mercredi 22 février 2023

Café Littéraire du 23 février 2023 : Âme brisée d’Akira Mizubayashi

Par Annick Queyreyre

Akira Mizubayashi

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 est un écrivain japonais d'expression japonaise et française, né le 5 août 1951 à Sakata au Japon.

Sakata (Yamagata)

Après des études à l'Université nationale des langues et civilisations étrangères de Tokyo (Unalcet), il part pour la France en 1973 et suit à l'Université Paul Valéry de Montpellier une formation pédagogique pour devenir professeur de français.
Il revient à Tokyo en 1976, fait une maîtrise de lettres modernes, puis, en 1979 revient en France comme élève de l'Ecole Normale Supérieure à Paris où il reçoit le titre de Docteur après une thèse sur Rousseau.

Depuis 1983, il enseigne le français à Tokyo, successivement à l'Université Meiji, à l'Unaclet et, depuis 2006 à l'Université Sophia.

Akira Mizubayashi est lauréat du Prix des libraires 2020 et du Prix de l'Algue d'Or pour son livre « Âme brisée ».

 https://fr.shopping.rakuten.com/photo/ame-brisee-format-poche-2187999084_L.jpg

 

Présentation de l’œuvre «Âme brisée » (titre).

 * L'âme se définit d'abord comme un concept parfois nébuleux, qui renvoie au principe spirituel du vivant, à sa sensibilité, à ses pensées.

* L'âme d'un instrument à corde est une pièce d'épicéa placée à l'intérieur de la caisse de résonance,  maintenue verticalement ente le fond et la table.

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Ce maintien a lieu sans collage, simplement par la pression qu'exerce la table elle-même due à la tension des cordes. L'âme est située à quelques millimètres du pied droit du chevalet, entre celui-ci et le cordier. Elle n'est pas exactement cylindrique, mais légèrement conique.

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Akira Mizubayashi se jouant de l'ambivalence du terme, nous raconte l'histoire de deux âmes brisées, celle d'un enfant déraciné et celle d'un violon détruit sous le poids de la haine et de l'ignorance.

Mirecourt

                                                                                                                                                             Annick Queyreyre 

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samedi 18 février 2023

La Conjuration de Madame Royale : chapitre 10 7e partie.

 

L’intervention du Jaggernaut avait bouleversé de fond en comble la topographie du passage.


 Aussi, ce fut sans nulle hésitation que Cornwallis ordonna à ses hommes de s’y aventurer, en espérant qu’aucune nouvelle embûche ne viendrait contrarier ce qui pouvait devenir une simple promenade militaire. Outre qu’ils avançaient avec célérité – à peine un kilomètre les séparait à cet instant du groupe de Humboldt – les clones étaient mûs par une impatience certaine d’affronter l’ennemi, conscients peut-être de leur espérance de vie réduite, à moins que le Commandeur suprême leur eût fait l’illusoire promesse de l’immortalité…

Cornwallis éprouva le besoin d’une halte, non point que ses cipayes et privates

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eussent ressenti de la fatigue, mais pour observer la position exacte des « explorateurs » et chasseurs de sépulcre. Lorsqu’il pointa la longue-vue spéciale, le pseudo-gouverneur constata la présence incongrue d’une chouette himalayenne

 Description de cette image, également commentée ci-après

accompagnant ses adversaires d’un vol précis qui semblait-il, faisait fonction de guidage GPS des humains,

 

comme au XXIe siècle d’une autre piste. Se sachant observé, le rapace eut le toupet de se poser sur une espèce de promontoire granitique aux découpures aiguës, qui conféraient à la roche métamorphique issue des profondeurs du magma du radeau indien un aspect déchiqueté et tranchant peu engageant sur lequel miroitaient des éclats givrés micacés d’impuretés. Du haut de cette aiguille escarpée, juché sur l’éminence qu’il paraissait étreindre de ses serres, le harfang adressa un défi à Cornwallis, ses grands yeux jaunes de prédateur nonpareil aussi sphériques que des globes, ayant sans conteste repéré son manège malgré la distance. Lorsqu’il jeta un ululement perçant, strident, il affirma en son langage qu’il narguait les Anglais, prêt à mettre son grain de sel dans le combat qui s’annonçait.

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« Qu’est donc cette chouette ? pensa la sphère noire. Quel nouveau tulpa est-ce là ? Aucun de mes programmes n’a enregistré cette entité. Je l’analyse : sa nature n’est ni biologique, ni cybernétique ; elle ne correspond à rien de connu. Si elle est imprédictible, cela signifie soit un virus,

 Du code hexadécimal en jaune sur fond bleu

soit l’interposition indésirable d’un agent temporel de ma civilisation. Chose inconcevable ! Jamais mon monde d’origine ne s’est mêlé de cette chronoligne – c’est à croire que la quatrième civilisation post-atomique ne serait qu’une chimère.  Il me faut d’urgence abattre ce volatile, mais aucun de nos fusils ne bénéficie d’une portée suffisante. J’enrage ! Dépendre des perfectionnements anticipés de l’armement engendrés par les manigances de Johann et de Galeazzo ! 

