samedi 28 novembre 2015

Cybercolonial 2e partie : Du rififi à Kakundakari-ville chapitre 10 1ere partie.



Chapitre 10

Sir Charles Merritt avait imposé à Alice la traversée du Canale della Giudecca.
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 Ils se trouvaient présentement devant le perron de l’église d’Il Redentore
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 dont la construction avait exaucé le vœu du doge Alvise Mocenigo
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 d’ériger un bâtiment consacré au Rédempteur après la grande peste de 1575. Alice  se montrait indifférente à la majesté de la façade classique construite par Andrea Palladio tandis que Merritt, aussi peu papiste qu’il fût, éprouvait une fascination et une admiration non feintes pour les statues de saint Marc, saint François et saint Antoine de Padoue. Mais le plus remarquable selon lui, outre le dôme et les deux campaniles, était constitué par l’allégorie de la Foi. On y voyait le sang de la Vraie Croix recueilli dans un calice. Pour les initiés et les fous, il s’agissait bien là du saint Graal.
Sir Charles n’ignorait pas que ce qu’il recherchait était lié au destin de la Giudecca. Le prétendu ghetto où avait vécu Efrasim Levi, ami et correspondant de Rabi Lew, contenait la clef de ses recherches : l’extirpation d’A El.
Tous deux s’engagèrent ensuite dans le lacis des ruelles qui jouxtait la Calle San Giacomo. L’antique maison d’Efrasim s’était élevée là et la masure désormais ruinée avait été remplacée par des bâtis plus récents lorsque l’industrialisation de l’île avait entraîné l’établissement de nombreux entrepôts et manufactures. On y avait également aménagé des jardins.

Sir Charles commettait deux erreurs. D’abord une erreur historique : le vrai ghetto de Venise ne se situait pas à la Giudecca, mais au nord de la ville. Ce que l’on racontait sur la Giudecca n’était donc qu’une légende. De plus et pour l’instant, il s’était insuffisamment préoccupé des activités d’Aurore-Marie, se promettant d’abord de faire exorciser Alice.  Il n’avait encore croisé ni celle-ci ni ses espions, c’est-à-dire Frédéric Tellier, Guillaume Mortot et Michel Simon. Ce fut pourquoi la baronne de Lacroix-Laval, accompagnée du poète décadent Gabriele d’Annunzio, parvint sans encombre dans le secteur du Palazzo Vendramin Calergi construit de 1502 à 1504 par Mauro Codussi.
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 Nous étions rive gauche du Grand Canal en face de l’église San Stae foncièrement baroque. L’éclectisme du palais Vendramin avait de quoi séduire Aurore-Marie. Ses fenêtres géminées de style composite hybridaient les architectures byzantine et gothique.
La baronne de Lacroix-Laval, son cacatoès Alexandre juché sur son épaule gauche, s’apprêtait à faire son entrée dans le somptueux bâtiment lorsque le volatile fut pris d’une agitation singulière. L’animal, battant des ailes, se mit à répéter:
- Saturnin! Saturnin, de sa voix de fausset.
Dans le même temps, une sensation incongrue traversa le cerveau de la poétesse. C’était comme si un autre psittacidé encore enfoui dans les limbes de son imagination, personnage en projet dans son roman scabreux, Le Trottin, eût communiqué en symbiose avec Alexandre. Elle voyait un Rosalbin répéter le même prénom que son perroquet, « Saturnin ! Saturnin ! ». Elle visualisait une scène dans laquelle le même cacatoès fictif volait avant de se poser sur la main d’une vieille gitane prénommée Sarah. Cependant, elle ignorait qu’à plusieurs milliers de kilomètres de là, dans le palais du sultan de Zanzibar, un esclave préposé à l’entretien des aras d’Amazonie appartenant à la volière princière, s’était trouvé confronté au même phénomène à la même seconde. L’homme, nu torse, luisait parce que oint d’huile. Sa peau épilée semblait polie, dépourvue d’aspérités si ce n’était une musculature imposante qui saillait. Il ne parvenait plus à faire taire les capricieux oiseaux dont le bec cruel pouvait trancher net son nez.
Il semblait que toutes les espèces de perroquets s’étaient mises à converser en réseau afin de railler l’inénarrable monsieur de Beauséjour. Que lui était-il donc arrivé?

