L’équipage de Madame Royale, suffisamment
léger,
dont le gabarit permettait qu’il pût franchir des voies exiguës, avait emprunté un dédale de rues sordides, longé les futures Buttes-Chaumont
et atteint les limites de l’octroi, là où au-delà, se dressaient les masures du village de Belleville.
Madame, Cadoudal, Maël de Kermor, Félicitée Flavie et le cocher avaient parcouru ce lacis des non-dits de l’Histoire, croisant çà et là des hères couchant parfois à même la fange, d’autres adossés à la lèpre des murailles en sommeillant ou grognonnant, tandis que les pierreuses du dernier étage, surprises par la venue de la voiture sans signe distinctif, coiffées d’archaïques échafaudages pouilleux, résidus d’anciennes perruques de dames de qualité ou de cour, passées de mains de servantes en mains de saute-ruisseaux, agitaient leurs oripeaux composites et fragrants, en essayant de siffler et d’héler l’éventuel miché qui d’aventure se serait trouvé à bord.
dont le gabarit permettait qu’il pût franchir des voies exiguës, avait emprunté un dédale de rues sordides, longé les futures Buttes-Chaumont
et atteint les limites de l’octroi, là où au-delà, se dressaient les masures du village de Belleville.
Madame, Cadoudal, Maël de Kermor, Félicitée Flavie et le cocher avaient parcouru ce lacis des non-dits de l’Histoire, croisant çà et là des hères couchant parfois à même la fange, d’autres adossés à la lèpre des murailles en sommeillant ou grognonnant, tandis que les pierreuses du dernier étage, surprises par la venue de la voiture sans signe distinctif, coiffées d’archaïques échafaudages pouilleux, résidus d’anciennes perruques de dames de qualité ou de cour, passées de mains de servantes en mains de saute-ruisseaux, agitaient leurs oripeaux composites et fragrants, en essayant de siffler et d’héler l’éventuel miché qui d’aventure se serait trouvé à bord.
En plein jour, ces légions d’exclus
eussent constitué un agrégat confus, indistinct, de tous les déshérités de la
terre, mais lors, ils sommeillaient presque tous. Hébétés par l’absinthe, par
les liqueurs fortes frelatées et d’autres opiats, ils croupissaient dans leur
limon infertile, dans leur fumure urbaine, quoiqu’ils y grouillassent comme
vermine. Sans force, ils ne songeaient même pas à s’en prendre au véhicule passant
en leur venelle, afin de quêter le billon.
Des poignées de monnaie divisionnaire sans valeur aucune pour les mains aristocratiques pommadées s’en débarrassant, des mains efféminées, engrêlées de dentelles de Malines, sans genre aucun, à la carnation d’albâtre entraperçue par leurs regards chassieux, de menues espèces sonnantes et trébuchantes jetées avec négligence et nonchalance de la vitre abaissée sur le pavé tel un déchet abject : cette gestuelle pour eux charitable aurait suffi à les combler d’aise avant qu’ils dépensassent cette manne en quelque tapis-franc ainsi qu’ils avaient coutume de le faire.
Ces pauvres se seraient précipités sur le fiacre de jais, presque semblable à un corbillard, somme téléologique de la misère noire et obtuse, pullulement de corps crasseux couverts de chiffons moisis, de souquenilles vestigiales, rampements de mendiants estropiés,
paralytiques, mutilés, hydrocéphales, unijambistes, culs-de-jatte, incontinents aux basques et chausses souillées, borgnes ou aveugles nés, rejetant leurs béquilles, leurs chariots aux roulettes grossières, leurs fers ou poids de déplacement, écorçant leurs membres, leurs moignons, sébile brandie en direction d’une hypothétique compassion de ci-devant, dans l’attente du jet de piécettes de cuivre vert-de-grisées.
Leurs figures triviales, défigurées, essorillées (rarement cependant), quelquefois sans nez ni lèvres, leurs bouches scorbutiques, aux gencives purulentes de pyorrhée, intumescentes d’abcès et de phlegmons, auraient sourdement marmotté : « La charité, doux sires, qui que vous soyez, la charité… Le Seigneur vous le rendra. » Cette colle humaine immonde aurait adhéré au véhicule, attirée par l’espérance de la première poignée de mie cuivrée, comme les pigeons ou les canards voraces se repaissant du pain ranci qu’on leur balance, comme aussi le poisson d’aquarium accourant à la becquée des granulés.
