mercredi 22 mai 2019

Café littéraire : La Servante écarlate de Margaret Atwood (introduction).


Café littéraire : La Servante écarlate de Margaret Atwood par Christian Jannone.

Introduction au roman publié pour la première fois en 1985 sous le titre original The Handmaid's Tale. Il a été traduit en français en 1987.
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Margaret Atwood
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 est une romancière, poétesse et critique littéraire canadienne née à Ottawa en Ontario le 18 novembre 1939. Elle a passé son enfance entre les forêts du Nord du Québec, Sault Ste. Marie, Ottawa et Toronto. Elle a commencé sa carrière littéraire à l’âge de 16 ans. Elle a étudié au collège Victoria à l’université de Toronto puis à Harvard. Elle a effectué une brillante carrière universitaire, enseignant, entre autres à Montréal, Toronto et New York. Elle a abordé divers genres de fictions. Son œuvre se compose d'une quinzaine de romans, de nouvelles, de recueils de poèmes et d'essais. Citons, par exemple, la trilogie romanesque Le Dernier Homme et Captive. La première œuvre citée, dont le premier volet date de 2003, se rattache à la science-fiction, bien que l’écrivaine préfère parler à son sujet de « fiction spéculative ». La seconde, écrite en 1996, est un roman historique basé sur un fait divers survenu au Canada en 1859. Tout comme La Servante écarlate, Captive a été récemment adapté à la télévision. Quant au succès de l’adaptation en série de The Handmaid's Tale (trois saisons, la diffusion de la troisième en France est prévue prochainement), elle a conduit Margaret Atwood à écrire une suite, qui paraîtra cette année. Ses prises de position sur #MeToo ont suscité la controverse, controverse explicable par les thèmes et scènes saisissantes que contient La Servante écarlate.
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La Servante écarlate est un roman découpé en quinze parties ou chapitres auxquels un titre a été attribué (le mot Nuit l’est sept fois), chapitres eux-mêmes subdivisés en un nombre variable de sous-chapitres (jusqu’à quarante-six). Le tout est suivi de Notes historiques et d’une postface de la romancière, rédigée postérieurement à l’édition originelle du livre, car ajoutée en 2012. L’œuvre est narrée en majorité au présent, à la première personne, mais comporte des retours en arrière, des évocations à l’imparfait. La narratrice est le personnage clef du roman, celui qui soutient tout l’édifice : June, devenue Defred (dans la version française, Offred dans la version anglaise). C’est elle, la Servante écarlate donnant son titre à l’ouvrage.
L’action se déroule dans un monde futur où les Etats-Unis d’Amérique ont cédé la place à la République de Gilead, Etat totalitaire théocratique, après la prise de pouvoir d’une secte protestante restaurationniste, Les Fils de Jacob. Il s’agit-là d’un roman se rattachant en principe au genre de la dystopie.
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Le café littéraire a déjà abordé en 2016 le genre science-fiction et le sous-genre dystopie (ou utopie négative) auquel est liée La Servante écarlate bien que Margaret Atwood conteste cette qualification, lui préférant celle d’ustopie, mot-valise ou néologisme croisant utopie et dystopie. Cela sous-tend une lecture hybride de l’œuvre, où la mise en scène d’un futur négatif se teinterait d’aspects plus optimistes. Le terme est utilisé entre guillemets par le journal Le Monde dans l’article du 30 septembre 2018 de Martine Delahaye, paru à l’occasion de la reprise de la série télévisée (sur laquelle je reviendrai dans un prochain article) par la chaîne TF1 Séries.
Christian Jannone.

dimanche 5 mai 2019

La Conjuration de Madame Royale : chapitre 2 5e partie.


Ç’avait été un éclatement.
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 Aude avait ressenti et mémorisé en sa chair la dislocation, la fragmentation, l’éparpillement de son amie. Marianne n’était plus et le corps et l’esprit de son amie avaient réagi puis interagi. Les débris humains s’étaient répandus dans toute la rue, recréée en un fantasme dantesque. Aude avait essayé de contrer la sensation, d’obliger le temps à faire machine arrière, les restes épars de mademoiselle Peusol à se recoudre, se ressouder, se réassembler, en vain. Un cri mental avait retenti, suraigu, et l’espace-temps déviant était parti en poudre. On ne pouvait ressusciter les morts, reconstituer le puzzle des cadavres. L’Univers s’était plié, un bref instant non mesurable mais suffisant pour que tout le Châtelet tremblât sur ses fondations et que fût bouleversé le bureau de l’inspectrice. Cet espace-temps local, minime, presque une micro bulle, s’était remis en place.



Pourtant, un autre personnage, absent des lieux de manifestation du phénomène, en avait ressenti les effets : le comte di Fabbrini.
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« Ma mère court un danger… » murmura-t-il alors qu’aux Tuileries, en un salon chamarré d’or, il méditait sur les conséquences de l’attentat. La batterie de tambours avait vrillé son cerveau tandis qu’un élément nouveau se greffait à ces acouphènes dont il partageait ainsi, de manière toute nouvelle, la souffrance avec Napoléon.

