dimanche 17 avril 2016

Cybercolonial 2e partie : Du rififi à Kakundakari-ville chapitre 13 1ere partie.



Chapitre 13

La débandade des fabuleux centaures arabes avait été totale, aussi soudaine et surprenante que leur apparition. La cavalerie éclectique rimbaldienne manifesta son triomphe par le déchargement bruyant, tonitruant, des pétoires ouvragées. Parmi ces braves, un ethnologue aurait identifié facilement les célèbres chevaliers Zarma du Dosso, bien qu’ils fussent originaires d’Afrique de l’Ouest, mais nous n’étions plus à une incongruité, à une incohérence spatio-temporelle près. En provenance du futur Soudan français et du Niger, ils arboraient de magnifiques armures matelassées ainsi que les caparaçons assortis de leurs montures. Leurs casques rappelaient les chapels de fer dans le style occidental du XIIIe siècle
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 mais ils étaient ici forgés dans le cuivre, garnis de sonnailles tintinnabulantes, agrémentés d’une pointe ou cimier avec une houppe en plumes d’autruche, ou de couronnes blanches semblables à celle de la palette de Narmer. Les figures des cavaliers étaient scarifiées et tatouées d’empreintes, de dessins, en formes d’étoiles et de croissants de lune.

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Alban avait reconnu le poète aventurier, mais, dans un réflexe il eut la maladresse de s’écrier à haute voix, sans le moindre accent germanique :
- Monsieur Rimbaud, merci ! Il était temps.
Tout cela fut prononcé en bon français.
Après avoir donné ses derniers ordres à ses lieutenants, Arthur descendit de cheval et avança à la rencontre de l’expédition allemande.
A son tour, von Preusse s’exprima, marquant sa reconnaissance.
- Danke schön, Herr Rimbaud. Un instant, nous avons cru que le sultan de Zanzibar n’avait pas tenu sa promesse. Heureusement, il n’en est rien.
Le Français avait constaté l’aspect irréel des assaillants. Il fit :
- Cette troupe qui vous a attaqués a une drôle d’allure.
- Oui, tout à fait, répliqua Oskar. Je ne sais d’où elle venait. C’était comme si les enfers avaient vomi ces centaures volants.
- Je n’ai pu voir grand-chose d’eux car ils se sont débinés comme des lapins, articula le poète en cherchant sa pipe. D’eux, il ne demeure que quelques grains de sable. A mon avis, c’étaient des djinns mais constitués de limon, de silice, de vents, harmattan et simoun. Peut-être des émanations d’Azazel.
- Vous citez le nom du diable dans la religion musulmane, constata froidement Erich.
Pour lui-même, le comédien se dit : «  la structure de ces êtres surnaturels est en fait basée sur des particules subatomiques, peut-être même des antiparticules. Ah ! que ne suis-je aussi savant et érudit que Spénéloss ! Lui les aurait analysés immédiatement. Cela implique que l’antimatière serait en train d’interférer dans cette Afrique déviée. ».
Alors, l’Austro-américain tenta de contacter Daniel Lin. Il dut toutefois y renoncer car il ne captait qu’un brouillage inaudible. Pendant ce temps, Werner parlait à l’oreille de son supérieur.
- Herr Oberst, avez-vous constaté que von Arnheim s’est exprimé en français sans aucun accent ? N’est-ce pas étrange ?
- Oui, lieutenant, vous pensez qu’il s’agit d’un espion. Le deuxième bureau nous aurait donc infiltrés.
-  Dois-je vous rappeler la mésaventure qu’il m’est arrivée dans la chambre d’améthyste à Bonnelles ?
- Inutile.
- Que faisons-nous à propos de l’ordonnance de von Stroheim ?
- Pour l’instant, rien du tout. Tant que ce Rimbaud sera là, nous ne pourrons agir. Patience donc.
- Compris.
- Trois journées nous sont encore nécessaires pour atteindre les rives du lac Tanganyika, siffla Von Preusse. Nous agirons là-bas. La présence de cet aventurier est la preuve que nous avons davantage à redouter la manifestation de phénomènes inexpliqués que les armées de Tippo Tip et Ngongo Lutete. Une fois parvenus dans l’Etat de M’Siri, nous ne serons plus couverts par le sauf-conduit. Là, ce sera une autre affaire. Ceci dit, je ne comprends toujours pas pourquoi nous n’avons rencontré aucun poste militaire, aucune structure, aucun bâtiment, témoignant de la présence politique non seulement des britanniques mais aussi des potentats esclavagistes. Je ne puis croire à une simple sous-administration, connaissant les Anglais et le fameux Cecil Rhodes. Ces derniers auraient dû, et c’est la moindre des choses, soit multiplier les garnisons et les fortins, soit déléguer leur pouvoir aux chefferies locales.
- Certes, colonel, fit Werner. Mais si nous obliquions trop vers le Sud, nous nous heurterions alors aux Boers ou aux Portugais du Mozambique.

