Chapitre
premier.
Napoléon dormait rarement du sommeil du
juste. Il travaillait incessamment, jusqu’à dix-huit heures par jour. Afin de
consolider son assise, il songeait déjà à restaurer la fonction impériale, que
l’indigne Charles le Gros,
régent obèse et impotent, avait été le dernier à assumer en France, avant que les grands ne le poussassent à la déchéance, du fait qu’il avait acheté par les espèces sonnantes et trébuchantes la levée par les Northmen du siège de Paris. La diète des Grands avait destitué le podagre incapable et épileptique, et choisi le robertien Eudes
pour régner en Francie. C’était en l’an 888 ; depuis, Germania et Francia s’étaient séparées et Napoléon le Grand, par ce projet impérial, désirait ardemment la réunification des deux entités, la résurrection de l’Empire de Charlemagne.
régent obèse et impotent, avait été le dernier à assumer en France, avant que les grands ne le poussassent à la déchéance, du fait qu’il avait acheté par les espèces sonnantes et trébuchantes la levée par les Northmen du siège de Paris. La diète des Grands avait destitué le podagre incapable et épileptique, et choisi le robertien Eudes
pour régner en Francie. C’était en l’an 888 ; depuis, Germania et Francia s’étaient séparées et Napoléon le Grand, par ce projet impérial, désirait ardemment la réunification des deux entités, la résurrection de l’Empire de Charlemagne.
Napoléon premier s’inquiétait des
multiples complots qui ne manqueraient pas de fleurir, compromettant son rêve.
Bourbons, Bourbons-Condé, Orléans, recrutaient à tout-va des partisans de leur
cause. Les rapports de la police secrète lui parvenaient de toutes les
provinces. L’on disait la Bretagne, la Vendée, la Normandie, même l’Aquitaine
et la Provence peu sûres, peu attachées au nouveau souverain, prêtes à la
dissidence voire à la sécession. De nouveaux chefs de guerre surgissaient,
tentés par l’insurrection, par les ferments de la guerre civile. Ils se
nommaient Cadoudal,
Charette, Stofflet, La Rochejaquelein. Ils recrutaient en sous-main tout un peuple de gueux aux armements de fortune, sorte de noyau d’une armée insurrectionnelle, hétéroclite, que devrait mater l’Etat-Major fidèle du nouveau roi, ces généraux Jourdan,
Masséna, Bernadotte, Lannes, et d’autres encore, venus du rang grâce aux campagnes victorieuses expansionnistes des années 1790 et à la démocratisation de l’armée que le connétable avait imposée au faible Louis XVI. Le général Pichegru s’était vu confier le commandement de l’armée de l’Ouest et le contrôle des villes fortifiées qui s’érigeaient, ceinturant le bocage de citadelles étoilées inexpugnables dotées de canons aux dimensions colossales. Or, Pichegru n’était pas si sûr qu’il le paraissait. Napoléon pensait le limoger, le remplacer par Murat ; mais celui-ci ne s’intéressait qu’à l’Italie et à l’Orient.
Charette, Stofflet, La Rochejaquelein. Ils recrutaient en sous-main tout un peuple de gueux aux armements de fortune, sorte de noyau d’une armée insurrectionnelle, hétéroclite, que devrait mater l’Etat-Major fidèle du nouveau roi, ces généraux Jourdan,
Masséna, Bernadotte, Lannes, et d’autres encore, venus du rang grâce aux campagnes victorieuses expansionnistes des années 1790 et à la démocratisation de l’armée que le connétable avait imposée au faible Louis XVI. Le général Pichegru s’était vu confier le commandement de l’armée de l’Ouest et le contrôle des villes fortifiées qui s’érigeaient, ceinturant le bocage de citadelles étoilées inexpugnables dotées de canons aux dimensions colossales. Or, Pichegru n’était pas si sûr qu’il le paraissait. Napoléon pensait le limoger, le remplacer par Murat ; mais celui-ci ne s’intéressait qu’à l’Italie et à l’Orient.
