samedi 28 septembre 2024

La Conjuration de Madame Royale : chapitre 10 20e partie.

 

Résigné et stoïque, notre gardien de yacks 

 Description de cette image, également commentée ci-après

crut cependant bon de nous désigner un étrange monticule à peu de distance de ses bêtes, sorte de môle de neige en forme de pyramidion.

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 D’instinct, je compris que ce monticule recouvrait quelque chose, voire quelqu’un. Avec un courage mêlé de répulsion, Balmat et Muljing, forts de leur expérience, s’attelèrent au déblaiement de ce tas et à l’exhumation de ce qu’il contenait. N’avaient-ils pas l’habitude d’extirper des avalanches les victimes humaines et animales (à moins qu’ils disposassent d’un saint-bernard pour ce faire, mais cette race honorable de chiens aimés des moines montagnards ne vivait pas en ces cimes asiatiques) ? Après moult efforts, un visage gelé nous apparut. Une atrocité aux orbites rétractées nous regardait ; le cristallin opaque, vitreux, exprimait la vacuité d’un destin brisé par les Parques. Ces yeux morts paraissaient sertis comme des cabochons de fausses pierres précieuses sur un ovale bouffi, pachydermique et durci par le froid. Cette tête bleuâtre, pétrifiée et roidie en un rictus de souffrance, c’était le gouverneur Cornwallis, reconnaissable à son embonpoint proverbial !

 Charles Cornwallis

Nous nous en allâmes comme nous étions venus, avec en sus notre charge funèbre.

Il m’a semblé nécessaire d’abréger mon récit, cette relation de voyage ne pouvant s’étaler davantage sans nuire à la narration du déroulé des événements du royaume de France. Aussi, rien de bien notable – à une exception toutefois - n’advint sur le chemin de notre retour si ce n’était une doline que nous dûmes franchir. C’était à croire que les Anglais, trop préoccupés par la mort de Cornwallis dont nous avions découvert l’atroce et pitoyable dépouille, s’étaient désintéressés de nous. Désormais, l’administration des possessions d’Albion aux Indes orientales reposerait sur les épaules du marquis de Wellesley.

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 Napoléon allait peut-être saisir l’opportunité d’une offensive décisive pour récupérer les territoires autrefois perdus par Lally-Tollendal.

Muljing et les Gurkhas prirent congé de nous à deux lieues de la capitale du royaume, nous laissant cependant deux yacks, dont l’un portant l’étrange civière-catafalque de la momie de Langdarma, parfaitement attelée, que nous allions ramener en Europe. Les adieux furent un peu tristes, mais sans trop d’exubérance. Pour plus de facilité, nous allions emprunter le même itinéraire vers l’Inde qu’à l’allée lorsque Girodet-Trioson eut l’impression qu’une silhouette éthérée se montrait à nous, et qu’elle nous désignait lors le chemin le plus bref. Cette forme laiteuse, singulière, laissait deviner un visage serein et souriant, à l’ovale lunaire, tandis qu’elle brandissait la paume droite ouverte en signe de paix, main dépassant d’une draperie imaginaire et indiscernable. Rajiv en fut tout ébloui, tel Saint Paul sur le chemin de Damas. Il précipita ses pas en direction de l’être, foulant le sentier herbu, hélant l’inconnu pellucide. Nous ne distinguions plus rien lorsque, parvenu à la hauteur de ce personnage, brusquement évanoui en son évanescence fantomatique, le sâdhu s’agenouilla, en manifestant sa joie.

« Voyez le sol ! » s’exclama-t-il en hindi.

Nous examinâmes des empreintes de pas, de pieds nus, incontestablement humaines.

« Les traces du Bouddha ! Sa bienveillance nous protège ! » fit Rajiv, en un enthousiasme ostentatoire que nous ne pouvions tempérer, inhabituel en lui.  

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« Il existe des reliques du Gautama ou prétendues telles, en forme d’empreintes de ses pas sacrés, affirma Arthur. Parfois, christianisme et islam se les approprient, s’en disputent l’authenticité supposée. Messieurs, tous ici présents, nous venons de rencontrer une manifestation du Tâthâgâta et nous avons reçu sa bénédiction. Nous ne risquons désormais plus rien de la part des Anglais » conclut-il.

Aux derniers mots de sa déclaration, le ton du jeune Schopenhauer s’était fait solennel. Permettez-moi de ne point croire à une hallucination collective.

