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Jean Cocteau (1956) :
J'ai déclaré voici quelques temps que tous les enfants avaient du talent -je sous-entendais les enfants poètes et écrivains- sauf Lilou Vouet. Hé bien, je puis vous dire que j'ai trouvé pire que mademoiselle Vouet! Cette « prodige » de la muse s'appelait Aurore-Marie de Saint-Aubain. Elle a vécu à la fin du siècle dernier. Figurez-vous une Lilou en curls, en pouf et en pire! A côté de ses vers, l'Anabase de Monsieur Saint-John Perse est d'une intelligibilité rare, et je me refuse à froisser la susceptibilité de Monsieur Saint-John Perse!
Sissou, caillera de Montfermeil (années 20.) :
Yo! C'est à moi que tu parles man? Tu m'as insulté grave, man! Nique ta mère et touch' moi pas! Casse-toi, man!
Charles Swann (18.) :
Je rencontrai pour la première fois madame la baronne de Lacroix-Laval, épouse de Saint-Aubain et femme de lettres, de confession parnassienne, que portaient aux nues nos salons, lors d'une de ces indénombrables soirées organisées par Madame Verdurin. Je ne sus si sa présence se justifiait par ses talents de versificatrice ou par ses dons pianistiques, quoiqu'elle jouât inlassablement le même répertoire en tout lieu huppé, à savoir cette quasi rengaine qu'elle prétendait due à quelque compositeur austro-hongrois, de médiocre talent, d'un romantisme par trop échevelé, bien que factice, qu'elle s'obstinait à nommer familièrement de ses prénoms, Stefan ou Daniele.
Pourtant, je puis confesser que Madame de Saint-Aubain me fit forte impression, non pas qu'elle fût d'une beauté exceptionnelle, mais du fait de sa fragilité exquise. Un minuscule bébé de porcelaine, une menue poupée aux blondes anglaises mellifères et cendrées, à la voix d'une gaucherie et d'une ténuité telles qu'il eût fallu un cornet acoustique pour en saisir toutes les inflexions ambivalentes, me fut présenté par Madame Verdurin. Son regard me surprit : en l'ambre de son iris aussi rêveur qu' absent, je ressentis quelque chose de quintessencié, comme l'expression du parfum d'une fleur s'ouvrant à l'aube pour mourir dès le soir. Ses joues étaient trop rouges, et ses toussotements intermittents, quoiqu'elle eût osé ce soir-là la rusticité audacieusement arborée du châle et de la fanchon par-dessus une robe de surah, de soie et de taffetas d'un gris souris nacré, afin qu'elle protégeât son fluet organisme de la brise frisquette du début du printemps, trahissaient en son corps l'atteinte de la consomption qui devait l'emporter. Cependant, sa minauderie snob dévoilait sa superficialité mondaine, elle qui, un jour, était chez la duchesse d'Uzès, pour se montrer le lendemain parmi les hôtes éminents de la duchesse de Guermantes, errant ensuite d'heures vespérales en nuitées au sein de la sémillante compagnie de la marquise de Villeparisis et de la princesse de Sagan. Malgré tout, les inflexions de cette voix demeuraient enchanteresses et lorsque la poétesse sentait quelque répit en ses bronches, pouvant ainsi se permettre, deçà-delà, l'abstème de ses quintes gênantes (ceci constituant un euphémisme car il est des euphémismes comme de la diplomatie), sa bouche aux petites lèvres purpurines émettait quelques curieux claquements de la langue, d'une connotation quasi scabreuse pour qui fréquentait les maisons dites de tolérance, en même temps que son phrasé se faisait plus rythmé, comme si elle eût déclamé une prosopopée d'une emphase supposée cicéronienne. Elle tentait semble-t-il de reproduire la prosodie gréco-romaine, échauffement précédant la récitation de ses poésies, qu'elle ne manquait jamais de caser en toutes ces soirées, optant soit pour une évocation anacréontique, soit pour les plaisirs de l'hendécasyllabe, soit pour l'affreux baïfain qui n'était jamais parvenu à s'imposer depuis la Pléiade.
