dimanche 24 août 2014

Cybercolonial 1ere partie : Belles Lettres d'une Rose méconnue chapitre 2 1ere partie.



Chapitre 2.
Il était très tard dans la Cité. À part le personnel dévolu à la maintenance et à la sécurité, personne ne veillait. Sauf… le Superviseur général qui préparait l’expédition de 1888. Attelé à sa tâche ingrate, il en oubliait et le sommeil et son chat Ufo qui faisait des siennes comme à l’accoutumée. Le noble félin farfouillait dans le bureau, grattait le moindre objet qui lui tombait sous la patte, renversait la poubelle et y fourrait aussitôt son museau. Manifestement, il cherchait quelque chose à se mettre sous la dent. Pourtant, il avait bien dîné peu auparavant, son maître lui ayant servi toute une assiettée de thon et de saumon. 
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Mais notre Ufo était incorrigible. À peine son dernier repas avalé et digéré, son estomac se rappelait à lui par de discrets tiraillements qui bientôt occupaient toute son attention. Enfin, le félin au long poil noir et blanc parut satisfait de sa trouvaille. Vite, il se réfugia sous un siège utilitaire, recouvert d’une sorte de tissu bleu brillant inusable et joua avec sa découverte.
Daniel Lin s’aperçut enfin que son chat était occupé à pratiquer son activité habituelle. Mais cette fois-ci, il ne s’agissait pas de nourriture.
- Que boulottes-tu donc? Fit-il à sa bête familière. Fichtre! Donne-moi ça! Tu vas finir par t’étouffer. Où as-tu déniché cela?
Promptement, l’ex-daryl androïde se saisit du félin et lui retira son jouet.
- Du plastique! Tu grignotais une feuille de plastique… décidément… comme si tu n’étais pas assez nourri . Ne me dis pas que je te laisse mourir de faim, mon Ufo? À te voir, personne ne peut croire cela!
Le chat répliqua par quelques miaulements désapprobateurs puis tenta d’échapper à l’étreinte du commandant Wu. Peine perdue. Son maître le tenait fermement.
- Du calme, mon chat, du calme. Là, endors-toi paisiblement…. Tes ronrons vont te bercer… oui, je t’aime, sacripant!
Alors, Daniel Lin entama une vieille, très vieille berceuse, venue du fond des âges.
- «  Minet qui s’est mis en pelote
Le nez dans son poil soyeux… »
Mais sa mélodie fut interrompue par un discret coup de sonnette. Aussitôt, Daniel Lin déposa Ufo sur un autre siège près de la poubelle et s’en alla ouvrir. C’était Albriss, tenant deux volumes de poèmes, deux livres reliés comme autrefois, imprimés sur du papier authentique, à la couverture de maroquin brun.
- Pardonnez-moi, Superviseur, commença l’Hellados… je sais qu’il est tard, mais je devais vous rapporter ceci…
- Non, mon ami, vous ne me dérangez pas. Comme vous voyez, j’essaie d’endormir mon chat.
- Une tâche ardue, monsieur.
- Cela dépend… je ne veux point user de la manière forte… une intrusion dans sa psyché.
- Vous avez presque réussi, commandant. L’animal bâille et va bientôt tomber dans les bras de Morphée.
- Tant mieux, Albriss.
Les deux hommes s’installèrent sur deux chaises tout à fait ordinaires qui n’avaient rien d’ostentatoire. Devant eux, une table basse avec une carafe de limonade, une vraie et non pas cet ersatz trop sucré en vogue dans les supermarchés de la fin du XX e siècle!
- Servez-vous, lieutenant…
- Merci…
- Ainsi, vous avez terminé votre lecture. Et pour plus d’authenticité, vous avez préféré l’achever sur des livres reliés. Ma foi, je n’ai rien à redire là-dessus. Alors, qu’avez-vous pensé de l’œuvre de Madame de Saint-Aubain?
- Elle a du talent, jeta l’Hellados dans un souffle.
- Ah! Tiens donc? Vous l’admirez donc? Ce n’est pas mon avis, loin de là! Je trouve son style surchargé, pompeux, emberlificoté…
- Pourtant, aucun de ses poèmes ne sort de l’ordinaire, bien au contraire! Toutes les rimes sont recherchées, polies, travaillées…
- Oui, justement. Trop! Cela pue l’artifice, un artifice lié à l’absence d’émotion. Bref, en deux mots: du vide.
- Du vide, ces vers? Écoutez-les, savourez-en la rime: 
« Le pauvre médiéval, devoir de charité, image du Sauveur, ô Imago Dei!
Ne te concernait plus, mon amica mei!
Hephtalite beauté, mon bel ange efflanqué,
Vaincue par l’égotisme, prolétaire, sois marquée!
Si belle en ta misère noire!
- N’est-ce pas sublime?
- Oh! Une imitation amphigourique de Baudelaire! S’exclama l’ex-daryl androïde. Allons, Albriss, revenez plutôt à l’original… «  Ô Satan, prend pitié de ma grande misère! »… pour moi, il n’y a là qu’un vain exercice de style, la recherche du mot précieux pour le mot précieux. C’est tout!
- L’art pour l’art? je ne partage pas vos critiques, Superviseur, pardonnez-moi… j’ai le droit de ne pas être d’accord avec vous, non?
- Tout à fait, Albriss. Mais qu’est-ce qui vous a fait croire au génie de la baronne?
- Ceci!
«  (…)Parturiente blessée, meurtrie, je souffre en ma gésine.
Charlotte! Une dernière fois, Charlotte, fille de Laodicée,
Reviens-à moi! Rejoins-moi, pauvre muse, en ma Théodicée!
Implore donc Thanatos, ô mon Enfance à jamais enfuie!
Charlotte, astre de mon cœur, vois donc les larmes d’Uranie!
Traverse le Tartare, encor, encor, n’attends pas le tombeau!
Mon Artémis! Amour premier lors perdu pour toujours… adieu ma Rose en mon berceau! »
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- Cette strophe est tirée d’un poème intitulé « Imploration en forme de thrène à un amour perdu », et provient du recueil Églogues platoniques, publié en 1882, reprit l’Hellados, d’une voix ferme. Vous n’allez pas nier, Daniel Lin qu’il y a là du sentiment, une émotion authentique?
- Du sentiment? Une émotion, mais envers qui précisément?
- Cela est évident, s’enflamma Albriss. Cette poésie évoque parallèlement aux douleurs de l’enfantement, le souvenir de Charlotte Dubourg! 
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- En effet… Charlotte Dubourg qui recueillit quelques jours notre poétesse tandis qu’elle voulait échapper à l’emprise de son père et des tétra épiphanes menés par le baron Kulm! Compléta le Superviseur.
- Exactement. La mission de Michel Simon et Saturnin de Beauséjour en 1877.
- Mon cher, vous êtes dupé par cette jeune femme à travers le temps. Aurore-Marie n’est qu’un monstre narcissique qui ne sait s’apitoyer que sur sa petite personne.
- Je suis dupe? Comment cela?
- Ah! Mais parce que vous n’êtes pas humain, mon ami… vous n’êtes pas habitué aux émotions, ou, du moins, à les manifester… depuis votre plus tendre enfance, vous les réprimez, les étouffez… Alors…
- Euh… pardonnez-moi, Superviseur, mais vous non plus n’êtes pas humain…
- Oh! Je vois que vous vous souvenez de mes aveux du mois passé… mais je suis l’aboutissement de l’humanité, son expression la plus aboutie, sa quintessence, irais-je jusqu’à dire si je l’osais… cela a pour conséquence que je ne suis pas aveuglé par ses défauts… Soyez-en persuadé.
- Il n’empêche! Reprit l’extraterrestre plus buté que jamais. Nierez-vous ce que ces vers ont d’absolu dans leur douloureuse beauté?
« Jouvencelle gravide à la rose sanglante
De tes entrailles vives, de ta soie utérine
L’éruption génitrice que la vestale enfante
Surgit lors de la nymphe à la peau purpurine »
- Oui, notre poétesse égotique et égoïste se complait dans une contemplation vaine de son accouchement… une introspection superficielle, plus que perceptible dans les mots « Théodicée » et «  Laodicée » rimant… cela pue l’inutile, l’artificiel, je me répète…
- Les rimes trop riches vous déplaisent.
- Non! Le mensonge, le nombrilisme, l’inutilité…
- De l’art?
- Certes pas! Sans l’art, l’humanité serait restée au rang de l’animalité!
- Daniel Lin, que puis-je rajouter pour vous rallier à mon point de vue?
- Rien, mon ami… je suis aussi têtu que vous…
- Je crois que j’ai trouvé… une dernière tentative. Écoutez.
«  Il y a de cela bien longtemps, mes lectures me portèrent vers Honoré d’Urfé.
Je goûtais à l’Astrée, ô mignardises exquises!
J’aspirais à la préciosité, appréciant Galathée, les bergeries, les fées… »
- Quel aveu! Quelle sincérité! Se moqua alors le Préservateur.
- Monsieur, lui reprocha l’Hellados, je n’ai point terminé ma citation.
- Dans ce cas, hâtez-vous d’en finir.
« … Praeludium du Cantor! Églogue! Ilion conquise!
Ruines que ni Henriade, ni Franciade, ni Lusiades n’obvièrent!
Prosopopée dédiée à ce qui ne sera plus, fille soumise!
Deucalion s’en moqua, ô vestiges superbes qu’inondèrent
D’universels déluges, ensevelissant, loin de la mémoire des hommes,
Le Monde païen d’antan, à l’issue de cruels prodromes!
…. »
- Stop, mon ami, je crois bien que je vais avoir la nausée à écouter tous ces mauvais vers!
- Vous rejetez l’œuvre tout entière de Madame de Saint-Aubain, donc?
- Oui… Toute votre éducation est à faire dans le domaine de la poésie, mon cher…
- Ah! Démontrez-moi que j’ai tort. Je veux bien apprendre…
- Enfin de la bonne volonté de votre part. je vais vous citer le Deucalion de Max Jacob…
- Jamais entendu parler de cet auteur! Reconnut l’extraterrestre.
- Alors, je vais réparer cela.
«  Reportage de Juin 1940
On a vu de partout l’Étoile des Rois Mages
Laisser tomber du sang comme tombe un orage.
A jamais cette main, la mienne, en est tachée
Et par deuil, sauf de Dieu, de tout bien détachée.