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Rimbaud poursuivait ses explications, s’adressant à von Stroheim et au reste des soldats germaniques.
- J’ai fait allusion à Azazel parce que le cheikh Walid s’est évadé de son cachot de Pemba sans que nul ne sache où il a pu s’aventurer. Un personnage aussi volatil ne peut être tout à fait humain.
Stroheim approuva et jeta :
- Scheisse ! cela complique la donne.
- Sachez que le sultan Khalifah Bin Saïd m’avait donné l’ordre de vous suivre à distance. Il redoutait qu’il vous arrivât quelques problèmes tels que vous en avez rencontrés. Mes cavaliers Zarma, Somali, Ethiopiens et autres sont vos anges gardiens. Vous pouvez compter sur eux, ils sont munis d’amulettes protectrices et c’est sans doute la raison pour laquelle les centaures ont pris peur et se sont évanouis.
- Nous sommes plongés en pleine sorcellerie, jeta Alban avec réticence. Je n’aime pas ça.
Comme pour prouver ses déclarations, Arthur commanda au plus chamarré de ses cavaliers de montrer le bijou protecteur qu’il arborait sur son armure matelassée à la manière d’un pectoral égyptien. De l’objet semblait émaner un rayonnement comme s’il était radioactif mais aucune nocivité ne s’en dégageait et aucun des soldats n’en était affecté. Erich comprit et se dit à lui-même :
- Des amulettes d’orona, ou plutôt de charpakium. Il fallait y penser.
Une nouvelle distorsion temporelle se produisit alors que la troupe allemande savourait le calme relatif. Le crépuscule advint brusquement, ce qui contraignit Rimbaud à ordonner de dresser les tentes. Lorsque cela fut fait, poliment il invita von Stroheim et les autres officiers supérieurs à venir dans ses quartiers.
- Souhaiteriez-vous prendre un verre de thé à la menthe avec moi ? Ahmed le prépare à la perfection.
- Pourquoi pas ? répondit le colonel von Preusse.
- Oui, volontiers, répliqua à son tour Erich.
Après avoir marqué une pause, le comédien dit sur un ton faussement détaché.
- Le paysage se remodèle sans cesse, comme s’il n’était pas satisfait des résultats obtenus et personne ne se rend compte de cette mutation accélérée hormis mon humble personne. Je vois des vallées se combler, des monts s’éroder, des rivières s’assécher, des massifs s’ériger là où, quelques secondes auparavant, il n’y avait qu’une steppe. Dans quel Tanganyika sommes-nous ?
Alban confirma et murmura :
- Erich, ma boussole s’affole. Elle n’indique plus le Nord magnétique. N’étions-nous pas censés nous trouver au sud de la Rift Valley, près de la future métropole de Tabora ? Derrière nous, la rivière Wembere aurait dû couler ses eaux séculaires. Jusqu’à présent, en effet, nous avons suivi une route parfaite Est-Ouest en direction du lac Tanganyika. Alors, pouvez-vous m’expliquer la raison pour laquelle j’aperçois à l’horizon le mont Kilimandjaro qui, comme vous le savez, est situé au Nord de ce pays ?

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- Il n’y a pas que votre boussole à perdre le Nord, fit Erich avec un humour involontaire. Cela signifierait que nous n’avançons plus en direction du lac Tanganyika mais vers le lac Natron.
Arthur Rimbaud écoutait alors que von Preusse et von Dehner s’étaient déjà éloignés pour vaquer à leurs affaires. Ils allaient bientôt revenir afin de prendre le thé avec leur sauveteur.
- Ne nous affolons pas, Alban, conclut von Stroheim. Après tout, nous en avons vu d’autres, non ?
- Oui, mais tout de même ! Si nos sens ne nous trompent pas, nous sommes actuellement en plein territoire Masaï.  
- Je ne crois pas qu’ils nous seront hostiles, soupira le comédien avec un rien d’agacement.

