jeudi 27 mars 2014

Les Poupées de Daisy (nouvelle) : épisode 1.



Les poupées de Daisy.


Nouvelle, par Christian Jannone.


1890.

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Daisy Neville, sept ans, était la nièce du mathématicien et inventeur Sir Charles Merritt. Elle habitait une sombre demeure dans la banlieue huppée de Londres. Elle eût pu y dépérir d’ennui. Il faut dire qu’elle ne goûtait point à ce qui s’y trouvait, Sir Charles lui ayant interdit l’accès à la plupart des pièces. De jour, une lumière anémique y régnait ; en soirée, l’enfant supposait qu’il y devait faire aussi noir qu’en un four. Les portes demeuraient closes, fermées par des clefs dont Sir Charles ou ses domestiques détenaient les trousseaux. Il n’était nullement question que la petite orpheline, adoptée par son unique parent vivant après que ses géniteurs eurent perdu la vie dans le naufrage d’un steamer alors qu’elle n’avait que trois ans, s’y aventurât, même pour jouer et s’y délasser.
Le savant avait rigoureusement délimité le territoire autorisé pour miss Daisy, l’espace réservé à ses jeux, à ses études, à son repos. C’était un confinement géographique, presque carcéral, n’eussent été les promenades que l’enfant au pâle incarnat et aux longs cheveux dorés rebelles enrubannés à la diable effectuait le mercredi et le dimanche – celles et ceux qui la croisaient dans les jardins de Kensington,
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 à Hyde Park, à Trafalgar Square, à Regent’s Park ou à Saint James’s Park lui trouvaient un air maladif et alangui. De plus, Sir Charles recevait avec une régularité métronomique d’éminents invités ; par exception, il arrivait qu’à ces occasions, Daisy fût autorisée à ce qu’on la présentât aux personnes de qualité pour lesquelles son tuteur organisait des soirées vouées à la science et à la gastronomie. Miss Neville appréciait en particulier une toute petite femme blonde, une étrangère, une Française lui disait-on, qui écrivait des vers et qui rendait visite tous les six mois à Sir Charles et à son principal ami, Lord Sanders,
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 ne manquant jamais l’occasion d’offrir à la petite fille affectueuse et sage une babiole améliorant son morne ordinaire ludique. La menue femme blonde avait de très jolis cheveux, très longs, tout dorés, tout entortillés, à rendre Daisy jalouse de telles curls. Mademoiselle Neville était parvenue à retenir son nom : Madame de Saint-Aubyn (ainsi supposait-elle qu’il s’écrivît). Cependant, les fameuses portes, même en ces occasions d’exception, restaient pour elle hermétiquement closes, alors que les invités de Sir Charles, eux, avaient le droit de les franchir…
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L’imaginative fillette avait émis diverses suppositions : c’était sûr, ces portes dissimulaient quelque chose de menaçant ou de bizarre, que seules les personnes adultes avaient le droit de voir. Elle avait entraperçu le majordome avec son trousseau ; sachant compter, elle avait évalué le nombre de clefs à onze. Cela voulait dire que derrière le premier huis, une fois celui-ci ouvert, s’en trouvait un deuxième et ainsi de suite. L’oncle savantissime voulait peut-être cacher là-bas un monstre, un fantôme enchaîné ou un dragon de contes de fées. Il était arrivé à mademoiselle Neville d’être perturbée dans son sommeil puéril, réveillée par des grondements, des mugissements et des plaintes atténués par la distance et l’épaisseur des murs, sans qu’elle pût avec précision savoir si ces manifestations non-humaines d’une présence surnaturelle ou inconnue provenaient d’en haut ou d’en bas.  Dans ce cas, du fait que Daisy n’avait jamais pu savoir où nichaient le grenier et les caves de la sinistre bâtisse, c’était qu’ils se trouvaient là-bas, et que le supposé animal fabuleux ou spectre inconnu s’y terrait. Elle avait échafaudé toute une histoire, une légende, renforcée par un souvenir, deux ans auparavant lorsque, sortie imprudemment de son espace réservé, elle s’était aventurée dans le vestibule. Son regard avait croisé celui d’une mystérieuse jeune fille en toilette de voyage, prête à partir de la maison, jeune fille qu’elle n’avait jamais vue auparavant, qui s’en allait sans qu’elle eût rien su de sa présence chez son parent adoptif. Les tristes yeux noirs de l’adolescente l’avaient frappée, des yeux agrandis par la faim, cernés, comme charbonneux, un visage maigre, encadré d’une lourde chevelure de corbeau, qui contrastait avec une carnation si décolorée qu’on eût pu penser que jamais cette grande enfant mélancolique n’avait vu l’air libre et le soleil. 
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Attristée, Daisy avait ressenti de la pitié car l’expression des prunelles de l’inconnue s’apparentait à une supplication muette, à la sollicitation d’une aide, à une désespérance, une détresse incommensurable. La fillette s’était spontanément avancée, avait voulu ouvrir la bouche, dire bonjour … Aussitôt, la gouvernante l’avait empoignée et refermée derrière elle la porte des quartiers de miss Neville. Jamais Daisy n’avait revu la jeune fille aux beaux cheveux noirs et au teint d’albâtre. Elle en avait gardé un souvenir cuisant, pensant qu’il s’agissait d’une cousine malade que son oncle avait soignée en cachette, parce que contagieuse et, qu’une fois guérie, elle était repartie. Or, Sir Charles s’était absenté avec l’adolescente, l’avait accompagnée, demeurant plusieurs semaines en congé, et il était revenu tout seul.
A son retour, les nuits de Daisy avaient été troublées, agitées d’espèces de cauchemars éveillés, somnambuliques, peuplés de rugissements bestiaux provenant des sous-sols inaccessibles. Les murs paraissaient gronder, trembler, s’ébranler, comme si un gigantesque lion encagé dans les caves eût heurté les fondations de l’espèce de castel gothique où l’enfant logeait.
La gouvernante, miss Needle, avait menacé Daisy de coups de trique si elle questionnait Sir Charles au sujet de l’adolescente partie en voyage et des  bruits nocturnes qui perturbaient son sommeil.
« Ce sont les expériences de Monsieur », avait-elle dit.
Cependant, Daisy Neville s’était résolue à braver l’interdit et, à la première occasion, avant qu’on la couchât, lorsqu’elle avait été autorisée à souhaiter la bonne nuit à son tuteur, déjà apprêtée, elle avait osé ouvrir sa bouche minuscule et vermeille :
« Mon oncle, qui donc était cette grande jeune fille aux cheveux noirs ? »
Le mathématicien, en un premier instant, réagit par le mutisme. C’était à peine si un léger tressaillement avait trahi sa surprise devant le franc interrogatoire de la petite maligne. Daisy réitéra sa question :
« Lorsque, mon oncle, vous partîtes pour un long voyage, il y avait une grande jeune fille, fort jolie, avec des yeux tout tristes… Comment s’appelait-elle et que faisait-elle chez nous ? Jamais vous ne me parlâtes d’elle. Est-ce une cousine ? »
Il rusa, mesurant chacun de ses mots :
« Mademoiselle Daisy, la curiosité est un vilain défaut.
- Miss Needle a failli me punir parce que j’ai vu la jeune fille ! jeta-t-elle franchement. C’est injuste !
- C’était une patiente, la fille de Lord L**, treize ans. Elle séjournait ici pour traiter son anémie au fer… Je suis aussi médecin. Une fois guérie, elle a pu repartir.
- En ce cas, pour quelle raison l’avez-vous accompagnée ? Vous vous êtes absenté le jour même où je l’ai vue. Parce que vous l’avez emmenée avec vous en voyage, n’est-ce pas ?
- C’est une convalescente. Son état nécessitait que je la surveille en cas de rechute ; d’où ce voyage thérapeutique. Nous nous sommes rendus en Italie, à Venise, où lord L**, son père a sa résidence d’été, et où mademoiselle Alice L** - tel est son nom – a pu achever de guérir. »
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Daisy, sa curiosité satisfaite, se tut.
Sir Charles comprit que l’enfant pouvait récidiver, le questionner encore, au sujet des portes closes, des bruits effrayants nocturnes. Il décida d’amadouer Daisy en achetant son silence… en la gâtant de joujoux incroyables. Après tout, il était reconnu comme un grand inventeur, un pionnier de ce qu’on nommerait au XXe siècle la cybernétique et l’informatique. Alors, Sir Charles Merritt commença à créer pour Daisy les plus belles poupées automates du monde. Il les concocta en son laboratoire, dans ces caves occultes lourdes de secrets inavouables, là où miss Alice L** avait séjourné.