L’air dit: «  Je suis la Peste et c’est mon jour d’audience,
« J’accours du ciel avec des voix dans le silence.
«  Viennent les coups du meurtre, les draps de la démence! »
Je t’ai toujours chéri, doux soleil dur la mer,
Mais ce soleil voué au hurlement des conques
( n’est-ce pas comme si on t’arrachait les ongles)
Aux murs est attaché comme un poison amer.

Géant, grandissait l’entonnoir de l’épouvante
Et géante en chaque homme une chapelle ardente.
On a vu de tous les coins l’Étoile des Rois Mages
Repousser du sang comme on repousse un breuvage.
Aux premiers tocsins
Des lions sont sortis.
D’un Zoo lointain
C’était l’incendie.
Un financier fameux aux gueules des lions
Laisse ce qu’il serrait sur son cœur: cent millions!
Pyrrha, Deucalion,
Au déluge reviennent semer à reculons
Les débris des foyers
Ce qui paya loyer
Un Mont de Piété de tendresses vidées:
Linge, lettres, photos, sacoches et leurs titres.
Je suis votre témoin, louis d’or auprès d’un titre
Le témoin de fusils sur treize coussins brodés
D’un coffre militaire auprès d’une layette
Entre un cadavre d’homme et celui d’une bête,
Les longs calculs du tir, les secrets du stratège
Envolés dans un champ de seigle.
… »
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- Que constatez-vous, fit le Superviseur après une pause.
- Euh… les mots sont plus simples…
- Et donc?
- Ce poème est plus accessible…
- Ah! Est-ce tout?
- Non! Il y a là un témoignage, du vécu…
- De l’authentique! De la colère, du désarroi, du désespoir aussi…
- Sans doute…
- Bon. Je vais devoir choisir d’autres poèmes. Pas les vers d’un homme, cette fois-ci, mais ceux de femmes qui ont brillé à leur époque et dont les œuvres sont parvenues à franchir le temps. Marceline Desbordes-Valmore qui vécut au XIXe siècle par exemple et dont j’aime particulièrement la subtile délicatesse ainsi que l’apparente facilité de ses rimes… ou encore Christine de Pisan, une ancêtre, certes, mais que j’admire tout particulièrement. J’envie leur talent à toutes deux. Je donnerais… je ne sais pas, le ciel magenta de ….
 http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/20/Christine_de_Pisan_and_her_son.jpg
Sentant qu’il en disait trop, le Préservateur se tut quelques secondes puis, sans transition enchaîna.
«  La grant doulour que je porte
Est si aspre et si très forte
Qu’il n’est riens qui conforter
Me peust ne aporter
Joye, ains vouldroie estre morte.