***************

Elle errait dans ce palais dédaléen depuis un temps indéterminé. Aurore-Marie savait qu’un avant avait existé, mais seules des bribes rémanentes acceptaient, tels des lambeaux épars, des fragments papyrologiques tombant en poussière par place, de revenir çà et là en son cerveau tourmenté. Rêvait-elle ? Etait-elle consciente ? Elle n’en savait mie. Les rares événements dont elle parvenait à matérialiser des images fugitives, incertaines, passaient devant ses yeux aussi promptement et fugitivement qu’un flash photographique.
Il y avait eu d’abord cette gondole noire, glissant avec nonchalance dans un sillon liquide lui-même enténébré, en une nuit elle-même d’une encre si profonde qu’on ne distinguait plus une seule étoile, bien que la voûte céleste ne fût pas obscurcie de nuages. Le gondolier était la Mort personnifiée, le nautonier de l’Achéron à la face creuse, au crâne dépouillé et lissé et aux orbites caves, dont les mains désincarnées serraient l’aviron de jadéite de néant. Un second passager accompagnait la poétesse ; c’était apparemment un abbé au cap cireux, aux longs cheveux blancs roidis, exhumé d’outre-tombe, confit de goémons, dont la longue et stricte redingote noire ruisselait d’une eau saumâtre, empuantie de miasmes lagunaires, d’effluves de poissons en putréfaction. Parmi eux, un nez connaisseur et expert pouvait identifier des remugles de flétan avarié.
Il s’agissait de Franz Liszt lui-même,

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 un Liszt verdâtre, amorphe, muet, rigidifié par le Grand Œuvre cadavérique. Et l’embarcation, constellée de coquilles faisandées, damassée de byssus et de moisissures, poursuivait sa navigation dans les canots brunâtres d’une Venise nocturne labyrinthique et moribonde, à demi inondée par une acqua alta noirâtre survenue hors période, Cité des Doges de l’infra-sombre, aux fondations minées par la pourriture et les tarets, aux pilotis des palazzi sapés et gainés d’une mousse verte. De temps à autre, l’ouïe de la baronne percevait à distance l’effondrement de telle ou telle noble demeure dont les vestiges, en sombrant dans la lagune de jais, tels ceux des villas pompéiennes du siècle de fer de la lutte entre l’ultra-libéralisme et la foi fondamentale d’Orient, soulevaient une pulvérulence suffocante avant d’être engloutis pour les siècles des siècles dans les abysses adriatiques ; Venise se mourait, sombrait, sans que notre poétesse y pût grand’chose. Réfractaire à tout ce qu’elle voyait, à ce spectacle dégradant, inconcevable, elle était elle-même une contamination, un virus, un agent accélérant la décadence, la putrescence de la Ville, sans qu’elle en eût conscience. Culpabilité de l’Innocence blonde…

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Après était venue, sans nulle transition, cette sensation de recul, ce coup de feu brutal et gourd, cette main délicate au gant de chevreau noirci de poudre, tenant encore ce minuscule pistolet de femme au canon brûlant, fumant, tandis qu’un corps d’homme basculait dans les eaux de sépia alors qu’en lui s’élargissait la macule écarlate de la blessure létale. Nous étions près du Pont des Soupirs, et l’assassin femelle, son forfait accompli, le membre encor tremblant, essayait de se confesser à Satan ainsi que Baudelaire l’avait écrit. Longtemps, son inutile psalmodie résonna sous la voussure de la nuit.
Une ellipse nouvelle l’avait surprise, irrépressible. Elle courait maintenant sans trêve, fébrile, dans les enchevêtrements de galeries en plein cintre, d’une longueur intestinale évocatrice, montait, descendait des étages tous répétitifs, tous identiques, aux escaliers semblables. Aurore-Marie s’égarait dans le labyrinthe de ses fantasmes.
Elle se retrouvait presque nue, sans que pussent s’expliquer les raisons d’une telle vêture. Ethérée, translucide, elle arborait une chemise de nuit moirée, jaspée par ses propres hémorragies de poitrinaire et son propre sang anémique l’étouffait, ne cessant de sourdre, de s’égoutter de sa bouche elle-même souillée de pourpre. Ses toussotements devenaient spasme, se transmutaient en asthme, tandis que les égouttements hémorragiques s’épreignaient jusqu’à ses pieds nus. Aurore-Marie parcourait des parquets glacés, lattés en damier, gravissant, sans souffle aucun, de vertigineux colimaçons pentus jusqu’à des campaniles encombrés de jacquemarts immobilisés par l’oxydation, débouchant ensuite sur du rien, s’obligeant lors au chemin inverse, se perdant, corps et âme dans le Palazzo du Prince du Monde qu’elle avait eu tort de solliciter, pour qu’il la pardonnât. Circonvenir Satan ! Satan maître du Pardon ! Satan la Miséricorde ! Satan la Rédemption ! Absurde ! Absurde ! Aurore-Marie s’enfonçait dans l’a-temps de sa conscience anéantie.
A présent, balcons, belvédères, corniches et poutres faîtières surchargées d’acrotères, de gargouilles, d’antéfixes de toitures étrusques incongrues, parfois à l’image de Méduse, se mélangeaient avec une démentielle allégresse jubilatoire et éclectique pour qui n’aurait pas interprété cette errance comme le Châtiment. Aurore-Marie, nouvelle Marie-Madeleine non rédimée, non rachetée par le démon de sa folie pure, courait, éperdue, ses longs cheveux blonds défaits, débouclés, empoissés par ses expectorations cramoisies, les mèches collées par le liquide coagulé, comme si elle eût émergé d’un bassin d’hémoglobine. Goule elle devenait, goule insatiable mais…punie. Daniel était le coupable, le responsable. Madame de Saint-Aubain, épuisée, ne cessait plus de trébucher dans la poussière d’une galerie aux colonnades de marbre, au plafond à caissons, stuquée, surchargée d’appliques, de miroirs, de mascarons et de grotesques vert-de-grisés, bordée aussi par tout un Panthéon gréco-romain infini qui se ruinait. Cette statuaire païenne, elle tenta de s’y accrocher, d’y compenser sa faiblesse exsangue, d’y rattraper ses chutes multiples dues à ses jambes cariées par la phtisie. Aurore-Marie empoigna, çà, là, des groupes de Laocoon, des Amour et Psyché, des Apollon, des Athéna Pallas, des Doryphore, des Discobole, des Aurige, des Jupiter, des Déméter, des Cybèle, des Vénus, des sphinges polymastes lagides, de grossiers Bacchus ithyphalliques et ivres, outrés d’hypocras, au ventre d’hydropiques dont on attendait qu’ils éclatassent, épanchassent et épandissent leur pourriture vineuse.