***************

   A l’heure dite, la colonne de Daniel s’était ébranlée gaillardement. Le commandant Wu n’avait aucunement besoin de boussole ni de quoi que ce fût pour s’orienter. Le lien mental qu’il entretenait avec Pierre Fresnay suffisait à assurer l’itinéraire. En tête du cortège, Benjamin secondé par Gaston - les deux hommes les plus aguerris, que rien n’était susceptible d’effrayer. Les comédiens suivaient sans marquer la moindre faiblesse. Puis venaient Symphorien et Spénéloss, encadrant ces dames. Elles avaient accepté de revêtir des tenues de safari, c’est-à-dire des sahariennes, des bottes noires et des chapeaux de toile. DS De B de B avait fait contre mauvaise fortune bon cœur et avait imité cette peste de Violetta. Si ce n’était la chaleur, la miss se serait crue en train de tourner un quelconque film d’aventures comme il y en avait tant dans le Hollywood de la fin des années 1930. Elle regrettait seulement qu’il n’y eût pas ici la présence de Clarke Gable. Le chien O’Malley vadrouillait librement en dépit du danger. Présentement, il batifolait, allant et venant autour de la colonne. Par moments, il jappait, tentant de happer quelque papillon. Ufo se montrait plus circonspect. N’apercevant rien de comestible à l’horizon, le chat demeurait sur ses gardes. Il ne s’éloignait guère de plus de quelques pas d’Azzo, qu’il avait pris en amitié. Tout comme le félin, le demi pré K’Tou se méfiait de cet environnement changeant. Ses narines flairaient sans trêve les différentes senteurs de la forêt. Dès la première odeur suspecte, il se raidirait et lancerait un cri d’alerte. Saturnin était en retrait et peinait à suivre le mouvement. S’épongeant le front, il grommelait, jetant imprécations et malédictions à l’adresse de cette damnée jungle et de cette maudite flore. Dans ses anathèmes, il n’oubliait pas la chaleur humide qui le faisait transpirer et qui gonflait ses pieds et ses mollets emprisonnés dans de lourds brodequins inconfortables et dans des bandes molletières qui ne l’étaient pas moins.
Daniel Lin avait choisi l’arrière-garde. De cette position privilégiée, rien ne lui échappait. Il parvenait à l’ultime seconde à éviter de se heurter à Monsieur de Beauséjour dont la démarche se faisait gyrovague. Les méandres du bonhomme s’accentuaient au fur et à mesure que la troupe progressait à travers bois. Pourtant, il n’avait bu que du sirop d’orgeat et dégusté un verre de coco à la cuillère. Ainsi, il avait éprouvé le revenez-y nostalgique des grands boulevards parisiens de sa jeunesse. Saturnin avait faim. Pareil effort sur un temps aussi long creusait son estomac que Daniel entendait parfaitement gronder à deux mètres de lui. Cependant, au petit déjeuner, il avait absorbé un repas assez consistant composé de toute une boîte de corned-beef, de quatre oreillons de pêches, et de deux tasses de café abondamment sucré. Cette collation aurait dû suffire à assurer sa satiété pour trois heures, mais l’absence de sucres lents expliquait sa fringale. Dalio, lui, avait avalé quatre biscuits militaires et deux barres protéinées.
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« Ah, Monsieur Wu, ne pourrions-nous faire une pause ? Marmotta-t-il un instant.
- Déjà ? S’exclama Daniel. Il n’y a qu’une heure et douze minutes que nous sommes en chemin.
- J’éprouve la nécessité de me restaurer une nouvelle fois.
- Monsieur de Beauséjour, êtes-vous conscient que nous avons un horaire à respecter ? rappela l’Hellados.
- Certes oui, mais mon estomac crie famine. C’est intolérable !
- Un estomac ne peut pas crier famine ! Il n’a ni bouche, ni cordes vocales. »
Violetta et DS ne pouvaient s’empêcher de pouffer et de ricaner à ce dialogue. Cependant, la jeune métamorphe constatait des singularités croissantes au niveau de la végétation et de la consistance du sol qu’elle foulait. La preuve, O’Malley était revenu dans le giron de Deanna Shirley.
« C’est bizarre, j’ai l’impression de marcher sur une fourrure très douce, presque duveteuse. Les taillis, les arbustes qui les composent et les lianes prennent des coloris de plus en plus saugrenus.
- Des jacarandas rose fuchsia ! Des fougères argentées et violines ! Approuva la Britannique. Je me meus sur un lit de plumes ! Il n’y a pas de danger, au moins ?
 Comme pour démentir ces dernières paroles, Azzo s’arrêta net. Son ouïe entraînée captait d’imperceptibles rumeurs qui s’apparentaient à des feulements de fauves. De quelle faune mutante provenaient-elles ?
« Danger, danger, là-bas, danger ! » dit-il en désignant l’est.
« Mais, bredouilla Saturnin, c’est là que nous allons ! »
Le commandant Wu rassura son monde :
- Pour l’heure, il n’y a rien à craindre. Toutefois, il faut que nous soyons prêts à faire feu en cas de nécessité.
Symphorien compléta :
- Toutes nos armes sont chargées jusqu’à la gueule, y compris nos fuseurs et nos phaseurs.
