Chapitre
4.
Empire
du Tibet, an 842.
L’Etat
se désagrégeait. Sa cohésion était mise à mal, puisqu’il subissait les
dissidences des peuples allogènes du Plateau et des contreforts himalayens, du
Népal, de l’Assam, du Taklamakan, du Sichuan, du Kashmir, du Nanzhao et
d’ailleurs. Les Ouigours
et la dynastie T’ang
se faisaient menaçants et convoitaient ces territoires en voie de morcellement. Bientôt, l’Empire fondé en 629, l’Empire de la dynastie Yarlung, sombrerait corps et biens.
et la dynastie T’ang
se faisaient menaçants et convoitaient ces territoires en voie de morcellement. Bientôt, l’Empire fondé en 629, l’Empire de la dynastie Yarlung, sombrerait corps et biens.
L’Empereur
observait les danseuses d’un œil concupiscent. Bien qu’il approchât de la
quarantaine, il paraissait tout jeune encore, car enflé de suif et de
suffisance, tumescent de vice, Poussah et Bouddha vivant,
mais un Bouddha du Mal enveloppé tout à la fois de soie et de fourrure de bœuf musqué. Il s’abreuvait d’alcool de riz dans un hanap d’ivoire sculpté d’une saltarelle obscène tout en s’intéressant par trop à ces filles à peine pubères et demi-nues qui, pour leur dieu vivant, effectuaient des mouvements lascifs et sauvages à la semblance de trépignements primitifs prémonitoires du Sacre du Printemps.
mais un Bouddha du Mal enveloppé tout à la fois de soie et de fourrure de bœuf musqué. Il s’abreuvait d’alcool de riz dans un hanap d’ivoire sculpté d’une saltarelle obscène tout en s’intéressant par trop à ces filles à peine pubères et demi-nues qui, pour leur dieu vivant, effectuaient des mouvements lascifs et sauvages à la semblance de trépignements primitifs prémonitoires du Sacre du Printemps.
Absorbé
par le spectacle érotique, Langdarma ne prêta nulle attention au moine vengeur
qui approchait. Bien qu’il fût encore distant, le dénommé Lhalung Pelgyi Dorje
à la robe d’écarlate et à la tunique de safran arrêta sa marche lorsqu’il jugea la portée suffisante. Il extirpa de son ample vêture un arc façonné dans le cyprès d’Himalaya, bois de la Mort et des cimetières. Les gardes aux cuirasses de buffle et aux écharpes de léopard des neiges, aux casques empanachés de plumes de harfang,
assommés de substances opiacées, de vapeurs délétères aphrodisiaques émanant de cassolettes, ne virent rien, ne prévinrent rien.
à la robe d’écarlate et à la tunique de safran arrêta sa marche lorsqu’il jugea la portée suffisante. Il extirpa de son ample vêture un arc façonné dans le cyprès d’Himalaya, bois de la Mort et des cimetières. Les gardes aux cuirasses de buffle et aux écharpes de léopard des neiges, aux casques empanachés de plumes de harfang,
assommés de substances opiacées, de vapeurs délétères aphrodisiaques émanant de cassolettes, ne virent rien, ne prévinrent rien.
L’Empereur
s’assoupissait sur son trône sculpté de divinités terribles et craintes qui
gigotaient en d’irréels et endiablés mouvements, encombrées de parures macabres
et obituaires, de pectoraux de crânes. Son estomac était alourdi par les
viandes trop grasses, son esprit peuplé de rêves aphrodisiaques. « Que ces
danseuses étaient belles avec leurs atours bariolés ! Combien gracieuses
étaient leurs danses honorant l’Empereur-Dieu ! Il les lui faudrait toutes
en sa couche car il semblait juste et bon, vraiment juste et bon, que de
nouvelles concubines enrichissent la cour ! » Les jeunes filles se
vouaient à sacrifier leur pucelage au souverain fécondateur.
Peu
de temps auparavant, Langdarma avait cru bon de consulter l’Oracle. En sa
transe extatique, le saint homme avait émis un mauvais présage :
l’existence du souverain se trouvait menacée par un complot.
Lhalung
Pelgyi Dorje avait calculé avec exactitude la trajectoire du projectile. La
flèche ne devait point tuer, simplement étourdir, le temps que Langdarma,
plongé dans un sommeil cataleptique d’une durée indéterminée, fût emmailloté puis conduit à son lent supplice, à
cette dessiccation graduelle au-dessus des braseros, à ce craquellement d’une
peau devenue bistrée et squameuse, à la rétraction progressive des yeux de porc
du despote, au rétrécissement des viscères et du cerveau. La pointe ivoirine et
étincelante, taillée avec art dans un croc de Migou fort aigu, était enduite
d’un poison subtil, d’un opiat somnifère. En sa composition secrète entrait le
pavot de Bactriane, province autrefois incluse en l’ancien Empire Kouchan.
