vendredi 27 mars 2015

Cybercolonial 1ere partie : Belles Lettres d'une Rose méconnue chapitre 7 1ere partie.



Chapitre 7

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Lorsqu'elle daigna retrouver ses esprits, l'apprentie star cligna des yeux, comme si une luminosité d'exception l'eût frappée en plein visage. Or, une relative obscurité baignait le lieu où elle émergeait. L'effet du chloroforme prit tout son temps pour s'estomper ; et les hommes de main de notre poétesse n'avaient nullement été chiches sur la quantité du produit somnifère. Deanna Shirley eut pour premier réflexe de se tâter. Elle éprouva une première surprise : notre Anglaise se découvrit libre de ses mouvements. Ni liens, ni bâillon, ni poire d'angoisse. A cette première singularité s'additionna une autre bonne nouvelle. Le constat de Deanna s'avéra positif : ni meurtrissure, ni traumatisme, ni hématome. Sa pâmoison n'était point le résultat d'une chute accidentelle mais d'une tierce intervention nuisible. Il s'agissait d'un kidnapping. Or, on avait pris des précautions pour qu'elle ne se blessât point parce qu'on tenait à elle. On voulait la ménager pour ne point dire la choyer. Ce on l'aimait!
La souvenance des derniers événements avant l'absence remonta en son cerveau encore embrumé. Une odeur florale incertaine montait à ses narines mais elle ne pouvait s'arrêter sur sa provenance : exhalaison d'un bouquet, quelque part dans cette pièce inconnue, ou parfum dont elle-même aurait été enduite, postérieurement à son fâcheux rapt?
« La partie de chasse.... La duchesse... ma chute de cheval… Oui...What a pity! J'ai failli une fois de plus à ma mission! Daniel va me passer un de ces savons! »
En inspectant ses membres, elle venait de constater au toucher une différence de texture d'avec sa toilette de chasse dans les étoffes constituant ses vêtements. Elle se retrouvait en cheveux ; toutefois, le familier ruban de petite fille en soie vieux-rose qui agrémentait son innocente blondeur d'une touche ambiguë n'avait point été ôté parce qu'il constituait aux yeux de sa ravisseuse (la duchesse? La poétesse? Marguerite?) un élément sine qua non de son irrésistible beauté.
Deanna y voyait mal mais elle percevait une vague clarté qui tentait de s'insinuer à travers quelques fentes dont elle ignorait pour l'instant la nature. L’enténébré local de sa captivité lui paraissait pour l'heure peu engageant, quoique le siège capitonné sur lequel la frêle Britannique avait repris ses sens fût des plus moelleux.
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Quand, après un laps de temps indéterminé, elle parvint à s'accoutumer à cette pénombre, DS De B. de B. renouvela ses tâtonnements corporels et écarquilla ses orbites au summum de ses possibilités. Elle comprit, enfin! On l'avait changée et parfumée! Et cette entêtante fragrance, aussi agréable qu'elle fût à de raffinées narines, n'était autre que celle de la violette. DS embaumait donc la violette comme une cocotte de luxe, ou plutôt, comme si elle eût été un de ces animaux de compagnie de vieilles ladies anglaises, un de ces pets, chats, chiens, chinchillas ou autres!
Notre jeune britannique se leva, attirée, telle l'aiguille d'une boussole, par les rais de lumière diurne filtrant à travers ce qu'elle identifia comme de traditionnelles persiennes en bois. Mademoiselle de Beauregard sentit sur ses doigts la sensation tactile caractérisant un rideau de tussor. Elle le tira, découvrant des persiennes intérieures d'une teinte marron glacé : nouvelle singularité! Des fenêtres inversées : vitres d'abord, volets ensuite! Quel architecte fol avait-il eu l'audace de concevoir de telles ouvertures? Deanna Shirley saisit la poignée et dévoila le pourquoi de cette fenêtre si étrange tandis qu'un jour jà avancé pénétrait dans la pièce, éclairant des aîtres cossus, au confort ouaté, presque lascif, meublés à foison de bibelots, de mignardises précieuses et autres babioles bien féminines. Il n'y avait aucun loquet qui permît d'ouvrir grands ces vitrages. Deanna, si menue qu'elle fût, tenta sans succès de fracasser les vitres en utilisant sa chaise Napoléon III qu'elle brisa au risque de se faire grand mal et d'alerter sa geôlière! La matière de ce vitrage était d'une dureté adamantine, incassable, trempée comme quelque acier inoxydable! Une texture inconnue sortie d'un laboratoire de l'avenir que rien ne pouvait rayer ni a fortiori fissurer. La matière était de l'hawkingium renforcé. Seul Kulm en connaissait le secret. Il en avait fait équiper toutes les fenêtres du château de Bonnelles afin de prévenir une attaque des Allemands, en fait  d'ennemis futurs équipés de fuseurs!
Car c'était bien à Bonnelles que Deanna Shirley était présentement captive!
Haletante, découragée par tant d'efforts vains, la comédienne observa l'extérieur : la pièce donnait sur une sorte de douve revue et corrigée et, plus loin, on remarquait une allée ombragée bordée de mélèzes et de bougainvillées en pleine floraison sans omettre un de ces fameux bassins aux colossaux nénuphars dans le style de ceux de Kew gardens.
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Deanna se résigna à la prochaine venue de sa geôlière : elle avait produit trop de vacarme pour que ses gardiens ne s'alertassent point d'un tel charivari! En attendant, la miss se contenta d'un inventaire de sa prison dorée. Elle remarqua une coiffeuse à la psyché tentante, par ailleurs encombrée de vaporisateurs à parfum avec leur fameuse poire, de brosses et de poudriers en nacre et en laque. S'approchant, elle s'ébaudit à son allure : notre star apparaissait dans la glace plus Bébé Jumeau que jamais avec sa robe débordante de dentelles et de padous, l'énorme nœud cramoisi qui ornait son derrière, l'organdi, le satin, la mousseline, les pantalons de lingerie tombant jusqu'à ses pieds, comme si elle eût incarné une Coppélia de 1840 et ses chaussures vernies inconfortables qui lui prodiguaient des ampoules malvenues et l'endolorissaient! De plus, avec ses joues poudrées excessivement de rouge, elle était encore plus caricaturale qu'un modèle juvénile de Renoir, ces fameuses filles de Catulle Mendès, cette célèbre petite rousse à l'air grave qui avait pour nom Irène Cahen d'Anvers et d'autres fillettes encore! Elle comprit : c'était Aurore-Marie qui l'avait enlevée et parée, pomponnée, chouchoutée à la semblance de ce qu'il fallait bien appeler un Bébé anglais, allégorie péripatéticienne des plus inconvenantes dont certaines créatures des boxons les plus courus se faisaient les spécialistes pour des clients espéciaux, généralement de lubriques et fort honorables messieurs d'un certain âge portés sur les tendrons et ce que l'on ne nommait plus alors les nymphettes! Bref, DS n'était plus qu'un joli jouet dans les mains d'Aurore-Marie et, craignant qu'il lui arrivât quelque chose de dangereux pour sa réputation, l'actrice se désespéra du secours de Louis Jouvet, Craddock et consorts.
