samedi 9 février 2019

La Conjuration de Madame Royale : chapitre 2 1ere partie.


Chapitre 2.

Depuis l’an 1788, George III d’Angleterre
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 avait été frappé d’incapacité. Progressivement, la folie avait embrumé son cerveau à la lourde hérédité d’alcoolique hanovrien. Le prince de Galles régnait donc à sa place en compagnie de William Pitt le jeune,
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 indéboulonnable premier ministre du parti Tory, ce, depuis 1783. Les beuveries des deux bambocheurs égalaient celles de Mirabeau-Tonneau. Il y avait en eux quelque chose de baroque, de Falstaff. 
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Ils partageaient souventes fois leurs agapes dans une espèce de salon gothique de Whitehall,
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 d’un style d’aménagement architectural et décoratif remontant au début des Tudor, aux fenêtres à meneaux et traverses dont le vitrage était formé de vitraux alvéolés aux motifs héraldiques. Ces fenêtres donnaient à l’extérieur, en la cour même où, en 1649, s’était dressé l’échafaud où l’on avait décapité Charles Premier.
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 En cette pièce obscurcie de boiseries lugubres, tous deux, premier ministre et prince-régent, discutaient de l’échec malencontreux de l’attentat. Ils disputaient ferme des conséquences de la survie inopportune de Boney au sein d’un pandémonium microcosmique peuplé d’armures de collection. Car le prince, en ses lubies étranges, affectionnait les armures, surtout celles dotées de servomécanismes les vouant à la fonction de serviteurs androïdes. L’ingénierie d’Albion se voulait l’héritière et la continuatrice des recherches de Vaucanson, mais également d’un mystérieux chevalier napolitain, Antonio della Chiesa, assassiné par des spadassins masqués de commedia dell’arte en l’an de grâce 1763. Ce pionnier de l’automation avait excellé à sa manière et Galeazzo di Fabbrini, sur ordre du singulier Johann van der Zelden, avait enquêté sur sa vie, car il craignait par-dessus tout que della Chiesa eût récupéré le Baphomet, l’idole des chevaliers du Temple, qu’on disait douée de vie, voire de propriétés fabuleuses liées à l’espace-temps. Mais les recherches du comte italien avaient démontré que le propriétaire actuel, en l’an 1800, du Baphomet, n’était autre que Van Kempelen,
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 escroc notoire qui, ignorant ses facultés techniques, l’exploitait sans vergogne dans toutes les cours d’Europe sous les oripeaux d’un automate joueur d’échecs baptisé El Turco.
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 Il tardait à di Fabbrini que Napoléon affrontât ce Turc mécanique et perçât son mystère afin que ses propriétés servissent ses desseins. L’on prétendait El Turco invincible et invulnérable du fait que la tsarine Catherine, fâchée par le champion, l’avait autrefois condamné à mort. Bien qu’il eût été fusillé, l’être artificiel était sorti indemne de ce peloton singulier. Aucune des douze balles de plomb n’avait altéré son mécanisme et ses propriétés fantastiques. Des impacts du corps, on n’avait pu extraire que cinq ou six projectiles, à demi fondus, comme si les autres se fussent égarés dans l’outre-temps.