Depuis quelques temps, un cauchemar
lancinant, fréquent, répétitif, dont il percevait les échos angoissants même à
l’état de veille, hantait notre nouveau Sylla corse. Une batterie de tambours
vrillait à ses oreilles. Immanquablement, ces percussions précédaient la chute
d’un objet métallique tranchant, au bruit sec, avant qu’elles ne
s’interrompissent.
Cela avait débuté il y avait environ trois
mois. La sensation sonore commençait par un entrechoquement de baguettes
entrecoupé de brefs battements. Le bois claquait, puis la peau des tambours
vibrait, sourde d’abord, avant de gagner en intensité jusqu’à l’insupportable.
Alors, le métal tombait en sifflant, et tout s’arrêtait net. Le silence
lui-même, quoique revenu, ne soulageait aucunement l’ancien lieutenant général
du royaume. Ces sonorités disgracieuses pour qui abhorrait la musique militaire
peuplaient les méninges du nouveau souverain, polluaient son intellect,
tournant à l’obsession. Etait-ce une hallucination auditive ? Napoléon
percevait seul ce phénomène horripilant. Il n’y avait nul remède à cela, bien
qu’il se fût confié à divers médecins réputés qui le servaient avec
loyauté : Corvisart,
Larrey et Dupuytren. Leurs réponses évasives, dépourvues de la moindre amorce d’explication satisfaisante (acouphènes, début de surdité, lésions des tympans dues à l’ancienne fonction d’officier d’artillerie du roi ayant par trop ouï le son des canons de Gribeauval
et des mitrailleuses de di Fabbrini ?) décourageaient le monarque pour qui cela commençait à relever du surnaturel, de la malédiction. Dans le même temps, des brûlures stomacales, comme en rappel du squirre qui avait emporté feu son père, obligeaient le premier des Napoléonides, en un geste devenu familier, à placer avec constance sa main droite dans son gilet, plaquée sur l’abdomen, sans que ces familiarités calmassent la douleur.
Larrey et Dupuytren. Leurs réponses évasives, dépourvues de la moindre amorce d’explication satisfaisante (acouphènes, début de surdité, lésions des tympans dues à l’ancienne fonction d’officier d’artillerie du roi ayant par trop ouï le son des canons de Gribeauval
et des mitrailleuses de di Fabbrini ?) décourageaient le monarque pour qui cela commençait à relever du surnaturel, de la malédiction. Dans le même temps, des brûlures stomacales, comme en rappel du squirre qui avait emporté feu son père, obligeaient le premier des Napoléonides, en un geste devenu familier, à placer avec constance sa main droite dans son gilet, plaquée sur l’abdomen, sans que ces familiarités calmassent la douleur.
Les soucis politiques lui permettaient de
songer à autre chose, de chasser les mauvaises sensations auditives et
d’entrailles. Présidant un cabinet restreint avec le comte di Fabbrini,
sobrement désigné comme « conseiller » alors qu’il jouait depuis près
de vingt ans le rôle d’éminence grise, Fouché, Talleyrand, son frère Louis,
placé à la tête du Conseil du roi, bientôt rebaptisé d’Etat, héritier de l’ancien
Conseil d’en-haut de Louis XIV le Grand, sans omettre Bernadotte, chef
d’Etat-Major et Carnot, ministre de la guerre, il épluchait en cette bonne
compagnie les rapports des espions d’Angleterre, de Russie, d’Autriche et de
Prusse, craignant tout autant une conflagration européenne qu’une rébellion
provinciale dite légitimiste.