Toujours fut-il que nous brûlâmes les étapes, à notre grande satisfaction. Quelle stupéfaction occasionna notre équipage lorsque nous entrâmes enfin dans Bombay après un voyage sans histoire de trois semaines ! Une bande de déguenillés avec deux yacks fourbus dont l’un surmonté d’une espèce d’échafaudage morbide, bêtes de somme qui soufflaient et suaient sous leur fourrure trop fournie !  A cette vision inhabituelle, à ces mendiants d’apparence plus misérables qu’elle-même, la populace n’osa ni rire, ni adresser des quolibets.

Humboldt se rendit à la capitainerie britannique du port, et fit communiquer son arrivée par sémaphore. Il sollicita le retour du navire qui nous avait transportés jusqu’aux Indes. Pendant toute la durée de notre voyage, La Belle Boudeuse avait mouillé à Ceylan, effectuant toutefois du cabotage le long des côtes indiennes, négociant force marchandises, en particulier les épices, poivre et clous de girofle. Nous attendîmes notre bateau deux semaines ; avant que nous pussions embarquer, nous prîmes soin de confier nos yacks à des âmes charitables qui sauraient s’occuper de ces bêtes laineuses sacrées tout autant que les vaches. Arthur et Rajiv souhaitaient ardemment voyager avec nous, dans leur désir de mieux connaître la France et Paris, cette capitale des sciences. Le capitaine, qui nous avait crus morts ainsi qu’il le confessa, accepta ces passagers imprévus, du moment qu’il ne s’agissait pas de femmes, moyennant cependant un « petit supplément » à ses émoluments. C’était là le corrompre, mais, à sa décharge, bien qu’il arborât un pavillon neutre, il prenait de gros risques avec sa cargaison singulière mêlant guinées, épices, cachemires, soieries, indiennes, mélasse et momie. Pour cette dernière, nous prîmes soin de n’en rien celer à l’équipage, redoutant la superstition des marins. Langdarma reposait désormais dans un triple sarcophage de plomb, d’ébène et de sycomore, ce dernier regorgeant d’aromates afin de préserver le corps de la corruption. Le marquis de Wellesley nous laissa appareiller sans nous chercher noise. Peut-être souhaitait-il contre nous la fatalité d’un blocus exercé à notre encontre par une Royale trop zélée ? Nous ne le sûmes.

Notre traversée fut des plus calmes ; c’était à croire que Bouddha nous protégeait, de la mousson comme des hommes. Après deux mois supplémentaires, sans qu’il fût nécessaire d’user de la vapeur, le brick approcha de nos côtes.

Peu après que nous eûmes accosté au Havre, nous apprîmes le trépas de la reine déchue Marie-Antoinette

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 d’un squirre matriciel qui s’était envenimé. Elle n’avait lors que quarante-six années révolues. Cette fin misérable en exil à Kensington était sur toutes les lèvres et dans toutes les gazettes. Je n’osais conjecturer sur les conséquences de ce deuil.  Nous étions au commencement de l’été 1802 et, en notre absence, la situation politique et militaire avait évolué. Le statu quo immobilisait les adversaires, à leur grand dam. Cependant, il ne m’appartient pas de vous narrer les événements survenus en métropole et outre-Manche, qu’ils soient providentiels ou occasionnés par des revers de fortune. En sa totalité, notre expédition avait duré dix-huit longs mois.   

A suivre...

samedi 7 septembre 2024

Café littéraire : Nous étions des hommes.

 

Café littéraire : « Nous étions des hommes », par Frédéric Manning (1882-1935).

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/e/e4/Frederic_Manning.jpg


 Pour cette rentrée,  présentation par Pascal Delbosc d’Auzon,  du roman « Nous étions des hommes ». Un roman, voire un peu plus, d’un anglais natif d’Australie, Frédéric Manning et qui en 1916 se retrouve plongé dans les tranchées ou en cantonnement dans les départements de la Somme et du Pas de Calais.

 Description de cette image, également commentée ci-après

 Son récit singulier retrace la vie d’un certain Bourne, personnage en partie calqué sur la vie de Manning, ses rapports avec ses condisciples dans l’attente des combats, leur état d’esprit, leurs joies, leurs peurs et leurs craintes. Ses relations avec la hiérarchie militaire, l’armée en tant qu’institution et ses sentiments sur la vie en général. Une approche philosophique en partie se juxtaposant avec le vécu de ses années sombres, ses rapports au quotidien avec les Français des villages. Un homme cultivé, poète à ses heures et qui souhaite malgré tout rester proche de ses camarades de combat. Un livre émouvant et loin des récits de bataille et des cartes du conflit.

