samedi 22 octobre 2011

Le Trottin, par Aurore-Marie de Saint-Aubain : chapitre 12 2e partie.

Avertissement : ce roman publié pour la première fois en 1890 est déconseillé aux mineurs.http://www.artsunlight.com/NN/N-B0032tn/tnN-B0032-010-le-trottin.jpg
Le lendemain, premier juillet 18 . et les trois journées suivante, Cléore-Anne refusa de s’en retourner à l’Institution et se consacra sans relâche à son métier de trottin. Elle alla jusqu’à envisager de refaire sa vie sous son faux état civil. Elle partait du magasin, chargée de fournitures diverses, dentelles du Puy, boutons, lacets, passements, jarretières, bas de soie ou de laine, pelotes pour le tricot, aiguilles, coupons, lingerie diverse, puis s’en revenait, les panerées encore plus lourdes et débordantes de nouvelles pièces d’étoffe, de dés à coudre, d’épingles, de points d’Alençon, de faveurs, de bolducs, mais aussi d’en-cas : brie coulant titillant ses narines de poupée, bêtises du Cambrésis,
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pains d’épices, huile, vinaigre, poireaux, bottes de carottes, petit pain de sucre, abricots… Elle soufflait, ahanait, présumant de ses forces de sylphide. Elle n’avait plus de doute : sa bottine gauche guêtrée, coquetterie et affèterie à laquelle elle se refusait à renoncer, la blessait et une apostume croissait sur son gros orteil gauche. Elle ne savait comment soigner cette saleté enflée, blanchâtre, cette ampoule de peau vive et dure qui la lançait et l’empêchait de bien dormir. Désormais, elle claudiquait comme Quitterie.


De plus, elle ne tarda point à constater, en lieu et place de l’ancien satyre, la présence perturbante d’une femme voilée de grande taille tout en bleu, chaque fois qu’elle sortait, toujours postée au même endroit lorsqu’elle s’en revenait. Elle fut là le premier, puis le deux, encore le jour suivant. Cette longue silhouette déhanchée et distinguée lui rappelait quelqu’un mais elle ignorait qui. L’inconnue fumait.
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Le quatrième jour, qui était un 4 juillet, Anne Médéric se décida à tenter le tout pour le tout. Adonisée de sa panoplie coruscante de pupille qui lui allait comme un uniforme de pensionnaire fantasmatique, munie de ses paniers, un à chaque bras, et bien qu’elle boitillât, elle s’approcha de l’importune avec résolution. Elle remarqua l’incognito de la Dame, sa tête coiffée d’un chapeau tout simple, sans plumes ni dentelles, l’épaisse voilette dissimulant son identité et jusqu’à la teinte de ses iris et, en sus, ce loup noir qui parachevait son camouflage. Elle portait une toilette d’un bleu étrange, peu familier à Cléore-Anne qui s’y connaissait pourtant bien en mode féminine, un bleu d’étincelles d’appareils galvaniques et magiques, un bleu d’expériences amusantes ayant cours à l’Exposition universelle qui se tenait alors.

Les mains de l’inconnue demeuraient gantées nonobstant la chaleur, et son corsage agrafé intégralement, sans décolleté aucun, avec un bijou de corindon au cou engoncé dans un chemisier montant tout en dentelles de Bruges et broderies anglaises. Adonisée avec un soin extrême, cette Dame, qui semblait familière à Anne Médéric sans qu’elle se rappelât où et quand elle l’avait vue exactement, frappait par son aspect racé, altier, par son port de tête quasi royal, bien qu’elle eût fait en sorte qu’on ne pût percevoir ni ses cheveux, ni le grain de sa peau totalement occultée. Cléore l’eût jurée blonde mais ne pouvait se prononcer. La seule chose sûre demeurait sa stature de bringue qui l’eût fait prendre pour la mère de la mignarde enfant. Elle se comporta d’ailleurs comme à une sortie d’école communale et saisit la main d’Anne Médéric, qu’elle entraîna jusqu’où elle souhaitait qu’elles allassent toutes deux.

Après huit longues minutes d’une marche pénible pour le pied de Cléore, elles parvinrent en la fatale impasse, ce qui ôta les derniers doutes de la comtesse sur les intentions de la drôlesse anonyme. L’inconnue désigna le fameux mur salpêtré et crasseux :

« Ici. » dit-elle.