Des poignées de monnaie divisionnaire sans valeur aucune pour les mains aristocratiques pommadées s’en débarrassant, des mains efféminées, engrêlées de dentelles de Malines, sans genre aucun, à la carnation d’albâtre entraperçue par leurs regards chassieux, de menues espèces sonnantes et trébuchantes jetées avec négligence et nonchalance de la vitre abaissée sur le pavé tel un déchet abject : cette gestuelle pour eux charitable aurait suffi à les combler d’aise avant qu’ils dépensassent cette manne en quelque tapis-franc ainsi qu’ils avaient coutume de le faire.
Ces pauvres se seraient précipités sur le fiacre de jais, presque semblable à un corbillard, somme téléologique de la misère noire et obtuse, pullulement de corps crasseux couverts de chiffons moisis, de souquenilles vestigiales, rampements de mendiants estropiés,
paralytiques, mutilés, hydrocéphales, unijambistes, culs-de-jatte, incontinents aux basques et chausses souillées, borgnes ou aveugles nés, rejetant leurs béquilles, leurs chariots aux roulettes grossières, leurs fers ou poids de déplacement, écorçant leurs membres, leurs moignons, sébile brandie en direction d’une hypothétique compassion de ci-devant, dans l’attente du jet de piécettes de cuivre vert-de-grisées.
Leurs figures triviales, défigurées, essorillées (rarement cependant), quelquefois sans nez ni lèvres, leurs bouches scorbutiques, aux gencives purulentes de pyorrhée, intumescentes d’abcès et de phlegmons, auraient sourdement marmotté : « La charité, doux sires, qui que vous soyez, la charité… Le Seigneur vous le rendra. » Cette colle humaine immonde aurait adhéré au véhicule, attirée par l’espérance de la première poignée de mie cuivrée, comme les pigeons ou les canards voraces se repaissant du pain ranci qu’on leur balance, comme aussi le poisson d’aquarium accourant à la becquée des granulés.
L’on sait ces animaux aquatiques
d’agrément cannibales : ils dévorent le produit carné industriellement
transformé de leurs coreligionnaires, quelquefois en granules, d’autres fois en
flocons. Ils sont quelque peu nécrophages aussi, coprophages parfois. Jamais
ils ne sont repus ; ils effectuent des mimiques natatoires, une danse
rituelle explicite chaque fois qu’ils reconnaissent, approchant de la vitre, la
main supposément venue les nourrir, la main du Maître aquariophile, la main du
Père ou de la Mère, la main de ce qui pour eux est leur dieu… pensée
élémentaire, primitive, de poisson rouge ! Mais pensée tout de même…
Le poste des propylées d’où s’approchait
l’équipage fugitif était commandé par le maréchal des logis Merda.
Fier de ses moustaches cirées, de ses buffleteries jaunes croisées sur sa poitrine, des fourragères de ses épaulettes, de la dragonne de son sabre, de son bicorne galonné d’or distinguant les sous-officiers de la gendarmerie des hommes de la troupe, des boutons rutilants de ses revers colorés, Merda souhaitait qu’on l’appelât plutôt Méda. Il ne le contait à personne mais lui aussi souffrait, comme le roi qu’il servait, de visions particulières. En quoi consistaient-elles ? Il s’agissait d’un onirisme répétitif, auditif et visuel. Une détonation de pistolet, de ces antiques modèles à coup unique, à silex, à chien archaïque, vrillait sans cesse ses méninges. Ce coup de feu multiple et infini, cette déflagration, s’accompagnait d’une senteur de poudre et de sang. Merda apercevait ensuite une image horrifique, celle du cap tranché d’un homme aux joues grêlées, à la mâchoire fracassée, pantelante, aux yeux myopes et sinoples de félin, brandi comme un trophée par quelqu’un qu’il connaissait pour être l’exécuteur breveté de la haute justice royale : Monsieur de Paris alias le bourreau Sanson, commandeur de l’érection des nouveaux bois de justice (lorsqu’il ne s’agissait pas du peloton d’exécution militaire en douze balles). La tête coupée de l’inconnu, encore dégouttant de son sang, était négligemment jetée dans un panier empli de son destiné à absorber le liquide vital.