Ce matin-là, il s’avérait que le dernier
compte rendu adressé de Londres par Fabre d’Eglantine (qui soupçonnerait un
poète de se livrer à une telle activité ?) corroborait les messages
optiques adressés par Michel S*, agent secret, de Trèves. Une nouvelle
conjuration s’était organisée. Madame Royale avait anonymement embarqué de
Douvres vers Calais, missionnée par sa mère et ses oncles. S* rapportait la
réunion nocturne d’un groupe de conspirateurs à la Porte noire, l’un d’eux
étant une femme haut titrée, traitée déféremment. Il était aisé de supposer que
cette inconnue masquée, selon toute probabilité, était Mousseline la sérieuse en personne.
D’un caractère bien trempé, la jeune femme de vingt-deux ans possédait les capacités et la légitimité dynastique nécessaires pour qu’on lui confiât un commandement secret, au contraire de son frère cadet, ci-devant dauphin de France, tuberculeux notoire. Madame Royale était, avec son cousin Berry, la seule personne ingambe de la famille Bourbon. Provence était presque podagre, Artois et Angoulême stupides. Le précédent roi souffrait de goinfrerie morbide et Marie-Antoinette, prétendait-on, était devenue à demi folle depuis qu’on l’avait détrônée. Quant aux Condé, père, fils et petit-fils, ils juraient davantage par la Prusse et l’Autriche, oubliant l’importance de l’arme navale. Les arsenaux anglais, qui avaient placé à leur tête un inventeur américain chevronné dénommé Fulton,
planchaient sur des modèles de frégates cuirassées à vapeur et de submersibles poseurs de mines et armés de torpilles à même d’enfin surpasser notre flotte dont la technologie avait effectué un bond spectaculaire, grâce au comte italien.
D’un caractère bien trempé, la jeune femme de vingt-deux ans possédait les capacités et la légitimité dynastique nécessaires pour qu’on lui confiât un commandement secret, au contraire de son frère cadet, ci-devant dauphin de France, tuberculeux notoire. Madame Royale était, avec son cousin Berry, la seule personne ingambe de la famille Bourbon. Provence était presque podagre, Artois et Angoulême stupides. Le précédent roi souffrait de goinfrerie morbide et Marie-Antoinette, prétendait-on, était devenue à demi folle depuis qu’on l’avait détrônée. Quant aux Condé, père, fils et petit-fils, ils juraient davantage par la Prusse et l’Autriche, oubliant l’importance de l’arme navale. Les arsenaux anglais, qui avaient placé à leur tête un inventeur américain chevronné dénommé Fulton,
planchaient sur des modèles de frégates cuirassées à vapeur et de submersibles poseurs de mines et armés de torpilles à même d’enfin surpasser notre flotte dont la technologie avait effectué un bond spectaculaire, grâce au comte italien.
Madame Royale, garçon manqué, aimait à se
vêtir en homme, à coiffer catogan et bicorne. Cavalière hors pair, excellant
dans le tir au pistolet et au fusil, mais aussi experte au sabre, ses instincts
« masculins » avaient été réfrénés, canalisés, par un mariage
contraint avec son cousin Angoulême en 1799.
S’il était aisé d’identifier Madame parmi
le trio de Trèves, quelles pouvaient être les identités des deux hommes ?
Michel S* émettait diverses hypothèses : Stofflet et Saint-Régent,
Limolëan et Cadoudal, Kermor et Charette… Il ne tranchait pas.
Au prononcé du nom de Kermor par le
souverain, di Fabbrini siffla puis grinça des dents.
« Le père d’Alban »,
murmura-t-il sans que personne ne perçût ses paroles. Ses yeux d’un bleu de nuit avaient cillé. Les dorures et lambris du salon secret des Tuileries dans lesquelles se déroulait ce conseil déterminant ne parvenaient pas à distraire l’attention de l’Italien, coutumier des ors monarchiques depuis 1782. Dès son avènement, Napoléon s’était empressé de déserter Versailles, se rapprochant, en bon démagogue, du peuple de Paris, si prompt à l’émotion populaire incontrôlable. Il le flattait en évergète antique, lui prodiguant panem et circenses, instituant de nouveaux jeux du cirque sans omettre les distributions frumentaires évitant les disettes récurrentes, autrefois responsables d’émeutes du pain, comme lors de la guerre des farines de l’an 1775.