Puis que je pers mes amours,
Mon ami, mon espérance
Qui s’en va, dedens briefs jours,
Alors du royaume de France

Demourer, lasse! Il emporte
Mon cuer qui se desconforte;
Bien se doit desconforter,
Car jamais joie enorter
Ne me peut, dont se deporte
La grant doulour que je porte.
… »
- Je reconnais que cela a un certain charme…
- Le moyen français du XIVe XV e siècle ne vous a pas trop gêné?
- Non, j’ai reçu des cours de Spénéloss.
- Je vois… Puis-je vous citer des extraits de mademoiselle Marceline?
- Faites, je vous en prie… 
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/0c/Marceline_Desbordes-Valmore.jpg
                                              REGRET
«  Des roses de Lormont la rose la plus belle,
Georgina près des flots nous souriait un soir:
L’orage, dans la nuit, la toucha de son aile,
Et l’Aurore passa triste, sans la revoir!

Pure comme une fleur, de sa fragile vie
Elle n’a respiré que les plus beaux printemps.
       On la pleure, on lui porte envie:
Elle aurait vu l’hiver; c’est vivre trop de temps! »
Puis, ne marquant qu’un léger temps d’arrêt, Daniel Lin entama un autre poème de la même auteure.
«  J’ai voulu, ce matin, te rapporter des roses;
Mais j’en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les nœuds trop serrés n’ont pu les contenir.

Les  nœuds ont éclaté. Les roses envolées
Dans le vent, à la mer s’en sont toutes allées.
Elles ont suivi l’eau pour ne plus revenir;

La vague en a paru rouge et comme enflammée:
Ce soir, ma robe encore en est tout embaumée…
Respires-en sur moi l’odorant souvenir.
- Dois-je poursuivre? Souffla Daniel Lin qui, visiblement, n’avait pas sommeil et aurait pu réciter durant des heures ainsi.
-Pourquoi pas? Fit l’Hellados, nullement lassé, qui pouvait rester des jours sans dormir et dont la résistance physique était connue de toute la Cité.
-Alors, juste un dernier car j’ai à faire…
LA ROSE FLAMANDE

« C’est là que j’ai vu Rose Dassonville,
Ce mouvant miroir d’une rose au vent.
Quand ses doux printemps erraient par la ville,
Ils embaumaient l’air libre et triomphant.

Et chacun disait en perçant la foule:
«  Quoi! Belle à ce point?… Je veux voir aussi… »
Et l’enfant passait comme l’eau qui coule
Sans se demander: «  Que voit-on ici? »

Un souffle effeuilla Rose Dassonville.
Son logis cessa de fleurir la ville,
Et, triste aujourd’hui comme le voilà,
       C’est là! »

- Monsieur, je pense avoir compris. Il y a dans ces vers tout simples, beaucoup plus d’émotion, de ciselure qu’il n’y en aura jamais dans ceux de Madame de Saint-Aubain!
-Ah! Mais vous pensez réellement ce que vous dîtes, mon ami, au moins?
- Je vous l’affirme! Toutefois, même si les rimes et les vers d’Aurore-Marie restent hermétiques et ne s’adressent pas à tous…
- Au cœur, Albriss, au cœur!
- Entendu, au cœur, il n’en reste pas moins que je les admire…
- Hum… J’ai encore beaucoup de travail avec vous, mon cher ami! Soupira l’ex-daryl androïde. Enfin… Rome ne s’est pas construite en un jour…
- Euh… Daniel Lin, c’est là une évidence!
- Une expression toute faite, lieutenant…
- Une expression humaine qui veut dire bien plus…
- C’est cela…
- Je saisis. Je me retire. Je reviendrai demain pour connaître les détails de l’expédition.
- C’est là un des devoirs de votre charge, Albriss. A demain, mais pas avant neuf heures…
- Oui, monsieur. Bonne nuit.
- A vous aussi.
Une fois l’Hellados parti, le Préservateur s’étira et fit:
«  Pourquoi Albriss ne veut-il pas admettre qu’il faut de la simplicité en toute chose? C’est là le B A BA de la Création! Du moins au départ! »
Puis, le commandant Wu se pencha une nouvelle fois sur sa liste et les actions prévisionnelles des membres de l’expédition. Il ne se coucherait pas de la nuit au contraire de son chat qui dormait présentement du sommeil du juste et rêvait qu’il chassait et attrapait un mulot.