 Soldats britanniques dans les tranchées le 1er juillet 1916.

samedi 17 août 2024

La Conjuration de Madame Royale : chapitre 10 19e partie.

 

L’enchantement se poursuivit car, de ce doigt, un essaim poudreux scintillant et doré s’échappa, vrombissant telles des abeilles,

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s’allant jusqu’au tronc de la stalagmite,

 Pilier stalagmitique (Hérault).

s’y agrégeant. Il paraissait constitué de milliers d’insectes, si innombrables qu’ils teintèrent toute la colonne tourmentée d’une brillance d’or. Le prodige acheva de s’accomplir, nous sidérant tous, car cette poudre pollinique, par extraordinaire, ouvrit ce tuyau d’orgue d’une nouvelle espèce. Un air méphitique surgit de l’immense concrétion, alors qu’un passage en pente douce se dévoilait à nos regards hallucinés. Langdarma venait de nous révéler la sortie du piège. La stalagmite était creuse, factice peut-être, bien que calcaire, et recelait la voie salvatrice, connue des seuls bonzes qui, il y avait mille années de cela, avaient aménagé et ensorcelé le tombeau.

« Par Vishnu ! » s’écria Rajiv au grand dam d’Arthur, qui détestait que son guru s’exprimât ainsi. Au-delà de l’émotion légitime suscitée par ce que j’hésitai à qualifier de miracle, car je redoutais le côté blasphématoire d’une telle idée déraisonnable, Rajiv nous expliqua ce que toute cette péripétie signifiait.

« La preuve est faite que l’empereur Langdarma n’est pas mort. Tels les fakirs, yogis et brahmanes capables de ralentir leurs fonctions vitales lors d’inhumations volontaires, ainsi que je vous l’ai expliqué tout à l’heure, il demeure en animation suspendue.

- Depuis plus de neuf cent cinquante années ? Impossible ! Permettez-moi d’exprimer mon scepticisme, déclara Corvisart. Mon confrère Bichat a récemment prouvé…

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- Peut-être s’agit-il bien d’un état cataleptique, ou hypnotique à la manière de Puységur, mais un état se prolongeant dix siècles, l’interrompit Laplace.

- Tout ceci confirme la légitimité de notre expédition, de notre découverte, précisa von Humboldt. Notre objectif n’est-il pas d’emmener Langdarma jusqu’en France afin de, par quelque procédé que j’ignore, « ressusciter » cet empereur pour servir les intérêts du nouveau monarque ?

- Le mot ressusciter est par trop fort et évocateur. Je subodore que le comte di Fabbrini, qui a influencé notre roi, en sait davantage que ce qu’il nous a exposé, rétorquai-je.

- Il faudra donc tirer pour de bon la momie de son sommeil multiséculaire ! » s’extasia Arthur.  

Tout à son enthousiasme, secondé par Atma qui ne cessait de japper, de bondir et de solliciter des caresses, le jeune garçon nous dit :

« Allons, fabriquer une civière de fortune ne sera qu’une formalité. Aventurons-nous dans ce tuyau d’orgue et quittons à jamais cette sinistre caverne ! »

 

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De fait, afin que raison demeurât, il ne s’agissait pas de ramener une momie ratatinée à la vie, mais de réveiller un dormant selon des procédés scientifiques modernes. La débrouillardise d’Arthur, le savoir-faire des Gurkhas et les astuces combinées de Balmat et d’Humboldt suffirent, après une demi-heure de tâches partagées, à constituer un brancard convainquant, sur la supervision de Corvisart. Nous n’eûmes plus qu’à soulever le corps, dont le dessèchement avait réduit la masse (Langdarma, dans sa vie « antérieure », souffrait d’un embonpoint certain de sybarite et la pseudo-dépouille flottait dans des atours taillés pour un obèse), et à le déposer et l’attacher avec précaution sur cette litière de bois, de chiffons, de charpie et de peaux de yack avant de débuter notre cheminement au sein du passage secret. Nous n’eûmes même pas besoin de quinquets : la poudre d’or des « insectes » bruissants

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 nous accompagnant durant notre descente à l’intérieur de la stalagmite. Balmat transportait la civière, aidé de Girodet-Trioson, qui peu à peu se consolait de sa perte.