S'appuyant sur l'accoudoir d'un des sièges d'une boudeuse Second Empire capitonnée vert bouteille, elle commença à sangloter et à émettre des plaintes dans la langue de Shakespeare. Elle ne fit plus cas des brimborions qui l'entouraient, tous inutiles à ses yeux, bien qu'ils traduisissent une futilité féminine exacerbée. Elle se moqua des toupins et des gloutes rustiques que la duchesse d'Uzès avait entreposés là en compagnie des petits vases de Saxe ou des faïences fines Wedgwood de la fin du XVIIIe siècle, d'une glaçure blanche plus étincelante que la porcelaine authentique. Elle ne s'émoustilla point à la vue d'un paravent de soie représentant des grues cendrées, œuvre véridique datant de l'Empire Song. Elle se ficha comme d'une guigne du bouquet d'asparagus, de pétunias et de cyclamens émergeant d'un Sèvre d'un bleu de lapis-lazuli.
Enfin, la pauvre femme congestionnée par les larmes perçut un bruit de clefs : toute à son chagrin de petite fille gâtée et contrariée, Deanna Shirley n'avait même pas pensé à s'enquérir de la porte de la pièce, sorte de boudoir réservé aux hôtes captifs spéciaux!
Aurore-Marie fit son entrée solennelle, belle à couper le souffle dans sa robe gris souris de pongé, de velours et de bengaline à la conséquente tournure d'un bleu pétrole presque noir, un oignon en sautoir, une châtelaine à la taille d'où pendaient de fins ciseaux d'argent, ses longues boucles anglaises d'un blond doré foncé cascadant sur ses épaules et ses grands yeux d'ambre jaune illuminés par un ravissement non feint. A son cou chétif, un camée de cornaline au profil de Minerve. Madame la baronne s'était également parfumée, mais elle avait opté pour une subtile fragrance de muguet, parfaitement appropriée à la saison, au joli mai qui courrait bientôt vers son achèvement.
« Pourquoi vous en prendre à moi? Jeta Deanna avec son accent Oxbridge inimitable.
-  Parce que tu es moi, et que je suis toi! Répliqua tout de go la poétesse, plagiant ouvertement Montaigne. Deanna, tu es mon double! Et je t'aime comme je m'aime! »
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L'actrice, interloquée par cette choquante confession à la fois narcissique et saphique, ne put riposter. Ses yeux étaient gonflés par les pleurs, et Aurore-Marie, qui voulait consoler et choyer sa victime préférée s'approcha d'elle de son pas mutin prodigué par des bottines pointues aux guêtres vieil ivoire.
Deanna Shirley eut tôt fait de remarquer que la fluette poétesse était par trop émotive. Madame la baronne, non seulement ne parvenait pas à réprimer, à réfréner l'empourprement presque instinctif de ses joues jà purpurines à l'ordinaire, mais en plus, elle paraissait souffrir comme une asthmatique puisque des halètements d’essoufflée  parvenaient aux oreilles de la star. Les poumons de cette jeune femme étaient atteints par une pathologie morbide et son abus de drogues (opium et laudanum) avait sur cet organisme souffreteux des conséquences fâcheuses auxquelles il eût fallu ajouter la propension de suivre jusqu'à l'excès la mode de la taille de guêpe. Cette minuscule blonde à l'ovale d'elfe, encore plus menue qu'elle même (n'était-elle pas, justement, sa caricature miroir et mignarde?) se targuait d'une silhouette de fillette de douze ans et, souhaitant la conserver quel qu'en fût le prix, abusait du corset malgré son anatomie le rendant inutile, exigeant de la pauvre Alphonsine qu'elle le serrât jusqu'aux prodromes de l'étranglement.
Aurore-Marie s'agenouilla aux pieds de la jeune Britannique dont elle saisit les mains, et, entre deux spasmes, lui murmura quelques mots d'affection, prélude à une explication de ses plans machiavéliques.
Par-delà une ressemblance relative partagée avec notre Anglaise, c'était une habile combinaison entre une fragilité touchante mais réelle et une ingénuité factice qui conférait à Aurore-Marie cette ruse supérieure grâce à laquelle elle parvenait à séduire les deux sexes, à se faire tantôt plaindre, tantôt aimer et à emberlucoquer la gent masculine. Sa tromperie innée lui permettait de faire mouche à tous les coups. DS résisterait-elle aux suppliques de la maladive enfant de vingt-cinq ans?
« Columba mea! Commença Aurore-Marie, citant le Cantique des cantiques dans la vulgate. Si tu l'acceptes, tu deviendras ma Cléore, cette encor dans les limbes héroïne à laquelle je rêvais déjà en mes primes années! Tu es mon modèle, mon adorée, ma muse, mon double, ô jumelle merveilleuse! J'ai décidé de prendre ta place, ne t'en déplaise... me vêtir à ta semblance ne me gêne aucunement! Fillette suis, et je m'en accommode! »
Deanna Shirley tenta de faire valoir ses droits, ce qui, pour madame la baronne, ne fut que pures arguties creuses.
« Euh, my lady, dit-elle d'un ton snob, flatteur et minaudant, c'est que...vous me retenez ici contre mon gré...
- Foin d’ergoterie, ma chérie, la coupa la femme de lettres. Tu n'auras pas à te plaindre de ta captivité, aussi répréhensible qu'elle te semble,  puisque nous t'assurons le gîte et le couvert! N'as-tu pas remarqué ce joli petit lit préparé à ton intention, au fond du boudoir? Tu as même droit à l'éclairage avec cette mignonne lampe à pétrole! Tu ne vas manquer de rien!
- Er...I...Je doute que Madame de Rochechouart de Mortemart accepte cet état de fait. Duchesse ou pas, elle risque la prison tout comme vous! Et Daniel viendra me délivrer!
- Ce Daniel, toujours son nom dans ta bouche délicate! Fulmina Aurore-Marie, les joues pivoine. C'est à croire qu'il a plus de puissance que moi ! Sans doute est-ce vrai, mais je suis tout de même la Grande Prêtresse des Tétra Épiphanes, et tous m'obéissent en ce bas monde, directement et indirectement...Kulm itou!
- I'm sorry, but...Vous êtes encore plus immature que moi!
- Pas de quitterie, ma Deanna! Nul ne doit douter du Pouvoir que ma chevalière me confère! S'il te faut une démonstration...
- Madame la baronne, aussi jolie que vous soyez, vous m'apparaissez pire que la plus capricieuse des petites filles gâtées! »
Aurore-Marie esquissa un geste de colère. Deanna Shirley crut qu'elle allait diriger sa bague contre elle et l'utiliser comme si elle eût eu les propriétés d'un fuseur de garde de la sécurité Kronkos. Elle l'empoigna au bras gauche, celui qui dirigeait tout.
« Aïe! Ma blessure! J'ai grand mal! Gémit-elle.
- Excuse me, my lady! Dit DS, un peu ironique. J'ignorais que vous souffriez encore! Du fait que vous vous êtes présentée à moi sans votre bras en écharpe, je vous ai crue guérie des conséquences de votre duel avec cette pauvre madame de La Hire!
- Tu fais preuve d'un soupçon de commisération, ma poupée, et c'est bien ainsi! Une pauvre fœtus lady comme moi ne cicatrise pas en un jour de l'éraflure d'une balle de pistolet! »
Des larmes perlèrent sur les joues de porcelaine de Madame la baronne qui toussota. La crise qui survint était autant physiologique que passionnelle. La position de Deanna Shirley en devenait gênante : elle ne savait plus s'il fallait se réjouir de la faiblesse insigne de sa geôlière ou, dilemme aigu, secourir une  jeune femme quinteuse dont l'étisie était plus pathologique que due à un régime amaigrissant excessif comme le proposaient les magazines américains des années 1930 se targuant de nutritionnisme et dont l'idéal féminin s'incarnait dans les soi-disant corps parfaits de Greta Garbo et de Marlène Dietrich! DS ne pouvait pas les piffer! Elle choisit de plaindre Aurore-Marie, tombant aussitôt dans son piège, n'ayant pas compris que la poétesse savait user à dessein de sa mauvaise santé!