Mais Kouchan n’était plus depuis près de cinq siècles, et, en ces temps de transition, l’Islam n’avait pas encore pénétré la contrée inhospitalière.
Mais Kouchan n’était plus depuis près de cinq siècles, et, en ces temps de transition, l’Islam n’avait pas encore pénétré la contrée inhospitalière.
Langdarma,
sous l’impact contondant en l’omoplate gauche, poussa un cri bref de surprise
avant de s’affaler. Il se trouva en un état intermédiaire, entre vie et mort,
son âme à l’entrée du Bardo. Mais des divinités armées agressives veillaient au
grain et empêchaient tout accès de l’Empereur en ce labyrinthe opaque
constituant le vestibule de l’au-delà, puis de l’en-deçà. Langdarma trépigna
sur place un temps interminable, puisque le royaume de la Mort lui demeurerait
interdit, les gardiens mi-hommes mi-bêtes, caparaçonnés de bronze et
d’orichalque, aux faces de Rama le Singe roux et du Chien Sharpeï,
pointant leur lance sur le ventre proéminent du non-décédé. Langdarma était condamné pour des siècles à la non-réincarnation, chose pire que de renaître sous l’aspect du plus vil animalcule existant dans l’ordure. Il reposerait quelque part en une grotte perchée du Mustang dans l’attente qu’on vînt le réveiller. Si jamais l’événement survenait, sa vengeance, la vengeance des tulpas qui l’habitaient, serait terrible.
pointant leur lance sur le ventre proéminent du non-décédé. Langdarma était condamné pour des siècles à la non-réincarnation, chose pire que de renaître sous l’aspect du plus vil animalcule existant dans l’ordure. Il reposerait quelque part en une grotte perchée du Mustang dans l’attente qu’on vînt le réveiller. Si jamais l’événement survenait, sa vengeance, la vengeance des tulpas qui l’habitaient, serait terrible.
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Cinq journées d’angoisse avaient encore
fui. L’étau des mouches se resserrait et Madame Royale ne cessait de changer de
domicile et d’identité, un jour Madame Lestang, le surlendemain demoiselle
Barrière puis de Coix, attendant le secours de Maël de Kermor et le véhicule
salvateur qui, clandestinement, lui permettrait d’enfin fuir la capitale en
direction de Calais et de la frégate appareillant en secret, sans pavillon,
pour Douvres, frégate fournie par les Anglais. Maël avait été informé qu’un
agent de la Couronne anglaise (nous savons qu’il s’agissait de Charles
Laughton) avait reçu mission d’accueillir et protéger son Altesse, de la mener,
si l’on pouvait l’écrire à bon port, auprès de sa famille.
C’était déjà la nuit, une nuit sans lune.
Dans la chambre de son nouvel hôtel
sobrement meublé (point de décorum excessif en ce logis afin de ne pas attirer
l’attention), près des barrières de l’Est, Mousseline la Sérieuse
reposait en son lit tandis que sa favorite Félicitée Flavie de La Batellerie, assise sur une simple chaise de paille même pas vernie (quoi de plus ordinaire !), la divertissait de la lecture friponne d’un roman licencieux de Crébillon fils.
Toutes deux demeuraient simplement en chemise, vêture plus qu’équivoque en ces circonstances, d’autant plus que Félicitée arborait sur son linge une lourde ceinture de cuir et des fontes de pistolets dont la technologie était déjà dépassée grâce au Maudit. Il était lors imprudent que les deux jeunes femmes ne fussent point habillées, car le retour de Maël semblait imminent : l’instant du départ incognito approchait. Le feu joyeux crépitait en la cheminée, permettant aux deux jeunes femmes de supporter leur tenue légère : elles en étaient bien aises, débarrassées des robes pesantes les entravant trop, quelle que fût la température extérieure.
La batiste du dessous de Félicitée était d’une finesse telle qu’elle en acquérait une transparence impudique, ne dissimulant rien de sa beauté harmonieuse et menue de nymphe. Dans l’autre piste, cette toilette aurait servi de vêtement de jour à quelque Merveilleuse.
reposait en son lit tandis que sa favorite Félicitée Flavie de La Batellerie, assise sur une simple chaise de paille même pas vernie (quoi de plus ordinaire !), la divertissait de la lecture friponne d’un roman licencieux de Crébillon fils.
Toutes deux demeuraient simplement en chemise, vêture plus qu’équivoque en ces circonstances, d’autant plus que Félicitée arborait sur son linge une lourde ceinture de cuir et des fontes de pistolets dont la technologie était déjà dépassée grâce au Maudit. Il était lors imprudent que les deux jeunes femmes ne fussent point habillées, car le retour de Maël semblait imminent : l’instant du départ incognito approchait. Le feu joyeux crépitait en la cheminée, permettant aux deux jeunes femmes de supporter leur tenue légère : elles en étaient bien aises, débarrassées des robes pesantes les entravant trop, quelle que fût la température extérieure.