***************
Le Superviseur général avait réuni une dernière fois tous les membres de son équipe afin de bien rappeler à chacun le rôle qu’il devait tenir dans cette tragi-comédie dont dépendait en fait le sort de l’Agartha. Cette réunion se déroulait quelques heures à peine avant le départ de la troupe pour la France du XIXe siècle. La pièce qui accueillait les tempsnautes était agréable, avec un décor fleuri, des murs de couleurs vives où des arabesques liquides dessinaient des motifs sans cesse changeants. On percevait également le discret bruit de l’eau provenant de fontaines disséminées aux quatre coins de la salle. Une lumière tamisée empêchait les yeux d’être blessés.
Naturellement, le commandant Wu présidait la réunion, avec, à ses côtés, Benjamin Sitruk, son second dans cette mission. L’entretien s’achevait.
- Donc, je dirige la sous-équipe de l’Afrique, faisait le Canadien, se grattant machinalement la barbe. Ce ne sera pas une mince affaire que d’avoir le capitaine Craddock sous mes ordres.
- Ouais, mon gars! Ricana le susnommé. Mais n’oublie pas que je passe d’abord par la case Paris!
- Vous ne serez pas le seul, rappela Daniel Lin.
- Cela ne me dit rien de voir ce Paris de la fin du XIXe siècle! Soupira Carette. 
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- Pourquoi cela cher confrère? Questionna Louis Jouvet.
- Je n’aimerais pas croiser mes futurs parents, entre autre…
- Bah! C’est facile d’éviter de passer par les lieux que l’on a fréquentés étant enfant! S’exclama Michel Simon.
- Reprenons, commanda Benjamin. Monsieur de Beauséjour, accompagné par miss Deanna Shirley, sera à Lyon afin de pister la poétesse Aurore-Marie de Saint-Aubain. Tous deux, vous devrez ensuite voyager jusqu’à Paris en train.
- Facile! Déclara Saturnin en bombant le torse.
- Nous prendrons des premières classes, commença la comédienne. L’argent ne nous fait pas défaut, non?
- Avec le synthétiseur, non, en effet, sourit Daniel Lin. Mais, miss Deanna, permettez-moi de vous mettre en garde.
- Contre quoi ou qui?
- Pas de fantaisie, ne vous faites pas remarquer par vos dispendieuses dépenses, par exemple…
- Je me dois de paraître une bourgeoise accomplie.
- Oui, certes, mais les bourgeoises accomplies comme vous dites aiment la discrétion.
- Je n’ai pas besoin d’être chapitrée comme une gamine! Siffla DS de B de B.
- C’est à voir! Marmonna Violetta.
- Hum… je crois que nous nous égarons, fit Lorenza diplomatiquement.
- Mon épouse a raison, reprit le commandant Sitruk. Frédéric, vous vous rendrez à Londres.
- Cela me convient. Je connais le dénommé Charles Merritt. Je l’ai croisé ailleurs et je sais donc à quoi m’attendre avec lui.
- Je vous recommande la plus grande prudence.
- N’ayez crainte. Mes déguisements me protégeront. Et puis, n’aurai-je pas comme garde du corps le lieutenant Spénéloss?
À son nom, l’extraterrestre s’inclina poliment.
- Le vous était un pluriel, articula Benjamin. Il s’adressait également à Guillaume.
- Allons bon! Commandant, vous me trouvez trop jeune? J’ai dix-sept ans, je vous le rappelle et déjà une certaine expérience du danger! De plus, le Conseil a émis un avis favorable quant à ma participation à cette expédition.
- D’accord, je n’avais nullement l’intention de vous fâcher, Guillaume Mortot… après Londres, il faudra viser Gérone et peut-être Venise, Frédéric.
- Ah! Je devrais m’intéresser au sieur d’Annunzio… voir en quoi cet écrivain nationaliste est mêlé au complot des tétra épiphanes… 
 http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/b2/Gabriele_D%27Annunzio.jpg
- C’est cela.
- Est-ce bien prudent de nous diviser ainsi? Remarqua la doctoresse. La plupart d’entre nous seront à Paris, puis au Havre. Jean Gabin, Louis Jouvet, le capitaine Craddock, Michel Simon, Julien Carette, vous Daniel Lin, avec ma fille Violetta… Je ne comprends toujours pas l’utilité de sa présence dans cette mission…
- Maman! Se récria l’adolescente.
- Tu n’as que treize ans, l’oublies-tu?
- Et alors?
- Violetta devra sans doute prendre l’identité d’Aurore-Marie à un moment donné, jeta froidement le Superviseur général. Du moins, cela est à envisager.
- Pourquoi pas moi, dans ce cas? Interrogea la semi métamorphe.
- J’ai besoin de vous en Afrique, docteur. Tout d’abord, à cause du danger environnemental. Il vous sera plus facile de vous acclimater à cause de vos origines. Ensuite, vos talents médicaux ne sont pas à négliger.
- Cela je l’avais compris, mais…
- Ma chérie, ce qui est décidé est décidé! Inutile de revenir là-dessus! Déclara sèchement le commandant Sitruk.
- Moi, je suis partant pour l’Afrique, lança joyeusement Marcel Dalio. Je sens que je vais interpréter le rôle de ma vie. Un comprador dans toute sa splendeur!
- Je ne doute pas de votre réussite, dit Erich von Stroheim mi amusé mi sérieux. 
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- L’Afrique! Soupira Gaston. J’en rêve depuis ma plus tendre enfance. Ce continent mystérieux, sa faune sauvage et cruelle, ses indigènes…
- Je sens de l’émerveillement et de l’enthousiasme dans votre voix, soupira Saturnin. Peu me chaut de m’y rendre… le plus tard possible, j’espère, commandant Wu…
- Monsieur de Beauséjour, je vous jure que vous ne risquerez rien avec moi, promit le Superviseur avec un sérieux de bon aloi.
- Gut! Quant à moi, reprit l’Austro-américain, avec Alban, nous nous introduirons au cœur de la Wilhelmstrasse, avec la couverture prévue.
- Volontiers, proféra le jeune comte de Kermor. Je suppose que ce rôle m’a été assigné du fait de ma pratique courante de l’allemand.
- Exactement, Alban, lança Daniel Wu. Mais je reconnais que j’ai hésité un moment.
- Ah? Qui envisagiez-vous à ma place?
- Pierre Fresnay, désigna le Superviseur général.
- Qu’est-ce ou qui vous a fait changer d’avis? Interrogea alors l’intéressé.
- Moi! Déclara Benjamin.
- Pourquoi donc?