La marche s’était poursuivie après cette petite halte. Saturnin en avait presque oublié ses gargouillements. Pendant ce temps, le sol composé de duvet toujours plus dense, atteignait ses chevilles et lui occasionnait des chatouillements intolérables. Tout cela le ralentissait encore. Toujours suant à grosses gouttes, la peur se mêlant à son inconfort, il fit un écart conséquent avant de trébucher sur ce qui aurait pu être une racine, mais de fait, revêtait l’aspect d’un serpent corail quadricolore quartz rose, vert jade, jonquille et bleu cobalt. L’explorateur malgré lui glapit, prit les jambes à son cou et dévala une pente, presque à s’en retrouver les quatre fers en l’air. Il atterrit sur ses fesses dodues, non sans pousser un cri d’effroi. Il constata très vite avec un vif soulagement qu’il n’avait aucun membre de cassé. Mais sur quoi avait-il déboulé ? Pourquoi était-il tout poisseux et dégoulinait-il d’un liquide odorant, rappelant le soufre et l’albumen ?
« Ah ! Par la barbe de Jupiter ! Je crois bien avoir atterri dans un nid ! Ma chute a écrasé quelques œufs ! »
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Toutefois, il en demeurait trois d’intacts. De la forme et de la taille de ballons de rugby, ils ne renfermaient certes pas des poussins d’autruches. De fait, ils ne correspondaient à rien de connu. Les coquilles rougeâtres, mouchetées de concrétions blanches, s’apparentaient davantage à des amanites tue-mouche  avant le déploiement de leur chapeau qu’à  une ponte de paisibles volatiles.
Alors, résonna à ses oreilles le rugissement du roi des animaux.
Saturnin prit une vilaine teinte verdâtre.
« Des lions ovipares ? Ou bien, je suis tombé dans le jardin de la Bête du conte ! Au secours ! Benjamin ! Daniel ! Symphorien ! Tirez-moi de là avant que je finisse sous les crocs cruels des fauves ! »
Tant bien que mal, le vieil homme se releva  . Ses mains étaient enduites à la fois de débris de coquilles et d’albumen. Malgré lui, il porta ses doigts à sa bouche.
« Mais cette puanteur est délicieuse ! Cela a le goût du lait caramélisé avec un soupçon de crème anglaise ! »
Il ne put en dire plus. Il tomba nez à nez - ou plutôt nez à bec - avec une horreur non mammalienne. A quoi ressemblait l’improbable animal ?
A première vue, on avait affaire à une espèce d’oiseau géant inapte au vol, tel qu’on pouvait en côtoyer à l’ère tertiaire : les sinistres Diatryma ou Gastornis. De fait, il ne s’agissait pas de volatiles appartenant au passé, mais à l’avenir. Une mutation touchant les perroquets du Gabon les avait transformés en ces bizarroïdes animaux qui deviendraient courants dans dix millions d’années si l’on devait en croire une théorie évolutionniste ayant cours dans le premier quart du XXIe siècle, une chronoligne dans laquelle Sarton n’avait pas agi.
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Ces créatures imposantes, de trois à cinq mètres de haut, étaient des prédateurs redoutables. Leur bec disproportionné apparaissait parsemé d’excroissances, de verrues et de boursouflures cornées. Des filaments de viande décomposée pendouillaient. Ces néo Diatryma exhalaient effectivement une puanteur insupportable. Pour tromper leur proie, ils étaient capables de pousser par imitation des cris d’autres animaux, aussi bien anciens que futurs. Ils excellaient dans la reproduction des appels du gorille cornu, sorte d’hybride de primate et de crapaud géant devenu arboricole. Ils préféraient cependant les rugissements des lions, espèce pourtant disparue depuis plus de huit millions d’années de leur biotope. Issus d’une extrapolation délirante, quasi surréaliste, les gorilles cornus eux-mêmes s’étaient substitués aux chimpanzés après leur extinction et avaient occupé leur niche écologique ainsi libérée.
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 La mère était venue à la rescousse de sa couvée. Elle voyait en Saturnin le prédateur qui avait anéanti sa descendance. Elle n’allait pas faire de quartier. Bien assise sur ses pattes à trois doigts, elle défia le bonhomme de ses yeux rouges.
Augmentant l’intensité et la cadence de ses rugissements, elle cherchait à paralyser de terreur la bête sur deux jambes avant de la happer. Ces cris, hyperréalistes, avaient été transmis de génération mutante en génération mutante. Peut-être qu’à l’origine avaient-ils eu pour fonction de protéger les perroquets gris des braconniers avides et autres humains sans scrupule ? Seul Daniel Lin aurait su le dire.
La colonne avait tout entendu. Désorienté et affolé, Azzo Bassou perdit ses facultés. Il s’accroupit en position fœtale en gémissant. Ainsi, il rendait le groupe vulnérable.