Il s’agissait d’une ombre imprécise, une ombre d’ébène, peut-être un spectre. Cet ectoplasme noir se précisa par places au milieu des dorures et des consoles, comme surgi d’une alcôve, tandis qu’au son des tambours, brouillé, se substituait le murmure d’une bouche. Les mots, d’abord indistincts, finirent par former des phrases dans lesquelles Galeazzo identifia des bribes décousues de latin. Elles se répétaient à la manière d’un mantra bouddhique et se teintaient d’accent irlandais. La créature d’outre-espace-temps évoquait quelque figure d’abbé de cour de l’ancien Etat bourbon.
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 Son habit ecclésiastique paraissait usé, lustré, effrangé, effiloqué, maculé de poussière. L’être s’était-il extirpé de quelque tombeau ? De ses lèvres étrécies et sèches s’exhala une senteur cuivrée, désagréable, fragrante de cauchemar. En elle se mêlaient le sang et la putréfaction. Une main translucide esquissa un signe de croix après que Galeazzo eut ouï une formule d’absolution. Elle était indistincte, difficile à transcrire. Dès qu’il eut achevé, l’être, l’abbé, se désagrégea. Non pas qu’il s’évaporât : il fondit en un suc immonde, un mucus de pourriture qui rampa tel un serpent, manquant souiller le comte qui recula, habité par la panique mais aussi par l’instinct de conservation. Lors, pour achever la manifestation, tandis que le liquide serpentin, épais, se dissolvait, le claquement sec d’un couperet rappela à di Fabbrini l’origine du tourment manifeste qui, de purement acoustique, confusionnel, se faisait désormais visuel et olfactif.

Le cœur de Galeazzo battait à se rompre. Ses yeux de nuit brusquement illuminés par une révélation divine, il se surprit à marmotter deux noms sans rapport l’un avec l’autre :

« De Firmont…
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Lang Darma…De Firmont…Lang Darma. »
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Il se souvint du temps du philosophe, du temps de l’historien, se superposant. C’était l’évocation d’un souvenir à la fois morbide et féroce, lorsqu’il avait accompagné Bonaparte dans une campagne militaire en Allemagne, dans les années 1790. Les armes nouvelles avaient fait merveille : colts, canons imités de Krupp et Gatling
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 avaient troué les chairs des soldats de Frédéric-Guillaume II,
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 mais aussi des autochtones civils, sans distinction ni de sexe, ni d’âge. Maint village se souvenait encore des innombrables crimes de guerre et exactions, des pillages, des viols et des massacres dignes de Turenne
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 et Louvois dans le Palatinat.
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 L’armée s’était aventurée jusqu’en Prusse orientale. L’entrée des troupes paradant dans Königsberg
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 avait marqué les esprits, fait la « une » de toutes les gazettes européennes, alarmé l’Angleterre. La loi des otages s’appliqua lorsqu’apparurent les premiers signes de résistance.

Galeazzo se souvenait de l’un d’eux, une personne de marque, qui, en l’autre cours du temps, n’eût jamais dû finir ainsi. Il se nommait Emmanuel Kant, le grand philosophe prussien. Kant, comme d’autres notables, fut passé par les armes. 
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La bibliothèque du personnage illustre avait été pillée, dispersée à l’encan, sa correspondance saisie tant on craignait qu’il fût un espion. Une des missives avait intrigué Galeazzo au plus haut point. Le comte di Fabbrini avait demandé qu’on la conservât expressément. Kant avait correspondu avec un obscur baron du nom de Van Kempelen – plus bateleur et imposteur qu’aristocrate - correspondance dans laquelle il était fait état des exploits d’un automate turc joueur d’échecs ayant défrayé la chronique à Saint Petersbourg. Là s’était amorcée l’enquête qui avait mené Galeazzo à assimiler El Turco
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 au fameux Baphomet de l’Ordre du Temple. Pour rappel, l’androïde fascinait tant di Fabbrini qu’il s’était juré d’en rechercher la trace dans l’Europe tout-entière afin que Napoléon l’affrontât et que ses propriétés mystérieuses non encore révélées fussent utiles à la nouvelle dynastie. Avant les Templiers, un autre ordre aurait possédé le fabuleux automate, un ordre militaire né dans l’Espagne du Cid puis dissous après la septième croisade : la Buena Muerte.
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  Cependant, l’âme noire du Maudit ne parvenait pas à expliciter le lien entre les noms de Firmont, Lang Darma et Van Kempelen. Le deuxième nom rappelait le Tibet ancien. L’origine réelle du Baphomet était-elle tibétaine ? Le Maudit dut fouiller dans ses souvenirs jusqu’au monde antérieur, jusqu’au 1867 de l’ancien univers dont son cerveau avait conservé des empreintes imprécises, à demi effacées par le nouveau cours des choses. Le mystérieux mentor, Johann, qui lui avait fourni le moyen de voyager dans le passé, avait exigé cependant que Galeazzo gardât l’ensemble de sa bibliothèque scientifique dans la nouvelle fin du XVIIIe siècle qui s’engendrait grâce à eux. Elle comportait notamment toute l’œuvre controversée de celui dont il avait volé la science afin de satisfaire sa soif de puissance et de vengeance : Pavel Danikine, archétype du savant fou. 
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Dès le soir, en son cabinet secret, le Maudit s’attela au dépouillement des manuscrits des traités de Danikine auxquels seuls Van der Zelden et lui-même avaient accès. 

A suivre...



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