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« My poor lady! Voulez-vous que je vous aide? Souhaitez-vous que j'appelle Madame d'Uzès afin qu'elle demande un médecin?
- Inutile...J'ai...j'ai consulté Maubert de Lapparent, mon docteur personnel à Lyon, voilà tantôt vingt-cinq jours avant de venir ici... Il m'a ausculté car je lui avais fait part de mes craintes touchant à la phtisie... Il m'a juré que je n'avais rien encore...
- Vos joues sont écarlates et luisantes, Madame! Il faut vous soigner! Voudriez-vous que je desserre votre corset? Vous risquez la congestion! Je pense que votre médecin est un fieffé menteur et qu'il vous ménage pour ne pas vous alarmer. Je suis sûre que votre mal a dépassé le stade de la primo infection! Ah, si seulement la radio était inventée! Il s'en faut hélas d'une décennie! »
L’Anglaise était-elle sincère ou jouait-elle la comédie ? Pour l’heure, elle s’apitoyait sur sa geôlière.
« J'avoue...je souffre de suées nocturnes et j'ai grand mal à la poitrine... j'ai eu d'une grave bronchite il y a cinq ans et j'ai fait deux fausses couches... Deanna, aide-moi! »
Une nouvelle quinte, plus forte, fut suivie d'une expectoration dans le mouchoir de batiste de la baronne. Aurore-Marie s'effraya et fut prise d'un accès de faiblesse.
« Ciel! Une hémoptysie! » Criailla-t-elle avant de tomber en syncope sur la boudeuse. Deanna Shirley, décontenancée par ce malaise dit vagal dont Aurore-Marie  était coutumière, fut contrainte de la ranimer selon la méthode propre aux secouristes du XXe siècle à défaut d'un flacon de sels typique du XIXe siècle. Autrement écrit, elle se contraignit au bouche à bouche, au risque de contracter elle-même les bacilles tuberculeux de la pauvre enfant. L'ambiguïté de sa position la fit rougir, tant elle était perturbée par les penchants troubles que la poétesse manifestait envers elle et d'autres créatures encore plus juvéniles! Une telle déviance (pourtant, Madame était mariée à un homme charmant, assez handsome, par ma foi – à ce qu'elle avait pu en juger à la gare de Perrache, avant d'embarquer pour Paris avec ce faraud de Saturnin - et elle avait une petite fille!) l'importunait fortement mais elle se souvint que Marlène et Greta étaient aussi les deux quoiqu'elles ne s'intéressassent qu'à des personnes adultes!
« Shit ! Jura-t-elle. J'ai affaire à une bi ou à une timbrée! Une nymphomane dans le sens originel du terme avant que la signification du mot ne s'inverse! Il ne faut surtout pas que je laisse parler mon cœur. »
Pourtant, elle se rapprocha de la névrosée et, inconsciemment, porta ses mains sur sa soyeuse chevelure comme Marie d’Aurore l’avait fait avant de succomber aux affres du poison. Aurore-Marie revint à elle, surprenant Deanna en train de lui caresser ses cheveux, très longs, très doux, très soyeux, qui dégageaient une suave fragrance d'eau de rose! L'actrice avait l'impression d'épouiller un ouistiti! La baronne murmura :
« Merci, ma mie! Sache que jamais je ne me suis coupé cette mirifique et nonpareille parure! »
DS soupira intérieurement : elle croyait vivre une scène scabreuse d'un de ces romans victoriens lesbiens qui avaient circulé autrefois sous le manteau, dont son sinistre beau-père possédait quelques exemplaires qu'il s'amusait complaisamment à lui montrer!
Aurore-Marie sentit qu’il était temps de mettre à profit ce voluptueux moment engendré par les jouissives caresses auxquelles ne manquaient que brosse et peigne pour parfaire son plaisir. Elle pensa Deanna Shirley mûre et crut bon d'aller de l'avant. Encore eût-il fallu, pour assurer la réussite de son plan, qu'elle renonçât à son assuétude à l'opium. Au contraire, la perverse jeune femme proposa à Deanna de partager son vice. Le château de Bonnelles, sur sa demande, avait été approvisionné de ce poison. Deanna Shirley connaissait plusieurs acteurs drogués et alcooliques dont la carrière avait sombré. Elle qui faisait semblant de fumer dans les films, où, incidemment, il lui arrivait d'allumer une cigarette, ne voulait aucunement goûter à ces paradis artificiels baudelairiens, plus pourvoyeurs de frustrations blasées que d'un quelconque Nirvana ou  schibboleth.
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« Non, c'est catégoriquement non! Jeta-t-elle à l'adresse de son amoureuse transie au suppliant regard. Vous faire passer pour moi afin de jouer un tour pendable à Daniel, soit! Je suis plus dans son équipe par accident, à cause du refus spécieux de ma sœur Daisy Belle, que par pure conviction! Mais profiter de ma captivité pour me pervertir et me rendre opiomane, je m'y refuse, my lady! »
Aurore-Marie réagit par la pleurnicherie. Elle commença par rappeler les tristes morts de sa maman et de son papa. Une orpheline de quatorze ans, cela en jetait dans le mélodrame!  Puis, elle se dit que la sensibilité féminine de Deanna Shirley n'obérerait pas une certaine réceptivité à sa poésie, en plus de l'empathie innée qu'elle éprouvait visiblement pour une menue blondine souffrant d'un début de consomption, de mal du siècle, qui possédait les plus beaux yeux et les plus coruscants cheveux au monde, les plus doux, les plus longs, les plus proprets, les plus soyeux, les plus parfumés, les plus...n'en jetons plus!
Notre nouvelle Eléonore, notre baronne de Lacroix-Laval, notre Marie-Madeleine à la semblance de celle de Bellini, se jeta dans le périlleux exercice de la séduction intellectuelle et artistique, en commençant à psalmodier ses vers selon elle les plus beaux, les plus esthétiques, pour lesquels la critique (officielle, cela s'entend), avait fait preuve d'un unanimisme rare! Tout le reste ne serait que pure intellection!
Tout à ses cogitations psychologiques dignes d'un roman de son ami Paul Bourget, tandis que notre star continuait de lisser sa coiffure tire-bouchonnée d'or blond-roux miellé et cendré, Aurore-Marie songea aux conséquences funestes de sa passion irraisonnée.
Il n'était à l'évidence pas question que cette séduction allât jusqu'à l'irréparable. La passion de la baronne envers sa « jumelle », aussi irrépressible qu'elle fût, cette tentation pour la volupté et les transports ardents, se devait, ô, paradoxe, de demeurer pure, sans tache, platonique quoique brûlante! Aimer l'adorée avec le cœur et non avec le corps! Gageure! Aurore-Marie n'était point une Valtesse vérolée couchaillant avec celles qu'elle formait au plus vieux métier du monde. Probité et pudeur, tels seraient ses mots d'ordre...jusqu'à la réussite de l'expédition d'Afrique, la fabrication de la bombe tétra-épiphanique et la victoire contre l'Allemagne! L'entêtante voix de cet être, adversaire inconnu de Daniel Wu (son reflet masculin inversé ?),  semble-t-il immatériel, qui l'avait aidée en lui fournissant gracieusement le codex de Sokoto Kikomba, clé de ses plans grandioses, retentit une nouvelle fois à ses oreilles :
« Vas-y, c'est dans la  poche! »
Alors, elle récita!
Elle opta pour commencer, mise en bouche émouvante, pour la poignante « Imploration en forme de thrène à un amour perdu » de 1882, composée en souvenir de Charlotte Dubourg!
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Jouvencelle gravide à la rose sanglante,
De tes entrailles vives, de ta soie utérine,
L’éruption génitrice que la vestale enfante
Surgit lors de la nymphe à la peau purpurine !