- Il est vrai que vous vous exprimez à la perfection en allemand…
 - Oh! Mais cela m’est facile! Je suis d’origine alsacienne.
- Je le sais et nous le savons tous. Mais j’ai fait comprendre au commandant Wu que vous seriez bien plus indispensable à Paris d’abord, en Afrique ensuite.
- Comment cela?
- Vous êtes assez familiarisé avec les milieux artistiques et interlopes…
- Hum… je ne dirais pas cela… mais je vois à quoi vous pensez précisément. Ma précédente mission à la Belle Époque, en compagnie de ma tendre et douce Yvonne et de mademoiselle Brelan… J’en garde une certaine nostalgie… récupérer un bijou volé…
- Mais aussi et surtout ramener dans votre hotte mademoiselle Sarah Bernhard! S’esclaffa Daniel Lin, soudain d’humeur primesautière. Vous avez outrepassé les ordres…
- Sans doute, mais le Conseil a fini par se ranger à ma solution… Et Sarah est restée dans la Cité pour notre plus grand bonheur.
- Pff! Marmotta Violetta qui commençait à s’ennuyer ferme et qui se balançait sur son siège. Elle récite comme un pied et se croit sortie de la cuisse de Jupiter!
- Tais-toi! Lui ordonna sa mère.
- Concluons, fit Benjamin. Nous devons réussir cette mission. Est-ce bien compris? Tous vous avez pu vous familiariser avec le chrono vision.
- Oui, mais, commença Deanna Shirley, je déteste en faire usage! 
- J’avoue que, moi aussi, je n’aime point trop cette machine, reconnut Gaston de la Renardière. Mais enfin, elle rend service, c’est là le plus important.
- Vous avez aussi testé votre personnage, vos déguisements…
- Oh ça oui! Ironisa Craddock. Gemma a failli s’évanouir à ma vue! Me transformer en vieux gentleman natif du faubourg Saint-Honoré! Elle n’en est pas toujours revenue, la pauvre!
- Certes, mais il faut bien que nous ayons des yeux et des oreilles parmi la haute! Pierre, Louis, Daniel Lin et Jean ne pouvaient suffire… Quant à Julien, votre accent de titi parisien sonne trop peuple.
- Voilà pourquoi je dois me contenter de jouer les domestiques de service, les palefreniers, les cuisiniers, les valets de chambre et autres…
- Ce ne sera pas le cas au Congo, Julien.
- Je l’espère bien…
- Tout le monde a  appris la biographie de la baronne de Lacroix-Laval?
- Cette dame est née en 1863, elle a été intronisée grande prêtresse des tétra épiphanes en septembre 1877, a rencontré le général Georges Boulanger… commença à réciter le sieur de Beauséjour d’une voix monocorde.
- Stop, mon vieux! Jeta narquois Frédéric Tellier. Vous en faites trop, là.
- Je prouve simplement que je me suis appliqué. Grâce aux holobibliothèques, c’est un jeu d’enfant de se documenter. L’encyclopédie Cyberpedia est une mine de renseignements.   
- A ce propos, fit remarquer Spénéloss, la prospection temporelle concernant madame de Saint-Aubain n’aurait rien dû donner.
- Spénéloss, dit Daniel Lin un brin agacé mais ne le manifestant pas naturellement, cet article appris par cœur par monsieur de Beauséjour résulte d’une piste  dans laquelle Aurore-Marie a vécu.
- Superviseur, moi aussi j’ai lu ledit article. Mais je suis allé plus loin dans ma prospection. Le contenu de l’encyclopédie prouve l’échec de la bombe A à la fin du XIXe siècle. Alors, pourquoi courir contre madame de Saint-Aubain, le général Boulanger et son bras droit au Congo, le commandant Hubert de Mirecourt? Le plan meurtrier et fou de la duchesse d’Uzès… 
 http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/c/c6/Katona_Boulanger.jpg/250px-Katona_Boulanger.jpg
- Instrumentalisée par notre sainte-nitouche, jeta négligemment le Superviseur général.
- Je vous l’accorde, mais laissez-moi achever. Le plan machiavélique a été tué dans l’œuf! Il n’y a pas eu et il n’y aura pas de guerre nucléaire précoce…
- Ah! Spénéloss! Je me demandais quand vous alliez nous sortir cet argument dit Daniel Lin avec un soupir las.
- Commandant Wu, je comprends votre agacement, dit Sitruk pour une fois en phase avec l’ex-daryl androïde. Lieutenant, c’est justement parce qu’il y a eu une chrono ligne parasite qu’il nous faut intervenir! Il nous faut enquêter, savoir pourquoi et à cause de qui celle-ci a vu le jour.
- Précisément. Empêcher naturellement une guerre atomique de survenir avant l’heure est un aspect secondaire de notre mission. Compléta Daniel Lin Wu avec aplomb.
- Et je me permets de rajouter que c’est sans doute parce que nous allons intervenir qu’Aurore-Marie de Saint-Aubain verra ses rêves de grandeur s’estomper, dit péremptoirement le commandant Sitruk. D’autres objections, lieutenant Spénéloss?
- Euh, non… balbutia confus l’extraterrestre. Commandant, vous maniez mieux que moi les paradoxes temporels…
- Je prends cela pour un compliment, Spénéloss. Mais c’est normal. J’ai voyagé dans les mondes multiples bien plus que vous… Trop à mes yeux.
- Hum… je pense que nous en avons terminé, dit le Superviseur général en se raclant la gorge ostensiblement. A demain, à cinq heures.
- Cinq heures du matin? S’étrangla Craddock Moi qui escomptait faire une dernière partie de poker avec Chérifi, Warchifi et Jean Gabin!
- Mon ami, ce n’est que partie remise, déclara philosophe le comédien inoubliable de Quai des brumes.
- Hé bien, vous roulerez vos partenaires à votre retour! Acheva pince-sans-rire Daniel Lin en se levant. Bonsoir à tous.
Le superviseur fut le premier à se retirer. Les derniers à quitter la salle, Craddock et Gaston se saluèrent et dirent:
- Bougrement pressé qu’il était notre commandant!
- Voyons, capitaine… Vous pensez mal.
- Non, je pense juste. Gwen et son…
- Chut! Ne soyez pas grossier…
En se donnant l’accolade, les deux compères gagnèrent leurs quartiers marchant d’un même pas dans les corridors de la cité. Sur leur chemin, ils ne rencontrèrent âme qui vive et n’eurent pas d’incident à signaler. Pas rancunier, le Préservateur y avait veillé.
 A suivre...
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vendredi 15 août 2014

