. Il se croyait en train de vivre une
des péripéties de la Bible lorsque le terrible Léviathan faisait son
apparition.
Commandant cette résurgence, le char de l’Horus, constellé d’algues brunes,
coque de sel et de boue confondus, entremêlement de momies d’équidés et de
roues rayonnées, se dressa tel un anathème au-dessus des flots mortifères. Des
gémissements s’élevèrent dans le silence figé alors que les restes du Pharaon,
véritable statue de sel provenant de Sodome et Gomorrhe, coiffée de la forme
encore identifiable du pschent, brandissait son fouet ordonnant l’attaque.
Devant
une telle horreur macabre, le pilote, le brave Hans, cria :
« Arrière
toute ! »
Le
navire fut secoué comme un shaker au point qu’on crut qu’il allait chavirer,
voire se retourner intégralement comme dans un célèbre fils catastrophe des
années 1970, l’Aventure du Poséidon. Non point que ces secousses eussent
été la conséquence de la manœuvre désespérée commandée par le pilote. Tout en
bas, au niveau des machines, les soutiers trinquaient. Une déformation de la
coque se produisit à la semblance d’une collision avec un vaisseau fantôme ou
un submersible qui se serait brusquement matérialisé.
Il
y eut une voie d’eau qui engloutit plusieurs mécaniciens à la gueule noircie
par le charbon. De fait, le Louise de Prusse venait d’être éperonné par
un autre bâtiment fabuleux et épouvantable. Il s’agissait, si on pouvait la
désigner ainsi, d’une felouque « amirale » cuirassée parce qu’elle
était caparaçonnée de carapaces de tortues géantes de l’ère secondaire
amalgamées à du duracier des tristement redoutables Archelon qui écumaient les
océans jurassiques d’une Pangée en cours de dislocation.
La
brume se dissipa alors aussi soudainement qu’elle était survenue.
Les
deux bâtiments du Reich se retrouvaient immobilisés dans une mer calme
incongrue, leurs hélices prises dans d’inextricables entrelacs de sargasses
alors que l’effroi visible de la vigie se communiquait non seulement aux
officiers des ponts et des quartiers supérieurs mais aussi aux marins. Ce fut
un cri uni mais unanime :
- Alarm !
Nous sommes encerclés et éperonnés par une flotte pirate inconnue !
Erich
von Stroheim déclara à Alban dont la figure verdâtre reflétait son profond
malaise :
-
De l’action, enfin ! J’envoie un message au commandant Wu.
-
Vous faites bien, balbutia le jeune homme.
Une
flottille hétéroclite s’étendait à perte de vue. L’assaut ne tarderait pas.
Sambuks, felouques et dhows aux voiles latines encerclaient les deux navires
allemands. Un silence de mort plana lorsque le commandant du Kronprinz
Ferdinand de Prusse reconnut la bannière de l’Islam flottant au mât de la
felouque amirale. Brodée en arabesques d’argent, la première sourate : Il
n’y a de Dieu que Dieu…
-
Ce n’est pas possible. Nous ne sommes ni en guerre contre le sultan de Zanzibar
ni contre les mahdistes qui ont pris Khartoum aux Anglais voici trois ans déjà.
Le
capitaine De La Guillotière, de ses jumelles, tentait d’appréhender l’aspect
des assaillants.
-
J’ai une étrange impression. On dirait… des morts ramenés à la vie…
-
Vous dites n’importe quoi, capitaine ! La peur vous fait délirer !
s’emporta le commandant.
Pourtant,
il y avait de quoi s’épouvanter.
Les
émules des fuzzy wuzzy qui composaient la garde rapprochée de l’amiral
arboraient des yeux blancs dépourvus de pupilles. Leurs têtes émaciées étaient
surmontées de cheveux crépus portés tel un casque noir.
Ils brandissaient non
point des pétoires à un seul coup comme on s’y fût attendu, mais les fusils les
plus modernes, à répétition, dont Barbenzingue venait à peine, lorsqu’il avait
été ministre de la Guerre, d’ordonner la fabrication (le fameux fusil Lebel),
et des carabines Winchester 73. Leurs ceintures et buffleteries en peau de
girafe étaient munies de cartouchières et de holsters brillant sous la lune
levée en dehors de toute logique. Le temps s’était enfui et la nuit advenue.
Leurs
parures avaient à la fois valeur d’avertissement et d’intimidation. Les joues
et les fronts étaient scarifiés d’abondance comme il se devait à des
pratiquants sincères et zélés du Prophète. Leurs tenues s’agrémentaient
également de bijoux monstrueux, crânes et calottes crâniennes humaines,
simiesques de cynocéphales ou d’hamadryas, oreilles coupées momifiées portées
en sautoir, colliers de dents, etc…Ils vociféraient :
-
Cush ! Cush !