Fier de ses moustaches cirées, de ses buffleteries jaunes croisées sur sa poitrine, des fourragères de ses épaulettes, de la dragonne de son sabre, de son bicorne galonné d’or distinguant les sous-officiers de la gendarmerie des hommes de la troupe, des boutons rutilants de ses revers colorés, Merda souhaitait qu’on l’appelât plutôt Méda. Il ne le contait à personne mais lui aussi souffrait, comme le roi qu’il servait, de visions particulières. En quoi consistaient-elles ? Il s’agissait d’un onirisme répétitif, auditif et visuel. Une détonation de pistolet, de ces antiques modèles à coup unique, à silex, à chien archaïque, vrillait sans cesse ses méninges. Ce coup de feu multiple et infini, cette déflagration, s’accompagnait d’une senteur de poudre et de sang. Merda apercevait ensuite une image horrifique, celle du cap tranché d’un homme aux joues grêlées, à la mâchoire fracassée, pantelante, aux yeux myopes et sinoples de félin, brandi comme un trophée par quelqu’un qu’il connaissait pour être l’exécuteur breveté de la haute justice royale : Monsieur de Paris alias le bourreau Sanson, commandeur de l’érection des nouveaux bois de justice (lorsqu’il ne s’agissait pas du peloton d’exécution militaire en douze balles). La tête coupée de l’inconnu, encore dégouttant de son sang, était négligemment jetée dans un panier empli de son destiné à absorber le liquide vital.
Lors, Merda donnait des ordres, obéissant
scrupuleusement aux directives de ses supérieurs, inspectant si tous ses hommes
étaient correctement postés aux guérites de pierre, aux aguets, en alerte comme
il fallait. Les gendarmes achevaient de déchirer le papier des cartouches, de
charger les fusils avec la poire à poudre, de les bourrer à la baguette comme
il fallait. Certes, ils possédaient de nouveaux modèles à capsule à percussion,
mais ne tirant toujours qu’une balle à la fois. La gendarmerie retardait
encore, circonspecte face à ces nouvelles carabines importées on ne savait de
quand et d’où, à culasse amovible et à projectile conique, à la cadence de tir
rapide et au maniement plus aisé. La tradition devait être respectée –
quoiqu’il en coutât - avec l’esprit de corps.
Les pavillons à colonnes torses et
tarabiscotées des barrières conçues par Ledoux se dressaient dans la nuit
finissante et fantasque. Tous guettaient le bout de la rue débouchant sur
l’octroi. Malgré la fraîcheur non encore matutinale, des perles de sueur
coulaient sous le bord ourlé des bicornes jusqu’au front des soldats impatients
d’en découdre avec l’engeance antigouvernementale. Déjà, un roulement se
faisait entendre au-dessus des pavés, des accidents bourbeux de la chaussée :
une voiture approchait. Merda ordonna : « Apprêtez armes ! »
Il était bon et judicieux d’apprêter les
fusils aux premiers bruits de roues et de sabots approchant de la barrière,
encore eût-il fallu s’assurer qu’il s’agissait de la bonne voiture. Les
gendarmes n’en possédaient qu’un signalement succinct ; le temps des
immatriculations n’était point encore venu, et si ç’avait été le cas, Maël de
Kermor et Cadoudal n’auraient pas commis une telle erreur. L’absence
d’armoiries favorisait d’ailleurs l’anonymat de l’équipage. De même, le concept
du portrait-robot restait à inventer, ne serait-ce que pour identifier le
cocher. Ce que Merda savait comme ses autres confrères, c’était le type de
voiture, le nombre de chevaux attelés, leur robe (ce que, dans la nuit,
Maria-Elisa et ses sbires avaient pu en voir, en évaluer avec approximation),
le nombre de passagers, leur sexe et leur armement supposé.
