EPILOGUE
Cela faisait déjà une semaine
que Lise de Saint-Aubain était devenue une résidente de la cité souterraine
secrète. Sa mémoire avait été réadaptée par Daniel Lin. La préadolescente avait
donc oublié les circonstances de sa venue dans ce lieu étrange. Certes, elle
savait qu’elle n’y avait pas toujours vécu, conservait quelques souvenirs
confus de ses géniteurs et avait pour obligation de voir quotidiennement le
médecin psychologue Manoël.
Violetta Sitruk, toujours à
l’affut des nouveautés, avait tôt constaté que le caractère de Lise différait
notablement de celui de sa mère. Alors, la jeune métamorphe n’avait pas hésité
à se lier d’amitié avec elle. Au début, Lise avait éprouvé quelques réticences
devant les manières libres et le franc-parler de la brunette, mais s’adaptant,
elle avait commencé à rechercher sa compagnie après les cours de remise à
niveau obligatoires dans l’Agartha. Toutefois, il lui arrivait de s’étonner
devant l’emploi de certains objets qui n’existaient pas de son temps, par
exemple le synthétiseur de nourriture dont le maniement lui avait été montré
par Aure-Elise. De plus, elle croisait souvent d’étranges individus, non pas
qu’ils fussent des croque-mitaines mais presque. Les Lycanthropoïdes lui
donnaient le frisson tandis que les effluves soufrés que dégageaient les
gueules des Kronkos suscitaient en elle un désir irrépressible de fuite. Sa
première rencontre avec un Otnikaï l’avait déstabilisée. Un mouton bipède qui
parle ! D’autres détails lui paraissaient appartenir au fantastique. Çà et
là, il lui arrivait de croiser de hauts personnages dont elle connaissait
l’existence par les portraits figurant soit dans les musées, soit dans ses
manuels. Ainsi en était-il des musiciens et compositeurs Jean-Sébastien Bach,
Wolfgang Amadeus Mozart,
Ludwig van Beethoven, Frantz Liszt ou les peintres Leonardo da Vinci, Michelangelo Buonarroti, Eugène Delacroix
ou encore des députés et hommes politiques du passé comme Manuel, Alban de Kermor, pair de France, et Victor Hugo. Cependant, quelques écrivains déambulaient parfois, un carnet de notes à la main : Alexandre Dumas, reconnaissable à ses yeux bleus et à son teint bistre, Denis Diderot, toujours une espèce de vieille toque sur la tête ou Alphonse de Lamartine, bien décidé à donner une suite à son Histoire des Girondins. Les savants et mathématiciens ne lui disaient rien : Jean le Rond d’Alembert,
Maupertuis, Buffon, Lavoisier, Darwin, Poincaré, Flammarion et Einstein.
Ludwig van Beethoven, Frantz Liszt ou les peintres Leonardo da Vinci, Michelangelo Buonarroti, Eugène Delacroix
ou encore des députés et hommes politiques du passé comme Manuel, Alban de Kermor, pair de France, et Victor Hugo. Cependant, quelques écrivains déambulaient parfois, un carnet de notes à la main : Alexandre Dumas, reconnaissable à ses yeux bleus et à son teint bistre, Denis Diderot, toujours une espèce de vieille toque sur la tête ou Alphonse de Lamartine, bien décidé à donner une suite à son Histoire des Girondins. Les savants et mathématiciens ne lui disaient rien : Jean le Rond d’Alembert,
Maupertuis, Buffon, Lavoisier, Darwin, Poincaré, Flammarion et Einstein.
Un matin, alors qu’elle se
hâtait pour son cours, un homme à la barbe bien taillée hésita avant de
l’aborder. Heureusement pour l’adolescente, il s’exprimait en français.
- Aurore-Marie, vous ici ?
Surprenant…
- Pardonnez-moi, monsieur, mais
vous faites erreur. Je me prénomme Lise. A qui ai-je l’honneur ?
- Claude Debussy. C’est moi qui
me suis trompé Mademoiselle.
Après cette rencontre
perturbante, le compositeur s’enquit auprès du Préservateur de la situation de
Mademoiselle de Saint-Aubain. Bon prince, l’ingénieur en chef de la cité le
reçut immédiatement dans son bureau fonctionnel et, tout en lui offrant une
tasse de thé, le renseigna aimablement :
- Non, vous ne rencontrerez
jamais ici Madame la baronne de Lacroix-Laval. Vous avez simplement croisé sa
fille Lise.