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Qui aurait pu faire le lien entre le premier cadeau de Sir Charles à sa nièce, en août 1888, et la première manifestation de celui qu’on qualifierait de Jack l’éventreur ? 
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Il n’y avait apparemment aucune corrélation entre les crimes répétés et horribles de Jack et la multiplication des jolies poupées, des Bébés automates, doués de la parole, luxueusement adonisés, que l'oncle devenu gâteau offrit à la fillette afin d’endormir sa curiosité mal placée.
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Ah les magnifiques poupées ! Ces modèles uniques qui disaient mommy, mommy, qui réclamaient leur ration de thé, leur dînette, leur collation quotidienne du five o’clock, qui savaient saluer, faire la révérence, marcher, jouer du piano sur un minuscule demi-queue, de la harpe miniature, avaient tout un trousseau, étaient blondes, brunes et rousses, potelées à souhait !
Daisy ne cessait de les bercer, de les promener.
Cependant, elle était intriguée par leur regard étrange, à la fixité perturbante, comme celui des poissons morts ou des merlans frits. Leurs faces apparaissaient lunaires, leurs joues trop rosées, presque écarlates, avec des nuances violettes. Ce qui embêtait le plus Daisy, c’était la propension de ces mignonnes enfants à s’user trop vite. Leur mécanique s’enrayait, se déréglait facilement sans qu’elle les eût cassées, parce qu’elle y faisait trop attention pour qu’elle les brisât, sachant la cire et la porcelaine qui les constituaient particulièrement fragiles. Daisy évitait, l’automne venu, de trop les approcher de l’âtre, de crainte qu’elles fondissent ou brûlassent, s’attardant, en robe de chambre, avant qu’elle fût au lit, à leur souhaiter fort poliment bonne nuit mademoiselle Ketty, bonne nuit mademoiselle Delly, bonne nuit mademoiselle Emmy etc. de sa jolie voix zézayante, après qu’elle les eut bien bordées dans leurs petites bercelonnettes d’osier.