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D’un seul coup imprévisible, toutes ces statues imitées des Anciens tombèrent en poudre, s’effritant irrémissiblement dès que la petite main moite de la suante poitrinaire haletante, aux exsufflations rapides, essayait de les empoigner parce que constituées de matière friable, tendres, façonnées, modelées et sculptées dans le talc et la craie. La toux de la poétesse, décuplée par les nuées graineuses de désagrégation statuaire, achevait de l’épuiser : de nouveaux jaillissements sanguins surgissaient de sa bouche et l’exsanguination terminale devenait imminente. Le diable attendait le moment propice pour s’emparer de son âme maudite.
Avant de plonger dans l’abîme de sa malédiction, Madame de Saint-Aubain aperçut, sous une abside, le buste salvateur : coulé dans l’airain, cet Ahenobarbus hiératique couronné de chamarrures orientales et stupéfiantes prétendait représenter le portrait incarné et schématique d’un Empereur byzantin bas-antique du VIe siècle : Tibère II. Elle se crut sauvée. Elle approcha la tête de bronze avec une circonspection due autant à son épuisement qu’à ses hésitations devant l’absurdité de l’œuvre. Une vaste bouche l’engloutit toute sans qu’elle pût la contrer.

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Aurore-Marie se réveilla en hurlant. Elle s’était assoupie dans la bibliothèque, affaissée sur les feuillets du codex vénérable. Debout auprès d’elle, une jeune femme masquée l’aborda. Pourquoi dissimuler ainsi son visage, alors que le Carnaval (dégustation de la Chair d’avant Carême) était passé depuis de longs mois ? Elle ne reconnut pas l’inconnue énigmatique, dont la fausse figure du domino, imitée de quelque image féminine symbolique, constituait en elle-même un mystère. Il s’agissait de Betsy Blair.