De ce fait, sa propension passionnée me sembla telle une dernière survivance du romanesque stérile, du bovarysme, de la fatuité romantique. Je pressentis en Madame de Saint-Aubain une attirance trouble pour la gent de son sexe, car elle ne cessa de regarder Odette de Crécy de toute la soirée. Ce fut alors que Bergotte me déclara : « Quelle belle enfant, vraiment! »
Deanna Shirley De Beaver de Beauregard (1942) :
Who? Aurore-Marie de Saint-Aubain? How, yes! I know! I'm so fond of her poetry! She looked like me so much! She was a gorgeous little blonde, as me! I love her! Her dreamy hazel and amber eyes were so beautiful!
Alain Robbe-Grillet (1998) :
L'œuvre d'Aurore-Marie de Saint-Aubain qui a ma préférence, c'est son fameux roman hot, « Le Trottin », qu'elle a écrit en 1890 sous le pseudonyme de Faustine. Je m'en suis librement inspiré. La scène du «Trottin » que j'apprécie le plus, excusez du peu, c'est celle de la flagellation par une gamine en dessous « Scarlett O'Hara » ou « Lucky Luke »™ (vous savez, les fameux pantalons de lingerie en vogue au XIXe siècle) d'un bourreau vêtu seulement d'une espèce de slip de cuir et d'une cagoule cloutée. C'est très sado-maso! Maints passages du « Trottin » sont de la même veine. L'ensemble de l'ouvrage s'avère d'une verve et d'une verdeur rares, du moins pour qui apprécie l'érotisme précieux et décadent fin de siècle.
Anna de Noailles (entretiens avec le journaliste Pierre Delachenal, 1925 : extraits) :
« Personnellement, je n'ai jamais rencontré Madame de Saint-Aubain, mais j'ai lu assidûment son œuvre, parfois hermétique, mais souvent magnifique. A ses obsèques lyonnaises, le 14 mars 1894, il y avait une foule d'adulatrices de la bonne société. La pauvre était souffreteuse et poitrinaire! Elle n'avait pas 31 ans lorsqu'elle est morte! Certains de ses vers sont de pures splendeurs, par exemple :
« Traverse le Tartare, encor, encor, n'attends pas le tombeau!
Mon Artémis! Amour premier lors perdu pour toujours... adieu ma Rose en mon berceau! » 1
- Vous admettez donc, Madame, que jamais l'amour saphique ne fut exprimé d'une manière aussi délicate et raffinée...
- Cela n'a pas été toujours le cas : voyez son ultime recueil posthume, publié l'an dernier grâce à Madame Mireille Havet, dont les orientations sexuelles sont bien connues. Pourquoi donc ce titre : « Pages arrachées au pergamen de Sodome »? Il eût mieux valu qu'elle nommât cet ouvrage : « Pages arrachées au pergamen de Gomorrhe », ainsi qu'il est dit dans les derniers romans parus de feu Monsieur Marcel Proust concernant l'inversion féminine. Je ne l'aime guère et le trouve par trop obscène et scabreux, quoiqu'on y retrouve toujours sa touche maniérée si caractéristique...
- Peut-être que ce titre, voulu par la poétesse, était originellement destiné à égarer le lecteur masculin porté sur les penchants interdits... On prétend également que la naïade indienne aux cheveux d'ébène figurant dans ces textes sulfureux, ce serait vous, pré adolescente!
- Je vous ai déjà dit que nous ne nous sommes jamais rencontrées! La naïade, la sylphide, l'hamadryade indienne, la « Thébaine aux yeux d'ébène » serait en fait, selon les exégètes, la comtesse Angélique de Belleroche, dont la beauté brune est effectivement du même type que la mienne.
- Madame de Noailles, croyez-vous aux divers bruits courant sur la fin tourmentée de l'existence de Madame de Saint-Aubain?
