Nouvel extrait du roman de Jocelyne et Christian Jannone "Le Tombeau d'Adam" troisième partie "Le Jeu de Daniel", à suivre sur le blog "La Gloire de Rama".
Tokyo, un restaurant haut de gamme au sommet d’un gratte-ciel de verre et d’acier, sur une terrasse aménagée. Cet établissement était réputé pour ses sushis que les palais nippons ou occidentaux se disputaient. C’était aussi et avant tout un lieu de rendez-vous couru pour les hommes d’affaires et les politiques de la capitale japonaise venus négocier contrats et traités divers avec l’élite internationale des entrepreneurs et des politiciens.
En ce 2 juin 1995, de grandes sommités du Parti libéral démocrate japonais et du Parti bouddhiste Komeito dînaient en compagnie de leurs invités occidentaux. Il s’agissait de patrons américains et européens appartenant aux cinq groupes les plus importants de l’automobile et de l’électronique grand public de leurs continents. Tous se trouvaient là dans le but d’obtenir une réelle ouverture du marché intérieur nippon.
Les convives dégustaient différentes sortes de poissons trempés dans diverses sauces aux couleurs vives, plaisantes à l’œil et au palais. Ces mets délicats étaient servis dans de petits bols. Quant aux poissons crus, ils étaient présentés coupés en fines lamelles de chair blanche ou rosâtre sur des plateaux en porcelaine précieuse.
Vint enfin le moment de servir la spécialité tant recherchée qui avait fait la réputation internationale de l’établissement. Le patron en personne s’approcha afin d’honorer ses hôtes et clients du mets si délicieux qu’il nommait le plaisir des dieux avec une emphase non exagérée.
Délicatement, avec un savoir-faire certain, respectant un cérémonial ancestral, le chef découpa des tranches de fugu connu sous le nom de poisson-globe dont effectivement, la chair blanche paraissait succulente.
- Vous verrez, messieurs! C’est là le délice des dieux! Une fois qu’on y a goûté, on ne peut plus s’en passer. Du fugu! Mets royal, mets divin s’il en est. Je ne pense pas qu’en Occident, il y ait nourriture plus fine, plus savoureuse! Toutefois, toute médaille a son revers.
- Ach! S’écria un Allemand jovial. Tawaga san, vous nous faites saliver.
- Sans doute avez-vous déjà entendu parler de ce poisson, Herr Dimmerwald. Le fugu est un poisson tueur pour des gourmets impatients et ignorants. C’est tout un art de doser à la millième partie près le suc du fugu afin de réchapper à une mort imparable! Mais le père de mon père m’a patiemment appris à maîtriser ce savoir qu’il détenait lui-même du père de son père. N’ayez donc aucune crainte et dégustez paisiblement ce mets des dieux.
Appâtés, les industriels et politiciens entamèrent leur plat, mâchant lentement, les papilles en attente. Or, à peine eurent-ils avalé une bouchée de ce plaisir mortel qu’une affreuse grimace vint déformer leurs traits. Foudroyés, les convives moururent en moins d’une minute, devant les yeux exorbités du patron qui ne comprenait pas comment un tel accident avait pu se produire.
- Qu’est-ce à dire? Je suis déshonoré! Je ne puis m’être trompé à ce point. Il faut que je goûte à ma préparation.
Doucement, il prit une fine lamelle de poisson-globe et la porta à ses lèvres. Alors, avec le plus grand effroi, il se rendit compte que le mets délicat baignait littéralement dans le poison. Ne supportant pas un tel affront, sans hésiter, il avala la bouchée de fugu et déglutit.
Inévitablement, son cadavre compléta celui de la fournée de Daniel Wu qui, surgissant des cuisines, entra d’un pas désinvolte dans le salon privé, tout en se frottant les mains de satisfaction.
Notre daryl androïde était méconnaissable. Il avait pris la précaution de se grimer afin de ressembler trait pour trait à l’aide-cuisinier préféré du maître restaurateur.
- Ah! J’ai accompli ma tâche sans anicroche. Du tout bon Daniel! Laissons donc maintenant mon message. Voyons… les caractères sont corrects, la syntaxe également… mais je me demande toutefois s’il s’agit bien là du japonais du XX e siècle… j’aurais dû plutôt m’attaquer à des industriels en visite à Shanghai. Enfin… j’ai fait de mon mieux… Laissez passer la justice de Daniel san, le vengeur des Eta.
Avec mille précautions, le capitaine Wu déposa un minuscule rouleau de papier pelure sur le plateau même qui avait contenu le fugu puis, s’essuyant le visage avec une serviette en lin et abandonnant sa toque de chef cuisinier adjoint, il s’esquiva ayant recouvré ses traits habituels, ceux d’un jeune Européen, du moins pour un observateur un peu trop prompt à tirer des conclusions hâtives.
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samedi 24 mai 2014
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