Soudain, le commandant Wu se matérialisa entre Saturnin et l’incroyable volatile qui menaçait d’ameuter toute la nichée. La pseudo mère Diatryma se figea, paralysée. Pour elle, le temps était suspendu.
Monsieur de Beauséjour oscillait entre le soulagement et l’indignation.
- Comment, Monsieur Wu, vous ne tuez pas cette monstruosité ?
Daniel Lin rétorqua, un brin ironique.
- A ses yeux, le monstre, c’est vous. Dans votre chute, vous avez écrasé trois oeufs, soit la moitié de la couvée. Qui plus est, vous étiez prêt à vous régaler de leur contenu.
- Mais ! Elle allait me tuer, me dévorer !
- Sans doute, mais permettez-moi d’en douter. Elle vous aurait recraché aussitôt.
- Pourquoi ?
- Vous n’auriez pas été comestible.
Ce dernier adjectif offusqua l’ancien fonctionnaire.
- Comment !
- Les néo Gastornis ne mangent pas la chair humaine, tout simplement parce qu’à leur époque, l’homme a disparu. L’espèce s’est éteinte. Ils font leur ordinaire des gorilles cornus, des oissons, des chimpanpieuvres et, par réflexe omnivore, des arbres-hamadryas, concept foutraque qui ravirait Madame de Saint-Aubain.
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- Des singes-arbres ? S’étonna Saturnin.
- Relisez votre mythologie : les hamadryades étaient des nymphes des forêts symbiotes des arbres, ou hybridées avec eux. Ici, ce sont des descendants humanoïdes ayant fusionné avec la cellulose formant le bois. Ils ont perdu la parole mais restent très sensibles à leur environnement. Quant aux néo Gastornis, le plus souvent, ils se contentent d’agir en charognards, sauf lorsqu’on les attaque.
De Beauséjour s’étonna.
- Commandant, comment savez-vous cela ?
- Oh, je voyage beaucoup dans le temps, vous n’avez pas idée.
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, Saturnin remercia son sauveur et, aidé par celui-ci, remonta la déclivité. Après une toilette rapide, où il put changer de chaussures, tous purent reprendre leur chemin.

*********

   L’heure de la pause méridienne était arrivée. Tous se restaurèrent avec entrain. Azzo semblait calmé tout en étant renfermé sur lui-même. Lorenza s’occupait de lui, lui faisant avaler des fruits séchés et une boisson vitaminée. De temps à autre retentissaient les cris et rugissements lointains des néo Diatryma, en provenance de la mangrove géante poisseuse à souhait leur servant d’habitat naturel. Cela ne troublait nullement les convives.
Tout en finissant son assiette, Violetta se moquait encore de la dernière mésaventure de son « bon oncle » Saturnin.
«  Cela ne suffit plus à tonton Saturnin d’être le personnage gag de cette histoire, un Troulouloup. Il lui faut davantage. 
- Qu’insinues-tu par-là ? Se mêla Deanna.
- Non content d’éprouver une trouille pas possible, d’exprimer une phobie à l’encontre de l’enfer vert tel qu’on l’imaginait au XIXe siècle, oncle Saturnin possède le talent insoupçonné de matérialiser ses terreurs les plus profondes. A  lui seul, il est un émetteur de psycho images, mieux, d’un psycho monde ! Et nous devons faire avec.
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Benjamin la reprit.
- Ma fille, tu vas trop loin.
Violetta, avec sa vivacité et répartie d’adolescente rebelle devant s’affirmer, allait répliquer en tenant tête à son père lorsqu’un vertige la saisit. D’abord, elle éprouva comme une sensation d’absence qui disparut après quelques secondes. Puis, elle ne sut plus ni où ni quand elle se trouvait, ayant perdu l’intégralité de ses repères spatio-temporels. C’était comme si elle avait effectué une translation dans un ailleurs parallèle. L’homme à qui elle voulait s’adresser n’était plus son géniteur mais une figure imaginaire qui lui rappelait quelque chose. Il s’agissait d’un personnage masqué, vêtu d’un collant mauve et coiffé d’une cagoule de même teinte nonobstant une espèce de slip, une ceinture avec la boucle en forme de tête de mort. Le tout conférait un aspect grotesque à l’inconnu. Il parla en un anglais abâtardi teinté d’un fort accent californien.
- Bienvenue dans la jungle mixte, la jungle de synthèse! Vous en aurez tous pour votre argent.
