jeudi 11 avril 2013

Le Couquiou épisode 5.



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Intéressée (pour ne pas écrire passionnée) par ce qui se passait ces temps derniers, voulant sans doute jouer à la mademoiselle détective amatrice, comme la fameuse Alice de Caroline Quine, qu’on traduisait en français, Lucille d’Arthémond venait d’emprunter Le Figaro de son père, à son nez et à sa barbe (il piquait un somme en ronflotant sur le fauteuil). Même à Paris, on parlait, on causait, de ce qui se passait ici, dans notre trou perdu ! Une princesse de contes de fées pouvait-elle se transformer en enquêtrice, sans déroger à son statut ? Elle voulut attirer l’attention du petit frère, de Paul, occupé à apprendre une fable de La Fontaine, à réciter en chantonnant le Renard et le Bouc, comme il le faisait aussi pour les tables de multiplication et de division. Il voulait être parfait pour le répétiteur, demain. Enrubannée de grenat, coiffée de couettes châtaignes se mordorant à la lampe de quelques reflets bienvenus, Lucille, n’hésitant pas à interrompre son frérot chéri en plein labeur scolaire, lui fourra le quotidien ouvert et froissé devant la figure, pointant un index droit marqué d’encre bleue sur un entrefilet très important.
« Lis ça, Popaul ! C’est très intéressant !
- Mais, Lulu, tu vois pas que j’apprends mes leçons ! »
Ainsi se désignaient-ils familièrement entre eux, comme toute fratrie qui se respecte... et se taquine parfois (pour fâcher sa frangine, Paul lui demandait chaque jour la couleur de sa culotte, seule manifestation d’intérêt pour l’autre sexe chez lui). A cinq-six ans, lorsque Lucille l’embêtait, Paul répondait :
« J’aime pas que tu m’empêches de jouer. J’obéis pas à toi, parce que t’as pas de kiki. »
Puis, il soulevait la robe de la sœurette enquiquinante, riait que son dessous de coton blanc n’eût pas de poche comme les slips des garçons, puis recevait une gifle méritée.
« Je te jure, insista la fillette, le journal de Paris parle de la mort de la fermière Consac, avec les témoignages du mari et des gosses ! 
- Lulu, qu’est-ce que tu veux que ça me fiche ? M’embête pas ! Tu fais trop les intéressantes ! T’es qu’une fille, après tout !
-  Zut ! Tu es le premier à rouspéter, à te plaindre de la monotonie de notre vie. Tu aimes bien que je te lise des récits d’aventures, Jules Verne, les explorateurs, les esquimaux, les pirates ! Alors, arrête ! Pour une fois qu’il y a du grain à moudre et qu’on ne va pas s’ennuyer !
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- Mais qu’est-ce qui te prend ?
- J’ai décidé de jouer à la policière ! Tous les deux, on va aider les gendarmes à résoudre ce qui se passe ! »
Les yeux pervenche de Lucille brillaient d’excitation. Elle souriait, de tout son entregent de petite fille déterminée. Cela faisait ressortir ses taches de rousseur. Réticent, Paul ne se laissa pas impressionner.
« Tu es folle ! Attends que je le rapporte à Dominique. On peut pas agir en douce, sans lui ! Il va rentrer du lycée. Maman est allée le chercher. C’est cinq heures du soir ! »
Le lycée était à vingt kilomètres, à Limoges, et Madame avait appris à conduire, le père se désintéressant de la corvée de voiture quotidienne de notre demi-pensionnaire, qu’il eût préféré en internat.
« Au fait, ma petite culotte est rose aujourd’hui, tu es content ? » ajouta-t-elle effrontément.