Toute la colonne creuse était déclive, en un dénivelé doux, sans aspérité, et nous descendions avec prudence sur des toises et des toises, à l’intérieur de cette fausse concrétion aussi lisse et polie qu’un galet sans qu’une sortie se présentât encore. Nous pas que nous redoutions un nouveau sort de Langdarma, mais nous spéculions sur la possibilité d’un choc brutal suffisant à le ramener à la vie afin qu’il exerçât contre nous son ire et assouvît son désir de vengeance, une vengeance retenue depuis un millénaire. Il nous fallait bannir toute brusquerie vis-à-vis du despote cataleptique. Les « abeilles » poudreuses commensales nous accompagnèrent, laissant derrière elles un sillage mordoré.

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 Irions-nous en leur compagnie jusqu’aux entrailles de la Terre, au sein du mythique feu central, autrement dit jusqu’aux Enfers ? Je pensai à l’Apocalypse de Jean, à Satan lié pendant mille an puis libéré temporairement, sans que j’osasse affirmer que Langdarma était le diable en personne. 

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Après une demi-heure, il nous sembla atteindre le fond de la stalagmite, sans qu’apparût la moindre « porte ». La pente s’était arrêtée, notre promenade s’interrompant nous ne savions où. Tout fut à craindre car nul ne viendrait chercher un groupe d’hommes enfermés ainsi ! Allions-nous périr de faim et de soif pour nous momifier à notre tour ?


Ce fut Atma qui nous tira d’affaire. Son flair infaillible avait détecté quelque chose, et il se précipita en grondant sur la gauche, révélant une fente presque imperceptible à l’œil nu. L’autre côté s’offrait à nous, à la condition que nous trouvassions le moyen d’élargir l’ouverture.  Il devait bien exister quelque affleurement qu’il nous fallait tirer ou pousser, quelque aspérité servant de mécanisme. Ce fut un long tâtonnement collectif avant que la Providence – en la personne de Muljing – exerçât la pression nécessaire à l’enfoncement de la paroi qui bascula tel un passage secret.

Quelle ne fut pas notre déception lorsque se dévoila un second tuyau creux, juste suffisant en largeur pour que s’y glissât notre équipage morbide, nouvelle stalagmite mystérieuse évocatrice de ces tourelles de forteresses féodales

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 – cependant dépourvue de ces escaliers en colimaçon caractéristiques – exhaussement naturel ou artificiel, en tout cas excavé par les hommes – du moins le supposai-je – véritable architecture en tuyaux d’orgue successifs qui, peut-être avaient tant impressionné les anciens, dont cet homme sauvage gelé – qu’on lui avait attribué un usage rituel de sortie processionnelle funèbre en ce sanctuaire du Lo. A moins, supposition plus hasardeuse encore ! que lesdites stalagmites eussent constitué plusieurs ressources sonores sur lesquelles frappaient les hommes primitifs afin d’y produire quelques échos de symphonies primaires et antédiluviennes. Pourquoi en ce cas ne pas baptiser cette architecture de stalagmites « lithophones » ? Du fait de l’étroitesse de cette seconde cavité descendante, notre progression s’avéra plus lente et périlleuse que jamais.  Le temps s’écoula en un étirement peu propice à atténuer notre nervosité et notre angoisse d’autant plus que les « abeilles » venaient de disparaître. L’espèce de muraille cylindrique, qui nous ceinturait tous, prenait peu à peu une consistance grumeleuse. S’y dessinait par étapes invasives une structure parasitaire, bulbeuse et flavescente comme le soufre, dont les fragrances chancies, suries et acides éprouvaient nos bronches. Parfois, cela prenait l’aspect d’une superposition de couches dermiques, de squames à la semblance de tuiles, écailles qui paraissaient se détacher sans toutefois choir. Le comte di Fabbrini aurait qualifié ces concrétions de « saprophytes »,

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 en un terme incréé, issu d’un avenir conjectural. Ces « saprophytes » étaient selon ses dires réputés se nourrir de matière organique morte – non point qu’il se fût agi de moisissures à proprement parler – mais leur source nutritive finit par se dévoiler à nos quinquets. Luminescents au point de rendre nos lampes inutiles, ces restes, enchâssés dans la pierre, rappelaient à première vue les mascarons et figures grotesques ornant le Pont Neuf de Paris.

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 De fait, ils ne pouvaient que susciter l’effroi. C’étaient d’atroces chefs tranchés, plus ou moins momifiés et putréfiés, issus de quelques supplices passés comme autrefois ceux des portiques celtiques.