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La colonne boulangiste poursuivait son avancée dans les profondeurs inexplorées du futur Congo léopoldien. Quelques villages avaient encore été rencontrés et il avait été procédé au recrutement d’hommes de troupe supplémentaires afin de pallier les précédentes pertes. Toujours juché sur son tipoye, qui lui permettait de dominer l’environnement, Barbenzingue s’étonnait que la colonne n’eût toujours pas croisé ne serait-ce que le plus minime poste de brousse commandé conjointement par des soldats belges et par des « mercenaires » aux ordres d’une compagnie concessionnaire chargée de la récolte du caoutchouc. Or, si l’on en croyait les repères géographiques cohérents, l’expédition se trouvait désormais dans le secteur de la future Kikwit où, en théorie, une sorte de « port » destiné à l’exportation de l’hévéa venait d’être construit depuis peu afin que la marchandise fût acheminée jusqu’au Pool puis jusqu’à Matadi. C’était à n’y plus rien comprendre. Cela signifiait que l’emprise de l’Entité qui remodelait à sa guise le continent noir n’avait aucunement l’intention de relâcher son attention sur celui-ci.
L’itinéraire prévu était pourtant scrupuleusement respecté. Le brav’ général procédait méthodiquement en suivant une route ouest-est en direction du futur Katanga. Or, le décor de cette brousse n’avait plus rien à voir avec les relations de voyage des naturalistes et surtout pas avec les comptes rendus de Stanley.
La touffeur tropicale se faisait accablante. Aucun répit ne ménageait les hommes qui souffraient en silence, qu’ils fussent noirs ou blancs. De Boieldieu lui-même se sentait oppressé, bien qu’il eût suivi à Agartha City un entraînement spécial. De temps à autre, il s’épongeait le front, dégoulinant d’une sueur abondante, avec un mouchoir bon à essorer. Il ôtait son casque tropical, s’éventait avec, mais cela ne lui procurait qu’un rafraîchissement dérisoire et temporaire. Les Blancs portaient des vêtements inadaptés sous lesquels se détrempaient de trop épais caleçons longs tels qu’en usage à l’époque. Les dos affichaient de larges auréoles de transpiration et les militaires exhalaient une insupportable odeur impossible à enlever. Cela aurait nécessité une douche presque toutes les heures, et les ressources en eau saine étaient des plus limitées. Les gestes se faisaient nerveux ; l’on était aux aguets, dans l’expectative de nouvelles mauvaises surprises. Pierre essaya de fumer pour se détendre. Ses mains commençaient à trembler et il ne parvint pas à allumer une cigarette dont le papier s’était lui-même mouillé. Les adeptes de la pipe, Africains compris, étaient plus chanceux.
Les barbes aussi gênaient : Boulanger lui-même, quoique privilégié par le tipoye surmonté d’une espèce de parasol, regrettait cet attribut viril qui, en métropole, assurait en plus de son regard son succès auprès des femmes. Il occasionnait des désagréments supplémentaires, échauffait encore plus. Il était inévitable que la somnolence saisît et frappât maintes personnes, Barbenzingue inclus. Il dodelinait, au risque de tomber de sa chaise à porteurs.

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On s’approchait doucement des territoires interdits sous le contrôle de M’Siri et de son égérie Maria de Fonseca. Toutes sortes d’insectes harcelaient la colonne. Il fallait prendre garde parce qu’ils avaient tendance à rechercher les orifices, narines, bouches, oreilles, sans oublier les yeux, afin d’y pondre en toute impunité ou de se sustenter opportunément des divers fluides humains. Même les sangsues étaient de la partie, lorsque les pieds parcouraient des flaques d’eau croupie. Un temps considérable était consacré à décoller ces sales bêtes vampiriques. Des nuées de mouches tsé-tsé tourmentaient les soldats ; gare à celui qui, piqué, succombait à la maladie du sommeil. La victime connaissait tout d’abord un ralentissement de ses réflexes et de sa conscience avant d’être saisie d’une irrépressible torpeur. Ainsi, un caporal et deux porteurs furent parmi les premiers contaminés.
- Ça tchoufoua ! s’exclama le Capita après avoir examiné brièvement les trois malades.

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Accablé, craignant d’être à son tour atteint, Boulanger glapit, réclamant à cor et à cri qu’on l’enduisît d’une pommade protectrice et qu’on l’entourât d’une moustiquaire. La faune paléozoïque avait cédé la place à une variante de la jungle simienne de l’ère tertiaire. Le faîte des essences géantes se peuplait dorénavant de créatures anthropoïdes arboricoles au pelage soit albinos, soit argenté et ébouriffé, non répertoriées dans la taxinomie linnéenne. Certains de ces primates, dotés de globes oculaires albinos surdimensionnés, c’est-à-dire d’un rouge sanguin, s’apparentaient davantage aux tarsiers spectres de Sumatra qu’aux chimpanzés communs bien que leur forme crânienne non encore pourvue du torus sus orbitaire typique des premiers hominidés jusqu’aux K’Tous, rappelât les proconsuls africanus ancestraux. Leurs ululements, chants et criaillements assourdissaient la canopée, faisant fuir les oiseaux et les cercopithèques des cimes devenues leur territoire exclusif.
L’un de ces ponginés moins farouche que les autres commit l’imprudence de s’avancer jusqu’à la colonne afin de quémander de la nourriture, fruit ou feuilles à mâcher.
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Le mental d’Hubert de Mirecourt, peuplé de représentations de singes hostiles, belliqueux et anthropophages, véhiculées par Paul du Chaillu, lui fit, en un réflexe pavlovien, décharger son revolver sur l’innocent intermédiaire entre la bête et l’homme. Aussitôt, une clameur envahit les tirailleurs. Alors le Capita dut les calmer tandis qu’il expliquait aux Européens leur erreur. Désignant la dépouille ensanglantée et trouée de balles du malheureux singe mutant, il déclara :