Aussi, la première alerte ne fut-elle pas
la bonne : il s’agissait d’un simple roulier en fardier
transportant des barriques de chablis et de beaujolais, s’en revenant d’avoir livré plusieurs cabaretiers intramuros et s’allant désormais desservir ceux de Belleville puis de Montmartre (imaginons le fardier grimper la côte...). L’ouïe des soldats ne valait pas celle d’Aude Angélus : elle aurait identifié à l’oreille que l’équipage était trop lourd pour qu’il se fût agi des fugitifs…
transportant des barriques de chablis et de beaujolais, s’en revenant d’avoir livré plusieurs cabaretiers intramuros et s’allant désormais desservir ceux de Belleville puis de Montmartre (imaginons le fardier grimper la côte...). L’ouïe des soldats ne valait pas celle d’Aude Angélus : elle aurait identifié à l’oreille que l’équipage était trop lourd pour qu’il se fût agi des fugitifs…
Merda fit arrêter le lourd charroi
et ordonna au voiturier de descendre, lui réclamant son passeport. Il lui expliqua que la sortie de Paris demeurerait fermée jusqu’à nouvel ordre, et qu’il devait ronger son frein avant de pouvoir reprendre sa distribution. Par conséquent, usant d’un ton diplomatique mais intransigeant, Merda le pria de rebrousser chemin. Le conducteur était un vieux madré aux joues émaciées enveloppé dans une houppelande versicolore et élimée, coiffé d’un antique tricorne crasseux et effrangé, d’un beige sale peu avenant. Chaussé de méchants sabots, bien qu’il fût aussi guêtré (l’extrémité de ses guêtres était donc rentrée dans les sabots !), il chiquait le tabac et s’exprimait avec un accent picard prononcé. Sa poltronnerie naturelle devant l’autorité et l’uniforme lui imposa de s’exécuter. Il dût manœuvrer son encombrant véhicule, faire un demi-tour malaisé, aidé de plusieurs gendarmes. Il ne tenait pas que Merda lui cassât la tête d’une balle, telle une de ces exécutions sommaires courantes contre les insurgés politiques de tout poil. Et les gendarmes portaient bien en évidence la baïonnette au canon…
et ordonna au voiturier de descendre, lui réclamant son passeport. Il lui expliqua que la sortie de Paris demeurerait fermée jusqu’à nouvel ordre, et qu’il devait ronger son frein avant de pouvoir reprendre sa distribution. Par conséquent, usant d’un ton diplomatique mais intransigeant, Merda le pria de rebrousser chemin. Le conducteur était un vieux madré aux joues émaciées enveloppé dans une houppelande versicolore et élimée, coiffé d’un antique tricorne crasseux et effrangé, d’un beige sale peu avenant. Chaussé de méchants sabots, bien qu’il fût aussi guêtré (l’extrémité de ses guêtres était donc rentrée dans les sabots !), il chiquait le tabac et s’exprimait avec un accent picard prononcé. Sa poltronnerie naturelle devant l’autorité et l’uniforme lui imposa de s’exécuter. Il dût manœuvrer son encombrant véhicule, faire un demi-tour malaisé, aidé de plusieurs gendarmes. Il ne tenait pas que Merda lui cassât la tête d’une balle, telle une de ces exécutions sommaires courantes contre les insurgés politiques de tout poil. Et les gendarmes portaient bien en évidence la baïonnette au canon…
De fait, ce quidam constitua un bon
divertissement, qui fit se relâcher l’attention des militaires et dégarnir l’un
des propylées, trop occupés qu’ils furent à aider le fardier à rebrousser
chemin.
Tout le monde avait omis un détail ;
les roues du « fiacre » des loyalistes étaient bandées d’une nouvelle
matière vulcanisée, autre bienfait de l’action de Galeazzo : le
caoutchouc ! Conséquemment, il était bien moins bruyant qu’une voiture
hippomobile ordinaire… Non contents d’avoir fait insonoriser les roues, nos
conspirateurs bretons avaient aussi pensé à envelopper les sabots des chevaux
d’espèces de chaussons de cuir qui en amortissaient le bruit. Enfin, comble
d’audace, la voiture était blindée, car le bois de l’habitacle était doublé de
plaques de fer !
Lors, la surprise fut complète quand
déboula sans crier gare d’une autre voie un second attelage, surmonté non
seulement d’un cocher déterminé, fusil rayé bien en évidence, mais aussi d’une
furie demi-nue, ébouriffée, la chemise de sylphide ceinturée de cartouchières
et les fines mains d’aristocrate occupées à brandir deux armes de poing prêtes
à dégorger leurs balles. Le cocher criait : « Hue !
Hue ! » et la jeune fille vociférait des « A mort !