- Mais c’est sa jumelle,
s’exclama Claude.
Après avoir opiné du chef, le
commandant Wu jeta une rapide explication à l’encontre de son interlocuteur sur
un ton détaché :
- Oui, j’admets que la
ressemblance est fort grande entre Aurore-Marie et Lise. Mais cela est bien
plus courant que ce que vous pouvez croire. Les lois de la génétique réservent
leur lot de surprises. Ici, c’est justement le cas. Mademoiselle de
Saint-Aubain a tout pris de sa génitrice et rien de son géniteur.
- Soit, Monsieur, mais qu’est-il
donc advenu de Madame de Saint-Aubain ?
- Comme tout être mortel, la
baronne de Lacroix-Laval a passé l’arme à gauche. Désormais, cela fait un
certain nombre d’années qu’elle continue de pourrir quelque part en terre.
- Vous dites cela comme si vous
parliez de planter des fraises ou de cueillir des cerises. N’accordez-vous donc
pas plus d’importance à Aurore-Marie ?
- Madame a la place qu’elle
mérite, répondit sèchement Dan El. La cité ne peut recevoir tous les humains
peuplant la planète, le tout venant de l’humanité terrestre et extraterrestre.
Cela, il faut que vous le compreniez. Vivre dans l’Agartha se mérite, comme
toute seconde chance. C’est pour cela que Lise compte parmi nos résidents. Elle
a réchappé à un destin tragique.
Claude Debussy s’étonna.
- Comment cela ?
- Oui. Victime d’une fièvre
inconnue, on l’a amenée dans l’Agartha tandis que ses parents mouraient du même
mal. Je n’ai pas hésité ; de toute manière, si son père Albin avait
survécu, il n’aurait pas été à la hauteur : vous serez d’avis tout comme moi
qu’il fallait remettre cette enfant sur le droit chemin. Vous savez
l’inconduite d’Aurore-Marie. Tantôt, elle taquinait les mœurs de Lesbos, tantôt
elle était votre maîtresse.
- Vous connaissez ce qui nous
rattachait tous les deux ! rosit le musicien.
- Bon sang, Claude, on ne peut
rien me celer. Lobsang Jacinto ou Tenzin Muzuweni vous l’auront fait
comprendre. Cessez de jouer au naïf.
Quelque peu admonesté, le
compositeur avala sa salive.
- Pardon, Superviseur général de
vous fâcher ainsi. Ce n’était pas dans mes intentions.
- Vous êtes tout pardonné,
sourit Daniel Lin. Demain, je souhaiterais que vous me montriez votre dernier
petit opus L’Ondine en la Cascade. Je
désirerais jouer cette œuvre si elle m’agrée.
- Commandant, vous me faites là
un grand honneur, reconnut Claude, ému.
Toute la cité appréciait les
immenses dons musicaux de son ingénieur en chef. Lorsqu’il daignait interpréter
du Scarlatti,
du Bach, du Liszt ou encore du Ravel, la foule se pressait dans l’auditorium pour l’écouter. Debussy ne pouvait que s’incliner devant cette main tendue en signe de réconciliation.
du Bach, du Liszt ou encore du Ravel, la foule se pressait dans l’auditorium pour l’écouter. Debussy ne pouvait que s’incliner devant cette main tendue en signe de réconciliation.
Les jours passèrent. Lise,
exceptionnellement adaptable, prenait de plus en plus ses marques et ses aises
dans la cité souterraine. Elle considérait Daniel Lin Wu comme un ami d’abord,
comme un père de substitution ensuite. Des liens très forts se nouaient entre
eux et l’adolescente saisissait assez bien la véritable nature fantasque du
Superviseur. Cependant, c’était là un secret qu’elle gardait pour elle, évitant
certaines réflexions, notamment devant Violetta.
A force de fréquenter la quart
de métamorphe, Mademoiselle de Saint-Aubain dînait ou soupait souvent chez les
Sitruk. Ainsi, Lorenza acquérait peu à peu le statut de mère de remplacement.
