samedi 22 février 2025

La Conjuration de Madame Royale : chapitre 11 2e partie.

 Milan recelait d’innombrables trésors artistiques ; peu s’en fallait qu’elle eût égalé Rome et Florence en la matière et le Paris de l’an 1801 était bien loin du compte. Cependant, Schulmeister m’avait recommandé la visite, au réfectoire du couvent dominicain de Santa Maria delle Grazie d’une fresque bien dégradée du même Léonard, fresque dite de La Cène. 

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Murat et l’encombrante et capricieuse Caroline souhaitaient ardemment m’accompagner, sous prétexte d’une représentation diplomatique. L’illustre beau-frère de Napoléon – il y en aurait bien d’autres – fit réserver une voiture que l’on désignait sous le terme de phaéton, selon une nomenclature définie par le comte di Fabbrini. Le couple prestigieux s’accommoda de la présence discrète de Schulmeister, dont il supposait qu’il ferait office de garde du corps au cas où quelque Milanais se montrerait hostile aux Français. La route jusqu’à Santa Maria delle Grazie

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 s’avéra peu carrossable, emplie d’ornières et de cahots, mais le nouveau type de suspension ainsi que les bandages de caoutchouc – innovations non négligeables en plus de la locomotion à la vapeur – parvinrent à faire oublier l’inconfort du chemin. Encore s’agissait-il d’un véhicule attelé classique, car nous surprîmes un second phaéton suivant le même itinéraire, phaéton lourd, à traction mécanique, dont la cheminée dégageait une fumée désagréable et dont les pistons et les bielles étaient bruyants – principes de James Watt

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 et emprunts à Trevithick

 Description de cette image, également commentée ci-après

 obligent. Une course s’engagea entre les deux véhicules, et la vapeur vainquit le cheval.

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 Lorsque nous fûmes dépassés, je constatai la présence de trois passagers assis confortablement dans l’habitacle découvert, passagers dont un seul m’était connu. Murat s’exclama : « Voilà Monsieur de Chateaubriand qui passe ! ». Aucune dame de qualité ne l’accompagnait. Seuls deux jeunes hommes voyageaient en sa compagnie et il ne cessait de leur parler, de faire office de guide loquace. Quant à la fumée de ce phaéton-là, elle manqua souiller nos habits – la capote de notre véhicule étant également relevée - tandis que des escarbilles voletaient autour de nous et qu’une senteur nauséabonde faisait tousser Caroline Murat. Lorsque nous parvînmes enfin à destination, Monsieur de Chateaubriand et ses deux invités se trouvaient déjà hors du véhicule, et s’apprêtaient à entrer dans le couvent. L’écrivain-voyageur, dont les convictions politiques me troublaient, nous salua avec déférence, certes, mais non sans une certaine ironie, nous rappelant par son geste sciemment compassé qu’il était d’une plus grande noblesse que le couple Murat, couple selon lui de parvenus.
Les présentations furent faites dès que nous eûmes tous achevé de descendre, la galanterie imposant que Caroline, ombrelle en main, fût aidée lorsque son pied délicat se posa sur le marchepied. Elle avait revêtu une toilette qualifiée de néo-antique, tout en drapés subtils, arachnéens, imitant le péplum supposément arboré par une Julie, une Octavie ou une Actée. Madame Récamier

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, en son fort couru salon, avait lancé cette mode, certes gracieuse, mais quelque peu impudique à cause de la légèreté de la gaze et de la mousseline et de la transparence générale de cette toilette dépourvue de corset. Toutefois, comme nous n’étions qu’en septembre – le soleil d’Italie étant réputé pour ses ardeurs tardives, quoique nous ne nous trouvassions point dans le sud de la Botte où ç’eût été pis – je pardonnai à Caroline cette hardiesse émoustillante, que je me plaisais à imaginer au Palais-Royal. Elle ressemblait à un biscuit lactescent pourvu de boucles brunes délicates. N’était-elle pas la sœur la plus turbulente et passionnée de Napoléon ?
Le jeune Henri Beyle

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 me fut présenté le premier par Murat en tant que sous-lieutenant plein d’espoir, bien que présentement, il eût revêtu une tenue civile. Il servait dans la cavalerie, plus exactement parmi les dragons, et j’appris de la bouche même de Murat que sa garnison créchait à Milan depuis un an, son mentor étant Daru.