 Description de cette image, également commentée ci-après

Refusant de me salir à cette basse besogne, je vais charger un de mes cipayes de la tâche avec la carabine à âme rayée et à lunette. »

Ainsi fut fait. Le cipaye fut muni de l’arme idoine. Cependant, le rapace ne comptait pas se laisser abattre comme du vulgaire gibier ! Point du tout doté de l’esprit de sacrifice, ce volatile surnaturel avait plutôt l’esprit retors et opportuniste, et sa duplicité s’exerçait tantôt en faveur d’un camp, tantôt d’un autre. Non pas qu’il aimât trahir les dieux et les démons des cimes. Si seulement il se fût agi d’une chouette ordinaire ! Certes, « Cornwallis » avait détecté sa surnature, mais un écran s’interposait entre la pensée – ou les logiciels - du clone et les méninges du harfang – encore eût-il été biologique ! – empêchant le Commandeur suprême de mettre hors d’état de lui nuire un esprit ou tulpa qui avait opté pour le parti de Humboldt.

Comme pour se moquer du soldat lui-même issu d’une synthèse entre l’informatique et l’organique, notre rapace ne cessa de changer de position, de posture, jouant avec le pseudo-humain, volant deçà-delà d’une arête à l’autre,

 Fichier:Chouette Puy dy Fou.jpg

 empêchant le cipaye misérable de faire mouche, gaspillant ses munitions précieuses. Le pouvoir du harfang était tel que les coups de feu manqués, qui d’une part eussent dû être entendus par la colonne des explorateurs et d’autre part, auraient pu déclencher moult avalanches et autres éboulements nival et rocheux, demeurèrent sans effet. De même, dois-je révéler quelle référence subtile se cachait derrière cette incarnation aviaire ?

Galeazzo di Fabbrini l’aurait compris, lui qui, lors de la conspiration de 1782 destinée à remplacer Louis XVI

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par Buonaparte prétendument descendant de Pharamond, avait, parmi ses complices dissimulant leur identité aristocratique sous des masques élaborés d’oiseaux, choisi celui fort connoté de la chouette himalayenne[1]. Un clin d’œil qui eût suffi à démasquer l’identité véritable du harfang, si toutefois le Commandeur suprême avait su faire preuve de davantage de discernement. Mais nul humain ici, simplement affublé de quelque déguisement… disons plutôt que l’entité « rapace des neiges » usait avec maestria de ses talents transformistes, comme un comédien se grimant pour interpréter des dizaines de rôles différents, jusqu’à acquérir la notoriété de l’homme aux mille visages, c’est-à-dire Lon Chaney.  

 Chaney standing and smiling in a black-and-white photo

Il sembla à Cornwallis que le cipaye lui échappait ; il le vit renoncer à abattre le rapace, recharger son arme et la pointer en direction de la colonne de Humboldt, ce qui était un signe incontestable de désobéissance aux ordres de la sphère noire.

C’était à croire que le harfang, au-delà des tulpas, constituait un avatar puissant de Galeazzo et de Johann van der Zelden, fusionnés en une créature irréelle métamorphosée en oiseau, dotée de la capacité d’investir le mental fruste de ces clones reproductibles à l’infini, sans qu’aucune erreur de duplication du message ADN n’en vînt à générer la moindre malfaçon biologique. Le soldat échappa donc au contrôle de l’ordinateur suprême, à son grand dam. Impuissant, comme paralysé par un mur psychique, ses composants hybrides parasités par un brouillage ou un « cheval de Troie », victime d’une forme de cyber-attaque, le pseudo-gouverneur de Bombay ne put même pas adresser une admonestation au cipaye.


Le coup partit, la lunette ayant à la perfection contribué à l’ajustement de la cible. Comme on sait, un Gurkha s’abattit, tué net par un impact précis. Ce fut alors que le harfang relâcha son étreinte ; tout brouillage du Commandeur suprême disparut et, malgré son obésité, l’avatar se précipita sur l’insubordonné et, fulminant de colère, déchargea à bout portant son colt en plein cœur du « mutin ». Le « cadavre » dévala une pente après que le pied droit du pseudo-Anglais l’eut poussé. Alors qu’on se fût attendu à sa « résurrection », l’inverse se passa. Accomplissant sa vengeance et sa punition jusqu’au bout, le Commandeur, usant de ses propriétés, enferma le cipaye dans un champ de contention à l’intérieur duquel, écartelé par des hétérochronies divergentes, il explosa en une bouillie infâme. Bien sûr, la soi-disant chouette des neiges avait rétabli la perception du son et s’était arrangée pour que la résonance du second coup de feu déclenchât une minime avalanche qui, ironie du sort, au lieu de déferler sur les explorateurs, engloutit cinq des hommes de Cornwallis. Il leur fallut pas moins de quinze minutes pour se reconstituer et se dégager.

Entre-temps, l’impitoyable gouverneur avait aboyé un ordre à l’adresse d’un caporal :

« Soldat ! Ramassez le fusil à lunette de cet imbécile et rapportez-le-moi ! »

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Désormais, Cuvier, Humboldt et toute leur clique savaient que leurs poursuivants les avaient rejoints et se tenaient sur le qui-vive.

 A suivre ...

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[1] Cf. Le Nouvel Envol de l’Aigle 3e partie : Nouvelle Révolution Française, par Jocelyne et Christian Jannone.