Charlotte! Sens donc la mort frôlée par le camélia blond!
Virginité perdue, musc, vétiver, qu'à la belle dryade,
Oppose la promise à l'égide, à l'ombilic oblong!
Entends-tu encor la pythonisse, la fameuse Annonciade?
Au bosquet de Délos, la cycladique sylphide en marbre de Paros
Te supplie, ô Charlotte, fille aimée d’Ouranos
Afin qu'en sa maternité elle la prenne en pitié
Tel l' hydrangea céruléen s'épanouissant  libre de toute contingence,
Repoussant dans les limbes l'avorton de l'engeance,
En accueillant dans le giron des dieux ce symbole d'amitié!

Asparagus à l'ivoirin pistil! Imposte de béryl!
Incarnat de la blonde d'albâtre aux boucles torsadées,
De Charlotte ma mie qui par trop musardait
Vêtue de sa  satinée mante parmi l'acanthe où gîte l' hideux mandrill!
Dorure de la nef en berceau où la mandorle de Majesté
M'apparaît solennelle, en sa Gloire romane et non plus contestée!
Inavouée passion, Dormition chantournée de Celle qui n'est plus!
Charlotte, ma virginale mie, sais-tu ô combien tu me plus?
Charlotte! Platonique égérie s'effarouchant à l'orée des manguiers où fleurit la scabieuse,
Tu me suis par-delà le péril des syrtes, de la noire frontière, telle une ombre précieuse.