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Il y avait aussi dans le lot des poupons, des poupards, criants de réalisme, souvent braillards (ils émettaient de vraies larmes et buvaient du vrai lait en tétant dans des biberons métalliques ou faïencés), et qui allaient jusqu’à mouiller leur maillot. Daisy ne savait s’il s’agissait de l’odeur des sécrétions inconvenantes des bébés se souillant, mais elle jugeait que ces garçonnets sentaient mauvais. Elle demanda à son oncle qu’il remédiât à ce défaut odorant, au même titre qu’à l’enrayement de la marche ou de la parole des petites filles. Sir Charles lui promit qu’il ferait son possible :
« Je les créerai plus fr… »
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La langue lui fourcha, mais Daisy, fronçant le sourcil, avait en l’impression que son tuteur avait manqué prononcer le mot frais. Ce n’étaient tout de même pas des poissons repêchés dans la Tamise, particulièrement fragrante l’été durant les fortes chaleurs, surtout près des docks.
En attendant, elle eut la permission d’exhiber ses jouets partout où on la promènerait, dans tous les jolis espaces verts prisés par l’upper class. Il n’était point rare de croiser la fillette dans les allées de Kensington Gardens ou de Hyde Park  avec miss Needle, poussant quelque voiturette ou landau dans lesquels un automate en robe de dentelles à ruchés disait et répétait sans trêve :        
« Mommy, I am hungry ; Mommy, I am thirsty… »
De nombreuses petites filles, attirées par le joujou, venaient contempler le spectacle, sans que Daisy les autorisât à jouer avec ces pièces uniques.
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Un après-midi radieux de mai 1889, à Hyde Park, un incident se produisit, qui traumatisa celle qui le provoqua. Miss Emma Woodhouse[1], huit ans, fille de James Woodhouse, baronnet, se disputa avec Daisy sans que miss Needle pût s’interposer pour calmer la querelle. Elle voulait que Daisy lui prêtât miss Harriet, une mignonne rousse aux yeux verts, à la robe feuille morte et au pouf fuchsia, pour qu’elle la cajolât et lui offrit un candy. La dispute s’envenima tant et si bien que miss Emma, voulant par force s’emparer de la poupée, tira son bras droit avec une énergie telle qu’il resta dans sa main, tandis qu’une odeur fade se dégageait de la mutilation involontaire et qu’une espèce de liquide nauséabond s’écoulait de la « blessure » occasionnée à miss Harriet.  Le membre rompu fut lâché par l’enfant horrifiée, qui, aussitôt, pleura et reçut un soufflet de la domestique qui la chaperonnait. 

