samedi 6 août 2011

Le Trottin, par Aurore-Marie de Saint-Aubain : chapitre 6 1ere partie.

Avertissement : ce roman, pour rappel, est déconseillé aux mineurs de moins de seize ans.

Chapitre VI

Les fillettes avaient subi maints tâtonnements insanes destinés à vérifier la conservation de leur virginité première. On les avait dévêtues et le bain leur avait été imposé, dans des tubs individuels, où savon et gant de crin avaient décrassé leurs corps de pauvresses. Les cris et les miasmes de Marie avaient empli l’étuve. La maigreur d’Odile avait suscité les réserves de Délie…il fallait qu’elle se remplumât si elle voulait prétendre à son nouveau statut de jouet vivant pour Dames. La clientèle exigeait des bébés Jumeau roses et potelés, pomponnés et poudrés à frimas. On les vêtit. D’abord, les dessous. Si Odile s’extasia de la qualité textile des chemises, pantalons et jupons soyeux, Marie, n’en appréhendant point l’usage, commença à vouloir les déchirer ou les utiliser pour se torcher. Elle fut réprimandée et un nouvel acrédju suscita un troisième coup de trique de l’impitoyable poupée irlandaise. On leur enfila des robes blanches, qu’on orna de rubans satinés unis. Les cheveux, encore mouillés, n’eurent point encore droit aux faveurs. Telles quelles, avec leurs atours de novices tout neufs, on mena les deux petiotes à souper.

Leurs pieds leur faisaient grand mal, du fait qu’elles n’étaient aucunement accoutumées au port des bottines vernies. Elles se sentaient engoncées dans leurs robes empesées de dentelles et de ruchés, non ajustées parfaitement à leur taille et non conçues pour les premières venues. Elles marchaient de guingois, ne retenant point les gémissements de douleur occasionnés par le cuir tourmenteur de leurs pieds de moins que rien. Elles traversèrent de nouvelles pièces parées de dorures rocailles, puis montèrent un escalier tout en marbre où les toiles de perruqués de jadis semblaient les observer, goguenardes.

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Le souper se tenait à heure fixe, dans une salle commune toute lambrissée, décorée de tapisseries inspirées d’Astrée et du berger Céladon, de Triton et Néréide ou d’Amour et Psyché, et de pendules d’une facture XVIIIe siècle, meublée d’une grande table, de chaises pourvues de coussins et d’armoires de style normand. L’ensemble des petites filles – qu’on pouvait chiffrer à environ quarante - étaient jà attablées. Elles accueillirent les deux nouvelles venues en frappant leurs assiettes avec leur couteau, ce qui produisit un vacarme indescriptible. Sarah et Délie, qui faisaient office de chiourme, ordonnèrent le silence. Puis, Délie parla :

« Je vous présente, mesdemoiselles, vos deux nouvelles amies, Marie-Ondine et Cléophée. Réservez-leur bon accueil, et traitez-les en égales, bien qu’elles soient néophytes. »

Odile voulut protester de sa nouvelle identité mais se retint. Sans doute était-ce l’usage d’attribuer à toutes les locataires de cette communauté des prénoms plus précieux que ceux ayant cours parmi les humbles. On fit asseoir Odile-Cléophée entre une certaine Ellénore, dix ans, et une Ysalis de neuf. Marie-Ondine n’eut droit qu’à une extrémité de table, en compagnie d’une petite Zénobie de huit ans, à peine plus gradée, puisque ses cheveux, d’un châtain clair lumineux, s’ornaient d’un ruban de satin jonquille. Ellénore, blond-roux, et Ysalis, d’un brun moins foncé qu’Odile, arboraient des nœuds de velours sinople et orange. Elémir, dans son imagination de japonard, avait en partie suggéré les couleurs des « grades », s’inspirant des ceintures des différents degrés des arts martiaux nippons qu’il appréciait. Toutes les robes demeuraient blanches… Délie arborait le ruban de l’avant-dernier degré, ce fuchsia d’épiscope. Seule Cléore, chef suprême, unique adulte ayant le privilège de la vêture juvénile, avait droit aux faveurs de papesse : la pourpre mêlée de noir.

Les fillettes avaient des regards fuyants, des mines renfrognées, des expressions de mesquinerie dans leur bouche de cinabre au pli dédaigneux. Elles s’adressaient entre elles des chuchotis hypocrites, des remarques sous cape. Elles paraissaient toutes coulées dans le même moule qu’Adelia, enchifrenées, poseuses, infatuées. Parfois, un doux gloussement de chipie venait rompre l’uniformité des murmures. Elles n’étaient toutes que moquerie, méchanceté et vice, faux-semblants et orgueil, cruauté et égoïsme. Ni Ellénore, ni Ysalis n’adressèrent la parole à Odile, ne prenant même pas la peine de poser les yeux sur elle. Elles attendaient qu’on les servît. Odile avait grand’faim mais ne le montrait point, ne s’étant restaurée que d’un infect reste de ragoût vingt-quatre heures auparavant. Les deux péronnelles qui la chapeautaient pouffèrent lorsque des grommelis de vacuité stomacale surgirent du ventre de la fillette. Leurs estomacs de pécores grondaient tout autant, mais elles avaient appris à le dissimuler, à se prévaloir des inconvénients de leur physiologie.

La vaisselle était de porcelaine de Limoges, fleurdelisée, aux lambels des Cresseville et des Bonnemaison. Des motifs componés, héraldiques inconnus, ornaient les couverts, l’argenterie toute godronnée et précieuse.

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Des sets de table en canetilles aux motifs de bergeries Louis XVI, des verres en cristal de Bohème et des serviettes de soie complétaient le service. De grandes nappes de velours et de nanzouk recouvraient le bois du grand meuble en attente des plats dont les fumets délicats, jà perceptibles à distance, suscitaient d’émollientes salivations buccales. Des statues saint-sulpiciennes de Saint Roch, Saint Christophe et Sainte Ursule paraissaient épier les impubères convives prêtes à parpeléger.

Délia reprit la parole, d’un ton à la fois autoritaire et enjoué. Son nez retroussé pointa gracieusement en l’air.

« Mesdemoizelles, nous allons prozéder à l’appel. » blésa-t-elle.

Sarah lui tendit un cahier relié de vélin.

« Mademoiselle Phoebé !

- Prézente, mademoizelle. »

Une fillette d’environ treize ans, sise en début de table, à la droite de Délie, effectua une courbette. Blonde et rose, l’œil pervenche, coiffée de longues anglaises, elle arborait des rubans chamois. Elle avait poussé le mimétisme snob jusqu’à emprunter le zozotement compassé de son idole.

« Mademoiselle Daphné !

- Présente, mademoiselle. »

Daphné était la sœur jumelle de Phoebé. On pressentait entre elles des liens troubles, des affections sororales allant bien au-delà de ce que la décence imposait. Vêtues et coiffées à l’identique, ces deux bébés Bru de blé bouclé étaient les plus âgées et gradées des pensionnaires après Délie.


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