Tuons ! Tuons ! Sus ! »
Merda réagit trop tard, jetant un :
« En joue ! » dérisoire. L’équipage bouscula la harde
gendarmesque
dont les tirs hasardeux s’égarèrent. Par contre, les loyalistes firent mouche. Rappelons que notre amazone usait de projectiles au fulmicoton, ravageurs entre tous. En ce temps parallèle, ce fut Merda qui acheva son existence morne de soldat zélé, la mâchoire fracassée. Contrairement à Robespierre qu’il eût dû atteindre en ce monde autre, selon la légende vantarde thermidorienne, il ne souffrit pas. Son corps défiguré s’effondra à l’instant, le maxillaire inférieur arraché par la puissance du feu de l’héroïque Félicitée Flavie. Ce fut tout juste si les habituels réflexes galvaniques d’agonie secouèrent notre homme. Un second projectile, tiré par l’autre canon de la jolie enfant, pénétra en la gorge d’un brigadier aux moustaches rutilantes, dont les oreilles s’ornaient d’anneaux de cuivre bien peu discrets. Quand la balle explosa, le cap de l’homme fit de même, s’allant rouler on ne sut où. Ce fut un être décapité qui, quelques secondes durant, continua de se mouvoir tel un fantôme d’échafaud sanglant avant de s’écrouler sur le pavé semé de paille et de crottin, les buffleteries et les revers de l’uniforme détrempés d’un flot hémorragique prévisible. Le canon long du cocher abattit un troisième homme à bout portant.
dont les tirs hasardeux s’égarèrent. Par contre, les loyalistes firent mouche. Rappelons que notre amazone usait de projectiles au fulmicoton, ravageurs entre tous. En ce temps parallèle, ce fut Merda qui acheva son existence morne de soldat zélé, la mâchoire fracassée. Contrairement à Robespierre qu’il eût dû atteindre en ce monde autre, selon la légende vantarde thermidorienne, il ne souffrit pas. Son corps défiguré s’effondra à l’instant, le maxillaire inférieur arraché par la puissance du feu de l’héroïque Félicitée Flavie. Ce fut tout juste si les habituels réflexes galvaniques d’agonie secouèrent notre homme. Un second projectile, tiré par l’autre canon de la jolie enfant, pénétra en la gorge d’un brigadier aux moustaches rutilantes, dont les oreilles s’ornaient d’anneaux de cuivre bien peu discrets. Quand la balle explosa, le cap de l’homme fit de même, s’allant rouler on ne sut où. Ce fut un être décapité qui, quelques secondes durant, continua de se mouvoir tel un fantôme d’échafaud sanglant avant de s’écrouler sur le pavé semé de paille et de crottin, les buffleteries et les revers de l’uniforme détrempés d’un flot hémorragique prévisible. Le canon long du cocher abattit un troisième homme à bout portant.
Des fenêtres de notre compromis entre le
fiacre et la malle-poste, Cadoudal et de Kermor tiraient aussi, alors que le
roulier s’esquivait en quête d’un abri. Quelques militaires hébétés titubaient
alors que d’autres, se ressaisissant, tentèrent d’enfoncer les flancs des
chevaux à coups de baïonnettes. L’un fut piétiné par un des nobles coursiers,
assez cruellement pour que la dépouille devînt méconnaissable. Dans cet
événement, Madame Royale fut la seule qui ne prit aucune part à l’échauffourée.
Elle se contenait de penser : « Dieu et la Sainte Vierge nous
protègent. » Cette jeune femme représentait un paradoxe : malgré un
certain vernis de libertinage, elle conservait la cagoterie de son ancêtre
Louis le Grand. Dans le domaine des mœurs, elle entreprenait suffisamment de
choses pour contenter les libelles infâmants dont les officines napoléonides
arrosaient l’Europe. Leurs propos contenaient cinq pourcent de vérité ; le
reste n’était que broderies, clabaudages, ragots et commérages d’hypocrites
pornographes. Son goût artistique exquis pour les nymphes statufiées par Pajou
ou Canova, son excellence dans les sanguines de jeunes Vénus anadyomènes qu’elle savait exécuter en quelques traits étaient connus de toutes les cours de Londres à Saint-Pétersbourg.
ou Canova, son excellence dans les sanguines de jeunes Vénus anadyomènes qu’elle savait exécuter en quelques traits étaient connus de toutes les cours de Londres à Saint-Pétersbourg.