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Daisy rapporta l’incident à Sir Charles, fort marrie et chagrinée par la fragilité de ses petites amies. Au fil des jours, des semaines, des mois, il lui semblait – peut-être cette impression résultait-elle tout bonnement de sa naïveté juvénile – que ces jouets, trop parfaits, trop perfectionnés, acquéraient une patine de vieillesse, d’ancienneté, qui allait de pair avec une aura inquiétante. Bien que Daisy jugeât cela d’une importance moindre que l’arrachement malencontreux du bras de miss Harriet par la maladroite Emma, la fillette crut bon, incidemment, de rendre compte à son tuteur chéri de ces constatations dérangeantes, perturbantes. Sir Charles rafistola le membre de miss Harriet et tout parut rentrer dans l’ordre.
Daisy, comme tous les gosses, aimait à explorer ses joujoux afin qu’elle sût tout de leur conception, de leur façonnage, de leur fonctionnement, tels ces bébés turbulents adorant briser les réveille-matin, en extraire les engrenages et ressorts avec le premier outil contondant, blessant, traumatisant, qui leur tombe sous la main. Elle voulait tout connaître de ses amies de biscuit, de cire, de porcelaine – bien qu’au seul toucher, la texture de la peau de leurs mains – lorsqu’elles n’étaient pas gainées de fil, de chevreau ou de cuir de Russie – et de leur joli visage lunaire dont la fixité du regard mettait mal à l’aise, trahissait qu’il ne s’agissait pas d’épiderme. Cependant, les sensations tactiles éprouvées par Daisy, aussi caressantes qu’elles fussent, se heurtaient à une impression de froideur, et miss Neville avait beau parcourir de son index ou de sa paume telle ou telle surface nue – qu’il se fût agi des pommettes poupines et pourprines, du front, du petit nez, de l’ourlet des oreilles ou de l’intervalle de chair dévoilée entre l’encolure engrêlée des robes et le nœud maintenant, sur le menton, le chapeau ou la coiffe – les poupées demeuraient muettes à cette sollicitation affective. Les joues étaient comme recouvertes d’une glaçure synthétique, ne frémissant jamais. Or, Daisy s’était persuadée que ces jouets recelaient une part de vie. Elle les auscultait, parce que, si elles pouvaient parler, marcher, c’était parce que Dieu – ou leur créateur – leur avait insufflé cette vie même ! Daisy avait fabriqué une espèce de stéthoscope qui lui avait permis de remarquer que les petites poitrines de ses amies miniatures, mais aussi ceux des poupons, se soulevaient avec une régularité pneumatique, que tous ces luxueux et dispendieux joujoux respiraient comme elle ! Pourtant, poursuivant ses examens, au mitan du corsage ouvragé ou des bavettes de dentelles de chacun des Bébés, elle n’avait décelé aucun battement cardiaque. C’eût été trop beau, trop insolite.
La tentation de déshabiller Ketty ou Emmy, la saisit. Daisy porta son choix sur la première ; elle prit Ketty dans ses bras, l’enjôlant, l’avertissant que mademoiselle allait devoir se montrer bien sage parce qu’elle était malade peut-être, et qu’il fallait que le médecin l’auscultât.
« Tu as un méchant rhume ! déclara miss Neville. Laisse-toi faire ! »
La poupée répliqua :
« Mommy, I am sad. »
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Cette voix, comme chez toutes les autres… Une voix impersonnelle, désincarnée, irréelle, aux inflexions métalliques. Sir Charles Merritt avait expliqué à Daisy que la voix était enregistrée. Le dos de chaque poupée recelait un cylindre Edison qui, telle une boîte à musique, répétait inlassablement une série limitée de phrases traduisant les sensations, les sentiments élémentaires des poupées. Quant aux mouvements respiratoires, il avait dit que c’était un ingénieux système de soufflets dans la poitrine qui prodiguaient cette fonction pulmonaire factice et simulée. 
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Ketty était devenue la doyenne des poupées de Daisy. Elle la possédait depuis neuf mois et commençait à la trouver bien vieille. Une inquiétude à son sujet sourdait : outre cette sorte d’altération de la toilette et de la carnation, moins brillantes, chatoyantes, que lorsque Ketty était toute neuve, la poupée, depuis quelques semaines, tendait à exhaler une fragrance douceâtre, tenace, par les narines et la bouche entrouverte aux petites dents d’émail. Cette efflorescence poissonneuse s’accentuait de jour en jour.
« Tu sens mauvais ! s’exclama Daisy. Tu dois aller au pot comme les poupons ! »
Elle désigna à Ketty un pot de chambre faïencé où elle avait coutume d’asseoir les divers poupards en couches souvent pisseuses.
« Aujourd’hui, tu sens autant que mes Babies ! Tu n’es pas propre ! Pourtant, tu es une grande fille comme moi ! Tu as dépassé l’âge des maillots. »
Elle l’assit sur le pot. Cela n’allait pas. Il fallut bien cette fois-ci qu’elle la déshabillât.
« Tu es malade ! Tu as un rhume et je suis le docteur ! D’abord, va au pot, après, je te prescrirai un sirop. »
Le regard inexpressif de Ketty lui parut plus terne qu’à l’accoutumée.  
« Je vais te mettre en dessous pour savoir ce que tu as. »
Nulle perversion d’adulte dépravé et dévoyé là-dedans (Chose dont souffrait Madame de Saint-Aubain, que Lord Sanders savait et avait rapporté sotto-voce à Sir Charles : « Madame de Saint-Aubain est portée sur les petites filles. Prenez garde. Mademoiselle votre nièce semble par trop l’intéresser. » Merritt connaissait les penchants du lord et cela ne l’étonnait guère que Percival Sanders eût décelé une telle pathologie chez la poétesse française. On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même. Lord Percy collectionnait les photographies nécrophiles et androgynes, des adolescents des deux sexes sur leur lit de mort, des nus d’éphèbes et de très jeunes filles travestis en angelots, entre autres.).