Mater Dolorosa, prends pitié de l’Impure
Dont le douloureux ventre rejette le fruit mûr!
Au sein de la matrice en feu pousse alors l'aubépine!
Parturiente blessée, meurtrie, je souffre en ma gésine.
Charlotte! Une dernière fois, Charlotte, fille de Laodicée,
Reviens-à moi! Rejoins-moi, pauvre muse, en ma Théodicée!
Implore donc Thanatos, ô mon Enfance à jamais enfuie!
Charlotte, astre de mon cœur, vois donc les larmes d'Uranie!
Traverse le Tartare, encor, encor, n'attends pas le tombeau!
Mon Artémis! Amour premier lors perdu pour toujours...adieu ma Rose en mon berceau!

Comme les prunelles de notre trop sensitive Anglaise s’humidifiaient déjà, Aurore-Marie accentua son attaque en enchaînant une nouvelle mélopée raffinée : la « Méditation botanique » écrite en 1884 qui avait reçu les éloges de Catulle Mendès, de Jean Lorrain et de Leconte de Lisle, tellement ce poème s'avérait lascif, dolent et décadent!

A l'ombre des sycomores quand fraîchit l'air du soir
Lorsque dort l'abeille vient le papillon noir
S'abreuver du nectar alors que je repose
Sur le vieux banc de grès, méditant près des roses.
Le luminaire de Séléné éclairait mon visage.
Sylphide égéenne descendue des nuages
En ce jardin suspendu, œuvre de Sémiramis
Exhalant mille senteurs dont se sustente l'astome
En massifs de magnolias, se croyant Adonis,
Tandis que je m'endors, languide, à peine prise en mon somme
Sommeil de la blonde, mortifère torpeur par la nue habitée
Ivre des mille parfums d'Ispahan, ô iris agité!

Adonc le vent nocturne évoque en moi toutes les fleurs.
Épuisée par l'air moite, je pense aux grappes de l'Algarve portugaise,
Aux fiers pélargoniums, abritée des ardeurs brûlantes, ô mes pleurs!
Bégonias, pensées et capucines, bouquets surgissant de la glaise!
Ô satiné philodendron! Érigéron, beau chrysanthème, bouquet de simples!
Dolente fille de porcelaine en ses atours amples!
Campanule et tulipe batave! Mon caducée, ô, messager des dieux!
Par Hermès trismégiste, célébrez ma beauté, mes joues érubescentes!
Oyez mes pleurs, en ces jardins de l'Alcazar aux lierres chlorophylliens si vieux
Que le sage Démosthène, tout à sa philippique
Ne vit pas en mon être la muse évanescente
Qu'il fallait célébrer aux champs élyséens, par lauriers olympiques!

Ô sages forsythias, agripaumes, lycopodes
Du monde originel aux antiques arthropodes
Surgis de l'eau, du Rien, de l'antédiluvien,
Peupler Gaia, l'exubérante sylve sinople
Des âges carbonifères et des pays permiens!
Primitive salamandre, fille du feu, ô nymphe d'Andrinople
Sise en l'arboretum, née de l'onde, de la conque, de la fougère pourprée!
Naissance d'Aphrodite, ô mon divin Sandro, bella donna sempre!
En Aulide, Iphigénie, au Taurus, fière Europe captive,
Ma tragique vie de souffrances voit en vous mon salut, ma passion exclusive!

Prise à ce jeu dangereux, Deanna Shirley, après un « What a beauty! »larmoyant, se surprit à murmurer, dans le texte, mais avec cet accent delightful dont elle ne pouvait se départir, « La rose ptolémaïque » monorime de 1879!

Le suc au doigt blessé du grain d'ampélopsis
Par l'amuïssement fortuit des novices d'Eleusis
Dégoutta de la trémière rose aux pétales blancs du lys.

Pétrarque renaissant, muse de Volubilis!
Ménade qu'en Agrigente lors voué à Myrtis,
L'épigone de Scopas modela pour Isis!

Péléen volcan, lapilli qu'aux rives de Thétys,
Emplirent les cinéraires urnes fleuries d'amaryllis!

Belluaire thébain, esclave de Sérapis!
Quête encor avec moi les larmes d'Anubis!

Sacrifices opimes qu'à l'ombre de Némésis,
Les dieux oubliés reçurent du grand Aménophis!

Roi des rois, retiens le bras vengeur occulté en l'ophrys!
Préfère en moi la Vie, blonde rose de Nephtys!
Belle d'entre les belles, goûte encor avec moi à l'iambe d'oaristys!