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- Toi attirer la colère de Kikomba Kakou et de Kakundakari Kakou. Ils vont venger la mort de leur frère singe. Toi en être sûr.
- Fariboles de bonne femme. Je ne me laisserai pas impressionner par des superstitions de primitifs ! rétorqua l’officier français colonialiste plein d’orgueil.
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 A l’exception de Boieldieu, de Pèbre d’Ail, de Santerre et de Franceschi qui revendiquaient leur qualité de libres penseurs, tous les militaires français présents acquiescèrent aux paroles du commandant. Santerre émit une réflexion bien sentie à l’oreille de l’acteur.
- Je sens que ça va bientôt barder, mon colon.
- Oui. Mais de qui viendra l’attaque en premier ? Cela c’est autre chose, opina Pierre.
Juché sur sa chaise à porteurs, Boulanger rétablit l’ordre d’un simple geste et ordonna que l’on poursuivît la marche.
Au cours du kilomètre suivant, le biotope s’était encore modifié tout aussi progressivement. Il acquérait désormais une incohérence qui donnait l’impression que les saisons se superposaient en un patchwork surréaliste. Le développement de la végétation semblait de plus en plus anarchique en cela que des parties d’arbres, de lianes, de fougères arborescentes, de fourrés, prenaient l’apparence de la désolation et de la pétrification tant cela faisait longtemps qu’ils n’avaient pas été irrigués par la moindre goutte d’eau alors que d’autres, tout au contraire, à deux pas à peine, atteignaient un tel degré de luxuriance et d’exubérance qu’ils en devenaient aussi impénétrables qu’une muraille de diamant hormis les camaïeux verts. Les militaires eux-mêmes subissaient d’inquiétantes métamorphoses, pris dans la nasse du sortilège ambiant. Ainsi, ils ralentissaient leur allure – non point qu’ils eussent été piqués par la glossine – donnant l’impression de trépigner sur place, leur démarche se fractionnant en une décomposition du geste jusqu’à six mille fois plus lentement que la normale, alors que d’autres accéléraient jusqu’à frôler le mur du son. Leurs pas devenaient saccadés et quasiment invisibles. En une milliseconde, ils franchissaient cent mètres. Les distances s’abrégeaient pour les uns mais les « ralentis » quant à eux se mouvaient dans une mélasse d’éther spatio-temporel pâteux dont il était impossible de se libérer. Personne n’avait conscience de cette diachronie. Une partie de la colonne, toutefois, ne subissait pas ce phénomène imprévisible. Cependant, elle voyait autour d’elle non seulement ses compagnons mais aussi la faune et la flore se déphaser. Les écarts s’accentuaient au sein même de chaque individualité animale, florale, humaine. Des okoumés décrurent ; des termitières et fourmilières s’étrécirent. L’on vit cet étonnant spectacle d’oiseaux qui s’abattaient au sol, frappés par la senescence, se décomposant en quelques secondes jusqu’à n’être plus que des micro fossiles et des oisillons se renfermant dans la coquille de leur œuf soudainement recomposée. Toute personne approchant une oreille de ces pontes reconstituées eût pu entendre le bruissement d’une organogenèse rétroactive, et si elle avait poussé jusqu’au bout sa curiosité en pratiquant une ouverture dans l’œuf, aurait admiré l’étourdissant et épatant spectacle d’un embryon de poussin régressant au germe originel. Le multi déphasage temporel s’accroissait, affectant également les insectes. Les papillons redevenaient nymphes puis chenilles, les mouches pupes, les sauterelles larves. Sinon, c’étaient des paquets, des agglomérats noircis de moustiques desséchés, qui frappaient les explorateurs. Tout cela dégageait des effluves alcalins, des puanteurs douceâtres.
Près d’un ébénier retourné à la graine, un tirailleur sénégalais aperçut un lépidoptère désemparé, comme piégé à son tour par le reflux temporel de l’arbre où il voletait, réintégrer le cocon d’où il était issu ; cette enveloppe se détissant, une chenille bariolée et velue revint à l’existence antérieure. Le soldat commit l’imprudence, sans qu’on l’eût mis en garde, de se saisir de l’animal. Il cria : « Massa ! A l’aide ! »
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Une fulgurante brûlure venait de léser sa main droite, mais ce n’étaient pas les poils urticants de la chenille qui l’avaient causée. Le médecin de bord du Bellérophon noir, muni d’arnica, voulut soigner le tirailleur tandis que ses camarades vociféraient : « Ndiop maudit ! Ndiop être frappé par Kikomba-Kakou ! »