Miss Neville poursuivit son jeu sérieux. Elle cherchait comment ôter la robe de Ketty, comment la déboutonner, la délacer. Elle le faisait avec maladresse. Plus elle avançait dans sa tâche, plus le jouet dégageait une senteur forte.
« Baah ! ne put s’empêcher de s’exclamer la blonde enfant. C’est d’un bain que tu as besoin, mon amie. »
Elle soliloquait, gazouillait, pérorait, entrecoupant son babil de chantonnements de nursery rhymes.
« J’espère pour toi qu’il n’y aura pas de caca au fond de tes pantaloons. Sinon, je rapporterai à oncle Charlie que tu t’es souillée et il te punira comme tu le mérites. »
Après dix minutes d’efforts, Daisy était parvenue à déshabiller miss Ketty, désormais en dessous.
« Zut ! Il y a encore les jupons ! »
Elle glissa la main dessous, tâtant les pantalons afin qu’elle vérifiât bien si aucune mouillure, aucune matière fécale indésirable n’y étaient. L’entrefesson lui parut mou et il était incontestable que la malodorance provenait de là.
« Ketty, tu es méchante ! »
Le jour déclinait dans la chambre d’enfant, sans que Daisy y prît garde. Les derniers rayons obliques d’un soleil déclinant, anémique, du printemps londonien, ne parvenaient plus à filtrer à travers la fenêtre qu’obscurcissaient de lourds rideaux de velours grenat à peine tirés. La pièce s’obombrait en conséquence et le domestique préposé à l’éclairage n’allait point tarder à actionner le bec de gaz du corridor de l’étage et à venir porter la lampe de la chambre. Puis, la gouvernante appellerait l’enfant pour souper. Sa manducation achevée, Daisy irait souhaiter le bonsoir à Sir Charles ; on la préparerait pour la nuit. Miss Needle lui lirait de belles histoires afin qu’elle s’endormît dans la sérénité. Demain serait un autre jour, avec la préceptrice de français.
Daisy grondait, réprimandait la poupée, qui, prétendait-elle en son monologue, rechignait à l’idée que sa mommy la mît toute nue pour son bien. La petite chipie essayait en vain de tirer les pantaloons de miss Ketty. Elle s’empressait trop, devenait malhabile. Une couture craqua. Daisy venait par mégarde de déchirer sur toute sa longueur le dos de la chemise de la poupée, dévoilant une peau de cire luisante. Ketty paraissait gainée comme un mannequin de chez Madame Tussaud. Un fumet infect frappa les narines de Daisy qui corrigea son jouet par une petite fessée.
« Tu vas aller au bain ! »
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Daisy approcha Ketty du coin toilette de la chambre qui comportait un lavabo avec un petit robinet à col de cygne, avec l’intention de débarbouiller la poupée, et peut-être davantage. Elle l’ouvrit, emplissant la cuvette. Cette eau courante était un luxe non point futile, mais inexistant parmi la masse errante des bas-fonds londoniens. La petite fille ne prit pas garde à la venue du valet porteur du luminaire, alors que le soleil venait de disparaître de la pièce en voie d’obscurcissement. Elle sursauta, se hâta de vouloir reposer miss Ketty, un peu mouillée,  en linge abîmé, sur l’étagère de l’armoire où elle rangeait ses autres joujoux. La poupée, déséquilibrée par l’absence de robe, devenue plus légère, tomba au moment où le domestique entrait dans la pièce, lampe à pétrole en main. Il manqua recevoir le jouet sur ses pieds et lâcha le luminaire. En chutant, celui-ci se brisa, occasionnant un début d’incendie dont miss Ketty fut la victime, tandis que des éclats de verre de la lampe se mélangeaient à ceux de la porcelaine et de la cire de la tête du Bébé automate, à demi cassé. Une étrange et écœurante odeur graisseuse envahit la pièce lorsque le visage meurtri et défiguré de miss Ketty s’enflamma, fondant en partie.
Le butler, James, parvint à circonscrire le sinistre grâce à l’eau de la cuvette du lavabo des ablutions de Daisy dont il s’était empressé de remplir un vase inutile et surchargé qui dépareillait ces lieux. Miss Ketty était trempée, brûlée, son visage à demi arraché et fondu.
Daisy, en pleurs sincères, examina les dégâts. La poupée n’avait plus rien d’humain, si l’on pouvait l’écrire, et cette déshumanisation résultait tout autant de l’œuvre du feu que de la brisure des joues.
« Vous l’avez tuée ! Mon oncle vous renverra ! » cria-t-elle, empourprée d’ire, sa longue chevelure blonde rebelle aux frisettes emmêlée comme celle d’une furie.  
Invectivant James, qui s’inclina devant la capricieuse enfant tout en ayant l’intention expresse de rendre compte de l’incident à son maître, mademoiselle Daisy Neville s’horrifia à l’aspect de miss Ketty, et à l’odeur âpre et violente qu’elle exhalait désormais.
C’était à la semblance des relents de la viande corrompue que l’on respirait couramment dans les abattoirs ou les boucheries de bas étage de Whitechapel, où l’on vendait essentiellement des abats infects aux pauvres considérés à la semblance des chiens. La figure de la mignonne était affreuse à contempler. Elle n’avait plus qu’un demi-visage, l’autre moitié étant réduite à une tumescence noirâtre, marbrée çà et là de boursouflures d’un vert malsain.
« J’en suis quitte pour une nouvelle poupée ! » pleurnicha-t-elle.