murmura-t-il sans que personne ne perçût ses paroles. Ses yeux d’un bleu de nuit avaient cillé. Les dorures et lambris du salon secret des Tuileries dans lesquelles se déroulait ce conseil déterminant ne parvenaient pas à distraire l’attention de l’Italien, coutumier des ors monarchiques depuis 1782. Dès son avènement, Napoléon s’était empressé de déserter Versailles, se rapprochant, en bon démagogue, du peuple de Paris, si prompt à l’émotion populaire incontrôlable. Il le flattait en évergète antique, lui prodiguant panem et circenses, instituant de nouveaux jeux du cirque sans omettre les distributions frumentaires évitant les disettes récurrentes, autrefois responsables d’émeutes du pain, comme lors de la guerre des farines de l’an 1775.
Du fait de sa seule présence en ces lieux
et cette époque, le comte Galeazzo di Fabbrini représentait un paradoxe temporel vivant. Nul
n’osait, en dehors de quelques personnes comme Talleyrand, s’interroger sur son
état civil. Si par hasard des enquêteurs diligentés par une puissance étrangère
rivale de la France s’étaient avisés d’éplucher les registres paroissiaux piémontais,
les actes de baptême rédigés au commencement des années 1760, ils n’auraient
trouvé nulle trace d’une naissance attestée d’un comte Galeazzo di Fabbrini. Le
titulaire officiel du titre et propriétaire des terres existant à la fin du
siècle, Giancarlo di Fabbrini, était porté disparu dans un naufrage au large de
Sao Tomé en 1793, naufrage survenu au cours d’un de ces ouragans mémorables,
laissant comme seule héritière une orpheline prétendument inconsolable. Son
corps n’avait jamais été retrouvé, bien que la mer caraïbe eût restitué à
l’échéance de deux semaines plusieurs dépouilles suffisamment putréfiées et
tumescentes pour qu’elles fussent non identifiables. Mais Napoléon le grand en
savait plus sur le secret du comte qu’il ne voulait le dire puisqu’il lui
devait trône et destinée.
Ainsi, l’intéressé, tel Saint-Germain,
semblait ne pas vieillir. Celles et ceux qui le connaissaient depuis plusieurs
années le trouvaient inchangé depuis
près de vingt ans. Soit il s’agissait d’un immortel, soit ses fonctions
biologiques, sa physiologie, s’étaient trouvées altérées, son métabolisme
ralenti par quelque alchimie secrète, par quelque élixir de longue vie, par
quelque médication singulière, potion, électuaire ou autre, que l’ultramontain consommait
en secret, avec une régularité inconnue.
Toujours était-il que, depuis 1782,
Galeazzo paraissait toujours tel qu’il avait surgi à la cour de Louis XVI, beau
brun ténébreux dans la force de l’âge, aux yeux d’un bleu de nuit, non plus
jeune homme mais non point vieillard, puisque, selon les estimations, son
apparence physique permettait qu’on lui attribuât trente-sept à quarante-et-un
ans. Seul un soupçon de ventre trahissait en lui l’envolée de la juvénilité. Il
n’aurait pris que trois ans en dix-huit millésimes, si le phénomène eût été
explicable par la science. Monsieur Bichat, le bien renommé savant, avait
étudié son cas, s’étant livré à maintes analyses, appliquant en pionnier les
lois de l’anthropologie physique que le comte lui-même avait imposé qu’il en
usât. Les procédés expérimentaux nouveaux de Lavoisier lui avaient aussi étés
prodigués, non point que Galeazzo fût un cas, ou quelque créature de foire,
exotique, inconnue, ou inédite, Sélénite de Fontenelle
ou autre billevesée extraterrestre des contes de Voltaire. Son rythme respiratoire, l’oxygénation de son sang, ses battements cardiaques, ses fonctions d’excrétion les plus viles, rien, en ces examens approfondis ne révélait en di Fabbrini un malade. Il jouissait donc d’une santé parfaite, étant réputé ne souffrir d’aucune maladie ou pathologie. Cela intriguait fort Bichat, mais aussi cette nouvelle figure montante, bien qu’elle s’intéressât davantage à la reconstitution à partir de presque rien des espèces effacées par le Déluge : monsieur Georges Cuvier dont le protestantisme bénéficiait de la nouvelle politique de tolérance instituée par le premier des Napoléonides. Cuvier se jura qu’à la mort de Galeazzo – si toutefois Dieu ou le destin en décidaient ainsi – il l’autopsierait afin de découvrir le secret de ses entrailles et de résoudre l’énigme de sa jeune maturité « éternelle ».