« Laisse-toi examiner, mon garçon », fit le docteur militaire. Ce qu’il vit lui fit croire d’abord à une amputation spontanée, soudaine, à une désagrégation ou résorption brutale et incompréhensible de la main lésée. A première vue, ce que Ndiop exhibait n’était plus qu’un moignon rosâtre, similaire à ceux des lépreux. Une lèpre galopante était impossible et un examen plus approfondi de la blessure, dont le médecin major de Villeneuve supputait qu’elle fût venimeuse, voire contagieuse, permit de révéler l’entièreté de l’horreur invraisemblable que le soldat originaire de Rufisque supportait. La chose qui s’était substituée au membre adulte de l’homme demeurait de facto une main droite, mais une main minuscule, translucide, cartilagineuse, veinée de bleu, dont les doigts, ébauchés, à peine bourgeonnants, se trouvaient reliés par des membranes de peau conférant à l’ensemble un aspect palmé déconcertant. La main droite de Ndiop était redevenue fœtale et sa régression se poursuivait.
De Villeneuve ordonna qu’on isolât la victime, qu’on la plaçât en quarantaine afin d’éviter des contaminations supplémentaires. De plus, tous les autres phénomènes de déphasages diachroniques qui, une minute auparavant, affectaient encore la majorité de la colonne de Barbenzingue venaient de cesser. Ce que Pierre Fresnay comprit, fort de ses connaissances acquises à l’Agartha, c’était que le malheureux tirailleur commençait à subir des altérations hétérochroniques de son organisme, celles-ci ne pouvant aller qu’en s’aggravant. « Ce pauvre type est foutu ! Il ne peut plus espérer que le secours d’un dieu ! » se dit-il, se gardant de communiquer ses réflexions à d’autres, y compris les caporaux-chefs briscards pour lesquels il éprouvait sympathie et confiance, celle-ci étant réciproque.
Ndiop fut mis en isolement, monté sur une espèce de civière digne d’un catafalque funèbre amérindien du Middle West, veillé par trois autres tirailleurs tremblants de peur, tandis que Boulanger se résignait à établir un campement à quelque distance et que de Mirecourt désignait les hommes de quart nocturne : il fallait à tout prix profiter du répit que cette nature folâtre prodiguait, avant que tout devînt pire. La nuit du bivouac, dans une jungle temporairement calmée, fut étonnamment paisible, bien qu’on entendît gémir le malade. Pierre dormit très mal malgré sa moustiquaire : il percevait les plaintes du soldat et celles-ci lui semblaient transmutées en d’étranges vagissements immatures.
L’aube vint, une aube de sang sur une terre une fois encore recréée, remodelée. La végétation s’étageait désormais en strates soit vestigiales, soit juvéniles. Des fûts tronconiques de cycas fossilisés se trouvaient surmontés d’éventails de cactées, elles-mêmes dominées par des bouquets furfuracés de plantes carnivores qui achevaient de dissoudre plusieurs des simiens de tantôt dont les parties indigestes (fourrure, squelette) furent expulsées des bouches dentées iridescentes alors qu’encore au-dessus, des orchidées multicolores exhalaient des senteurs poivrées qui trompaient d’étranges araignées géantes dont les crochets à venin avaient été remplacés par des trompes nutritives multiples destinées à gober le nectar. Tout en haut, des monuments de pierre écailleux, carbonifères, noircis par les âges géologiques superposés et mêlés. Ces troncatures partaient en squames brunâtres, telles des couches de graphite. De grotesques lézards, mi vivants, mi morts, y mouvaient leurs parties de corps non inertes, alors que les autres putréfiées, s’extravasaient en un jus dégoûtant. Un des Kakundakari-Kakou avait explosé, littéralement, coincé, écartelé en des mouvements quantiques contradictoires, en des directions multiples : accélérations ou ralentissements vers le passé ou le futur. La bouillie qui en demeurait faisait le régal de guêpes charognardes aux dards aussi longs qu’une aiguille à chapeau, une de ces fameuses aiguilles qui servaient à Marcel Proust à martyriser les rats encagés.
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Il fallut se rendre à l’évidence : l’état du malade avait connu une nouvelle détérioration, encore est-ce là un euphémisme. Il s’était promptement déshumanisé, ressemblant à une créature composite cubiste. Le médecin s’était bien tardivement décidé à amputer le tirailleur de sa main embryonnaire, avant que le phénomène n’essaimât et ne se développât comme une gangrène. Le bras gauche de Ndiop, paralysé, rigidifié, se dressait involontairement, tout noir, manche de l’uniforme de turco incluse. Le droit avait régressé : il n’en demeurait plus qu’un bourgeon, une ébauche. A l’échelle cellulaire, si de Villeneuve avait eu le temps de se livrer à un examen histologique, il aurait constaté une mort cellulaire inversée effarante. Soit une mitose à l’envers, une dégénérescence invertie des tissus, non point renouvelés, mais retournant à leur commencement intra-utérin. Le visage du Sénégalais commençait à être atteint, de même ses organes internes. Son maxillaire inférieur se fripait, s’édentait comme chez les scorbutiques. La moitié droite du visage était prise de frémissements et, à chacun de ces frissons involontaires, elle recouvrait davantage une fraîcheur enfantine, s’atrophiant tandis que la joue, la tempe et la partie gauche du front se labouraient de rides. La respiration de Ndiop se faisait oppressée, parce que l’arborescence bronchique et les alvéoles de son poumon gauche allaient s’amenuisant. De Villeneuve en fut réduit à administrer de la morphine au moribond ; il en injecta une dose avec une seringue de Pravaz. 
