L’aître Saint-Maclou avait été rendu à ses occupants légitimes d’outre-tombe. Tandis que le groupe commandé par Duval conduisait Agathon Jolifleur au repaire de François Buzot,
qui s’occuperait du passage clandestin, de l’exfiltration secrète du muscadin outre-Manche, des hordes de créatures de la déesse Nuit envahirent la cour de l’ancien ossuaire.
C’étaient d’atroces monstres lupins, des prédateurs se repaissant des restes poudreux des os humains. Ces loups-brous, galoups ou garous
étaient tout à la fois nécrophages et anthropophages. Ils avaient pour habitude de gratter et retourner le sol, d’en extirper les restes osseux dispersés sous la terre et de s’en goberger goulument. Ces demi-bêtes
avaient, comme toute meute se respectant, un meneur ou guide à l’aspect hybride homme et loup mais doué de bipédie. Enveloppé dans un vêtement rustique de berger constitué de barège
et de laine surie, exhalant à la fois des effluves de suint et de sang de boucherie,
il arborait un étrange armet zoomorphe finement ouvragé en guise de couvre-chef, digne de ceux, maniéristes, du XVIe siècle, casque à gueule prognathe qui lui conférait la qualité de duc ou seigneur des lupins.
Sous ses ordres, faits de grognements modulés, ses commensaux au pelage gris se ruaient sur leur provende, leur mufle frémissant, leur mâchoire proéminente écumante aux crocs aussi impressionnants que ceux des antiques tigres à dents de sabre, et mordaient avec allégresse et gourmandise les quelques squelettes subsistants qu’ils brisaient après les avoir déterrés. C’était croire en l’imperfection des travaux royaux d’évacuation des morts de ce lieu s’ils trouvaient encore quelque chose. Ce que les loups-brous mangeaient, c’est ce qui avait été incidemment oublié par les déménageurs de l’ossuaire ainsi qu’il en est des glaneuses après la moisson…
Cette nuit-là, il y eut mieux : deux cadavres encore frais dont nous devinons qu’il s’agissait des mouches éliminées par les sbires de Duval. La meute se jeta dessus sans autre forme de procès, acheva de les démembrer, de les déchiqueter, et les dévora en quelques instants. Leur repas pris, crocs rougis, dégoulinants de lambeaux de fressures, les lupins hurlèrent à la lune…
Tous les habitants du quartier circonvoisin étaient demeurés obstinément silencieux, bien que le vacarme de la horde les eût réveillés. En de tels soirs, mieux valait que les riverains restassent cloîtrés en leurs masures à colombages et s’abandonnassent à Morphée.
A suivre...
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