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 Je connaissais Daru de réputation : c’était un excellent officier, qui faisait honneur à notre armée et avait manifesté une loyauté sans faille envers le nouveau souverain.
Cependant, le sous-lieutenant Beyle, lorsque je lui parlais de Santa Maria delle Grazie me déclara :
« Ce qu’il y a de meilleur, de plus beau et de plus fastueux à Milan, c’est la Scala, temple de l’art lyrique, magnifiquement conçu. »
Je doutais que Murat aimât l’opéra. De même, le jeune officier me surprit davantage encore lorsqu’il ajouta :
« Je n’envisage nullement une carrière militaire prolongée. Ce que je souhaite le plus ardemment, c’est me vouer à la littérature. Je songe déjà à un roman milanais, où le glorieux roi Napoléon et ses troupes feraient une entrée solennelle à Milan qui pavoiserait pour l’occasion.

 Image illustrative de l’article La Chartreuse de Parme

 Ainsi, de leurs balcons, les belles Milanaises jetteraient des brassées de fleurs aux valeureux soldats. Le plus extraordinaire serait que Napoléon le Grand reprît l’héritage des monarques lombards et coiffât la couronne du royaume d’Italie, recrée grâce à lui, cumulant ainsi deux trônes, comme autrefois Charlemagne. De même, que pensez-vous du récit d’une grande bataille décrite par un observateur extérieur aux combats ? »
Il fourmillait de projets, plus que son aîné Elie Decazes,

 Illustration.

 bien plus circonspect et davantage intéressé par l’étude du droit, ainsi que ce dernier me le confia. Pourtant, je pressentis, à l’échange de mots que j’eus avec le jeune officier, une ambition habilement dissimulée comme si, déjà, il se projetait vingt ans dans l’avenir et se voyait préfet, puis ministre des napoléonides. Peut-être me trompais-je. Si toutefois lesdites ambitions du sous-lieutenant Beyle se bornaient à la littérature, comme les apparences et les mots le laissaient supposer, la reprise des vieilles recettes ne le contenteraient pas. J’avais devant moi un révolutionnaire en puissance, mais de la plume. En ce cas, c’était Elie Decazes qui devait retenir mon attention politique. Inversant mon point de vue, je saisis toute la vénénosité du jeune blanc-bec. Le fait même qu’il se fût trouvé en la compagnie de Monsieur de Chateaubriand trahissait ses préférences : un attachement indéfectible à la cause loyaliste, prudemment inexprimée comme chez son supposé mentor. Si jamais Napoléon perdait le pouvoir ou demeurait sans descendance, place nette serait faite à une restauration des Bourbons pour laquelle il jouerait un rôle éminent. Decazes recevrait une juste récompense politique. Je me promis de lui damer le pion. Le moment venu, par opportunisme, je continuerais de servir l’Etat royal, quelle que serait la dynastie régnante tout en entravant sa carrière. Dès à présent, il me faudrait remettre le jeune homme à sa juste place, si besoin l’humilier… en le poussant pourquoi pas à se mesurer à El Turco !
Le moment advint de franchir la porte du réfectoire.
Nous fîmes notre entrée dans le saint des saints du couvent, ce réfectoire au fond duquel se situait la fresque,