Alors, il fut décidé de le transporter tout de même, parce qu’on ne pouvait décemment l’abandonner, le livrer aux fauves. Le brancard fut retiré de l’échafaudage où on l’avait juché et deux des tirailleurs se résignèrent à le porter.
Deux heures passèrent, en un cheminement incertain et hasardeux par une piste brumeuse, où l’on s’attendait à tout instant au surgissement d’animaux inconnus ou démentiels. Les cris des singes, naguère dominants, s’assourdissaient, s’éloignaient et, bientôt, tandis que la matinée touchait à son terme, ils cédèrent la place à un silence oppressant, sans même que les oreilles les plus exercées aux bruits de la nature pussent capter le moindre crissement de grillon. Le sentier s’était fait sablonneux, presque steppique, et les ramures sempervirentes, comme jointes en arcades ou en arcs doubleaux, avaient fini par prendre l’aspect d’une voûte en berceau de cathédrale romane, tout en poursuivant leur solidification synonyme de mort fossile. Soudain, un des porteurs de la civière perdit pied. Il chuta, hurlant. L’on craignit qu’il ne se fût enlisé. Angelo Franceschi voulut aider le soldat, qui se nommait Moussa Dialo. Il émettait des plaintes en wolof. Franceschi pensa tout d’abord que ses pieds s’étaient enfoncés dans un sol devenu meuble, dans une poche de sables mouvants. Il tâta les chaussures – le règlement militaire interdisait que les turcos marchassent nu-pieds. Il balbutia : « Elles…elles sont vides ! ». Jacques Santerre vint seconder son camarade et délaça le godillot gauche. « Des pieds de bébé ! s’écria-t-il. Cet homme a des pieds de bébé ! ». De minuscules petons, pointure vingt, avaient remplacé les extrémités adultes. « Quels panards ! » jeta Santerre. Un sergent se signa. Le second porteur s’affaissa à son tour : ses forces l’abandonnaient parce que ses bras venaient de s’atrophier à leur tour. Il fit donc choir le brancard qu’il était parvenu à maintenir suspendu quelques instants. Toute sa musculature avait fondu, s’était infantilisée sans crier gare. Quelques microsecondes avaient suffi.
Au-dessus, Ndiop venait de succomber. Sa mâchoire inférieure, à nu, édentée, était celle d’un squelette de vieillard en cours de minéralisation. Le spectacle du visage et du crâne de l’infortuné étaient insoutenables : à demi ossifiée sur sa gauche, la face présentait à l’opposé une diminution optimale, réduite à quelques dizaines de millimètres. Aux côtés de la bouche, du nez, s’étaient substitués des bourgeons branchiaux d’embryon humain de quelques semaines tandis que la moitié correspondante de la voûte crânienne (l’autre étant parcheminée et constellées de taches de vieillesse), bulbeuse, énorme, avec un œil prophylactique à l’état d’ébauche et des écartements cartilagineux de lamelles composites, faisait songer à un batracien géant.

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« Un pré-fœtus ! » s’exclama Pierre.
De Mirecourt voulait laisser les deux nouveaux malades à l’abandon parce qu’il n’y avait nul remède pour les soigner de ce mal inconnu, déconcertant. Ils handicapaient, ralentissaient la troupe. Fresnay dut se montrer persuasif : c’était contraire à toutes les lois de la guerre – et, qu’ils le sachent tous ici, nous n’étions pas en état de guerre, du moins, pas encore – d’abandonner les blessés de son propre camp. Le commandant de Mirecourt pouvait être passible de la cour martiale. Boulanger approuva : il eut le dernier mot alors que le second, intarissable, maugréait qu’on s’encombrait de fardeaux inutiles et contagieux. Cependant, il fallut se rendre à l’évidence : les végétaux, solidifiés, avaient fini par obturer la piste. Même les arbres et broussailles de part et d’autre du chemin s’étaient métamorphosés en muraille chlorophyllienne durcie.   Nul contournement n’était possible, comme si toute la colonne se fût enfermée dans un tunnel dépourvu de sortie. De Boieldieu disposait d’un atout : il avait prévu le coup et transportait des bâtons de dynamite dans son havresac. 
A suivre...
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