Disant cela, le personnage de comic’s  se démultiplia tout en répétant à satiété cette phrase ridicule digne d’un bonimenteur de Luna Park. Il se retrouvait dans des positions et à des emplacements les plus incongrus, flottant en l’air tête-bêche, suspendu à une liane ou encore presque enterré, sa tête émergeant seule du sol, à moins qu’il fût à demi encastré dans le tronc d’un ébénier. Les mots qu’il répétait se retrouvaient eux-mêmes dupliqués en autant d’exemplaires constituant ainsi une assourdissante polyphonie dissonante qui finit par affoler Azzo.
Oui, le métis d’hominien avait lui aussi senti les phénomènes que Violetta subissait. Il émit des plaintes semblables à celles d’un chimpanzé apeuré.  L’adolescente comprit qu’une force inconnue exploitait sa mémoire multiple et en avait extirpé un souvenir dans le but de se moquer d’elle, de lui faire croire qu’elle-même avait la faculté d’engendrer des psycho images.
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- Le fantôme du Bengale! Encore lui, s’exclama-t-elle d’une voix furieuse.
Alors, elle sentit Daniel se mêler de ce qui se passait afin de rétablir un semblant d’ordre. Enfin, le commandant Wu s’exprima, voulant rassurer sa troupe.
- Vous n’avez rien à craindre. Tout est normal dans cette anormalité. L’entité se joue de nos inconscients. Elle veut prendre insidieusement le contrôle de nos cerveaux et de nos souvenirs car elle connaît intimement nos phantasmes et nos peurs, nous imposant de les engendrer, de les concrétiser, de leur donner une réalité tangible. Télépathe de première force, elle veut me pousser à renoncer à remettre tout en place.
Benjamin, le visage empreint d’émotion avoua:
- Commandant, je viens d’être victime d’une bilocation ou plutôt d’une tri location. J’étais ici mais également dans deux ailleurs impensables. Je me suis retrouvé dans votre propre peau, à l’époque où vous affrontiez les terribles oursinoïdes d’Ankrax. Les crissements de leurs piquants ont vrillé mes tympans avec une telle force qu’un instant j’ai cru sombrer dans la démence. Dans le même temps, si je puis le dire, j’étais emprisonné dans un univers de sons liquides, d’odeurs polyédriques, de couleurs molles et de sensations tactiles gazeuses. Un monde parallèle de synesthésie intégrale dans lequel il m’a semblé reconnaître une personne que, pourtant, je n’ai jamais rencontrée. Un homme robot d’une civilisation post-atomique d’une autre piste temporelle répondant au nom de Zemour Diem Boukir.
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- Je vois à quoi et à qui vous faites allusion. La chose qui joue avec nous est en train d’amalgamer non seulement nos expériences passées dans d’autres chronolignes mais aussi celles antérieures à nos existences où, avec lesquelles, cependant, nos ancêtres ou alter ego ont été confrontés.
Violetta murmura:
- Frère Uriel… ou alors Michaël, je ne sais plus lequel… Un 132 540, quelque chose comme ça.
Deanna Shirley n’était pas en reste. Elle ne cessait de répéter:
- Comme c’est affreux… Comme c’est affreux. J’ai éprouvé des sensations terribles. J’en frémis. Je me suis vue transportée dans la conscience embryonnaire de l’enfant que j’attends. C’est un garçon… un prince doté d’un fort caractère. Maintenant, je sais que les fœtus rêvent et pensent. Ils ont des sensations élémentaires, certes, mais celles-ci constituent le substrat de ce que nous sommes et serons. Le pire? C’est lorsque je me suis retrouvée adolescente avec Daisy Belle qui me raillait et me martyrisait. Elle m’avait obligée à me rendre à mon premier bal vêtue d’une robe qu’elle avait entièrement lacérée à coups de ciseaux.
La jeune métamorphe ricana.
- Cela ne me fait pas pleurer. Si tu aimes jouer les Cendrillon déguenillées, c’est ton affaire, pas la mienne. D’ailleurs, tu portes le fruit de ton prince charmant. Je crois me souvenir qu’il est moche comme un pou, qu’il tient beaucoup de sa mère, qu’il a quelque chose de batracien. Je me demande ce que toutes les femmes ont pu lui trouver, à commencer par Lily Langtry.
Les persiflages de l’adolescente furent interrompus par Azzo qui, ayant oublié les rudiments du langage moderne, ne s’exprimait plus qu’en un dialecte pré K’Tou que tous ici étaient impuissants à traduire en l’absence d’Uruhu.
- Aouuuh ! Aooog ! Rouhhh ! Agraouggg ! Zarrr ! 
Daniel commit l’erreur de donner un sens à ces borborygmes.
- Azzo s’est retrouvé proie, proie de différents passés ; je ne dirai pas qu’il a vécu une expérience de transfert propre à l’inconscient collectif jungien mais c’est tout comme. Son cerveau limbique l’a entièrement possédé, et, au tréfonds de celui-ci, les souvenirs phylogénétiques l’ont assailli. Azzo s’est cru dévoré par un félidé à dents de sabre alors qu’il n’était encore qu’un Australopithèque Anamensis, puis, remontant encore plus loin dans le passé, il est alors devenu une sorte de lystrosaure, de reptile mammalien du Trias, pourchassé par un postosuchus.