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 considérablement dégradée par les injures du temps et de l’humidité. La solennité du lieu m’étreignit un instant. Toutefois, je ne pouvais m’empêcher de déplorer les erreurs techniques de Léonard. Mes compagnons de circonstance se contentèrent de jeter des regards tantôt ébahis, tantôt contemplatifs. Quant à Caroline Murat, elle roulait des yeux presque concupiscents, fascinée par le physique idéalisé de certains jeunes disciples de Jésus. Du moins fais-je ici preuve d’une pensée torve, équivoque, à l’encontre de cette charmante personne dont je doutais de la fidélité conjugale.
Les aîtres souffraient d’une désolation certaine : la troupe y avait tantôt séjourné, au grand dam des Autrichiens qui, humiliés, avaient dû accepter que le réfectoire servît d’abord d’écurie, puis de réserve de fourrage ! Ces derniers mois, on avait pu régler la question grâce à l’entremise du prince Borghèse, qui avait tapé du poing sur la table sur les conseils du comte di Fabbrini.  
Durant toute la visite, Schulmeister demeura mutique et distant, tel le laquais qu’il prétendait jouer malgré l’hétérodoxie de la livrée.
La Cène de Léonard accusait tout à la fois le poids des ans et des malfaçons. La moisissure avait brouillé la composition, à la manière d’une croûte exécutée par un barbouillon ignare. Quel dommage ! Leonardo da Vinci, semblait-il, avait usé d’un enduit défectueux, l’humidité faisant le reste au point que, dès le XVIe siècle, les témoins avaient jugé l’œuvre irrémédiablement gâtée, et depuis quelques décennies, divers peintres avaient tenté l’impossible : redonner son lustre premier à la fresque. Ainsi, les douze apôtres conjuguaient le brouillage, la dissolution des pigments, la fonte, l’estompage progressif et la coulure de pourriture à l’abus des repeints qui rendaient peu à peu indiscernable le travail originel de Léonard et de ses assistants. La figure du Christ lui-même s’altérait, se floutait.
M. de Chateaubriand s’était agenouillé, priant comme un bigot tandis que le lieutenant Beyle, sortant un carnet, se mit à croquer ladite Cène en attribuant à chaque personnage son identité apostolique.
« Des imbéciles, des hérétiques, prétendent que Léonard aurait placé Marie de Magdala parmi les apôtres ! » me confia-t-il.
Je reconnaissais bien là les ambiguïtés de l’artiste et ingénieur génial, dont la créativité allait de pair avec une inspiration équivoque, faite d’androgynie. Ainsi en était-il de la relation entretenue avec Salai.
Caroline demeura la moins diserte, comme si tout cela finalement l’indifférait : elle ne percevait que l’aspect dégradé de l’œuvre, se moquant de ce qu’elle pouvait encore receler de sublime. Sans doute venait-elle de réaliser que la beauté presque effacée des disciples les plus jeunes, aussi charmants qu’ils lui parussent, dissimulait des trésors de vénénosité. Le jeune Decazes bâillait discrètement : la première exaltation de la découverte passée, il n’y trouva plus d’intérêt. Quant à Murat – peut-être pensait-il à l’instant à la possibilité qu’on décollât la fresque afin de l’apporter à Paris pour enrichir le Louvre ? – il me sembla habité par une forme d’extase, surprenante chez un soldat.
Ses génuflexions achevées, M. de Chateaubriand me confia qu’il projetait d’écrire une somme intitulée Le Génie du Christianisme.  
Nous quittâmes le réfectoire, partagés entre la déception et le ravissement.

A suivre...

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samedi 1 février 2025

Fontamara d'Ignazio Silone : résumé.

 Ignazio Silone. Fontamara. 1933

Par Dominique Jules.

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Page 21 à 32 – Avant-propos d’Ignazio Silone.


I (page 33). C’est un narrateur-personnage, habitant du village, qui s’exprime. L’électricité est coupée à Fontamara, village des Abruzzes dans le Fucino, car les habitants n’ont pas payé leurs factures. Le facteur qui les leur distribue, Innocenzo La Loi, a failli y laisser sa vie, accueilli à coups de fusil. Vient de la ville un étranger qui, très habilement, leur fait signer une feuille blanche sur laquelle, explique-t-il, une pétition sera rédigée à leur profit à eux, les cafoni. Le lecteur devine qu’il s’agit d’un piège, d’une duperie à l’encontre de ces gens rugueux, peu instruits, faciles à berner. Rêve de Michele Zompa, qui correspond à une histoire connue et qu’il raconte en groupe : le Crucifié (autrement dit le Christ) et le Pape, en visite dans le Fucino, jugent déplaisante l’attitude des cafoni et leur envoient « une nuée de poux ».
II (page 49). Une équipe de cantonniers débarque et se livre à des travaux pour détourner le cours d’eau, déjà peu propice à l’irrigation des terres des cafoni, vers les champs d’un riche propriétaire de la région. Ce sont les femmes qui se mobilisent pour aller en délégation au chef-lieu protester contre cet abus. Elles veulent rencontrer le maire, mais il n’y en a plus, il est remplacé par un podesta désigné, qui n’est autre que l’Entrepreneur : genèse de sa prise de pouvoir (économique). On les ballade, on les gruge. Elles se rendent ensuite chez Charles, dit Charlemagne, où elles sont (mal) reçues par son épouse Donna Clorinda (68), qui renvoie avec virulence toute la responsabilité à l’Entrepreneur, qu’elle semble  trouver elle aussi gênant et trop entreprenant. En se rendant chez celui-ci, les Fontamaraises croisent La Zappa (72), chevrier qui a eu lui aussi à subir l’abus de pouvoir de l’Entrepreneur : il s’est accaparé le « tratturo », terrain banal où les chèvres n’ont plus le droit de brouter. Il y a banquet dans sa villa, où les notables festoient. Les femmes exposent leurs doléances.
Don Circostanza (77), prétendument « l’Ami du peuple », calme leur colère en proposant un arrangement qui est en réalité un marché de dupes. Confiantes, mais incapables de comprendre la subtilité de l’accord signé, elles rentrent chez elles.
III (page 87). Narrateur : mari de Magdalena (92). Les travaux continuent, sous la surveillance de gardes armés. Parcours du général Baldissera (89). La chanoine Don Abbacchio (90) vient conseiller aux Fontamarais de ne pas résister à l’Entrepreneur, « homme terrible…, démon ».