C'était à croire que miss De Beaver de Beauregard saisissait parfaitement le double sens sexuel de ces vers à l'érotisme subjacent! L'effet en fut des plus émollients sur la rêveuse baronne qui, toujours allongée sur la boudeuse verte, le regard vague, la tête à la lourde chevelure reposant contre la poitrine de la comédienne, se mit à téter comme un poupon et à sucer son pouce, régression symbolique s'il en fut! Extatique, elle murmurait : « Vous m’avez lue ! » DS avait caché à Daniel qu'elle connaissait quelques poésies d'Aurore-Marie, dont celles traduites par Oscar Wilde, car elles existaient dans la piste temporelle d'où elle provenait et elle les avait étudiées avec assiduité et aimées depuis ses treize ans! La traduction wildienne du thrène de tantôt, parue en 1887, n'était pas des plus réussies. Jugez-en plutôt par cet extrait:

« (...) Carlota, star of my heart, do see the tears of Urania!
Go through the Tartar, again, again, do not wait for the grave!
My Artemis! First love, so long lost forever... goodbye farewell my Rose in my cradle! »

En anglais, ces vers avaient un effet de tragédie pseudo shakespearienne grotesque, grandiloquente, déclamée comme au XVIIe siècle! Mais DS De B de B n’en avait cure ; elle les trouvait d’une sublime beauté, comme ces roses un peu trop écloses, à la teinte déjà passée. Et Deanna récitait, récitait, alternant les deux langues, abolissant le temps... Sortant de sa torpeur presque onirique, sa pourtant aînée partenaire susurra : 
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« Il vient à ma souvenance une douce rémanence musicale... Connais-tu, ma Deanna, le Sospiro de Stefan Brand, l'homme que tu aimas dans le miroir où je te vis, du temps où ta mère t'appelait Lisa? »
Ce que lui narrait la baronne était un des rares renseignements sur sa carrière future supposée que Deanna Shirley était parvenue à soutirer à Daniel, à force de caprices et de minauderies. Sachant que le Sospiro était en fait une composition de ce cher Franz, elle n’en dit mot. Toutefois, elle aurait dû effectivement tourner dans un avenir indéterminé ce pur chef-d'œuvre sentimental rivalisant avec « Peter Ibbetson », « Lettre d'une inconnue », adapté de Stefan Zweig, où elle aurait interprété Lisa Berndle, l'amoureuse transie du moins que rien Stefan Brand, pianiste et compositeur débauché interprété par le french lover (né à Marseille!) Louis Jourdan! Daniel avait informé la jeune apprentie star que Madame de Saint-Aubain était si folle qu'elle se prenait pour tous les personnages que DS aurait dû jouer dans des films futurs avant qu'elle accostât incidemment à Agartha City : Tessa, Lina Mc Laidlaw, Ivy Lexton, la seconde Mme de Winter etc. Un cas exceptionnel de schizophrénie cinématographique transtemporelle avant même que le septième art fût inventé! Comme Deanna Shirley aurait dû avoir quelques quarante longs métrages à son actif, cela signifiait qu'Aurore-Marie se prenait pour ces quarante rôles - et il manquait encore à ce compte les pièces de théâtre et les fictions télé!- sans oublier les quatre hypostases de Cléophradès (dont l'actrice elle-même).
Au lieu d'acquiescer ou de demeurer quiète, notre Britannique jugea opportun de contredire l'aliénée :
« I beg your pardon, my lady, but...L'auteur d' « Un sospiro » n'est pas Stefan Brand mais l'apatride Russe blanc Daniele Amfitheatrof, un compositeur du futur. » mentit-elle avec aplomb.
Nous avons vu qu'au début de ce roman, Franz Liszt avait prévenu Daniel de la disparition de toutes les partitions du « Sospiro » dans toutes les pistes temporelles où elles existaient probablement... après consultation assidue et exhaustive du chronovision. Recherche avancée faite, il existait trois pistes où l'œuvre avait été composée, mais chaque fois par d'autres :
- la piste Aurore-Marie de Saint-Aubain, où le compositeur était anonyme à moins que ce ne fût elle-même à quatorze ans sous le coup de la folie,
- la piste Stefan Brand car dans une harmonique, il avait existé pour de bon dans la Vienne des années 1880-1900,
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- la piste Daniele Amfitheatrof, vers 1948, opus original écrit expressément pour « Lettre d'une inconnue. »
Cela expliquait pourquoi, dans ce 1888 ci, nul ne parvenait à attribuer « Un sospiro » à Liszt, bien qu'Aurore-Marie l'eût fréquemment interprété en public, en faisant son cheval de bataille avec « Le Coucou » de D'Aquin et « Les plaintes d'une poupée » de César Franck. Rappelons qu'en 1877, même Vincent d'Indy n'avait pas identifié cette pièce pianistique![1]   
La vacuité de cette spéculation musicologique digne des Byzantins importait peu à Deanna.
C’était à croire que sa méfiance s’était endormie. Ce fut pourquoi elle commit l'erreur de reprendre ses déclamations poétiques, en débitant des strophes qu'elle ne pouvait connaître en théorie, extraites des « Ambiguïtés gymniques », car la parution du recueil « La nouvelle Aphrodite » ne devait avoir lieu que le 10 juin et nous étions le 28 mai! Il était encore sous presse, et, hormis le petit cercle d'initiés qui avait pu ouïr quelques morceaux choisis à cette fameuse soirée d’il y avait trois bonnes semaines, nul ne savait à part son auteur le contenu exact du livre! En cette anti-fiction précieuse, jà pré-proustienne, cela donnait :

Le peucédan ombellifère en sa fragrance trouble,
Par l'ignifuge éclat de ton regard pythique,
Éblouit mon cœur d'or et d'électrum antique!
Volatile enjôleur, psittacidé, mon double!
Au symbolique hoir je dédie l'incunable,
La pogonotonie de ton être admirable!

Par ciguë absorbée, ton honneur fut vengé,
Jeune vierge initiée à Sappho las soumise,
En villa des Mystères la bacchanale commise,
Fit rompre ton hymen livré à mille dangers!
Ton animadversion pour le dieu débauché
Aux satyriques mœurs n'opposa nul hochet!