ou autre billevesée extraterrestre des contes de Voltaire. Son rythme respiratoire, l’oxygénation de son sang, ses battements cardiaques, ses fonctions d’excrétion les plus viles, rien, en ces examens approfondis ne révélait en di Fabbrini un malade. Il jouissait donc d’une santé parfaite, étant réputé ne souffrir d’aucune maladie ou pathologie. Cela intriguait fort Bichat, mais aussi cette nouvelle figure montante, bien qu’elle s’intéressât davantage à la reconstitution à partir de presque rien des espèces effacées par le Déluge : monsieur Georges Cuvier dont le protestantisme bénéficiait de la nouvelle politique de tolérance instituée par le premier des Napoléonides. Cuvier se jura qu’à la mort de Galeazzo – si toutefois Dieu ou le destin en décidaient ainsi – il l’autopsierait afin de découvrir le secret de ses entrailles et de résoudre l’énigme de sa jeune maturité « éternelle ».
En vérité, une seule peur rongeait
Galeazzo, le rendait anxieux en dehors de la mort : rencontrer sa propre
mère avant qu’il ne naquît. Si jamais cet événement survenait ; s’il
commettait l’imprudence de se dévoiler à Maria-Elisa di Fabbrini, la surprise la tuerait, la foudroierait sur
place. A cet instant précis, lui-même ne serait plus. Là résidait la quintessence du paradoxe
temporel, que seul Napoléon savait : Galeazzo venait bel et bien d’un
futur certain, d’une soixantaine d’années environ. Bien qu’il fît tout pour
éviter une confrontation avec Maria-Elisa, il savait d’autres événements
fâcheux toujours dans l’ordre du possible. Il se refusait à ce que le hasard,
la contingence, missent à bas le déterminisme, la téléologie de sa venue au
monde, qu’un minuscule grain de sable en vînt à compromettre l’ensemble, à
briser tout l’édifice construit depuis 1782 : que ses géniteurs ne se
rencontrassent pas et qu’il n’existât plus. Il s’évaporerait, finirait en gouttelettes
éthérées, dissoutes avant que le propre souvenir de l’ensemble de ses actions
jusqu’en cet an 1800 ne s’effaçât dans la tête de tous les acteurs de ce drame
historique improbable. Ce serait alors un bouleversement, la mise en place non
pas d’une Histoire alternative, mais le rétablissement de celle qui eût dû
être. Un mot qualifiait cela : chronoligne.
Galeazzo s’affichait comme un adepte extrême de Leibniz.