A suivre...

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[1] Ce nom est un clin d’œil à l’Emma de Jane Austen.

mardi 18 mars 2014

Daniel Wu et Violetta au Musée de l'Homme (1966).

Extrait du roman "Le Tombeau d'Adam" troisième partie : "Le Jeu de Daniel", par Jocelyne et Christian Jannone.

Ce roman fera prochainement l'objet d'une publication progressive en ligne sur le blog lagloirederama.blogspot.com.

Dans le Musée, Daniel ne fut nullement surpris par ce qu’il découvrit, sachant que l’intérieur ne serait restauré et restructuré qu’à la fin de la décennie 1980.
Le daryl androïde s’arrêta longuement devant les collections anthropologiques, biologiques et tératologiques qui constituaient les vitrines d’ouverture du premier étage du Musée de l’Homme.
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 Admirant l’exposition de deux squelettes comparés, un masculin, l’autre féminin, il remarqua combien ils avaient besoin d’un coup de chiffon. Puis, il s’extasia devant l’alignement des dépouilles osseuses primates - singe atèle, gibbon, chimpanzé, gorille, homme Homo sapiens -. Cela le changeait quelque peu des tables anatomiques virtuelles.
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/d0/Skelet_mens_%26_gorilla_vooraanzicht.JPG
Par contre, on s’en serait quelque peu douté, Violetta ne trouvait pas l’exposition à son goût. Elle tirait de toutes ses forces la main de son oncle, désirant vivement visiter une autre salle plus ludique.
Enfin, Daniel Lin sembla se rendre à son avis. Il avança de quelques pas pour stopper devant une nouvelle vitrine qui contenait les restes de nains et de géants plus ou moins célèbres. Le fou d’un souverain européen du XVIIe siècle, le squelette d’un Masaï de deux mètres, celui d’un individu haut de deux mètres quatorze dont la mâchoire inférieure était déformée.
http://www.lepoint.fr/images/2014/01/08/bebe-2319304-jpg_2003780.JPG
La fillette, effrayée, s’agrippait solidement à la jambe de son tuteur.
Puis le regard du capitaine Wu se porta sur le crâne d’un hydrocéphale du XVIIIe siècle dont la dépouille côtoyait celle d’un bébé de cinq mois.
Un peu plus loin, le corps d’un enfant de cinq ans atteint de rachitisme prononcé était également exposé. À quelques centimètres à peine, il y avait aussi une partie du squelette du mathématicien et philosophe René Descartes.
http://www.landrucimetieres.fr/spip/IMG/jpg/crane-descartes_inline.jpg
- Tiens… j’aurais cru son cerveau plus volumineux, murmura Daniel pour lui-même. Cependant, il est vrai que l’intelligence ne se mesure ni au poids ni au cubage de cet organe comme on l’a cru à tort pendant si longtemps.
- Violetta, serrant fortement la main du capitaine, demanda alors.
- Pourquoi le bébé, là, n’a pas de dents?
- Parce que les dents poussent petit à petit, au fur et à mesure que l’enfant grandit. Mais il ne s’agit que de la première dentition.
- Moi aussi je n’avais pas de dents lorsque j’étais bébé?
- Bien sûr, ma puce.
- Et pourquoi, lui, est laid? Dit-elle en désignant le squelette d’un enfant de six ans, dont la mâchoire sciée, laissait apparaître les germes des dents définitives.
- Hé bien, on lui a coupé la mâchoire pour montrer justement comment les dents poussent après la première enfance.
- Est-ce que moi aussi j’ai un squelette? Même maman?
- Oui, Violetta.
- Et toi?
- Moi également. Comme tous les humains et humanoïdes, les dinosauroïdes… mais pas les cristalloïdes, les médusoïdes.
- Eloum aussi?
- Naturellement…
Lentement, ils poursuivirent leur visite, allant de découverte en découverte.
Lorsque la fillette parvint jusque devant la vitrine contenant des embryons et des fœtus formolés, elle prit peur et se cacha, toute tremblante, derrière les jambes de Daniel. Elle lui fit connaître bruyamment son mécontentement.
- Pourquoi m’as-tu amenée ici? C’est affreux et ça pue. Je n’aime pas ce lieu. Je le déteste. Je préférais la dernière fois, à Noël. C’était plus beau, plus gai. Il y avait des ordinateurs, partout, des grandes salles, de jolies couleurs, des hommes préhistoriques, des cailloux et plein , tout plein d’images et de films vidéos. Pourquoi il a lui aussi changé le Musée?
- Ma chérie, tu as vu en fait le Musée de l’Homme tel qu’il sera dans presque trente ans.
- Dans presque trente ans? C’est loin! Je serai vieille. Une grande. Attends… Tu mens encore… c’est pas possible, oncle Daniel. C’était il y a deux mois…
Préoccupée par les explications de son oncle, Violetta se tut et se laissa conduire dans une autre salle.
Cette fois, Daniel Lin stoppa devant les vitrines présentant des têtes réduites par les Jivaros et les Mundurucu. D’autres trophées tout aussi macabres montraient des peaux humaines et des têtes tatouées façon Maori. Le daryl androïde s’intéressa vivement aux déformations corporelles ainsi qu’aux jeunes crânes Mayas, à l’allongement caractéristique indiquant la noblesse.