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Lorenza réagit instantanément aux paroles sidérantes du commandant Wu.
- Daniel Lin, permettez-moi d’exprimer mon plus grand étonnement. Comment cela se fait-il que vous soyez capable de traduire les paroles d’Azzo?
- Je lis dans son esprit, se défaussa le pseudo daryl androïde. Je capte les images mentales qu’il émet, voilà tout.
Spénéloss approuva.
- Le commandant est un télépathe bien plus puissant que le plus entraîné des Helladoï. Ce que vous prenez pour un exploit reste dans ses possibilités. En fait, vous atteignez le niveau 800...
- Oui, acquiesça Daniel Lin, soulagé de voir que l’extraterrestre ne creusait pas davantage.
- Le phénomène qui joue avec nous comme le chat avec la souris, poursuivit Spénéloss, fait preuve d’une imagination débridée. Je lis en vous Daniel comme en un livre ouvert…
- Certes, fit le daryl, parce que je vous laisse faire…
- J’en suis conscient. Vous n’avez jamais vécu un pareil combat. La nature de votre adversaire est totalement inédite. En effet, il ne s’agit ni du richissime Johann van der Zelden, ni de l’Empereur Fu, ni même de votre frère aîné dévoyé Daniel Deng ou plutôt Danael.
A ce nom, Dan El fronça les sourcils…
- Oserais-je m’avancer à déclarer qu’il y a en vous quelques squelettes habilement enfouis car inavouables… un Mister Hyde, un ça qui ne souhaite pas que nous réussissions cette entreprise?
- Bigre, mon cher ami… Vous avez l’imagination galopante! Sourit le Ying Lung.
- Daniel Lin, répondez franchement… êtes-vous déjà passé de l’autre côté du miroir? Vous êtes-vous aventuré dans le monde de celui que je dois me résoudre à dénommer A-El?
- Euh… Pour détruire Fu le Suprême, j’ai dû, jadis, fusionner avec celui que j’appelais mon frère parmi les étoiles, un certain Antor…
- Daniel, vous n’êtes pas une rémanence du mythe de Castor et Pollux, loin de là.
- Spénéloss, j’apparais nu devant vous… jamais je ne me suis autant dévoilé… cela me coûte…
- Notre situation actuelle exige de nous tous la franchise la plus absolue… Que vous le vouliez ou non, commandant Wu, vous êtes au moins deux, peut-être davantage… Combien de personnalités possédez-vous?
- Vous sous-entendez que je souffre de schizophrénie…
- Une schizophrénie que vous contrôlez habituellement… à ce propos, cela explique pourquoi vous avez accepté dans notre cité Robert Schumann et Vincent van Gogh alors que vous avez refusé catégoriquement les présences de Marilyn Monroe et de Liz Taylor que vous jugiez nymphomanes et incontrôlables.
- Je ne suis pas seul à décider. Vous oubliez le Conseil…
- Oui en en effet… mais je n’en ai point encore fini avec vous. Aurore-Marie de Saint-Aubain n’émanerait-elle pas de votre Vous, votre autre Vous enseveli indésirable?
- Ah! Ces Helladoï! Ils vous poussent dans vos derniers retranchements…
- Le lieu n’est pas propice à ma demande… Accepteriez-vous cependant de vous soumettre à une fusion mentale?
- Ici? Maintenant? Au milieu de cette jungle?
- Vous êtes plus puissant que moi.
- Alors, dans ce cas pourquoi la demander puisque je pourrais toujours vous dissimuler quelque chose…
Pendant ce dialogue, Carette avait trifouillé inutilement dans ses poches sans mettre la main sur une cigarette. Agacé, il jeta, interrompant net le « oui » de Daniel…
- C’est bien tout ça, toute cette métaphysique bonne pour une conférence de sorbonnards. Mais moi, je cherche du tabac et du feu… et je vois que je tombe déjà en panne de combustible. Encore un de vos tours…
Quelque peu gêné, Dan El se vit dans l’obligation de réajuster les mémoires de ses subordonnés. Il le fit en éprouvant un zeste de remords. Toutefois, il oublia Violetta.

***************

Khalifah Bin Saïd régnait sur Zanzibar depuis quatre mois. Il avait succédé à son frère Barghash Bin Saïd le 26 mars 1888. Les rumeurs avaient la dent dure : certains partisans du défunt pensaient que le précédent sultan avait été empoisonné tant son trépas avait paru soudain. Et ils accusaient en sous-main Khalifah Bin Saïd.