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Parcours de vie de Berardo (92 à 101). Les jeunes de Fontamara qui quittaient le village pour aller faire fortune en Amérique ne peuvent plus émigrer à cause d’une nouvelle loi qui les en empêche. Ceux qui s’étaient mariés à la veille du départ, trouvaient parfois à leur retour plusieurs enfants !
Désormais coincés au village, ils survivent pauvrement. Berardo a ainsi été contraint de rester alors que, pour acheter son billet, il avait vendu sa terre à l’avocat Don Circostanza. Il acquiert une nouvelle terre et la sème, mais une trombe d’eau emporte la terre et les pousses. Berardo est un géant au coeur tendre qui commet des actes de violence en riposte aux injustices subies par d’autres. C’est ainsi qu’il propose de résister à la mainmise de l’Entrepreneur sur le cours d’eau. Il n’est pas encore marié, malgré l’amour évident d’Elvira, assuré pourtant d’une « dot rondelette » (105). Mais son orgueil de pauvre le dissuade de l’épouser sans posséder une terre. Sa mère Maria Rosa et la narratrice rendent visite à Elvira, dont le père est paralysé, dans le but de forcer la décision. Berardo n’en démord pas, il veut aller gagner sa vie ailleurs, mais le gouvernement de Mussolini, exerçant un contrôle sur tout, a institué une carte d’autorisation qu’il ne peut obtenir. D’autres mesures surprennent les cafoni, tel cet écriteau apposé dans tout lieu public, même les débits de boisson : « Ici il est interdit de parler de politique ». Innocenzo La Loi l’interprète comme l’interdiction de tout raisonnement, ce qui conforte Berardo, lui qui prône l’action même violente pour obtenir satisfaction de leurs revendications.
IV (121). Lorsqu’un camion est mis gratuitement à disposition des habitants de Fontamara pour les transporter à Avezzano, en cafoni naïfs, ils croient qu’on va leur attribuer des terres arables du Fuciano, la plaine fertile que surplombe leur montagne. Mais on leur fait crier, au milieu des chemises noires, des vivats en faveur du podesta, d’un ministre et autres officiels dont l’Entrepreneur. Nul partage des terres ! Deux individus les abordent successivement, tentant de les manipuler. Il s’agit sans doute d’un provocateur ou mouchard fasciste et d’un militant communiste. Apeurés, les deux Fontamarais s’enfuient. À pieds, car le camion qui les avait amenés est déjà reparti.