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Puis vint le tour des vitrines consacrées à la momification. Un planisphère localisait les régions et les pays où celle-ci avait cours durant la longue histoire de l’humanité. L’odeur qui se dégageait de ces momies empuantissait la salle. Les dépouilles chiliennes, à la décomposition avancée, étaient responsables de ces effluves. Il s’agissait d’enfants morts en bas âge, difformes et terreux, entourés de cordes, victimes expiatoires offertes aux dieux courroucés. 
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Leur faisant face, avec des panneaux comparatifs consacrés aux différentes techniques d’embaumement et de momification inca et égyptienne, se trouvait un corps mal conservé, en position fœtale, d’un prince péruvien, encore coiffé de longs cheveux noirs, aux côtés d’une momie de la XIVe dynastie des pharaons de l’Egypte antique, allongée dans un sarcophage scié afin d’être vue du public.
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Auprès du défunt, il y avait des dépouilles animales, chat, poisson, ibis, tous sacrés dans le panthéon zoomorphe, chargées d’accompagner le mort dans son voyage dans l’au-delà.
Pratiquement terrorisée, Violetta se mit à geindre.
- Oncle Daniel, j’ai peur! Je veux partir. Ça ne me plaît pas ici. C’est vilain. Je le dirai à maman que tu m’as amenée dans cet endroit. Na!
- Fifille, voyons. Tu commences à faire la capricieuse. Je voulais revoir le Musée tel qu’il était avant sa rénovation. Tu es trop jeune pour comprendre l’importance historique de la chose. Je ne pouvais te laisser seule à la maison. Antor a besoin de dormir le jour car il travaille la nuit.
- Sniff…
- Ecoute, tu arrêtes de pleurer, tu fais la grande fille et tu es sage. Tout à l’heure, en sortant, nous irons manger des gâteaux.
- Des éclairs au chocolat?
- D’accord, ce que tu voudras.
Consolée comme par magie, la fillette cessa de sangloter.
Pendant que la gamine se calmait, le daryl androïde constatait que la technique de momification des anciens Incas n’était pas, après tout, si ratée que cela car il pouvait parfaitement reconnaître les tissus cellulaires et les vaisseaux sanguins encore visibles dans ces corps aux yeux de l’expert qu’il était.
La vitrine suivante contenait la célèbre Vénus Hottentote, qui, hélas, ne serait plus exposée vingt années plus tard.
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La section préhistoire s’enchaîna. Près des fenêtres, toujours à l’abri dans des vitrines basses, des bifaces, des pointes de flèches et des feuilles de laurier s’alignaient, parfaitement classés.
Un peu plus loin, les visiteurs pouvaient admirer des crânes d’hommes préhistoriques allant de l’Australopithèque à l’Homme de Cro-Magnon. Au centre de la même vitrine trônait la reconstitution de la tombe de l’Homme de Chancelade.
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Tout le fond du couloir était consacré à l’art préhistorique. Daniel poussa un profond soupir.
- Il leur manque encore de nombreux squelettes avant de pouvoir compléter les différents stades de l’évolution. Quelles erreurs grossières dans les datations! Mais je ne puis les corriger. Je n’en ai pas le droit. Ah! La Dame de Brassempouy. Regarde Violetta comme elle est belle et déjà si féminine.
Il prit alors la fillette dans ses bras pour lui montrer la copie de la minuscule tête sculptée dans l’ivoire dont l’originale se trouvait à Saint-Germain-en-Laye.
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- Tonton, c’est vraiment tout petit.
- Tu sais, mon enfant, c’est la plus ancienne figure féminine jamais retrouvée sur notre terre. Au bas mot, elle a vingt mille ans. Là, les peintures présentées sont celles découvertes dans la grotte de Lascaux. En regardant bien, tu peux y reconnaître des chevaux, des aurochs, des bouquetins et des rennes. Elles éteignent également les vingt mille ans.
- Dis, oncle Daniel, pourquoi les anciens hommes peignaient-ils les murs des cavernes? Ils n’y vivaient pas?
- Non, ils n’y vivaient pas, fit le capitaine quelque peu embarrassé. Mon enfant, à propos de ces peintures, justement, beaucoup d’hypothèses ont été avancées. Mais nous n’avons toujours pas de réponse satisfaisante.
- Oh! Même toi qui sais tout sur tout?
- Oui, même moi, ma fille. Peut-être s’agissait-il de cultes religieux dans lesquels les chamans essayaient d’attirer les bienfaits des dieux sur la prochaine chasse… ou encore, ils avaient divinisé les animaux qu’ils allaient chasser.
- C’est quoi un chaman?
- Un homme qui prie, un religieux en communion avec la nature.
Puis les deux visiteurs traversèrent le couloir orné de reproductions des fresques du Tassili qui assuraient la transition entre la section préhistoire et celle de l’Afrique à l’endroit précis où, à la fin du siècle, serait présentée l’exposition La Nuit des temps.
