vendredi 27 octobre 2017

Café littéraire : Evariste.



Café littéraire : Evariste, de François-Henri Désérable.

Par Christian Jannone.

Premier roman, paru chez Gallimard en janvier 2015.
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Le café littéraire n’a pas coutume de programmer souvent des auteurs à l’aube de leur carrière. Il opte la plupart du temps pour des écrivains chevronnés. De même, comme nous l’a déjà prouvé Bruno Alberro, ce n’est pas la peine d’être un mathématicien au bagage scientifique conséquent pour aborder la biographie romancée d’un génie des mathématiques : Evariste Galois. 
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Agé d’à peine trente ans, François-Henri Désérable possède une bibliographie en devenir, qui ne peut qu’aller en s’étoffant au fil des ans. Né à Amiens le 6 février 1987, du fait de la filiation paternelle, il se destinait à une carrière de joueur professionnel de hockey sur glace, sport dans lequel il a brillé avant de mettre récemment un terme à cette carrière. Car les carrières sportives, on le sait, son souvent plus brèves que celles des écrivains, à l’exception d’un Rimbaud, que l’on rapproche judicieusement d’Evariste Galois, du fait de leur précocité commune. 
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Mais qu’est-ce qu’un écrivain dont les ouvrages sont pour l’instant au nombre de deux : Tu montreras ma tête au peuple et Evariste ? Force est de constater l’évidence : François-Henri Désérable est aussi doué que son personnage historique, et il a su en peu de temps revivifier le récit et le roman historiques, réconcilier la critique avec ce genre littéraire, de coutume bien boudé par l’intelligentsia.[1] Jugez plutôt des prix qu’il remporta (liste tirée de Wikipedia) :
Prix Amic de l'Académie française (2013)
Prix littéraire de la vocation (2013)
Prix Jean d'Heurs du roman historique (2013)
Prix des Lecteurs de L'Express-BFMTV (2015)
De fait, François-Henri Désérable synthétise plusieurs styles en une écriture propre, devenant une sorte de vulgarisateur moderne de l’histoire, dans le sens noble du terme. Il y a en lui (excusez du peu) un héritier d’Alain Decaux, d’André Castelot, d’Henri Guillemin,
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 mais aussi de Sacha Guitry et de Jean Teulé.
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 Je pourrais même qualifier son recueil de récits Tu montreras ma tête au peuple, consacré aux dernières heures des personnages de la Révolution, voués à la guillotine, comme un amalgame parfait entre Victor Hugo (le souffle), G. Lenotre (l’anecdote autour des mêmes personnages de la Révolution dont il se fit le spécialiste) et Balzac (la rigueur documentaire narrative restituant une époque).
Dans Evariste, le Mademoiselle, le Vous, oscillent en des allers-retours détonants entre Sacha Guitry et Michel Butor. Par instants, on se croirait dans La Modification. Enfin, Rabelais et Teulé se serrent la main lorsque la trivialité crue, la paillardise, s’invitent à la table de l’auteur, achevant de lui donner ce cachet qui a séduit la critique.
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C’est là, en ce culot assumé, en une relecture ne dédaignant pas l’anachronisme et le télescopage, qu’Evariste se démarque des autres romans historiques, tout estimables qu’ils soient (à l’exception de Jean Teulé, souvent attaqué pour son style et ses vulgarités empreintes d’humour : jamais je ne vis se manifester autant d’hostilité à l’encontre d’un auteur abordé au café littéraire qu’avec ce romancier venu de la bande dessinée). Car Evariste répond à l’idée romantique de faire se côtoyer le grotesque et le sublime. Pari gagné pour Désérable qui, en vingt chapitres, nous apprend à connaître Galois, ne dédaignant pas l’hypothèse lorsque les faits ne peuvent être prouvés avec certitude.
Un texte plus détaillé, plus analytique, qui se préoccupera davantage du mathématicien, vous sera fourni le mois prochain.

Christian Jannone



[1] Ainsi, les éditions Gallimard, qui ont édité les deux œuvres de Désérable, avant qu’elles ne sortent en poche chez Folio, ont essuyé d’incompréhensibles déconvenues et bouderies critiques pour plusieurs romans historiques qu’elles publièrent ces six dernières années. Pour ne citer qu’un exemple, le plus marquant sans doute, Opéra anatomique de Maja Brick, auteure d’origine polonaise, sorti dans une indifférence terminale en 2012, et dont les chances de reparaître en poche sont désormais à peu près nulles. Evariste, pour ne pas polémiquer, demeure presque une exception à cette sorte de boycott critique qui ne dit pas son nom. Après, l’on peut parfois lire que même des auteurs Gallimard vendent à moins de 500 exemplaires…