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Le nouveau sultan craignait que son trône, peu consolidé, tremblât sur sa base et vacillât. Il ne voulait pas verser le sang, faisant preuve d’une tempérance rare. Pour lui, seule la Realpolitik importait, ce qui signifiait la bonne entente avec ses voisins du continent. Cet homme, né en 1852, voulait à la fois se concilier le clan des abolitionnistes et celui des esclavagistes. Il arborait une tenue hybride, mi orientale et mi occidentale.
Présentement, on venait de lui apporter des lettres d’accréditation émanant d’Allemands commandés par un certain Oskar Von Preusse, qui se disait représentant de la German East Africa Company ou plutôt Deutsche West Afrika Gesellschaft. Il se devait de recevoir cet éminent représentant de l’Empire bismarckien qui entreprenait la colonisation de la côte du futur Tanganyika. Une fois parvenue à Zanzibar après une navigation enfin sans embûches, l’expédition germanique avait pour objectif d’obtenir de la part du sultan des sauf-conduits lui permettant une facilitation du passage dans les territoires est africains que le Reich ne contrôlait pas : ceux soumis au trafiquant d’esclaves Tippo Tip et ceux, du Congo oriental, sous la coupe de son lieutenant Ngongo Leteta ou Lutete, chef de la tribu des Sankuru. Ngongo Leteta
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 avait soumis plusieurs peuples qui lui avaient prêté allégeance. Il avait organisé un vaste Etat vivant de la traite des esclaves, reposant sur une armée redoutable dans la composition de laquelle le mercenariat avait une part prédominante. Cette troupe était équipée d’armes modernes : fusils, mitrailleuses, canons, mortiers, issus d’un trafic auquel un certain Arthur Rimbaud contribuait avec brio. Il était loin le temps de Verlaine et de ses folies parisiennes. « Je est un autre. »
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Ngongo Lutete rétribuait grassement ses séides : poudre d’or et d’argent, cauris, ivoire, esclaves, lingots de fer, cônes de sel, bois précieux, thalers de Marie-Thérèse… Il pratiquait aussi un art élevé de la corruption. Au-delà de ces contrées hostiles s’étendait une région extraordinaire, regorgeant de richesses, de légendes aussi, de racontars invérifiables, où nul Occidental n’osait pénétrer. On disait ce pays terre d’origine des Pygmées ; on le supposait plus riche, plus étendu que le Royaume-Uni lui-même. Là se situaient des cités immenses, fabuleuses, immémoriales, composites, cosmopolites, à la croisée de dizaines de civilisations différentes, agrégeant les rêves et les délires panafricains les plus déments, des marchés prospères aussi, où transitaient toutes les marchandises mises en circulation du Cap au Caire, d’Alger à Antanarivo,  formant la plaque tournante principale brassant l’intégralité du commerce africain des Bushmen aux Touareg. Là-bas régnait le plus puissant de tous les rois, M’Siri le Grand, M’Siri le Valeureux, M’Siri le Tout-puissant, le Maître de la Lualaba, des gisements de pechblende, le Chef de Fer, avec ses guerriers surarmés…M’Siri qui dirigeait son Etat en tandem avec une femme d’une beauté extraordinaire, sa favorite, dont certains doutaient de l’existence réelle. Peut-être She en personne, incarnée… On la pensait déesse… Black Athena…
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Il était conséquemment nécessaire qu’Oskar von Preusse et son « corps expéditionnaire » obtinssent ce sauf-conduit indispensable de Khalifah Bin Saïd afin de pouvoir traverser sans encombre les territoires contrôlés par Tippo Tip et Ngongo Lutete, avant qu’ils pussent parvenir à l’objectif ultime : le royaume katangais de M’Siri. Quant à la zone côtière de ce qui allait constituer l’Afrique orientale allemande, la charte déjà signée par le Deuxième Reich et le sultanat assurait un privilège exclusif à la Deutsche West Afrika Gesellschaft  qui s’était chargée de la pacification forcée des ethnies du coin et de la sécurisation de la contrée.
Ce fut pourquoi le sultan accueillit avec solennité la délégation conduite par von Preusse. Le palais de Bin Saïd comportait diverses cours intérieures ornées de portiques aux arcs outrepassés et brisés et aux colonnes torsadées et ocrées. Les murs de pisé rafraîchissaient avec bonheur les pièces. Les fenêtres en arcades laissaient passer et circuler les exhalaisons des plants de girofliers - principale richesse du sultanat - tandis que des esclaves avaient pour tâche de chasser les insectes avec leur chasse-mouche de plumes multicolores. Plusieurs détails, imperceptibles pour les béotiens, dénotaient cependant la localisation de ce Zanzibar-là dans une Afrique parallèle déviée. Ainsi, les prédécesseurs de Khalifah Bin Saïd étaient parvenus à acclimater les orchidées, plantes sud-américaines. Un jardin tout entier leur était dédié et déployait ses splendeurs.