- Vous faites allusion à sa liaison adultère avec Debussy, à la fausse couche qui aurait hâté la fin de cette si chétive personne déjà rongée par la maladie?
- Pas seulement. Aurore-Marie de Saint-Aubain aurait usurpé l'identité de sa fille Lise, dont le décès accidentel a été longtemps caché. Sous cette défroque de fillette, à l'institution Notre-Dame de la Visitation, elle aurait connu son ultime amour saphique, une jeune espagnole de 12 ans...sans oublier ce meurtre d'enfant troublant de 1891...
- Des on dit, que tout cela, des on dit! Monsieur de Saint-Aubain, qui s'était remarié et avait eu une postérité de son second lit, n'en a jamais rien soufflé, même à l'article de la mort. Cela serait également accréditer le mythe de la présence de Caserio,
l'assassin du président Sadi Carnot, aux funérailles de la poétesse, et son illumination quasi mystico-anarchiste produite lors de cet événement, le poussant à l'acte que l'on sait quelques mois plus tard, comme si une entité supra-humaine lui avait donné l'ordre de tuer le chef de l'État.
- On la disait prêtresse d'une secte. Mais elle s'est reconvertie au catholicisme, embrassant frénétiquement le crucifix durant son agonie qui se prolongea près de deux horribles semaines. Elle mourut le 11 mars 1894. »
1 Note : Le poème intégral se présente ainsi :
A Charlotte Dubourg
Jouvencelle gravide à la rose sanglante,
De tes entrailles vives, de ta soie utérine,
L' Éruption génitrice que la vestale enfante
Surgit lors de la nymphe à la peau purpurine!
Charlotte! Sens donc la mort frôlée par le camélia blond!
Virginité perdue, musc, vétiver, qu'à la belle dryade,
Oppose la promise à l'égide, à l'ombilic oblong!
Entends-tu encor la pythonisse, la fameuse Annonciade?
Au bosquet de Délos, la cycladique sylphide en marbre de Paros
Te supplie, ô Charlotte, fille aimée d' Ouranos
Afin qu'en sa maternité elle la prenne en pitié
Tel l' hydrangea céruléen s'épanouissant libre de toute contingence,
Repoussant dans les limbes l'avorton de l'engeance,
En accueillant dans le giron des dieux ce symbole d'amitié!
Asparagus à l'ivoirin pistil! Imposte de béryl!
Incarnat de la blonde d'albâtre aux boucles torsadées,
De Charlotte ma mie qui par trop musardait
Vêtue de sa satinée mante parmi l'acanthe où gîte l' hideux mandrill!
Dorure de la nef en berceau où la mandorle de Majesté
M'apparaît solennelle, en sa Gloire romane et non plus contestée!
Inavouée passion, Dormition chantournée de Celle qui n'est plus!
Charlotte, ma virginale mie, sais-tu ô combien tu me plus?
Charlotte! Platonique égérie s'effarouchant à l'orée des manguiers où fleurit la scabieuse,
Tu me suis par delà le péril des syrtes, de la noire frontière, telle une ombre précieuse.
Mater Dolorosa, prends pitié de l' Impure
Dont le douloureux ventre rejette le fruit mûr!
Au sein de la matrice en feu pousse alors l'aubépine!
Parturiente blessée, meurtrie, je souffre en ma gésine.
Charlotte! Une dernière fois, Charlotte, fille de Laodicée,
Reviens-à moi! Rejoins-moi, pauvre muse, en ma Théodicée!
Implore donc Thanatos, ô mon Enfance à jamais enfuie!
Charlotte, astre de mon cœur, vois donc les larmes d'Uranie!
Traverse le Tartare, encor, encor, n'attends pas le tombeau!
Mon Artémis! Amour premier lors perdu pour toujours...adieu ma Rose en mon berceau!