En son for intérieur, il pressentait
l’inéluctabilité d’un accident fortuit, d’autant plus qu’une seconde crainte le
rongeait : la certitude que plusieurs possibles pussent exister, cohabiter
à distance, sans toutefois que s’interpénétrassent les chronolignes
différentes. Il savait n’être en ce présent, en ce 1800-là, que par un
mystérieux jeu ou écheveau de circonstances remontant à 1867, lorsque sa bête
noire, cette vipère qui avait trahi son mentor, ce Danseur de Cordes, ce
Frédéric Tellier, avait déjoué sa machination d’alors, et mis à bas son
grand-œuvre : la création d’un surhomme, l’Homunculus danikinensis. [1]
En un ailleurs, en un autre 1867, il était déjà mort, précipité en l’abîme,
sciemment, pour échapper à la justice des hommes. Mais le cours du temps
s’était altéré, et il n’avait point péri, ne s’était pas fracassé, avant qu’un
démiurge presque jumeau, un Homme de la Nuit, Johann van der Zelden, ne lui
procurât l’instrument de la vengeance : le translateur temporel qui lui
avait permis de machiner, non d’édifier ce monde autre, cette Histoire déviée, glorieuse, cette anticipation
antérieure où Napoléon le Grand succédait directement à Louis XVI à la faveur
d’un renversement dynastique, évitant les effusions sanglantes de la grande
Révolution.
N’en avait-il pas toujours été
ainsi ? Nulle part dans le cours du temps la légitimité royale n’avait
existé ! Clovis l’avait emporté sur Syagrius,
fils d’Egidius, qui, en 486, était le véritable détenteur du pouvoir impérial romain en Gaule. Illégitime le détrônement des Mérovingiens par Pépin ; illégitime l’élimination par Charlemagne des enfants de son frère Carloman ; illégitime encore la déposition de Charles le Gros au profit d’Eudes ; illégitime toujours l’arrestation de Charles de Basse-Lorraine, oncle de Louis V, par Hugues Capet ;
illégitimes enfin Philippe VI de Valois et Henri IV lui-même, nonobstant la loi salique ou loi des mâles. La force de Galeazzo, en 1782, avait été de faire accroire à plusieurs princes et ducs, dont le futur duc d’Orléans Philippe, que Charles-Marie Bonaparte, père de Napoléon, descendait de Childéric III ! Tous avaient gobé la légende échafaudée à partir de fausses chartes et parchemins falsifiés…
fils d’Egidius, qui, en 486, était le véritable détenteur du pouvoir impérial romain en Gaule. Illégitime le détrônement des Mérovingiens par Pépin ; illégitime l’élimination par Charlemagne des enfants de son frère Carloman ; illégitime encore la déposition de Charles le Gros au profit d’Eudes ; illégitime toujours l’arrestation de Charles de Basse-Lorraine, oncle de Louis V, par Hugues Capet ;
illégitimes enfin Philippe VI de Valois et Henri IV lui-même, nonobstant la loi salique ou loi des mâles. La force de Galeazzo, en 1782, avait été de faire accroire à plusieurs princes et ducs, dont le futur duc d’Orléans Philippe, que Charles-Marie Bonaparte, père de Napoléon, descendait de Childéric III ! Tous avaient gobé la légende échafaudée à partir de fausses chartes et parchemins falsifiés…
Cependant, le comte piémontais avait
l’impression d’être déjà mort une seconde fois, en un 1783 différent où, là
encore, on avait déjoué le complot… A moins qu’il ne pérît en 1825… Il avait le
choix des années de trépas, chacune représentant une piste temporelle…
Pour l’instant, il marmottait :
« De Kermor… Maël de Kermor appartient aux conjurés… »
Le regard du comte s’illumina, comme en
une révélation divine. Napoléon perçut cette nuance de l’expression de la face,
non point les autres protagonistes de la scène.
« Si je puis m’effacer, mourir à
plusieurs reprises, je puis également naître dans plusieurs temps, plusieurs
mondes… » Telle fut la pensée habitant l’ultramontain. Nous l’expliquerons
lors du déroulement de notre intrigue, au risque d’une accentuation des
paradoxes.
A suivre...
***********
[1] Cf. le roman de Jocelyne
et Christian Jannone : Le Tombeau
d’Adam volume 2 : Le Retour de
l’Artiste.
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