Âgé de trente-huit ans, le prince-régent
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 souffrait d’un embonpoint précoce et son visage rougeaud se grêlait de vérole. De même, des accès de goutte l’immobilisaient périodiquement. Sans doute était-ce là une conséquence de son existence de bâton de chaise puisque l’alcoolisme atavique hanovrien n’expliquait pas tout. Affalé dans son fauteuil, il commanda à un robot revêtu d’une armure savoyarde de l’an 1600 qu’il servît un cognac.
De fait, de Whitehall ne subsistaient plus, depuis le grand incendie de 1698, que la maison des banquets et des reconstructions partielles. Mais le régent, fuyant la folie étouffante de son père, qui demeurait, reclus, au non moins lugubre Saint-James,
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 résidence officielle depuis Guillaume III, lui aussi de construction Tudor, avec son architecture de briques typique, préférait ces restes ou vestiges historiques à toute autre demeure. De fait, il projetait le rachat de Buckingham palace, son réaménagement conséquent, afin que la famille royale y établît son siège officiel. Sa fille, encore enfant, était l’héritière de la couronne, et le régent George espérait pour elle un prestigieux mariage.
Whitehall et ses ruines gothiques étaient conséquemment le « jardin secret » de ses turpitudes, de ses bizarreries, où il accumulait des collections macabres. George point encore quatrième du nom, outre les armures androïdes, y avait entreposé divers restes humains à des fins d’expériences, reprises de celles d’Ambroise paré en 1559, lorsque Montgomery avait transpercé en une joute fatale, l’œil d’Henri II roi de France. 
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C’était une théorie de chefs plus ou moins racornis, momifiés et putréfiés, que le prince de Galles utilisait en des jeux cruels : il s’amusait à en percer les orbites de tronçons de lances, de lames de dagues ou de fleurets, de carreaux d’arbalètes, de pointes de flèches de long bows. Il voulait percer le secret balistique d’Hastings qui avait tué Harold le Saxon dont l’œil avait été transpercé par le trait d’un Normand, ce qui avait changé le cours de l’Histoire. George rédigeait un traité des trajectoires des flèches, lances, balles et autres projectiles, traité qu’il comptait soumettre d’ici peu à la Royal Society. Les têtes décapitées objets de ses expérimentations sadiques étaient récupérées soit des morgues, soit des gibets ou gallows, soit commandées depuis la France, de Maisons-Alfort plus exactement, à un certain Honoré Fragonard, anatomiste à l’école vétérinaire. Las, la source d’approvisionnement d’outre-Manche venait de se tarir, non point à cause des événements récents mais du fait du trépas de ce savant réputé en écorchés. Certains de ces chefs charognards étaient casqués à l’ancienne, de barbutes, de morions, de salades, d’armets, de formes archaïques à nasal, de heaumes, de grands bassinets à museau de chien ou de chapels de fer. Le jeu consistait donc à glisser le tronçon de lance ou la lame contondante à travers la visière afin que l’œil fût percé jusqu’au cerveau. Beaucoup parmi les armets avaient été récupérés chez des descendants des Cavaliers favorables à Charles premier ; l’on prétendait que ces dépouilles métalliques avaient été ramassées sur le champ de bataille de Naseby par des détrousseurs de cadavres qui avaient monnayé à prix d’or le rachat de ces reliques militaires par les familles aristocratiques vaincues par les Têtes rondes de Cromwell.  
George était fort renommé pour ses maîtresses, ses dettes et son coup de fourchette, quoiqu’il souffrît de cette réputation…et de la même porphyrie que son paternel. Sans courtoisie aucune, n’attendant pas que William Pitt se fût lui-même servi, le prince-régent se saisit de son verre et avala son cognac d’un trait. Sa bouche lippue émit une grimace tandis que l’écarlate de sa face couperosée et grêlée s’accentua. Alors, George recracha le liquide qui éclaboussa le cuir basané des bottes de l’androïde, d’une flavescence surie, au-dessous des cuissards semblables à ceux de de l’armure de Louis XIII.
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« Ça, un cognac ! Parlez m’en ! Cet alcool est frelaté, et provient sans doute de ces satanés contrebandiers malouins durs à cuire qui inondent Albion avec leur marchandise frauduleuse ! »
Il se leva, l’habit de cour prêt à craquer aux coutures, le ventre qui saillait, à la limite de l’éclatement, grotesque, inélégant et impudique, du gilet, tandis que ses bas de soie, distendus sous les chausses de nankin azur, se maintenaient avec peine, comprimant ses mollets de presque hydropique. S’emparant d’une badine de bambou, il passa sa colère sur le robot, le fustigeant, l’accablant de coups jusqu’à ce qu’elle se brisât net sur le mézail du serviteur. Il était heureux que les lois d’Asimov n’eussent point encore été formulées. La maltraitance des androïdes du prince de Galles eût justifié leur révolte. Rajustant sa perruque, George se calma lorsque Pitt lui dit :
« Louis Stanislas Xavier est de retour à Londres. Nous lui avons dépêché notre agent Charles comme comité d’accueil.
- Laughton ? 
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- Lui-même. Il a remis son rapport à qui de droit.
- Portland je suppose ? Ce dernier ambitionne de vous succéder.
- Il n’a été destinataire qu’en copie.
- Et que rapporte Laughton ?
- Boney, en ses arsenaux, prépare une invasion sous-marine. Toute une flotte submersible dérivée du prototype de Fulton est en construction à Boulogne. Il est indéniable que ses maîtres-espions nous ont dérobés les plans !
- Devil ! s’exclama le régent. Nous devons passer à la phase suivante : armer la Bretagne et le bocage vendéen, si Provence est d’accord toutefois.
- Pourquoi cette réticence, mon Prince ?  
- Il craint sa nièce, son caractère vif-argent. « Mousseline » a pris, vous ne l’ignorez pas, l’initiative de l’attentat. Ayant échoué, elle va désormais jouer la carte de l’insurrection provinciale.
- Que Laughton reparte donc en mission auprès de ses contacts de La Roche-sur-Yon. Le temps presse.
- William, la répression menace. Boney est sans pitié. Il se prend pour Octave héritier de Jules César châtiant les comploteurs des Ides de Mars. Il va frapper cruellement nos réseaux. Une police hors pair le sert. Il est prêt à tout pour consolider son trône illégitime.
Tout à fait dégrisé, le prince-régent s’assit à un secrétaire et rédigea un billet : il s’agissait des nouvelles instructions à remettre de toute urgence au maître espion Charles Laughton. Cacheté avec soin, le pli confidentiel fut remis à un autre androïde qui arborait une armure maximilienne.
« J’ai veillé à son programme. Connaissant les habitudes de Laughton, je sais qu’il se sera rendu au café untel grimé en négociant de la Compagnie des Indes. L’automate va l’y rejoindre tout droit. Une houppelande camouflera son artifice métallique. »

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A suivre...

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