La brute poursuivait son martellement
obstiné, menaçant d’enfoncer la porte si les occupantes n’obéissaient pas.
Servante inconditionnelle, Félicitée Flavie
savait ce qu’elle devait faire pour protéger sa mie royale. Elle se positionna
hardiment, toujours en fine chemise, face à l’huis, les pistolets chargés,
pointés sans hésitation sur la cible proche afin qu’elle fît mouche aux
premiers coups. Le bois faiblissait, ébranlé par le colosse. Il se fendit et
les gonds cédèrent, la porte éclatant puis s’effondrant en un fracas bon à
exciter les animaux noctambules errants.
Les chiens s’abaissèrent simultanément,
les étincelles jaillirent et les balles jumelles s’éjectèrent des canons. Ce
fut à peine si le recul fit frémir la garde du corps. Elle savait tuer son
homme, à coup sûr. Elle appartenait à l’élite, dévouée au Sang Bourbon.
L’effet de surprise joua, non pas que le
molosse pénétrant en la demeure ne fût pas endurci et s’attendît à nulle
résistance. Les projectiles frappèrent en plein visage, noircissant de poudre
la face de la brute tout en l’ensanglantant. Elle vacilla un instant, hésitant
entre l’effondrement et l’équilibre. Optant enfin pour la chute, elle ébranla
le parquet. Le cadavre bouchait presque l’accès à l’appartement, gênant ses
acolytes. Il arborait désormais un masque tout à la fois écarlate et
fuligineux. La première balle l’avait défiguré, éclatant le cartilage du nez et
fracassant le maxillaire supérieur, conférant à la dépouille un de ces rictus
de cauchemar annonciateur des gueules cassées d’un conflit potentiel, situé
quelque part en une autre piste temporelle. La seconde avait crevé l’œil droit,
pénétrant jusqu’au cerveau, bien mieux que la lance de Montgomery
elle-même. Il nous faut préciser que les balles utilisées par Félicitée étaient d’une nature nouvelle, creuses, fondues dans un alliage inédit d’argent et de tungstène, élément chimique découvert moins de vingt ans auparavant par les frères de Elhúyar, scientifiques espagnols, avec une micro-charge de fulmicoton en leur cœur, ce qui expliquait les dommages spectaculaires occasionnés à la tête de la victime car, non content d’avoir lésé la matière cervicale, le projectile numéro deux était ressorti par l’occiput, l’arrachant, le dissociant des autres éléments crâniens, après avoir creusé promptement son chemin, en vrille, à travers les matières organiques, comme les tarets creusent les coques en bois. N’omettons pas de préciser, en ce tableautin dantesque et « futuriste », les projections d’esquilles conséquentes et la matière méningée nauséabonde jaspant le sol.
elle-même. Il nous faut préciser que les balles utilisées par Félicitée étaient d’une nature nouvelle, creuses, fondues dans un alliage inédit d’argent et de tungstène, élément chimique découvert moins de vingt ans auparavant par les frères de Elhúyar, scientifiques espagnols, avec une micro-charge de fulmicoton en leur cœur, ce qui expliquait les dommages spectaculaires occasionnés à la tête de la victime car, non content d’avoir lésé la matière cervicale, le projectile numéro deux était ressorti par l’occiput, l’arrachant, le dissociant des autres éléments crâniens, après avoir creusé promptement son chemin, en vrille, à travers les matières organiques, comme les tarets creusent les coques en bois. N’omettons pas de préciser, en ce tableautin dantesque et « futuriste », les projections d’esquilles conséquentes et la matière méningée nauséabonde jaspant le sol.