Gabriele d'Annunzio (1911) :
Aurore-Marie de Saint-Aubain fout la plous précieuse, la plous raffinée des poétesses dé la fin dou dernier sièclé! Sa cheveloure était extraordinaire! Meglio qué celle dé Marie-Madeleine! Nous nous rencontrâmes en 1888, alors qué jé composais il mio roman « Il piacere », écrit dans oun langage précieux apparenté à soun stylé! Elle m'adouba! J'avoue qué jé l'ai copiée ouvertément! Jé cherchais oun tradoucteur francese et elle sé proposa, mais tomba maladé peu après! Finalmente, c'est il signore Georges Hérelle
qui s'est attelé à cette noblé tasca! Aurore-Marie et moi, nous avions beaucoup de points communs : l'esthétique, les idées politiques, la daté de naissance (1863) et l'âge auquel nous avions poublié notre prémier recueil de vers : seidici anni! Era bellisima!
Max Perrot, historien (1990) :
Aurore-Marie de Saint-Aubain fut une poétesse décadente, bisexuelle, parnassienne, nationaliste, proche de Déroulède, de Boulanger et Drumont, dont le style est si daté et ampoulé qu'on ne la lit plus guère aujourd'hui, comme d'ailleurs Paul Bourget, qui fut aussi de ses amis. Si elle n'était pas morte dès mars 1894, elle aurait figuré parmi les grandes figures antisémites et antidreyfusardes et aurait sans doute terminé sa vie en compagnie des thuriféraires du Maréchal Pétain qui figura d'ailleurs parmi ses lecteurs assidus!
Uruhu, K'tou (néandertalien) (Agartha city) :
A niek'tou clic! Broorha clic k'tou ding! A clic nou ban ki? Durgu van di nou clic! Ark taarg clic muulk Pi'ou niek' krou clic!
André Breton (1930) :
Je déteste royalement Aurore-Marie de Saint-Aubain. Ses poésies ne sont que fatuité, fausseté, superficialité, viduité artificieuse, vanité... Rien de spontané, de ce libre jeu de l'inconscient, de l'écriture automatique réellement inspirée en ces parangons d'une littérature bourgeoise décadente! Cette femme ne fut selon moi qu'une coqueluche de salon réactionnaire puant la vieille momie, bien qu'elle soit morte à 31 ans. Que ces affreux vers restent enterrés où ils sont, et que nul ne tente d'exhumer ces nigauderies de petit rupin pour midinettes inverties!
Simone de Beauvoir (1960) :
Mes sentiments envers Aurore-Marie de Saint-Aubain sont ambigus et partagés. Permettez donc que je sépare l'œuvre, médiocre et condamnable, de la femme, de la féministe d'action qui osa revendiquer ses préférences sexuelles et lutter pour la reconnaissance de sa liberté de mœurs. En femme émancipée, elle osa imposer elle-même son choix matrimonial à un milieu bien-pensant engoncé dans ses traditions séculaires. Si Colette a tant apprécié sa personnalité à défaut de ses vers surchargés, cela a été à juste raison! Libre et païenne elle fut, en un temps où l'on n'acceptait que les grenouilles de bénitier vouées à leurs grotesques œuvres pies! Libre d'aimer qui elle voulait, femmes, fillettes, hommes... Claude Debussy comme Marguerite de Bonnemain ou Angélique de Belleroche alors que celle-ci n'avait que treize ans! Son « Trottin », texte des plus militants, scandalisa les bonnes âmes confites en catholicisme! Elle fut la prémonition d'une nécessaire révolution des mœurs! Il était dommage qu'elle fût nationaliste plutôt que vouée à la cause du peuple! Son milieu aristocratique joua contre elle, tel un mauvais atavisme! La mort heureusement précoce de ses géniteurs -osons le dire en face- a cependant permis qu'elle s'émancipe dès l'adolescence. Je frôle peut-être l'aporie, la contradiction : si Aurore-Marie de Saint-Aubain avait été issue de la classe ouvrière, elle n'aurait pas eu l'ombre d'une chance de goûter à la liberté! Dommage que ses poésies nous soient devenues indigestes, illisibles, pour ne pas dire comiques de par leurs boursouflures!