La batiste du dessous de Félicitée était d’une finesse telle qu’elle en acquérait une transparence impudique, ne dissimulant rien de sa beauté harmonieuse et menue de nymphe. Dans l’autre piste, cette toilette aurait servi de vêtement de jour à quelque Merveilleuse.
Elles faisaient ensemble des rêves d’amour
vains. Cependant, l’insouciante jeunesse n’étaient pour elles qu’un paravent.
Madame Royale, en particulier, savait leur situation peu sûre et, sous le
masque de la frivolité, dissimulait l’inquiétude d’une bête aux aguets, traquée
par les chasseurs. Aussi, dit-elle à Félicitée :
« Rhabillez-vous, ma mie. Il n’est
point temps de badiner ce soir. Notre sécurité n’est plus garantie et l’on peut
nous surprendre. N’oubliez point vos pistolets ; qu’ils demeurent chargés.
Une malle-poste discrète nous attend à l’aurore, qui doit nous conduire à
Calais.
– Ah, Madame, répliqua la favorite du ton léger de la galanterie, riotant de sa petite voix cristalline, j’eusse pu, à l’instant, me mettre nue pour vous ! Dévoiler mes appas, n’est-ce pas ce qui vous tente ? »
– Ah, Madame, répliqua la favorite du ton léger de la galanterie, riotant de sa petite voix cristalline, j’eusse pu, à l’instant, me mettre nue pour vous ! Dévoiler mes appas, n’est-ce pas ce qui vous tente ? »
A ces mots francs, à cette allégeance
agreste à Gomorrhe, Mousseline fit la moue. Pour Félicitée, la chemise – quelle
que fût sa finesse et son dévoilement digne de la gaze, à la façon antique -
était un habit décent et elle ne voyait nulle malice en ce négligé-là. Tant de
romans libertins du siècle s’achevant avaient poussé plus loin les choses… Peu
lui importaient les bruits et les libelles napoléonides accusant sa jeune
maîtresse de tribadisme dissimulé. Mousseline avait de qui tenir ; déjà,
lorsque régnait sa mère, les pis pamphlets l’accusaient de tous les péchés
contre nature en plus de sa frivolité dispendieuse. La cour alimentait les
commérages que s’empressaient de diffuser feu le duc d’Orléans et sa légion de
clercs et plumitifs industrieux, certains ayant acquis de hautes positions dans
le nouveau pouvoir, comme Danton,
d’autres agonisant en prison ainsi que nous l’avons vu pour Marat. Enfin, une troisième catégorie végétait en exil, ou dans la clandestinité provinciale, tels ces Jacques Hébert, Legendre ou Roux,
radicaux, ultimes avatars extrémistes dévoyés des Lumières, parfois prêtres en rupture de foi ayant renié le Sacré et d’autres fois bouchers et assommeurs de bœufs.
d’autres agonisant en prison ainsi que nous l’avons vu pour Marat. Enfin, une troisième catégorie végétait en exil, ou dans la clandestinité provinciale, tels ces Jacques Hébert, Legendre ou Roux,
radicaux, ultimes avatars extrémistes dévoyés des Lumières, parfois prêtres en rupture de foi ayant renié le Sacré et d’autres fois bouchers et assommeurs de bœufs.
La flamme crépitait au foyer et les heures
s’égrenaient, douces. Madame Royale allait s’assoupir lorsqu’un bruit l’alerta.
Des pas, dans l’escalier, se faisaient entendre, non pas ceux d’une personne,
mais de plusieurs. Il ne pouvait
conséquemment s’agir de Maël de Kermor. La pendule sonnait à peine minuit et il
s’en fallait encore de deux couples d’heures pour qu’elles se préparassent.
Un poing brutal frappa l’huis sans nulle
gêne.
« Police ! Ouvrez au nom du
roi ! »
Ces paroles agirent ainsi qu’un déclic. Marie-Thérèse
Charlotte de France fit un petit effort d’imagination vers tout ce qu’elle
réprouvait. Elle capta à travers la porte d’entrée l’image de cette main velue
de mâle, bestiale, le physique peu avenant du frappeur, sa figure cramoisie
d’ivrogne de tapis-franc, ses moustaches noires moussues, ses anneaux de cuivre
aux oreilles, son uniforme débraillé de gendarme, le bicorne galonné de travers
sur sa tête. Elle sauta du lit, se saisit de sa robe tandis que Félicitée Flavie
empoignait les crosses de ses pistolets, sans toutefois songer le moins du
monde à se vêtir. Sommations et ébranlements se succédèrent :
l’homme-bovin enfonçait la porte, pressé d’empoigner les faibles femmes en ses
bras simiens afin de les livrer à la justice de Napoléon, toutefois après avoir
profité d’elles.