Ce mot, ce seul mot, résonna comme une faute, une erreur, un impair aux oreilles d’Anne-Cléore. Il trahissait un accent étranger, semblable à celui de ces snobs anglais aux voix grasseyantes qu’elle avait fréquentés à Londres. Comme pour la conforter dans son hypothèse, la main droite gantée de la gaupe offrit à la soi-disant fillette le prix de son forfait. C’était un dollar d’argent. Elle était américaine, non point d’Albion…
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Après avoir déposé ses paniers, Cléore s’exécuta, s’adossa à cette lèpre de crépi puant. Ce fut lors que la femme se déchaîna, lui fonça dessus. Les bouches s’entrechoquèrent et les lèvres de la tribade masquée et voilée imposèrent à celles de Cléore un démoniaque enchaînement de baisers brûlants et sauvages. Jamais la comtesse de Cresseville n’avait connu une étreinte d’une telle torridité. Cette étrangère obstinée la collait contre elle, l’obligeant à ses transports voluptueux. Les langues s’emmêlèrent dans les bouches, fouaillant les maxillaires, la chair interne des joues, les gencives, allant jusqu’à rechercher le contact de la luette, du palais et de la gorge, en une profondeur exploratoire incommensurable, parcourant de leurs caresses hideuses toute l’anatomie interne buccale. La salive ardente s’épandit en conséquence, coulant des lèvres accolées et baveuses, dont la peau finissait par adhérer toute en ce bouche contre bouche inédit pour Anne soi-disant Médéric. En parallèle, il fallait qu’elle se gardât des mains entreprenantes de l’inconnue qui, brusquement dégantées, la palpaient avec une insistance scabreuse, cherchaient les failles, les brèches dans l’étoffe, afin qu’elles s’introduisissent jusqu’à la peau de la fillette supposée et lui imposassent d’autres caresses de plus en plus osées et scandaleuses. Ces mains aux ongles effilés curieusement vernis de bleu essayaient pour l’une de s’insinuer par le bas, par les jupes, tout en faisant mine de tenir les reins de Cléore et de la forcer à l’accolement contre le torse de la tribade et pour l’autre, de lisser les joues et le cou de cygne blême de Mademoiselle de Cresseville dans le but évident de s’en prendre à son corsage soigneusement agrafé.

Cléore se raidit, serra les jambes comme au garde à vous, ôtant provisoirement toute prise à ces doigts de satyre femelle en quête de son intimité. Cette diablesse accentuait son étreinte à en briser l’échine de sa juvénile victime. Elle sécrétait son excitation par tous ses pores, comme une solution sébacée de l’incontinence. Délaissant la bouche humide d’Anne inondée d’une malséante bave de volupté, la langue râpeuse de la violeuse anglo-saxonne (puisque c’est ainsi que nous devons la qualifier), marquée d’ulcères et d’aphtes, s’attaqua à son visage en des bécots violents qui pourpraient et furfuraçaient ses joues ; ses lèvres multipliaient les suçons affreux d’une sangsue de mort, d’une Sappho vampire ou goule, pompant la jeunesse et la vertu de vierge de l’enfant de douze ans à laquelle la catin croyait avoir affaire. Les éruptions d’érythèmes pourprins croissaient sur la peau de rousse de la pure jeune fille, souillant et flétrissant cet ovale virginal.


L’empuse américaine insistait toujours, voulait forcer Cléore par tous les moyens. Elle griffait, s’arc-boutait, se mettait à califourchon, essayait de l’enfourcher par la cuisse gauche, de la chevaucher, puis tentait par la droite. Cléore remarqua qu’elle n’arborait pas une jupe classique mais une sorte de pantalon très large, avec un entrejambes muni d’un empiècement renforcé comme pour les culottes de cheval, vêture inédite qu’elle eût pu qualifier de jupe-culotte, si le mot eût été usité. Sans doute exécrait-elle l’équitation en amazone, à moins qu’elle fût vélocipédiste.
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Les doigts de feu de la huppe marquèrent quelques points alors qu’elle se cabrait inconsidérément à en faire bomber et lâcher son corsage. Elle dénoua le ruban rose du gracieux chapeau de paille du petit trottin, qui roula sur le sol d’ordures puis sa main droite arracha la broche de strass qui fermait le col du chemisier de l’enfant. Elle tenta de lacérer ce tissu prude qui recouvrait sa gorge, ruinant au passage le petit nœud qui la désignait comme pupille de l’Assistance publique. Elle dévasta ses nattes, enlevant avec brusquerie les barrettes et les épingles qui les maintenaient en place. Des torrents vertigineux de mèches rousses cascadantes déferlèrent jusqu’à la chute de reins de la fillette. Cléore avait beau serrer les jambes, elle se sentait faiblir, fléchir peu à peu devant cette furie immense qui pouvait écraser sa menue personne de moins d’un mètre cinquante.

La lesbienne satyre enflammée de passion, à force de trop tendre sa poitrine, fit céder son corsage qui s’ouvrit tout entier, rompu, sur un dessous inattendu. Elle n’arborait ni chemisier, ni cache-corset, ni corset, ni chemise de dessous. Son col en fait, n’était orné que d’une simple guimpe qui s’interrompait juste au-dessus d’une espèce de brassière baleinée, sous-vêtement recouvrant simplement la poitrine, révolutionnaire vraiment, dessous provocant qui moulait les seins de la belle comme des coques renfermant des fruits odieux. La vénénosité sensuelle de cette lingerie balconnée était aggravée par le fait que l’abdomen de la putain était nu, sa peau désormais à l’air libre, son nombril obscène exposé, serti qui plus était d’un cabochon où s’insérait un second corindon, admirablement taillé et facetté, joyau bleu dans lequel Mademoiselle de Cresseville identifia un saphir. La comtesse paria sur l’existence d’un troisième bijou, peut-être une gemme-sexe enchâssée dans la vulve de la lamie, comme pour Adelia. Cléore eut une grimace de dégoût en remarquant le tatouage juste au-dessus de l’ombilic de la marie-salope ; c’était un naja crachant son venin, une atrocité indienne qui ajoutait à la pornographie quintessentielle de cette anandryne perverse.