Celui
qui faisait figure d’amiral de la flotte ressemblait à un poussah enturbanné,
la peau bistre, la barbe peignée avec soin, les doigts boudinés ornés de bagues
macabres sur lesquelles étaient gravés des squelettes dansants.
Le
capitaine d’origine huguenote marmonna :
-
M’est avis qu’ils sont anthropophages ! Nous devons recommander notre âme
à Dieu…
Il
était dommage que le grand explorateur Richard Burton ne fût point présent
parmi les membres de notre équipage car lui seul aurait pu identifier
précisément les différentes tribus et ethnies auxquelles appartenaient ces
spectres.
***************
Aurore-Marie
avait retrouvé la liberté pour aussitôt apprendre de la duchesse d’Uzès
l’événement pourtant prévisible de la mort du Kaiser et la nécessité pour le
général Boulanger de hâter l’appareillage du Bellérophon noir d’autant
plus que les chancelleries avaient éventé, grâce à leurs réseaux d’espions hors
pairs, le départ de deux bâtiments allemands incognito qui avaient fait route
en direction du Canal de Suez. Bien que toutes les précautions eussent été
prises par la Wilhelmstrasse, il avait suffi qu’un des indicateurs de sir
Charles Merritt servant d’agent double auprès du Foreign Office eût été
infiltré parmi l’un des équipages pour que la nouvelle fuitât.
Cependant,
la langueur accoutumée d’Aurore-Marie lui imposait qu’elle ne se pressât point
trop jusqu’au Havre. Elle exigea de voyager certes en petit équipage en
compagnie de Victurnienne mais également d’effectuer de nombreuses haltes afin
de reposer son organisme éprouvé par sa détention. La duchesse avait constaté
la soudaine et miraculeuse guérison de la blessure au bras. Alors que toutes
deux étaient attablées dans une auberge de Jeufosse, coquette, dont les murs
s’agrémentaient de lierre et dont la charmille invitait à la rêverie sous la
Lune de ce mois de juin, devant un maigre souper fait d’une blanquette de veau
et d’une tarte aux fraises, le soutien financier du boulangisme ne put
s’empêcher d’interroger madame la poétesse sur cet inexplicable rétablissement.
-
Oui, ma chère amie, mon cher ange, mon ravisseur a cru bon de me soigner…
-
Une pommade, des cataplasmes… des vésicatoires ?
-
Point du tout. Il m’a touché le bras… et je n’ai plus rien ressenti. Ma
blessure était guérie… pas même une cicatrice visible… elle était effacée.
-
C’est proprement miraculeux ! s’exclama la duchesse.
-
Pour lui, cela n’est rien.
-
Vous avez pu le voir tout votre saoul. A quoi ou à qui ressemble-t-il ?
-
Vous allez rire… Au groom que vous aviez engagé en extra.
-
Je ne m’en souviens pas. Je n’ai vu cet homme que dissimulé derrière un large
chapeau. Ce que je puis seulement avancer, c’est qu’il s’exprimait avec une
politesse exquise, quelque peu Grand Siècle…
Après
avoir marqué une pause, Victurnienne reprit.
-
D’où peut-il tenir cette faculté prodigieuse de soulager et de guérir ?
La
figure d’Aurore-Marie s’assombrit.
-
Je préfère me taire et ignorer cela… je me refuse à approfondir ce mystère.
-
Donc vous avez une idée sur l’identité de ce monsieur…
-
Monsieur ? Vous lui faites trop d’honneur ! Il n’est qu’un
bandit ! Un Mandrin de grand chemin égaré en notre siècle !
-
Que de véhémence soudain ! Le nierez-vous ? Ce malandrin vous
fascine…
-
Vous vous trompez. Il me fait peur. C’était comme si l’un de nous deux était de
trop sur cette terre. Nous ne pouvons exister ensemble. Mais qui est
l’intrus ? Lui ou moi ?
-
Oh ! Votre enlèvement a eu des effets nocifs sur votre équilibre. Vos
émotions…
-
Je redoute qu’il me pourchasse bientôt, qu’il en vienne à me rejoindre à Venise
et nuise à notre grand projet.
-
Georges a plus à craindre que vous. C’est sur ses traces qu’il se rendra comme
un chien à l’affût.
-
Que le Logos que je sers depuis tant d’années vous entende ma mie.