Cybercolonial 1ere partie : Belles Lettres d'une Rose méconnue chapitre 1 4e partie.



Ce soir-là, la séance exceptionnelle du Conseil durait plus que d’habitude. Les douze membres, élus pour une année, dont le mandat ne pouvait être renouvelé qu’après un intervalle de cinq législatures, siégeaient depuis leurs places aménagées, leurs fauteuils conçus en fonction de leurs biotopes naturels. En effet, le Conseil n’était pas exclusivement composé d’humains ou humanoïdes. L’égalité ou du moins l’équité était respectée au sein des plus hautes instances décisionnelles de l’Agartha. Le décor donnait dans le sobre, le dépouillé même, des panneaux de bois clair alternant avec des lattes plus foncées de manière à dessiner des formes géométriques simples, triangles la pointe en haut ou en bas, carrés et losanges. Seul un tableau de prix, signé d’un des plus grands maîtres de la peinture indiquait que la Cité était riche et prospère bien que la monnaie fiduciaire ou pas ne circulât point dans l’Agartha. Elle était inutile ici!
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Il y avait donc Lobsang Jacinto qui présidait en tant que doyen, Albriss, le vice-président, l’Hellados déjà entraperçu chez Daniel Lin, Tenzin Musuweni, bouddhiste comme son maître Amérindien qui remplaçait Frédéric Tellier, empêché, l’Italien Malipiero, toujours revêche et peu aimable, son compère Mani Aniang, presque du même âge que Jacinto, Velias, la Castorii d’une beauté à couper le souffle, mais dissimulée par de nombreux voiles, ( son surnom s’était imposée à cause de ses habitudes vestimentaires et avait fini par occulter son véritable nom, de toute manière imprononçable par des palais humains), Fingaria, la félinoïde qui se limait les griffes d’une façon ostentatoire, le professeur médusoïde Schlffpt, dans son aquarium portatif, flottant de ci de là, fort à l’aise, Kontiko, toujours absorbé par des formules mathématiques absconses dont le sens échappait la plupart du temps au commun des mortels, un Marnousien de la caste des Intellectuels, qui appréciait particulièrement la compagnie du Superviseur général lors de ses entretiens hebdomadaires avec ce dernier, Toison bouclée, une femelle ovinoïde des plus placides, un peu effrayée d’être assise aux côtés de Kirui, la dinosauroïde, pourtant pacifique et végétarienne, promise au mariage mais qui avait opté, au grand dam de son clan, pour le célibat et les sciences, et le jeune et spontané lycanthrope Kaarsch dont la présence pouvait étonner au sein de cette si docte assemblée. Cependant, ledit Kaarsch n’était point sot et se montrait fort capable. Souventefois, il avait su imposer son avis, plein de bon sens et loin de tout préjugé!
Adonc, le débat se traînait, l’unanimité étant difficile à obtenir. Mani Aniang s’opposait vertement à une nouvelle expédition qui verrait le Superviseur général s’absenter de la Cité.
- Je ne vois pas en quoi la présence du commandant Wu peut faire la différence! Lança-t-il aigrement après plusieurs minutes de quasi monologue.
- Justement! Rétorqua son ami Malipiero. Le Superviseur est mille fois plus utile ici!
- Il me semble que des tâches administratives ne sont pas forcément ce qui lui convient le mieux, fit remarquer Albriss.
- Le commandant Wu est loin de se complaire au dépouillement et au classement de nos décisions! Objecta avec propos Kontiko. Oubliez-vous donc qu’il lui arrive plus souvent qu’à son tour de donner un coup de main et de réparer des installations défectueuses?
- Donc, tout comme moi, revint à la charge Mani Aniang vous estimez que la place de ce Daniel Lin est à l’Agartha et non pas dans cette espèce de Luna Park qu’est la planète Terre du XIXe siècle!
- Ce n’est pas cela que je sous-entendais! Répliqua le Marnousien, son groin frémissant d’une colère rentrée. La Cité peut se passer de lui quelques temps! Elle n’en mourra pas!
- Ah! Mais si une urgence survenait? Siffla Malipiero.
- Le Superviseur n’est pas le seul ingénieur de notre communauté! Rappela avec raison Kaarsch.
- Exactement, compléta Albriss. Nous avons la chance d’avoir Thomas Kenneth Anderson, Andrew Lane, Septimanus, Kiir, et bien d’autres à nos côtés, du même niveau de qualification…
- Tiens, ronronna la félinoïde, vous avez omis de vous citer ainsi que Spénéloss, Stamon et Trabinor! Tous Helladoï, comme par hasard. Votre humilité pourrait être perçue par certains comme de l’outrecuidance…
Et les yeux jaunes de Fingaria luisirent d’amusement en se portant sur Mani Aniang.
Lobsang Jacinto retenait à grand peine un bâillement Il était près de deux heures du matin et il lui tardait de gagner sa couche. Cela faisait près de vingt heures qu’il n’avait pas pris de repos et il trouvait que, décidément, ni Mani Aniang ni Malipiero n’auraient dû être élus! Chaque débat tournait pratiquement à l’affrontement et il était de plus en plus difficile d’obtenir l’unanimité dans les décisions vitales. Muzuweni, qui s’était tu depuis une bonne trentaine de minutes, reprit à haute voix, le ton chargé de reproches. 
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- Mesdames et messieurs, nous ne pouvons nous permettre de repousser le vote plus longtemps! Officions!
- Oui, c’est cela! Bêla Toison bouclée. Que je sache, l’unanimité n’est pas obligatoire lorsque la Cité n’est pas directement impliquée par nos décisions!
- L’article 49, alinéa 25, le stipule, en effet, rappela la dinosauroïde avec un grondement sourd, dénotant et sa fatigue et son mécontentement.
- Passons au vote, donc! Se résigna Malipiero.
Une urne en forme d’amphore passa de main en main, de patte en patte, de tentacule en tentacule. Chacun des participants glissait une boule d’acier dans le réceptacle aux parois occultées. Cette bille était teinte en noir pour le non, en blanc pour le oui. Cette formalité accomplie, il revint à Velias, après accord tacite de tous, de procéder au dépouillement. Comme attendu, le résultat fut de dix voix en faveur de l’expédition commandée par le daryl androïde Daniel Wu et de deux contre.
- La majorité requise étant obtenue, je conclus donc que le Superviseur conduira la mission pour le passé de la Terre, en 1888, déclara solennellement Lobsang Jacinto, quelque peu soulagé, de pouvoir enfin se reposer.
- Une minute! S’écria Mani Aniang.
- Quoi encore! Feula Fingaria.
- Qui sera son second? Reprit Malipiero.
- Oui… qui commandera en second? Quelqu’un qui a de l’expérience, qui tempèrera notre Daniel Lin.
- Là, vous avez raison, humain, souffla Kontiko. J’opte pour Spénéloss!
- Ah! Pas d’accord! Je vote pour Craddock! Gronda Kirui.
- Le capitaine? S’il a un coup dans l’aile, alors, la mission va se solder par un échec! Jeta perfidement Mani Aniang.
- Stop! Murmura Tenzin Musuweni. Benjamin Sitruk a bourlingué presque autant et aussi loin que le Loup de l’espace! Approuvez-vous sa nomination officielle en tant que commandant adjoint de l’expédition?
- C’est à voir, commença Velias.
- Non, je vote pour cet humain, trancha l’Hellados. Il est calme, réfléchi et a prouvé maintes fois qu’il prenait les bonnes décisions!
- Ah! Si notre Hellados de service vote en sa faveur, je suis! Dit la Castorii en souriant derrière ses voiles.
- Je fais de même, ajouta le lycanthrope. 
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- Et moi itou! Compléta Malipiero, regardant son compère avec insistance.
- Je donne ma voix au Canadien! Renchérit Schlffpt mentalement. 
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En quelques secondes, Benjamin se retrouva donc désigné comme commandant en second. Il avait obtenu l’unanimité, au contraire de son supérieur.
Lobsang Jacinto fut le dernier à quitter la salle du Conseil. Faisant glisser les portes coulissantes, il jeta un œil sur le tableau de Picasso, «  Guernica » et soupira. 
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«  Préservateur, as-tu bien raison de vouloir à tout prix nous protéger? Nous n’en valons pas la peine! ».
Sur ce, il partit emprunter l’ascenseur, s’appuyant sur son bâton de Sagesse.
Apparemment, le Superviseur en chef de la Cité avait capté la dernière pensée de son ami; il lui répondit et sa voix franchit l’espace et les niveaux:
- Maître très Précieux, j’ai certes un faible pour vos semblables et assimilés, mais j’ai bien raison. Ce tableau sur lequel votre regard s’est posé en est la preuve!
- De quoi? De notre propension à apporter la mort partout où nous sommes?
- Non, la preuve que l’humanité a du génie et crée des merveilles!
La voix désincarnée finit dans un murmure.
- Je vous aime, tous, dans votre diversité, vos erreurs, vos inventions, votre opiniâtreté. Jamais vous ne renoncez! Ainsi, vous me donnez la leçon. Merci!
- Daniel Lin, vous n’êtes pas difficile!
L’Amérindien, après avoir lancé cette pique marcha lentement jusqu’à chez lui. Une douce pénombre régnait dans les corridors de la cité, à peine éclairés par une lumière orangée diffusée par un liquide bionique. Le silence revint et, avec lui, une nouvelle altération de ce qui était.