C’était compter sans les autres policiers,
d’autant plus que Maria-Elisa en personne dirigeait l’assaut. Après une courte
hésitation, ils enjambèrent le cadavre de leur comparse. L’homme de tête se
présentait comme un grand escogriffe en civil, coiffé d’un sinistre tuyau de
poêle d’une teinte de suie, la redingote anthracite aux boutons sciemment
ternis (art du camouflage et de l’incognito s’entend) boutonnée jusqu’au col,
la figure en lame de couteau passée au brou de noix afin qu’il passât inaperçu
la nuit. Félicitée Flavie vit qu’il tenait une de ces armes de poing nouvelles,
un colt à barillet. Pleine de ressource, dotée d’excellent réflexes, elle
exhiba en un tour de main un poignard damasquiné de la jarretière droite
qu’elle avait conservée (détail érotique superbe), relevant sa chemise juste le
temps d’un regard mâle fugitif et lubrique, et, se jetant sur l’homme, enfonça
de sang-froid, comme une mécanique humaine de La Mettrie dépourvue de tout
sentiment, la lame effilée en sa gorge avant qu’il pût faire feu. La
« mouche » s’affaissa sur le colosse, le rejoignant aux enfers,
gargouillant en agitant spasmodiquement ses membres de sauterelle sinistre.
Notre femme hardie vit alors bien pis –
quelque chose qu’elle ne connaissait nullement, et qu’elle ne pouvait parer,
sauf folie périlleuse de sa part. C’était Maria-Elisa qui brandissait une
version miniaturisée de la Gatling introduite par Galeazzo en personne dans les
armées royales dix-huit ans auparavant[1],
prémices redoutables de la mitraillette des gangsters de la prohibition de l’autre temps.
La jeune favorite frissonna. Elle crut sa
dernière heure venue. Elle se trouvait
désarmée. Quelques gouttes de sueur humectèrent le duvet blond de sa nuque.
Cependant, Madame Royale veillait au grain. Elle connaissait ces machines-guns, en avait vues enfant,
lorsque sa mère Marie-Antoinette avait souhaité qu’elle assistât aux manœuvres
des Gardes Suisses lors qu’elle avait sept ans. Elle avait vent de la cadence
de tir, du nombre de balles que le chargeur contenait, des capacités
perforatrices létales de l’arme nouvelle. Comment éviter cette destinée de
passoires humaines ? Madame et sa sublime mie allaient elles là achever
leur brève et tragique existence, en pantins sanglants inermes transpercés de
trous immondes ? Certes, elles seraient mortes pour une noble et légitime
cause, donnant leur vie avec un héroïsme alliant féminisme et loyalisme…
Il n’y avait pas d’autre échappatoire que
la fenêtre, au risque qu’elles se rompissent le cou. La pièce avait vue sur une
cour intérieure en contrebas, avec une écurie comportant quatre montures qui
pour l’heure, se reposaient en leur box. Puis se trouvait une porte cochère,
fermée à cette heure. Il fallait non pas sauter directement les cinq mètres les
séparant du sol, mais s’agripper aux corniches jusqu’à la gouttière où les deux
femmes se laisseraient glisser le long du tuyau de plomb servant à l’évacuation
des eaux pluviales. Cela serait aisé pour Félicitée presque nue et fort souple,
mais Marie-Thérèse de France s’était en partie rhabillée, ce qui ne l’allégeait
point.
A l’instant, un hululement de hibou
retentit dans la nuit. C’était peut-être déjà l’heure convenue, le salut, le
signal : Maël de Kermor arrivait ! Madame subodora son avance
salvatrice.
Il nous faut plus de temps et de mots pour
décrire une action qu’en démontrer la vitesse réelle, cela faute de cinéma, puisque, dans l’écoulement
normal des événements, ladite action ne prit qu’une poignée de secondes.
Adonc, toutes deux se précipitèrent à la
fenêtre, en tirèrent les rideaux et l’ouvrirent, permettant à l’air froid de la
nuit de s’engouffrer dans la pièce. Félicitée hissa Marie-Thérèse Charlotte de
France par-dessus le rebord. Elles s’en furent à l’air libre et, en
d’acrobatiques contorsions que facilitait leur jeunesse rompue aux exercices
équestres et à la paume, effectuèrent un rétablissement sur la première
corniche bien moulurée jusqu’à se saisir du tuyau plombé qui permettait aux
eaux pluviales de la gouttière proche de s’écouler. En contre-bas, nous le
disions, se trouvaient une cour intérieure, une écurie, une porte cochère.
Cette porte, désormais, était ouverte, et nos deux fugitives aristocratiques
purent constater l’arrivée d’un charroi, de fait, une voiture anonyme, toute
noire, dépourvue d’armoiries, attelée de quatre chevaux à la robe aussi
discrète que possible. C’était là le véhicule attendu, dont le cocher, un fier
breton, avait la charge jusqu’à Calais avant qu’une frégate embarquât nos
proscrits. Deux passagers armés s’y trouvaient : Maël de Kermor et celui
qu’il était convenu d’appeler une force de la nature, Georges Cadoudal.