Les chevaux arboraient des œillères
efficaces, sinon, ils se fussent affolés devant cette soldatesque menaçant de
les transpercer. Les gendarmes commirent l’erreur de ne pas attaquer
frontalement les bêtes en essayant d’assener leurs coups de baïonnettes à
hauteur de poitrail ou de chanfrein. Peut-être redoutaient-ils qu’ils
s’emballassent et leur fissent subir un sort peu enviable. C’est pourtant ce
qui arriva à l’un deux, ainsi qu’il a été écrit supra. Cela fut une expérience
désagréable de voir piétiner l’homme par les sabots impétueux de l’attelage,
avant que les roues de la voiture lui passassent sur le corps. Lors, nos
serviteurs de l’ordre de Napoléon le Grand perdirent toute cohésion. Privés de
leur supérieur Merda, ils optèrent pour la tactique du chacun pour soi.
Face à cet affaiblissement considérable de
la résistance ennemie, Félicitée Flavie redoubla de hardiesse. En acrobate et
écuyère émérite digne du cirque équestre d’Astley
ou de Franconi, on la vit – extraordinaire spectacle – dressée su l’attelage, tenant juste une rêne, encourageant les bêtes par des cris enthousiastes tout en canardant les gendarmes bientôt pris de panique, cheveux d’Eléonore flottant au zéphyr, rechargeant, retirant à une cadence inouïe, lâchant puis reprenant la bride, comme s’il se fût agi d’un des automates du Régent George, continuant de faire mouche à chaque coup. Aux fenêtres de la voiture, Cadoudal et Maël de Kermor n’étaient pas en reste, visant ceux qui, même demi-morts, remuaient encore et avaient des velléités de mettre encore les passagers en joue. De ce déluge de feu résulta un heureux effet de dégagement de voie vers l’issue de l’octroi. Félicitée Flavie possédait le don de frapper juste aux têtes. Le front du soldat réceptionnait la balle, parfois à travers le bicorne, peu avant que le projectile n’explosât. C’était alors un jaillissement immonde d’esquilles, d’ichor, de sang, de phlegme et de cervelle, une éclaboussure qui s’en allait souiller de sa chancissure les robes des chevaux, le bois opaque du véhicule jusqu’à l’étoffe de batiste de la chemise de la belle furie. Félicitée Flavie apparaissait comme un ange exterminateur.
ou de Franconi, on la vit – extraordinaire spectacle – dressée su l’attelage, tenant juste une rêne, encourageant les bêtes par des cris enthousiastes tout en canardant les gendarmes bientôt pris de panique, cheveux d’Eléonore flottant au zéphyr, rechargeant, retirant à une cadence inouïe, lâchant puis reprenant la bride, comme s’il se fût agi d’un des automates du Régent George, continuant de faire mouche à chaque coup. Aux fenêtres de la voiture, Cadoudal et Maël de Kermor n’étaient pas en reste, visant ceux qui, même demi-morts, remuaient encore et avaient des velléités de mettre encore les passagers en joue. De ce déluge de feu résulta un heureux effet de dégagement de voie vers l’issue de l’octroi. Félicitée Flavie possédait le don de frapper juste aux têtes. Le front du soldat réceptionnait la balle, parfois à travers le bicorne, peu avant que le projectile n’explosât. C’était alors un jaillissement immonde d’esquilles, d’ichor, de sang, de phlegme et de cervelle, une éclaboussure qui s’en allait souiller de sa chancissure les robes des chevaux, le bois opaque du véhicule jusqu’à l’étoffe de batiste de la chemise de la belle furie. Félicitée Flavie apparaissait comme un ange exterminateur.
Tirant à hue et à dia, presque emballé, au
risque que tout versât, que les essieux se rompissent, que les cavales fussent
empalées par les bois des barrières ou écrasées par la pierre des propylées,
l’équipage fugitif finit par briser le barrage, agissant tel un bélier ou un
boutoir, alors qu’au sol s’épandaient les cadavres, les expirants et les
agonisants, sans force pour râler. Certains se trouvaient dépourvus de leur
voûte crânienne, scalpée par la puissance démiurgique du fulmicoton, nouveau foudre
de Zeus, apparaissant comme des anencéphales monstrueux, adultes, aux uniformes
jaspés de tous leurs fluides. Quelques touffes de cheveux, parfois encore
adhérant à des lambeaux de bicornes, s’étaient éparpillées çà et là sur le pavé,
formant d’immondes perruques coagulées irréalistes. Seul le voiturier avait
échappé au carnage, en témoin involontaire. Il avait fui le Pandémonium en se
signant, laissant là son fardier.
L’hybride de fiacre et de malle-poste
s’éloigna en Belleville, tandis que les premiers rosissements de l’aube
teintaient la voûte céleste.
A suivre...
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