Lise gagnait au change. Elle voyait enfin comment vivait une famille normale
dans un foyer normal, sans chichi, en toute simplicité. Quant aux toilettes
arborées, la jeune fille avait craint un instant de devoir enfiler les
combinaisons moulantes confortables et scintillantes qui avaient la préférence
de Violetta, mais il n’en fut rien. Ayant constaté que les personnages du passé
déambulaient en toute liberté dans leurs vêtements favoris remontant à leur
époque, Lise fit de même. Ainsi, ses robes étaient-elles longues, taillées dans
le satin, la soie, le velours, le drap ou la mousseline, avec des couleurs
discrètes et de bon ton. Les dentelles foisonnaient : de Venise, de
Malines, du Puy et ainsi de suite. Toutefois, la jeune fille avait abandonné le
corset et les bottines qui enserraient douloureusement les chevilles. A la
place, elle avait opté pour des ballerines légères et gracieuses. En cheveux,
elle affectionnait les rubans, mais sans excès.
A part ses cours de remise à
niveau pour ce qui concernait les connaissances générales, Mademoiselle de
Saint-Aubain se perfectionnait en musique. Dotée d’un immense talent au
contraire de sa mère, elle bénéficia des cours personnels de Daniel Lin dans le
phrasé, l’articulation, le doigté des morceaux les plus ardus mais également
les œuvres les plus connues du répertoire de tout bon pianiste qui se
respectait. Elle exécutait avec tout autant de bonheur Buxtehude, Louis
Couperin, François Couperin, Rameau, D’Aquin, Domenico Scarlatti,
Jean-Sébastien Bach et ses fils, Mozart, Haydn, Beethoven, Schumann,
Saint-Saëns, Chabrier, que Satie, Fauré, Debussy bien sûr, Ravel, Poulenc,
Tailleferre,
Prokofiev et Stravinski. Cependant, elle détestait particulièrement Rachmaninov et les dodécaphonistes.
Prokofiev et Stravinski. Cependant, elle détestait particulièrement Rachmaninov et les dodécaphonistes.
Avec le temps, les duos
interprétés avec Daniel Lin furent les spectacles les plus courus de l’Agartha.
Saturnin s’amenait dans l’amphithéâtre de l’auditorium avec une heure d’avance
au minimum, remarquable par ses vêtements le faisant apparenter à un potentat
oriental, de son chef coiffé d’un turban vermillon, aux pieds chaussés de
babouches couleur or, sans oublier le sarouel vert, la djellaba mauve et la
ceinture jaune citron. A croire que Monsieur de Beauséjour était daltonien. Il
n’était pas le dernier à applaudir et poussait des hourras et des bravos
tonitruants alors qu’il restait pourtant aux deux pianistes à jeter les accords
finaux. Un beau matin, Miss DS de B de B. toqua à la
porte des appartements de la famille Wu, affichant ostentatoirement son célèbre
tailleur perle et son étole de faux renard. Lorsque Gwenaëlle vint lui ouvrir,
toute ensommeillée, dépeignée, ayant à peine passé une chemise écrue, Deanna
Shirley l’apostropha ainsi :
- Ma chère, vous direz à votre
compagnon que je sais enfin pourquoi Aurore-Marie avait appelé sa fille Lise. C’est
à cause de Lisa Berndle, un des personnages que j’ai incarnés au
cinéma… Aurore-Marie se prénommait ainsi à cause de la grand-mère de
George Sand, descendante du maréchal de Saxe : Marie Aurore.
Daniel Lin surgit de la chambre
à coucher, vêtu à la perfection d’un pantalon de toile, d’un polo griffé
Lacoste et des mocassins aux pieds. Il fit :
- Ah, miss de Beauregard, je
voudrais bien que vous m’expliquassiez comment vous avez pu avoir accès à Lettre d’une Inconnue. Mademoiselle,
vous avez triché.
- Tout comme vous, Superviseur.
N’est-ce pas sous les traits de Lisa Berndle qu’Aurore-Marie capta ma présence
avant de devenir folle en son adolescence ?
- Qui vous a donné les
codes ?
- Albriss, par l’intermédiaire
de Nadine.
- Ah, vous avez circonvenu ce
couple ? Par quel tour ?
- Je leur ai offert mon chien,
ou plutôt, sa future descendance…. Cessez donc de me traiter comme une
incongruité.
*********
A suivre...