Des amoncellements de coussins de soie de toute teinte constituaient une invite à la nonchalance alors que, posées à même le sol, des coupelles emplies de sable avaient pour fonction de nettoyer de toutes les impuretés les mains des hôtes.
Alban, qui faisait partie de la délégation, s’étonnait de ce luxe oriental, ce qui n’était pas le cas d’Erich von Stroheim, plus accoutumé aux ors factices d’une Vienne d’opérette reconstituée par Hollywood, ou encore, des films péplums de Cecil B. de Mille.
Un personnage inattendu se tenait debout, à la droite du sultan Bin Saïd. Un occidental, qu’il présenta d’une voix doucereuse comme son conseiller diplomatique et commercial. Il s’agissait d’un individu de taille moyenne, au teint et aux yeux clairs, à la barbe mal taillée et au corps mince. Apparemment, l’homme, âgé d’une trentaine d’années, s’exprimait avec un accent européen marqué. Toutefois, il pratiquait l’allemand. A sa vue, Alban sursauta. Il n’avait jamais rencontré en chair et en os ce haut dignitaire, mais ses yeux s’étaient déjà posés sur son portrait, une photographie ou une peinture, alors que l’inconnu était dans toute la splendeur de son adolescence rebelle.
- Aber…das ist… Arthur Rimbaud !
- Chut ! Ruhe ! 
Effectivement, le sultan confirma l’identité de son conseiller :
- Effendi Rimbaud travaille pour moi depuis trois ans déjà. Grâce à lui, je n’ai rencontré aucune difficulté lors de mon accession au trône.
- Meine Herren très heureux de vous voir.
En son for intérieur, Alban était furieux.
« Comment ce poète a-t-il pu tomber si bas ! Un vulgaire trafiquant d’armes ! Un génie dévoyé ! »
Il se remémora un quatrain du Bateau Ivre :
J’ai vu le soleil bas, taché d’horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très-antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !

J’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies, (…)

« Seuls Apollinaire et les surréalistes sont allés plus loin. Je comprends maintenant pourquoi il n’est pas à l’Agartha. »
- Effendi Rimbaud, poursuivit Bin Saïd, a une vision prophétique des rapports de force, des liens nécessaires que doivent développer conjointement les puissances d’Occident avides de conquêtes et nos Etats souverains locaux.
Von Preusse demanda :
- Votre Sublime Grandeur, pourriez-vous préciser ?
- Effendi Rimbaud a conçu un plan destiné à anéantir les puissances esclavagistes expansionnistes tel que l’Etat de Tippo Tip. Il fait jouer tout l’art de la diplomatie secrète.
Le sultan se refusa à en dévoiler davantage en ce lieu et à cette heure. Il était fort regrettable que Spénéloss ne se tînt pas aux côtés de von Stroheim pour lire dans les pensées de l’Africain. Il aurait capté les visées machiavéliques de Bin Saïd, subtilement et habilement conseillé par Arthur. Ainsi, il aurait su que Zanzibar armait en secret le ras Makkonen, père du futur négus Haïlé Sélassié, qui projetait de se rebeller contre son souverain régnant Yohannès IV. Anticipant, il prévoyait également une alliance de revers avec l’Allemagne empêchant ainsi les expansionnismes italien et britannique en Afrique orientale. C’était puissamment pensé : un Kenya pris en tenailles par les possessions wilhelminiennes. Von Preusse et sa délégation étaient donc les bienvenus.
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Après les salamalecs d’usage, Khalifah Bin Saïd déclara :
« Nous allons non seulement vous accorder le droit de passage exclusif sur tous les territoires attenant à ceux contrôlés par ma souveraineté et par votre compagnie commerciale, mais aussi je veillerai à ce qu’une troupe armée vous accompagne afin de vous protéger des soldats esclavagistes.
- Votre Grandeur, je n’en demandais pas tant, s’inclina Oskar avec déférence.
Puis, Bin Saïd frappa dans ses mains. C’était là le signal pour ses serviteurs d’accourir les bras chargés de plateaux sur lesquels étaient servis le thé à la menthe et les loukoums de la Sublime Porte. Derrière venait une cohorte de danseuses bien loin des normes d’Hollywood. Leur embonpoint ne les empêchait pas d’effectuer à la perfection les danses du ventre si chères à leur suzerain.
Alban rongeait son frein : il jugeait ce divertissement comme une perte de temps inutile.
« Honte à moi ! S’avilir dans les délices de Capoue ! »
Erich, qui comprenait ce que ressentait le jeune homme, lui murmura à l’oreille :
« Ach so ! A Rome, fais comme les Romains. »

A suivre...
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