L’hôte, une femme revêche et édentée au
visage variolique, à la mise sévère de janséniste attardée, jalouse de leur
jeunesse fraîche, de leurs toilettes criardes, pompeuses et révélatrices
de leur condition noble et de leur
beauté quelque peu androgyne, les avait vendues contre trente francs, les
nouveaux deniers de Judas de l’an 1800…
Elle soupesait dans sa loge sa récompense, sa nouvelle bourse, tout en portant de temps à autre une flasque d’eau-de-vie à ses lèvres lippues. Un chat noir malingre, au poil rêche et dru, son minet, venait se frotter contre ses jambes en ronronnant. Cette femme était la grand-tante d’Absinthe d’Amour, qui, à douze ans à peine, faisait ses premiers pas au Palais-Royal dans la même tenue légère et pellucide que Félicitée (elle ne cachait donc rien), qu’il neigeât, plût ou ventât.
Elle appâtait déjà les michés avec un art certain… non encore sûre de son ascension sociale et encore moins de la déchéance qui suivrait. Pourvu que la syphilis et la tuberculose ne contribuassent pas à une fin prématurée, que Dieu ou Satan lui prêtassent vie ! Sans elle, le destin de Frédéric Tellier eût différé, et Galeazzo, qui partout avait ses indicateurs et connaissait conséquemment sa situation en 1800, similaire d’une piste chronologique à l’autre, aidait en cachette la juvénile catin en lui versant une rente mensuelle. Comme s’il redoutait que le changement du cours de l’Histoire allât trop loin, que Frédéric n’existât pas. Après tout, le comte du Fabbrini avait été son mentor, son maître, son professeur, qui l’avait définitivement extirpé de la fange et, à eux deux, ils avaient mis des bâtons dans les roues d’Alban de Kermor. Galeazzo ne possédait que deux miniatures, deux médaillons féminins : l’un était un portrait de sa mère, Maria-Elisa, par Isabey,
l’autre celui d’Absinthe d’Amour à vingt ans, par William Grimaldi
(il se promettait, s’il vivait, de s’offrir avec elle une nuit lorsqu’elle aurait l’âge et serait devenue la courtisane réputée de la première moitié du XIXe siècle, Brelan d’As, future Louise de Frontignac, ayant pris le relais sous Napoléon III,
ceci dans l’ancienne piste temporelle… Absinthe d’Amour aurait même initié Louise aux rudiments du métier, en son adolescence…).
Elle soupesait dans sa loge sa récompense, sa nouvelle bourse, tout en portant de temps à autre une flasque d’eau-de-vie à ses lèvres lippues. Un chat noir malingre, au poil rêche et dru, son minet, venait se frotter contre ses jambes en ronronnant. Cette femme était la grand-tante d’Absinthe d’Amour, qui, à douze ans à peine, faisait ses premiers pas au Palais-Royal dans la même tenue légère et pellucide que Félicitée (elle ne cachait donc rien), qu’il neigeât, plût ou ventât.
Elle appâtait déjà les michés avec un art certain… non encore sûre de son ascension sociale et encore moins de la déchéance qui suivrait. Pourvu que la syphilis et la tuberculose ne contribuassent pas à une fin prématurée, que Dieu ou Satan lui prêtassent vie ! Sans elle, le destin de Frédéric Tellier eût différé, et Galeazzo, qui partout avait ses indicateurs et connaissait conséquemment sa situation en 1800, similaire d’une piste chronologique à l’autre, aidait en cachette la juvénile catin en lui versant une rente mensuelle. Comme s’il redoutait que le changement du cours de l’Histoire allât trop loin, que Frédéric n’existât pas. Après tout, le comte du Fabbrini avait été son mentor, son maître, son professeur, qui l’avait définitivement extirpé de la fange et, à eux deux, ils avaient mis des bâtons dans les roues d’Alban de Kermor. Galeazzo ne possédait que deux miniatures, deux médaillons féminins : l’un était un portrait de sa mère, Maria-Elisa, par Isabey,
l’autre celui d’Absinthe d’Amour à vingt ans, par William Grimaldi
(il se promettait, s’il vivait, de s’offrir avec elle une nuit lorsqu’elle aurait l’âge et serait devenue la courtisane réputée de la première moitié du XIXe siècle, Brelan d’As, future Louise de Frontignac, ayant pris le relais sous Napoléon III,
ceci dans l’ancienne piste temporelle… Absinthe d’Amour aurait même initié Louise aux rudiments du métier, en son adolescence…).
A suivre...
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