 Porte avec crânes, du Sanctuaire de Roquepertuse, Gaule, civilisation La  Tène II (IIIe-IIe siècle av. J.-C.)

 Cependant, ces têtes coupées encastrées dans la paroi, dévorées, colonisées par les « saprophytes », au point qu’on y eût décelé une osmose naturelle inédite, avaient ceci de remarquable : elles s’apparentaient, davantage qu’à notre propre espèce, à cet homme gelé de tantôt, ce « K’Tou » que Muljing avait ainsi désigné si je me fiais au témoignage de mon ami Corvisart, en cela que ces faces avaient conservé, par-delà leur rictus post-mortem, les caractères simiens irréfutables de l’arcade sourcilière proéminente et de l’absence de menton.

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 Leur abondante pilosité pétrifiée et grisâtre accentuait leur côté sinistre. Hors les « saprophytes », ce passage n'était caractérisé par aucune trace de vie, même rudimentaire. Nous quittâmes en frissonnant ces horribles reliques. Sans que nous eussions prêté attention, la dépouille de Langdarma avait réagi à la présence de ces crânes. En un mouvement imprévisible, la main gauche de l’empereur s’était levée puis, imprécatoire, avait esquissé un geste proche de l’anathème à l’adresse de ces morts avant de retomber dans son inertie ordinaire !

Nul autre incident ne survint. Après une accentuation du dénivelé sur environ deux toises, l’interruption de la stalagmite fut autant inattendue qu’abrupte. Nous nous retînmes de chuter, nous agrippant à ce qui pouvait l’être, ce qui cependant ne nous priva pas d’une perte d’équilibre relative, au point que les porteurs de Langdarma –Girodet-Trioson et Balmat -  chancelèrent un instant, nous faisant craindre le pire. Par bonheur, il n’en fut rien. De plus, un passage voûté latéral nous invitait à poursuivre, arcade en plein cintre, ornementée de voussures qui se prétendaient naturelles. 

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Cependant, ce boyau fut franchi aisément, sans pour autant encore déboucher sur l’extérieur du sépulcre car nous surgîmes au sein d’un troisième « tuyau », plus exactement à l’intérieur d’une colonne ascensionnelle, que nous apparentâmes faute de mieux à une stalactite ! La montée s’avéra peu aisée car les prises étaient quasi inexistantes, mais l’espoir augmenta parce qu’un courant d’air frais, bien loin de l’atmosphère viciée et fétide de la nécropole à « saprophytes », se faisait davantage sentir au fur et à mesure de notre avancée. A la parfin, un simple arc creusé à même la stalactite géante, bosselé de concrétions naissantes, bien avant son sommet, interrompit nos tribulations hardies, nous offrant la vue espérée et réjouissante d’un jour relatif qui trop longtemps s’était refusé à nous tous. 

A l’air libre ! Nous étions enfin parvenus à l’air libre après un cheminement interminable ! Une neige grumeleuse tombait en d’épais flocons qui mouillaient les étoffes défraîchies de nos vêtements malmenés. Une couche arénuleuse

 Sable.

 s’épandait alentours alors que nous scrutions l’horizon uniforme afin de nous repérer dans cette étendue de rocs bruts. Ce fut Balmat qui, le premier, aperçut les silhouettes vagues des ruminants occupés à paître, silhouettes grossies par la fourrure épaisse et lanifère blanchie par les chutes nivales. Les yacks se situaient à environ quinze toises. Leur robe paraissait corsetée de glaçons qui tintaient comme des grelots. Quelques-uns présentaient de curieux colliers de givre qui, s’étendant sur leur poitrail, finissaient par ressembler tantôt à des gorgerins cristallins, tantôt à des buscs d’armures antiques qu’on eût forgés dans le verre.

A leur proximité se tenait le Gurkha-pâtre qui, accroupi, se réchauffait à un feu de bouse à l’odeur entêtante. Après que nous l’eûmes approché, l’homme nous reconnut malgré nos guenilles et palabra avec ses congénères rescapés. Au ton de ses paroles, nous comprîmes qu’il déplorait la perte de plusieurs de ses camarades. Il était vrai que, dans cette aventure mouvementée, nous avions perdu un quart de notre escorte. Conséquemment, le retour de ces soldats rescapés fidèles dans leur patrie, à Katmandou, promettait d’être douloureux. Nous ignorions alors le carnage qu’avaient subi le palais et la cour de la régente.

A suivre...