L’expression de gorille n’était pas
encore inventée : il s’en fallait encore d’un demi-siècle de l’autre temps
pour que Paul du Chaillu
mythifiât le grand singe africain. Cadoudal rivalisait avec Danton qu’il rêvait d’affronter à la lutte. Ce fut lui qui descendit de cette voiture, intermédiaire entre le fiacre et la malle-poste. Son carrick était ceinturé de colts et il portait une cartouchière de cuir qui n’eût rien à envier à celles des révolutionnaires mexicains de l’autre XXe siècle. Le cocher lui-même arborait une carabine en bandoulière. Avec un tel équipage, nuls brigands ou escouades de gendarmes napoléonides ne se hasarderaient à une attaque périlleuse.
mythifiât le grand singe africain. Cadoudal rivalisait avec Danton qu’il rêvait d’affronter à la lutte. Ce fut lui qui descendit de cette voiture, intermédiaire entre le fiacre et la malle-poste. Son carrick était ceinturé de colts et il portait une cartouchière de cuir qui n’eût rien à envier à celles des révolutionnaires mexicains de l’autre XXe siècle. Le cocher lui-même arborait une carabine en bandoulière. Avec un tel équipage, nuls brigands ou escouades de gendarmes napoléonides ne se hasarderaient à une attaque périlleuse.
Cadoudal, debout, attendait les deux
jeunes femmes. Le colosse scrutait la fenêtre ; il les vit en périlleuse
situation. La surprise passée, Maria-Elisa et ses sbires s’étaient ressaisis et
canardaient deux silhouettes mouvantes qui commençaient à glisser le long du
tuyau. Notre policière arrosait de rafales le plomb de la conduite en espérant
qu’elle se rompît et entraînât les deux donzelles jusqu’au bas de la cour où
leurs os se briseraient. Elle répugnait à viser les chairs des fuyardes, comme
si elle espérait que leurs cadavres demeurassent présentables à la morgue du
Châtelet.
Ce fut alors qu’elle aperçut le géant
loyaliste.
« Tirez sur cet homme ! Je
m’occupe des deux aventurières ! » ordonna-t-elle aux survivants de
sa troupe.
Une pluie métallique s’abattit en bas,
visant avec maladresse la masse de Cadoudal qui riposta. Certes, une balle de
colt occasionna une estafilade bégnine à son bras gauche, se contentant de
léser la manche du carrick. Il faut dire que les armes nouvelles n’étaient pas
toujours aussi précises qu’on l’eût espéré. Ainsi, Galeazzo, promoteur des
mitrailleuses, ne pouvait savoir que trois ans après son année originelle
(1867) la possession de Gatling
montées en canons n’assurerait nullement la victoire de Napoléon III dans le conflit franco-prussien !
montées en canons n’assurerait nullement la victoire de Napoléon III dans le conflit franco-prussien !
Au contraire des mouches, Georges savait
viser : il abattit un tireur qui chuta de la fenêtre. Bientôt, les tirs de
Maël et du cocher s’ajoutèrent à ceux de Cadoudal et nos canardeurs firent
passer un mauvais moment aux forces du nouvel ordre. Le feu napoléonide,
d’abord nourri, s’estompa comme si Maria-Elisa se résignait à abandonner la
partie ; c’était mal la connaître. Elle possédait un appareil hybride,
sorte de compromis entre le télégraphe optique (mais miniaturisé), les miroirs
d’Archimède et le téléphone primitif qui permettait de transmettre les ordres à
distance. Elle prévint ainsi les garnisons des portes de l’octroi : il
s’agissait pour elles d’intercepter tout véhicule, à chevaux comme sans chevaux
(y compris un simple quidam chaussé d’une paire de bottes à vapeur prohibées)
qui voudrait se hasarder hors de la capitale.