Comme en réponse, l’hardie main droite de l’agresseur parvint à arracher la jupe d’Anne Médéric, puis ses ongles réduisirent en lambeaux son jupon de percaline, dévoilant enfin les bloomers si tentants. Échauffée à l’extrême, la catin masquée voulut promptement en finir. Elle fit rouler sa jupe-pantalon à terre et acheva de lacérer les habits de Cléore, corsage et camisole de dessous. Les pousses roses de la fillette trompeuse se retrouvèrent à la portée de la bouche goulue de la violeuse qui, sans retenue, suça, lécha et mordit aréoles et mamelons jusqu’à en faire perler un sang jeune et frais. Anne Médéric émit des cris perçants où se mêlaient la jouissance et la douleur. Sans qu’elle pût le prévenir, en un réflexe incoercible, elle sentit en son canal intime s’excréter son liquide d’extase lubrificateur tandis que ses tétons, tumescents de plaisir, se dressaient et saillaient avec orgueil. Ses bloomers s’humectèrent de cette sécrétion qui s’extravasa en coulées obscènes et détrempa ses jambes. A la vue et aux sensations olfactives et tactiles de ce miellat s’extravasant, la violeuse pensa qu’effectivement, la gamine jouissait et acceptait qu’elle allât jusqu’au bout, à la défloration et à l’acte intégral. Elle n’en était plus à une vilenie près. Cependant, Anne Médéric n’était point une pudibonde couarde.

Cléore n’avait plus sur elle que des fragments de vêtements, mis à part ses pauvres bloomers humidifiés qui résistaient encore à l’attaque de la seconde main de la huppe qui voulait en déchirer l’entrecuisse pour pénétrer son sexe. L’impudique goule se retrouvait maintenant presque nue elle-même, sauf un nouveau dessous, toujours aussi étonnant : c’était une culotte de hauts-de-chausses en soie assez bouffante, à taille basse, avec des rangées de boutons en ponts encadrant par groupes de trois un empiècement triangulaire dissimulant le pubis. Or, ce tissu semblait anormalement enflé, proéminent, comme si Cléore eût eu affaire à un hermaphrodite en rut. Ce fut alors que la salope ouvrit ce triangle et découvrit un boîtier d’acier dont elle actionna un bouton latéral. Ses yeux étincelèrent d’une excitation morbide lorsque la chose artificielle s’érigea hors de son réceptacle. Anne Médéric manqua s’évanouir. Elémir lui avait aussi parlé de cela, de ces godemichés automates prothèses que des hommes impuissants ou châtrés par accident se faisaient greffer afin qu’ils pussent poursuivre leurs activités érotiques. C’était une invention obscène venue d’Angleterre, dont l’inventeur supposé s’appelait Charles Merritt. Ce phallus automatique de métal, flexible qui plus était contenait – perversion suprême – un réservoir empli d’une liqueur séminale de substitution. Ce foutre synthétique pouvait donc reproduire toutes les fonctions érotiques des vrais, tout en déchirant les chairs internes des catins qu’il forçait jusqu’à les tuer, car certains possesseurs sadiques l’avaient armé de clous et de piquants. Des personnes averties murmuraient que le célèbre éventreur de Whitechapel,
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qui venait de défrayer la chronique policière Outre-Manche, avait été muni d’une telle arme atroce. Heureusement pour Cléore, le godemiché de l’Américaine était lisse. Mais elle ne voulut pas qu’elle la possédât d’une façon si indicible. Jamais !


Alors, notre petite Anne eut un regain d’énergie. Elle parvint à culbuter et renverser la bringue, jà en équilibre instable, à lui arracher une épingle à cheveux qui dérangea son chignon, à lui enlever chapeau, voilette et loup de soie qu’elle arborait encore, surmontant par ces oripeaux féminins un corps presque totalement dévoilé de vérité impudique et impure dénudée. Un magnifique visage de brune aux yeux bleus se révéla à la comtesse de Cresseville. La femme, à moitié sonnée, grogna. Cléore menaça de lui percer la gorge avec l’épingle. A sa grande surprise, elle reconnut miss Jane Noble. Prenant peur, elle laissa sur place la huppe chaude et échaudée par son échec final, gisante à même la fange puante de l’impasse, embrumée, rasant les murs cloaqueux, de crainte qu’on surprît une enfant torse nu, en simples pantalons mouillés, meurtrie, la peau de la poitrine écorchée et saignante, le reste de l’épiderme empourpré par les suçons affreux de l’empuse.


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