***************
C’était
enfin le jour du grand appareillage, cérémonieux et alambiqué au possible. Un
dilemme s’était posé : comment respecter les rites ancestraux hérités de la
Royale alors que la cérémonie devait demeurer clandestine. Toutefois,
l’habituel panel d’espions orbitait à quelques encablures de la rade. Fait
nouveau : s’était rajouté un représentant de l’Okrahna qui, lui aussi muni de
jumelles et de longues-vues, ne ratait rien de la chose. La mort dans l’âme, il
avait fallu se résoudre à bannir tout orphéon et bannières par trop voyantes.
Cependant, le protocole fut respecté car il revint à la duchesse d’Uzès de
baptiser Le Bellérophon noir à l’aide d’une bouteille de champagne, un
Dom Pérignon cuvée 1872. Si cette cuvée avait été choisie, c’était pour des
raisons pragmatiques et gustatives : un millésime ordinaire avait été sacrifié
plutôt qu’une cuvée fameuse 1883 plus savoureuse.
Barbenzingue,
raide dans son uniforme surchargé de chamarrures et tintinnabulant à la manière
de ce que Franquin qualifierait de galonné pour hôtel de cinéma (le
fameux général Schmetterling de QRN sur Bretzelburg) se tenait au garde
à vous, comme si La Marseillaise eût tout de même retenti. A défaut,
Georges la chantait dans sa tête. Une légère brise soufflait. Une des plumes du
panache de son bicorne s’en venait chatouiller son front. Il avait fallu à
Pierre Fresnay, capitaine de Boieldieu, louer en catastrophe une tenue
d’apparat afin de rester dans le ton et de ne pas dépareiller. Le col le grattait
et ses pieds, emprisonnés dans les bottes, réclamaient des pantoufles. Daniel
avait eu beau objecter que le synthétiseur de la navette pouvait fournir tous
les costumes adéquats pour n’importe quelle circonstance et n’importe quelle
époque, le comédien s’était entêté à faire dans l’authentique. Aujourd’hui, il
en payait le prix. Intérieurement, Pierre râlait un peu. Le commandant Wu et
son équipe rallieraient directement le comptoir de Marcel Dalio grâce à la
navette et au téléporteur alors que lui allait subir les aléas, les affres et
les périls d’une traversée hasardeuse. Après tout, ce Bellérophon noir n’avait
été ni breveté, ni testé en eaux profondes et Fresnay doutait de l’efficacité
de l’hybridation des technologies Asturkruk et terrestre de l’époque de Jules
Verne.
Aurore-Marie
eut un échange avec la duchesse avant que celle-ci n’envoyât le Roboam se
fracasser contre la coque.
« Je
suis déçue, ma chère amie. Je trouve l’assistance plutôt clairsemée.
-
Le Général a recommandé la discrétion à nos partisans. C’est pourquoi ceux-ci
sont restés chez eux.
-
Vivement que cette gueuse tombe ! »
On se fût attendu à ce que le bâtiment glissât avec
majesté le long du tremplin, sans un bruit. Le public put ouïr tout le
contraire : d’inesthétiques et assourdissants frottements se produisirent, au
point qu’on aurait pu craindre une déchirure du fond de la coque extérieure.
Cela était dû à une erreur de calcul fort simple : l’ingénieur en chef
d’origine britannique, à la solde de Merritt, s’était empatouillé entre les
pieds et les mètres. Il s’était repris de justesse mais les inches ou
pouces lui restaient encore en travers de la gorge. Tout cela augurait mal de
la suite.
Lorsque le submersible fut à flots, l’assistance
l’acclama en le saluant, les chapeaux au vent. Au loin, les espions avaient
pris des notes, relevant la présence du général Boulanger à bord - ce dernier
n’ayant refermé l’écoutille qu’au dernier moment.
Aurore-Marie, une larme perlant sur ses cils, ne put
retenir un soupir que la duchesse d’Uzès perçut. Elle l’entendit marmotter une
vague prière, sorte d’intercession, adressée à son Pan Logos personnel.
« Je ne sais pourquoi ma tendre, je me sens
oppressée.
- Pour qui ? Pour ce brav’ général ? Georges en a vu
d’autres. Ces nègres, il en fera de la chair à pâté.
- De cela, je ne doute pas. J’ai peur de ce qu’il va
advenir à Venise.
- Mais d’Annunzio vous recevra civilement.
- Oui-da. Il n’empêche. Dommage que vous ne puissiez
m’accompagner. Alexandre sera du voyage, mais il ne réchauffera pas mon cœur.
- Quand aura lieu ce départ ?
- La prochaine quinzaine. Notre rendez-vous est fixé
au 4 juillet, au café Florian. »
Après avoir opiné, Victurnienne ouvrit son réticule,
en sortit un mouchoir de batiste et le présenta à son amie.
« Tenez. Essuyez-vous. Ne soyez point si triste.
Je vous écrirai. »
****************
FIN DE LA PREMIERE PARTIE