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 Le soir artificiel tombait, c’était l’heure exquise où les jeunes mères de l’Agartha s’attardaient avec leurs progénitures, se promenant dans les diverses places et patios qu’offrait ce havre de paix. Les fontaines parfumées de mille senteurs glougloutaient d’une manière agréable et discrète, les arbres bruissaient paisiblement sous le souffle d’un doux zéphyr à peine perceptible, les rossignols et autres oiseaux chanteurs faisaient entendre leurs trilles et mélodies, les ombres prenaient forme et les bambins riaient aux éclats, heureux de vivre dans ces lieux privilégiés. Bref tout semblait aller pour le mieux. Quiétude trompeuse, ô combien!
La placette donnait sur une arrière-cour aménagée en salon de musique ouvert à tous. Le Maître cantor Johann Sebastian  s’était particulièrement occupé de la décoration. Ainsi, dans un fouillis végétal des plus charmants, s’offraient à la vue des hautbois et clarinettes anciens, des flûtes de pan ou traversières authentiques, quelques clavicordes ou clavecins datant des XVIIe et XVIIIe siècles, des violes de gambes, des violons, des cors et des bassons. Il ne fallait pas oublier non plus des cymbales, des timbales, des triangles et des orgues portatifs. Quelques partitions savamment disposées permettaient également aux musiciens amateurs d’exercer leurs talents en déchiffrant des arias, des études, des sonates, des gigues et des menuets. Le morceau le plus couru était le célèbre menuet de Boccherini, une scie aux oreilles chatouilleuses de Bach! 
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Or, tandis que Gwenaëlle et Louise devisaient, échangeant quelques conseils, que Veronica donnait le sein à la fille de Denis, un incident frappa de stupeur tous ceux qui le virent! Inexplicablement, le délicieux salon disparut pour laisser la place à une sombre courette anonyme, entourée de murs de brique rouge, où, dans un recoin on pouvait deviner quelques poubelles dégorgeant leur contenu nauséabond!
- Mein Gott! S’écria Veronica. Was ist das? Das ist unmöglich! Der Teufel oder…
Devant le regard courroucé du Cantor, la jeune femme cessa et recouvrit son sein dont la peau laiteuse dénonçait qu’elle n’allait pas souvent au soleil. Aussitôt, l’enfançon se mit à brailler, manifestement pas encore repu!
- Stefano, ruhe! Fit la blonde Autrichienne.
- Ein andere… marmonna Johann Sebastian dans sa barbe.
Le compositeur était fâché. D’un geste brusque, au grand dam de ces dames, il arracha sa longue perruque à la Voltaire et la piétina! Puis, d’un pas aussi vif que lui permettaient et son âge vénérable et sa corpulence qui ne l’était pas moins, ils se dirigea vers ce qu’il pensait être l’issue de cette courette si peu poétique! Gwenaëlle, à son départ, lança à Louise:
-  Je suis certaine qu’il va aller se plaindre à mon maître Daniel Lin! Comme s’il était responsable!
- Certes, mais toutes ces disparitions commencent à devenir gênantes, non?
- Aucun être vivant ne s’est encore effacé, Louise! Le risque n’est pas aussi grand que beaucoup le croient!
- L’expédition à laquelle mon époux Gaston doit participer est liée à ces incidents…
- Oui, c’est pour en connaître la cause que mon Maître a décidé de la monter!
- Cela ne vous enchante guère…
- Le sacrifice demandé est grand…
- Le sacrifice? Quel sacrifice?
- Je ne sais pas! Répondit abruptement la Celte en mentant. Hop, Bart, à la maison!
Sans un au revoir, Gwen fit demi-tour, tenant l’enfant dans ses bras, poussant devant elle le landau dans lequel sommeillaient les jumeaux nouveaux nés Tim et Tommy.
- Quel manque de savoir-vivre! Mais le Superviseur n’a pas choisi sa compagne sur ce critère! Sourit Brelan. De toute manière, il est temps aussi pour nous de rentrer, Camille.
Interpellée, la fillette s’empressa de venir, répondant aux ordres de sa mère. Camille était une adorable petite fille modèle avec de longues boucles anglaises blond-roux, un teint de velours et des yeux noisette. Vêtue de pantaloons de percale, d’une robe de coton fleurie, de chaussures plates, elle avait un je ne sais quoi d’une des héroïnes de la comtesse de Ségur!
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Alors que Veronica retournait également chez elle, Johann Sebastian se pointait dans le bureau de travail du Superviseur.
- Je sais pourquoi vous venez me trouver, jeta le commandant Wu le visage sombre. Un nouveau escamotage…
- Cette fois-ci, Mein Herr, das war mein Garden!
- Ho! Le salon de musique! Je pensais qu’il s’agissait d’une autre de vos partitions, une fugue en mi majeur pour viole…
- Nein. Wolfgang ne devrait pas tarder! C’est lui qui a perdu sa partition! Une pièce concertante inédite pour cor et hautbois, dans la tonalité de E dur, justement! 
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- Hum… Quand on parle du loup…
Effectivement, Mozart sonnait à la porte, se montrant ainsi mieux éduqué que le Cantor!
En phrases rapides et hachées, Wolfgang s’expliqua.
- Superviseur, c’est inadmissible! Des voleurs dans la Cité! Qui a pu se rendre coupable d’un tel méfait? Ces moutons mal lavés prévaricateurs et spéculateurs?
- Halte là, Wolfgang! Pas de propos racistes, ici! Jeta le commandant Wu sévèrement.
- Que fait le service d’ordre? Vous allez me faire regretter la police de l’empereur Joseph II! 
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- Ce n’est pas un vol, mais un effacement, le renseigna Johann Sebastian.
- Un effacement? Ich verstehe nicht!
- Comment? S’étonna l’Allemand. Vous n’avez pas remarqué que, depuis quelques semaines, des œuvres d’art disparaissaient de la Cité comme si elles n’avaient jamais existé? De plus, nos mémoires aussi subissent des altérations! Il est arrivé la même chose à Liszt il y a peu! Il ne se souvenait pas d’avoir composé Un Sospiro!
- C’est tout à fait exact, pensa le Préservateur. Par contre, inexplicablement, le Cantor se rappelle cela! Aïe! Les choses se compliquent, tout s’entremêle… Et maintenant Alexandre Dumas père qui se pointe!
Quelques secondes plus tard, Dumas en personne se plaignait de l’évaporation des vingt premières pages de son nouveau roman intitulé « La reine Blanche » dont l’intrigue avait pour cadre historique la conspiration de Pierre Mauclerc contre le jeune Louis IX. La reine Blanche n’était autre que la veuve du défunt Louis VIII, autrement dit Blanche de Castille!
- Comment vais-je faire, maintenant? Soupirait le géant à la peau bistre et à l’œil bleu.
- Recommencer, tout simplement, répondit pince-sans-rire Daniel Lin. Vos renseignements, vous les avez obtenus facilement, n’est-ce pas?
- Euh… oui. J’ai sous la main un témoin fiable, le jeune comte Geoffroy…
- Oui… son père a trempé dans la conspiration. C’est pour cela, qu’ à peine âgé de quinze ans, le comte d’Évreux a dû fuir les guerriers de la reine Blanche!
- Exactement, dissimulant dans sa fuite un précieux parchemin signé de son père et contenant tous les tenants et aboutissants de cette « trahison »! Le comte Baudouin avait ses raisons pour rompre le serment de l’hommage lige vis-à-vis de son suzerain!
- Bien, Alexandre… Allez rejoindre Geoffroy, dites-lui que vous avez perdu le manuscrit et prenez de nouvelles notes.
- Il va se gausser de moi et m’envoyer pendre! Vous le connaissez fougueux, vif et peu compréhensif!
- Inventez quelque conte crédible, mon cher! Ce n’est pas l’imagination qui vous fait défaut, non?
- J’entrevois une fable…
- Alors, je ne vous mets pas à la porte mais…
- C’est tout comme! Rit Alexandre.
- Messieurs, c’est valable pour vous aussi! Fit le commandant Wu avec un sourire impossible à rendre.
- Vous promettez de remédier à ces troubles? S’inquiéta Johann Sebastian.
- Bien sûr! Voilà pourquoi je vais voyager à l’extérieur de la Cité! Le phénomène qui est à la source de toutes ces disparitions a pour origine la France du XIXe siècle!
- Oui… Inutile de vous éterniser en explications techniques, articula Wolfgang nettement. Aucun de nous trois n’a fait des études scientifiques… autant donner du grain à moudre à un âne!
- Messieurs, lorsque l’expédition aura porté ses fruits, vous en serez les premiers informés, je vous le jure!
Sur ces paroles, les trois plaignants se retirèrent, pas pleinement rassurés, mais calmés. Resté seul, le Préservateur ferma ses yeux et se concentra. Loin, fort loin de là, ailleurs, mais alors véritablement ailleurs, quelque chose ou quelqu’un frémit, carillonna imperceptiblement, le Pantransmultivers soupira et vagit…
«  Oui, je ne t’oublie pas… Je suis et ton Gardien et ton Catalyseur! »
À son tour, le Superviseur s’estompa de cette réalité pour se rendre… allez savoir où!