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Dominique rentré, Lucille l’aborda. Elle voulut le pousser à un conciliabule secret, prenant ainsi en compte les objections et observations judicieuses du benjamin. On ne pouvait laisser l’aîné de côté dans cette affaire mystérieuse digne d’Arsène Lupin. On jouait toujours ensemble, à trois, aux Disparus de Saint-Agil.
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« C’est important ! Tu te rends compte ! Les événements prennent une telle tournure qu’ils se mettent à captiver les journaux de Paris…
- Des trucs de journalistes ! Ecoute, Lucille, je suis fatigué. La seule chose que je saisis, c’est que tu as encore emprunté Le Figaro de Père sans autorisation. Et tu sais bien que ce n’est pas pour les faits divers que nous sommes abonnés. »
La fillette crut que Dominique, par homonymie, avait prononcé faits d’hiver, bien que nous ne fussions encore qu’au début de novembre. Il jouait aux harassés de la journée de lycée, feignant se désintéresser des propos de cette sœur pénible et hyperactive. Il dit :
« Il fait un peu frisquet ici. Mère, a-t-on allumé le feu ?
- Demande à Père s’il a ordonné de mettre la chaufferie en route. En tout cas, la cheminée fonctionne. Il y a des bûches qui s’y consument. » Répondit Julie d’Arthémond en ôtant son manteau en panthère dont Lucille espérait qu’elle fût fausse. 

Dans le salon, on percevait un crépitement caractéristique. Dominique alla se réchauffer à l’âtre. Alors qu’il étendait les mains à proximité du foyer qui ardait et rougeoyait, en cette bouche moulurée rustique garnie de deux lourds chenets de cuivre, Lucille revint à la charge. Elle parla à son aîné, mezza-voce, de manière à ce que les géniteurs n’entendissent rien de leurs propos.
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« Paul est dans la confidence.
- Dis que tu lui as forcé la main. Tu as trop lu – en cachette – Enid Blyton et Le Club des Cinq.
- Il a parcouru l’article sur les Consac, et ça l’a convaincu, riposta-t-elle, piquée. Comme moi, il est persuadé que les oiseaux ont été dressés par quelqu’un. Leur agressivité n’est pas naturelle.
- On ne dispose pas de fin limier, de Dagobert, pour flairer une piste. Si un criminel se cache derrière tout ça, il n’est pas ordinaire. Que connaissons-nous de la nature, de ses secrets ? De plus, la première victime n’a pas encore été identifiée.
- Certes, on n’a pas de Médor à notre disposition. Mais Brisquet, notre braque, a un sacré flair. Il fera tout à fait l’affaire.
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- Un chien de chasse, plus dressé pour rapporter les faisans et les lièvres que pour attraper les hors la loi ! Allons, Lulu, un peu de réalisme ! C’est toi qui as imposé Brisquet. Père aurait préféré acheter à l’éleveur un setter noir et blanc.
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- Je suis allergique aux poils longs ! Demain, c’est la fin de la semaine. Tu seras de retour plus tôt, puis, Mère recevra ses copines pour le bridge, Père ira inspecter les métayers, les Berland et les Mouillot, et je n’aurai la préceptrice que le matin, Popaul itou. Nous serons tous trois libres. Je m’habillerai par conséquent de manière adéquate et…
- Mince ! Mademoiselle détective va porter la culotte !
- Ce sont mes jodhpurs, quand je fais du cheval ! Avec les bottes de caoutchouc, un bon pull-over et le ciré, pour la pluie, ça ira ! Je vais pas gâcher une de mes robes !
- Enlève tes nœuds-nœuds, pour une fois…Je sais, c’est mignon dans tes cheveux. Et… que comptes-tu faire ?
- Aller questionner le père Martin, le premier témoin, et le rebouteux, le père Népomucène. Il en connaît un rayon en secrets des plantes et des bêtes.
- Le père Martin n’acceptera jamais. Il ne donne aucune interview. Et les Consac ?
- Trop tôt ! Ils sont encore sous le choc. 
- Soit ! Tu ordonnes, j’obéis. C’est toi, Lulu, l’homme de la famille, comme Napoléon le disait à propos de la duchesse d’Angoulême. 
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- Au fait, demain je garderai mes rubans, même si je les déteste. Je ne veux pas trop faire garçon manqué ! »

A suivre...
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