Philodendron d'albâtre, myosotis de marbre de Carrare!
Tes formes inachevées, ta translucide peau, plaisaient à toute femme!
Santal, bigaradier, vétiver, merisier droits venus de Mégare! (…)

Aurore-Marie ne réagit qu’à mi-parcours de la troisième strophe de cette pâtisserie 1880 ampoulée et balourde quoiqu’aussi fort érotique et saphique. La béance de sa bouche témoigna de sa surprise courroucée et de sa bégueulerie!
« Comment connais-tu jà ces vers? As-tu pillé mes manuscrits? Éructa-t-elle, soudain furieuse.
- Euh...j'ai visité voici quelques jours l'imprimerie de l'éditeur « La conque blanche »...qui publie généralement vos poésies...biaisa DS.
- Ne nous fâchons point! Teuh! Teuh!
- Aurore-Marie! S'écria Deanna en prononçant pour la première fois le prénom composé si mignard.
- Je suis désolée! Ma fragilité me rappelle à son mauvais souvenir! Mes pauvres poumons... Reparlons plutôt de Stefan Brand... Veux-tu que nous montions présentement au grand salon de Madame la duchesse afin que je te joue au piano à queue ce fameux « Sospiro »? A condition, bien entendu, que tu me promettes de ne rien tenter pour t'évader!
- I'm so sorry, mais je suis aussi fatiguée que vous. J’ai le corps tout moulu de ma chute. Ce sera pour un autre jour...Au fait, comment allez-vous régler l'épineux problème des toilettes enfantines? Vous ne disposez point de ma garde-robe, que je sache! Ce sont les complices de Daniel, Julien, Jean, Louis, Michel, Symphorien et consorts qui la gardent!
- Mais j'en ai plein mes propres malles, de ces toilettes de poupée, ma toute belle! J'adore me déguiser à mon seul plaisir de Narcisse, vois-tu, ma Deanna! Et pour  les dessous itou! Je songe à écrire un roman un peu spécial, où tu serais l'héroïne, sous le nom aristocratique (comme le tien et le mien, au fond!) de Cléore de Cresseville, où tu t'habillerais comme à présent exclusivement en fillette modèle! Cela serait à la fois mignon, licencieux et décadent! Je m'en pâme d'avance! Le titre en serait « Le Trottin »! Pour reprendre notre présente affaire, afin qu'on me prenne pour toi qui se serais échappée de ta prison, je vais revêtir cette affriolante toilette cynégétique dont tu t'étais parée avant que mes hommes de main ne s'emparassent de ta charmante petite personne! C'est moi-même qui ai pourvu à ta présente robe! Remercie-moi! Elle m'a coûté six cent cinquante francs! C'était la plus chère de chez Madame Germinie! J'avoue avoir personnellement procédé à ton habillage! J'y ai pris grand plaisir! Surtout lorsque je t'ai parfumée à la violette! Rien n'est trop beau pour mon adorée, pour mon chou, ma mousseline précieuse à défaut de sérieuse, ainsi que la reine Marie-Antoinette aimait à surnommer sa fille Madame Royale, qui était aussi mignonne que ma petite Lise! Je suis une monarchiste pure et dure, sais-tu!»
 Deanna Shirley, qui gardait une dent contre l’équipe de Daniel, et qui en voulait particulièrement à Craddock, décida d’entrer dans le jeu de la troublante tentatrice, mais cela ne signifiait pas qu’elle acceptât d’avoir avec elle des relations contre nature. Elle n’était pas un Monty au féminin ! La poétesse prit enfin congé de sa jolie captive, après quelques tractations que nous garderons secrètes, non sans avoir déposé un tendre baiser sur la joue droite de DS qui en rougit de honte!
« My God ! I'm not a lesbian! Shame on me! »