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La liste des membres de l’expédition était définitivement établie. Avaient été sélectionnés:
- le commandant Daniel Lin Wu Grimaud,
- le commandant Benjamin Sitruk,
- le capitaine Symphorien Nestorius Craddock,
- le docteur Lorenza di Fabbrini Sitruk,
- le lieutenant Spénéloss,
- l’aventurier Frédéric Tellier,
- son aide, le jeune Guillaume Mortot,
- l’adolescente quart de métamorphe Violetta Sitruk,
- le comédien Erich von Stroheim, 
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- les acteurs Louis Jouvet, Jean Gabin,
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 Michel Simon, Marcel Dalio, Julien Carette, Pierre Fresnay,
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- le jeune comte Alban de Kermor qui servirait d’ordonnance à von Stroheim,
- le baron Gaston de la Renardière,
- le retraité Saturnin de Beauséjour,
- et… miss Deanna Shirley De Beaver de Beauregard, qualifiée à la dernière seconde! 
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Maintenant, il restait à chacun à bien connaître son rôle! C’était à quoi s’attelait le commandant en titre de cette mission. Il définissait ce que chaque membre de l’expédition devait faire. Bien évidemment, il tenait compte des qualités et potentiels de ses femmes et de ses hommes. À noter qu’il n’y avait parmi eux qu’un seul extraterrestre, le lieutenant Spénéloss. Cela était facilement explicable. L’Hellados pouvait passer pour un Méditerranéen, un Syrien, un Italien du Sud ou encore un Ibérique. Cela aurait été plus délicat pour un Castorii ou une Castorii avec leurs yeux de cristal et leur teint blême, aussi pâle et crayeux que celui d’un Nosferatu! Quant aux Marnousiens, Otnikaï ou autres, ils auraient déclenché la panique et la terreur. Inutile de citer les Kronkos, les félinoïdes ou encore les lycanthropes!
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A suivre...