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Ainsi, Violetta et Daniel Lin parcoururent successivement les parties Afrique noire, Afrique blanche et Europe. L’attention du daryl androïde se porta sur les masques, le costume Touareg, la chapelle éthiopienne et la charrette sicilienne.
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L’étage terminé, nos deux amis montèrent au deuxième niveau, où, cette fois-ci, ils découvrirent les trésors de la section arctique. Dans la vitrine, le kayak Inuit dégageait une forte odeur qui incommoda l’enfant. Violetta se cacha le visage croyant que l’ours blanc empaillé allait lui sauter dessus.
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- De quoi as-tu donc peur encore? Interrogea le daryl androïde.
- L’ours, répondit la fillette d’une voix geignarde. Il a des yeux méchants et il pue.
- Ma puce, il ne te fera rien. Il est mort depuis longtemps. Viens, là-bas, c’est l’Asie.
Daniel Lin parvint enfin aux collections chinoises qui l’intéressèrent prodigieusement. Il déchiffra facilement les messages des différents moulins à prières malgré une encre qui avait fortement pâlie. Ne portant aucune attention à la présence d’un autre visiteur, il marmonna malgré lui en mandarin le texte inscrit sur les petites bandelettes.
- Ah! Mais il s’agit là du mandarin du XI e siècle, s’exclama-t-il. J’aurais cru le papier plus récent.
Le visiteur, un Asiatique septuagénaire, s’approcha du daryl androïde avec l’intention manifeste de l’aborder, plus qu’intrigué par cet Occidental capable de lire couramment les caractères chinois. Mais un scrupule le retint.
Pendant quelques secondes, Violetta échappa à la main de Daniel et courut jusqu’à la vitrine du Japon pour admirer de plus près les nombreuses poupées en bois sculpté évoquant, à ses yeux émerveillés, les différents métiers de ce pays il y avait quelques siècles déjà.
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Quant au capitaine Wu, il s’aperçut enfin de l’intérêt du vieil homme pour sa personne. Il ne put s’empêcher de tressaillir car le Chinois présentait un air de ressemblance certain avec Li Wu, son grand-père. Poliment, Daniel Lin demanda en mandarin classique:
- Pardon, vieil homme, puis-je vous renseigner?
- Jeune homme, vous parlez admirablement la langue des lettrés de la noblesse, celle d’avant les temps sombres. Aucune corruption, aucune altération… étonnant de la part d’un Européen. Quoique… en vous observant bien… vous êtes un Eurasien, un métis, n’est-ce pas?
- En effet. Vous avez raison. Ma mère était française et mon père chinois.
- Je m’en doutais, dit le vieillard satisfait. Je viens assez souvent en ce lieu. J’essaie de me rappeler les temps anciens, le passé qui a fui et ainsi, j’oublie les douleurs de ce monde.
- Je vous comprend pleinement. Je suis ici également pour retrouver mes racines, reprit Daniel Lin Wu. Me pardonnerez-vous l’impudence de ma curiosité si je vous pose une question… indiscrète?
- Posez donc votre question, jeune homme. Elle n’offensera personne.
- Par mon père, je m’appelle Wu. Je sais qu’il s’agit d’un nom fort répandu en Chine, mais… ne seriez-vous pas apparenté à une branche de ma famille? Je cherche dans ma mémoire s’il n’y a pas eu des ancêtres qui se seraient réfugiés en Europe à l’époque des Seigneurs de la Guerre…
- Oui, jeune homme, c’est cela, fit le vieil homme en souriant. Mais j’ai d’abord transité par la Californie… je me nomme Sun Wu… nous devons effectivement être parents… comment s’appelle votre père?
- Tchang, fils de Li, lui-même fils de Tchang, qui était fils de Deng, fils de Houan… je puis remonter jusqu’à cent-vint-sept générations… vous devez être le cousin de Deng, septième du nom… exact, n’est-ce pas?
- Presque… celui du sixième du nom… j’ai un fils qui se prénomme aussi Sun…
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- Oui, le généticien. Voilà pourquoi je me suis trompé. Puis-je vous proposer de venir prendre le thé en ma compagnie? Je connais un endroit où il est préparé fort correctement.
- Volontiers, cousin.
- Violetta, viens, nous partons! Rappela le daryl androïde à la fillette.
L’enfant, après avoir renoncé à voler les poupées japonaises qui lui plaisaient tant, avait terminé seule l’exploration de l’étage et découvert ainsi les sections de l’Océanie et celles des civilisations amérindiennes. Essoufflée, elle rejoignit Daniel Lin.
- Oncle Daniel, ils ont triché, commença-t-elle. Il n’y a pas les beaux instruments de musique, ceux que tu m’as tous nommés il y a deux mois, ni les cavernes avec les grosses pierres et pas les beaux bijoux. Ni, non plus, les mannequins d’Indiens.
- Je t’ai déjà expliqué que tout avait changé. Ma chérie, dis bonjour au monsieur, en chinois, comme je te l’ai appris.
La fillette s’exécuta avec grâce. Les trois visiteurs partirent ensuite pour gagner un salon de thé qui offrait différents crus, en plein cœur du Quartier Latin. Violetta n’aurait donc pas droit à ses éclairs au chocolat mais à des pâtisseries d’un autre genre.


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