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Saturnin de Beauséjour tentait de se remettre de ses avanies en buvant force tasses de thé. Alors qu’il savourait un pur Darjeeling douillettement emmitouflé dans un veston d’intérieur à fleurettes rouges et à liserés d‘or, il entendit toquer discrètement à la porte de sa chambre. Quelque peu contrarié, il se leva et fit : « Qui va là ? Il est bien tard céans ! Dix heures quinze à ma pendulette ! 
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- Ce n’est que moi, monsieur de Beauséjour, répliqua une petite voix timide contrefaisant un léger accent anglais.
- Mademoiselle Deanna, je vous ouvre ! Nous nous inquiétions, déclara l’ancien chef de bureau, des trémolos dans son timbre.
Péniblement, il hâta le pas et ouvrit l’huis. Une blonde échevelée, les habits de chasseresse tout en désordre, le visage légèrement empourpré, pénétra dans la chambre. Elle chancela, manqua défaillir, jouant une comédie parfaite. Notre ventru bonhomme, dupé par la toilette, par la ressemblance approximative, était prêt à recueillir le récit de la rocambolesque évasion de la fausse captive. L’obsession amoureuse d’Aurore-Marie pour Deanna Shirley avait atteint une telle amplitude que notre poétesse, en talentueuse imitatrice, parvenait à singer tous les tics, toute la gestuelle, jusqu’aux inflexions vocales de celle qui la tourmentait depuis l’adolescence. Saturnin était une proie facile, mais qu’en serait-il face à Violetta ? Lorsque viendrait l’instant de la confrontation avec celui qu’elle avait déjà croisé incidemment au Trocadéro, s’en tirerait-elle à si bon compte ? Elle redoutait Daniel, car elle devinait son exceptionnalité.  
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Poursuivant sa fiction, feignant l’épuisement, l’essoufflement, Aurore-Marie se jeta dans une déblatération feuilletonnesque émouvante. 
« Ah, monsieur de Beauséjour ! Si vous saviez le sort funeste que ces méchantes gens me réservaient ! M’avoir enlevée, moi ! »
L’ancien fonctionnaire ne décelait aucun indice qui l’eût prévenu du mensonge. Or, la syntaxe, le lexique même qu’utilisait Aurore-Marie, auraient dû attiser sa méfiance. Deanna employait des mots modernes, du XXe siècle. Par conséquent, elle aurait dit kidnappeurs ou kidnappers. A la différence de la jeune star,  Aurore-Marie usait de l’anglais, au cours de ses voyages, d’une manière exclusivement littéraire, se refusant à toute familiarité. Quel que fût le vocable utilisé, elle s’exprimait toujours en un langage châtié, voire ampoulé.
« Un tampon de chloroforme me fut appliqué tandis que je récupérai d’une malencontreuse chute de cheval. Le malandrin qui s’empara de ma frêle personne s’était dissimulé au sein d’un boqueteau, afin que je ne pusse point déceler le traquenard, que dis-je, la souricière ! »
Le mot était conforme à celui usé par Alexandre Dumas dans son célèbre chapitre des Trois Mousquetaires : Une souricière au XVIIe siècle.
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 Deanna aurait déclaré simplement « On m’a piégée ! » ou aurait employé l’anglicisme trap. Trop subtil pour Beauséjour, qui lui-même baignait dans l’esthétique littéraire et théâtrale du mélodrame ! Notre pseudo Deanna s’affala dans un fauteuil au capiton ponceau. Toujours volubile, point toussotante pour une fois, elle empêchait l’ancien fonctionnaire de placer le moindre mot, la moindre question. Elle accusa : « J’ai été assurément victime d’une machination de la duchesse d’Uzès ! »
Accoutumé aux extravagances et aux caprices à répétition de l’actrice fantasque, Monsieur de Beauséjour, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, demeurait d’une humeur pondérée, au contraire d’une Violetta qui n’aurait pas hésité une milliseconde à la gifler. Il prit à la lettre les allégations mensongères sorties de la bouche de notre jolie décoiffée. Présentement, notre sexagénaire replet faisait preuve d’une franche sottise, incapable qu’il était de faire la distinction entre l’éclat citrin des prunelles d’Aurore-Marie et les paillettes noisettes et vertes de Miss De Beaver de Beauregard. Il ne détecta même pas un autre détail révélateur trahissant l’usurpation d’identité : la différence de stature entre les deux femmes (Aurore-Marie mesurait dix centimètres de moins que DS) bien que la rusée vipère eût pris la précaution de chausser des bottes d’amazone à hauts talons. Jouant de leurs artifices, de leur illusionnisme, les femmes avaient toujours berné, possédé, le naïf vieil homme, et cela continuait…
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Aurore-Marie prit un ton tonitruant, de sa petite voix haut-perchée, presque à s’étrangler, se surprenant à hurler presque, comme pour maudire Victurnienne et sa bande de forbans qui avaient voulu nuire à sa nonpareille beauté.
« La goujaterie de cette femme mérite châtiment ! Elle a voulu me livrer aux pires sévices de ses moins que rien ! Elle m’a enfermée dans une espèce de cachot, sous une antique douve ! Elle voulait me déshonorer, que je subisse l’outrage suprême !
- N’aurait-elle pas agi sur ordre ? osa proposer Saturnin, qui commençait à ressentir une certaine gêne. Je ne sais pas, moi. Le général Boulanger, ou Madame de Saint-Aubain… J’imagine mal la duchesse nous nuire ainsi, de son plein gré…
- Conduisez-moi à monsieur Daniel ! »
Saturnin fronça le sourcil, sa méfiance brièvement éveillée par les derniers mots de la fausse Deanna. Jamais elle n’avait dénommé Daniel Wu Monsieur Daniel. Comme si elle se fût rendu compte de sa bourde, la baronne fut prise d’un violent accès de toux destiné à endormir les velléités de soupçons de Saturnin. Mésestimant sa fragilité, exagérant, Aurore-Marie manqua s’étouffer jusqu’à émettre un ténu crachement sanguin, mais cela suffit pour déclencher la pitié de l’ancien fonctionnaire.
« Vous avez attrapé la mort dans les caves de Bonnelles ! J’ai ici quelque médication souveraine, un opiat que j’utilise comme somnifère lorsque mes problèmes digestifs troublent mon sommeil… Il faudra vous faire examiner. Heureusement que nous disposons des appareils nécessaires, indétectables par la technologie balbutiante de…
- Vous ne croyez pas si bien dire ! l’interrompit-elle. Mon lieu de détention – bien que j’y eusse passé seulement quelques couples d’heures – était humide à souhait, moussu, salpêtré, fragrant de saleté sordide, blet et lugubre tel un sépulcre ! Des rats pouilleux s’y promenaient sans nulle vergogne ! Il n’y manquait qu’un squelette de détenu médiéval pour en parfaire l’atmosphère de roman gothique anglais ! Ah, comme cela fut affreux ! Comme j’ai souffert ! »
Plus elle brodait, plus son récit emberlificoté, entrecoupé d’un vocabulaire propre à la littérature décadente, apparaissait crédible aux oreilles de Beauséjour, qui se remémorait les sinistres geôles du repaire de Galeazzo di Fabbrini, en 1867.
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- Mademoiselle Deanna, je compatis de tout mon cœur à votre trouble. Je sais tout comme vous que ce château est empli de mécréants, mais nous avons une mission de tout premier ordre à accomplir. Miss Violetta, présentement occupée à promener votre chien facétieux, vous le dirait tout comme moi.
- My dear, j’oubliais le chien, répliqua en pâlissant fortement la sosie de DS De B de B.
En son for intérieur, l’usurpatrice s’effara. Comment parviendrait-elle à masquer son allergie face à ce monumental sac à puces?
- Tenez, à propos d’O’Malley (« merci pour ce détail », songea Aurore-Marie), le voici justement en train de batifoler avec la nièce de Daniel Lin.
Le vieil homme venait de tirer les lourdes tentures de la fenêtre. Celle-ci donnait sur l’arrière du parc. Effectivement, on apercevait une adolescente brune promenant le Briard farceur à la lumière vive et anachronique d’une minuscule lampe de poche à leds du XXIe siècle. Comme à l’accoutumée, Violetta peinait à se faire obéir de l’animal qui malmenait les parterres de fleurs, azalées, soucis et autres, humant les fragrances embaumées avec une joie manifeste.
Ne s’embarrassant d’aucune incongruité, la métamorphe s’était affublée d’un pyjama à la garçonne tel qu’on en porterait de l’autre côté de l’Atlantique d’ici une trentaine d’années.
Aurore-Marie fut surprise par l’accoutrement de la jeune fille et apeurée par cette lumière qui semblait provenir de sa main même tandis que l’androgynie de l’attifement la scandalisait quelque peu. 

A suivre...

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[1]      Voir le roman « Aurore-Marie ou une Etoffe nazca ».

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