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V (139). Narratrice : Magdalena ? La palissade qui ceinture le « tratturo » (terrain communal ouvert à tous), que s’est approprié l’Entrepreneur, est brûlée, ainsi que celle qui la remplace, malgré un surveillant. En l’absence des hommes occupés par leur travail, un cortège de camions emplis de chemises noires (« déguisés en morts » - cf. origine sociale et composition de la milice page 145) envahit Fontamara. La mission officielle est une recherche d’armes éventuelles (qui n’existent pas),
mais le but effectif est de semer la terreur en saccageant les maisons où ils entrent et en violant les femmes.
Un autre narrateur prend le relais. À leur retour, les hommes sont rassemblés dans un carré formé des miliciens armés. On pose à chacun la question : « Vive qui ? » et selon leur réponse, on les qualifie de « réfractaire », « constitutionnel », « anarchiste », « libéral », « perfide », « voyou », « communiste ». Puis les fascistes repartent. Elvira, réfugiée dans le clocher de l’église, s’est évanouie. Berardo l’emporte dans ses bras.
VI (159). On devine que Berardo et Elvira ont passé la nuit ensemble. Il est disposé à l’épouser, mais seulement après avoir acquis une « terre ». L’Entrepreneur accable de plus en plus les cafoni, avec l’aide des fascistes. Il spécule honteusement sur le blé. Don Circostanza profite de même de sa situation d’avocat pour les exploiter, tout comme don Charlemagne et donna Clorinda, tandis que don Abbacchio les enjoint dans ses prêches (Exemple : sermon sur Giuseppe de Copertino, 173/174) de se soumettre à la volonté divine, c’est-à-dire des riches. L’inauguration des travaux d’irrigation et l’officialisation d’un pseudo accord confirme que leur bénéfice va tout entier à l’Entrepreneur et que les cafoni sont grugés sur toute la ligne, et totalement privés d’eau.

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VII (195). Les cultures privées d’arrosage dépérissent. Développement sur le rôle de don Circostanza et des avocats en général, dont les cafoni ne peuvent se passer pour les démarches administratives, mais qui les roulent. La colère monte. Seul Berardo se tient à l’écart, fixé sur son objectif de se renflouer et de se marier. On apprend (vraie ou fausse nouvelle ?) qu’à Sulmona le peuple s’est révolté. Berardo prépare son départ pour Rome, en compagnie du fils du narrateur qu’il accepte d’emmener avec lui. La nuit, mystérieusement, les cloches sonnent.
VIII (199). Narrateur : fils du précédent narrateur, compagnon de route de Berardo. Voyage en train. Pension à l’auberge du Bon larron, d’où ils seront mis à la porte sans ménagement après des journées de quête infructueuse d’un travail, après des errances, ponctuées de longues attentes, de bureau en bureau, où règnent l’incompétence et la rapacité, après des dépenses pour une carte de demandeur d’emploi, une consultation d’avocat inefficace et inutile. Ils rencontrent miraculeusement le jeune homme qui, à Avezzano, avait mis en garde Berardo contre un mouchard. La ville est quadrillée de carabiniers et miliciens, à la recherche de « l’Habituel Inconnu » (217), qui mène à grands renforts de tracts une campagne clandestine contre le fascisme, contre l’ordre tyrannique imposé par le gouvernement de Mussolini (son nom n’est jamais cité dans le livre). Les trois hommes sont arrêtés arbitrairement, jetés en prison sans motif légitime. On comprend que la peur et l’affolement ont gagné le camp du pouvoir. Au terme d’une longue discussion en cellule avec l’Avezzonais, et ayant appris avec désespoir qu’Elvira est morte, Berardo affirme au commissaire qu’il est « l’Habituel Inconnu ».
IX (227). Même narrateur qu’au chapitre précédent. En prison, Berardo est torturé puis assassiné, le meurtre étant maquillé en suicide. En acceptant de confirmer cette version, ses codétenus sont libérés
et renvoyés vers Fontamara.

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X (235). Narrateur : père du garçon qui a accompagné Berardo à Rome. Elvira est morte d’une forte fièvre après avoir offert sa vie à la Vierge pour qu’elle sauve Berardo. Voeu non exaucé ! À Fontamara, le narrateur, Maria Grazia, Baldissera, Scarpone, Losurdo, Michele Zompa préparent le premier journal des cafoni, pour lequel ils choisissent comme titre : « Que faire ? » Il est tiré à cinq cents exemplaires. La réaction est impitoyable. Peu de Fontamarais échappent au massacre qui s’ensuit, perpétré par les fascistes. Quelques rares habitants réussissent à fuir. Le narrateur et sa famille ont eu la chance d’être allés en visite chez des parents dans un village voisin.