Pendant ce temps, avant que le tuyau ne
cédât, profitant de l’affaiblissement des tirs policiers, Madame Royale et sa
fidèle sautèrent et furent réceptionnées par Cadoudal
et le cocher. Ce dernier rougit quelque peu quand il constata la presque nudité de Félicitée Flavie. Il s’empressa de la couvrir avant que tout le monde ne prît place dans la voiture et que l’équipage s’ébranlât par la porte cochère, sans toutefois empêcher que quelques balles attardées de mouches insistant lors sifflassent, ce qui arracha quelques échardes au charroi.
et le cocher. Ce dernier rougit quelque peu quand il constata la presque nudité de Félicitée Flavie. Il s’empressa de la couvrir avant que tout le monde ne prît place dans la voiture et que l’équipage s’ébranlât par la porte cochère, sans toutefois empêcher que quelques balles attardées de mouches insistant lors sifflassent, ce qui arracha quelques échardes au charroi.
Maria-Elisa eut cette pensée :
« Mesdames, vous qui vous dites de
qualité, ne triomphez pas trop prématurément ! »
Dans l’habitacle capitonné, Maël de Kermor
avait baisé la main de Son Altesse.
**********
La même nuit, ni Napoléon, ni le comte
italien ne se doutaient de ce premier échec. Le souverain usurpateur dormait de
son habituel sommeil agité de mauvais songes. Outre les communes batteries
obstinées de tambours, il captait des sensations olfactives désagréables.
Le fantôme d’abbé était revenu, plus
décomposé que jamais. Sa bouche gâtée ne cessait de murmurer la même litanie
aberrante : Fils de Saint-Louis,
montez au ciel ! avant que sa main droite désincarnée et sèche
n’esquissât une bénédiction.
Cependant, un fait nouveau se
produisit : des lambeaux rongés de son habit ecclésiastique aulique, de
Firmont
ou l’entité ténébreuse supposément dotée de ce nom, extirpa un livre horrible. Il s’agissait d’un codex charognard exhalant des remugles sépulcraux, comme gainé de terre et de mycélium. La reliure poissait d’ichor et de phlegme, et fait encore plus horrible, était parsemée de trous desquels des vers de charogne sortaient et rampaient. L’homme d’église ou son ombre posa l’ouvrage putrescent au chevet même du monarque. Napoléon hurla, se réveillant en sursaut.
ou l’entité ténébreuse supposément dotée de ce nom, extirpa un livre horrible. Il s’agissait d’un codex charognard exhalant des remugles sépulcraux, comme gainé de terre et de mycélium. La reliure poissait d’ichor et de phlegme, et fait encore plus horrible, était parsemée de trous desquels des vers de charogne sortaient et rampaient. L’homme d’église ou son ombre posa l’ouvrage putrescent au chevet même du monarque. Napoléon hurla, se réveillant en sursaut.
L’aube pointait. Comme de coutume, le
monarque tenta vainement de dissiper ces manifestations oniriques brumeuses et
gothiques. Quelle ne fut pas sa stupeur de constater la présence effective de
l’offrande du fantôme, posée à ses pieds, sur le lourd brocard du lit royal.
Le livre surnaturel revêtait un aspect
contraire à celui du songe. Il paraissait tout neuf, comme sorti de la presse.
Napoléon hésita d’abord, avant de s’en saisir. L’œuvre était rédigée en latin,
illustrée de gravures complexes, au caractère énigmatique pour les néophytes. Le
roi observa la reliure, la tournant en tout sens. Elle ne comportait ni marque,
ni poinçon. A l’intérieur, nul imprimatur. Il le feuilletait, en quête de
l’auteur et du titre. Le frontispice n’était pas à la place attendue : on
eût dit que ledit ouvrage était inversé, débutant par la fin. Ce fut la
dernière page qui en dévoila l’identité, à défaut de la clef pour tout le
comprendre :
Telluris
Theoria Sacra de Thomas Burnet. Edition princeps 1680.
La gravure du frontispice représentait
Jésus-Christ debout, avec des têtes de chérubins et des inscriptions grecques.
Sous les pieds du Christ brandissant une bannière, un cercle de sphères dont
aucune n’avait le même aspect.
Napoléon ne pouvait conserver un tel don
pour lui seul. Il se devait d’en informer immédiatement le comte di Fabbrini.
Seuls des scientifiques comme Laplace parviendraient à déchiffrer un tel
ouvrage….
A suivre...