samedi 30 mai 2015

Cybercolonial 1ere partie : Belles Lettres d'une Rose méconnue chapitre 8 2e partie.



Lise revenait de sa séance de poney au manège de la propriété de Lacroix-Laval. Elle arborait une robe d’amazone vert feuille à brandebourgs. Elle avait bichonné sa monture en lui offrant dans sa mangeoire des fanes de carottes. Arthur l’en remerciait en la caressant de sa crinière. La fillette était enfin guérie de son mauvais rhume. Alors qu’elle flattait la croupe de l’animal qui poursuivait sa dégustation dans son auge où la fillette avait ajouté du picotin d’avoine, Lise se figea.
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« Maman, maman ? Que veux-tu ? Comment puis-je t’entendre ? Tu es dans ma tête. » 
Elle savait intuitivement que ces sons ne pouvaient provenir du poitrail du poney, qu’il ne s’agissait pas de ventriloquie. Pourtant, elle percevait distinctement les pensées de sa génitrice. Elle s’étonna, mais pas plus que cela, car, en son âge tendre, le merveilleux côtoyait la prosaïque réalité.
« Où te trouves-tu, maman ? Pourquoi me parles-tu ainsi ? »
La voix hésita, puis expliqua, avec une pointe de chaleur inhabituelle chez Aurore-Marie.
« Un méchant homme me retient prisonnière bien loin du château de Bonnelles. Tu dois en informer père, bien qu’il ne puisse pas grand’chose. 
- Un méchant homme, mais comment ?
- Il est mon ennemi. Il s’oppose à mes projets de rétablissement de la grandeur de notre chère patrie.
- Mais maman, tu aurais dû m’amener avec toi au château, cela ne serait pas arrivé. 
- Tu étais trop malade. Ce voyage t’aurait fatiguée au-delà de ce que tu aurais pu supporter », mentit la baronne. 
L’enfant sentit la réticence de sa mère, mais Aurore-Marie reprit :
« Hâte-toi de dire ce qui m’est arrivé à ton père. A cette heure, la duchesse, mon hôtesse, doit commencer à s’inquiéter. Elle fera fouiller la propriété et les environs de Bonnelles. Si cela ne donne rien, Albin alertera la police. »
Obéissant à la voix de celle qui l’avait engendrée, Lise de Saint-Aubain quitta le box de sa monture et, à petits pas pressés, gagna l’allée qui conduisait à l’aire centrale du château de Lacroix-Laval. 
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Comment Aurore-Marie était-elle parvenue à un tel exploit ? Lorsqu’elle s’était déguisée en Deanna Shirley, elle avait dissimulé la chevalière du Pouvoir dans le faux talon de sa bottine droite. Le bijou augmentait les facultés psychiques de celui qui le portait et, une fois laissée seule par le commandant Wu (ce dernier se doutait bien que son « invitée » ne se départait jamais de sa bague et qu’elle allait s’en servir ; bien qu’il eût constaté qu’elle n’avait pas glissé la bague à son doigt, il savait qu’elle en ferait usage dès qu’il aurait le dos tourné : cela l’arrangeait car il ne désirait pas s’encombrer indéfiniment de la baronne ayant déjà anticipé son prochain affrontement avec la Grande Prêtresse des Tétra-épiphanes à Venise ; ce ne serait que là-bas qu’il lui ôterait les griffes), elle l’enchâssa afin de communiquer avec celle qui était la plus proche d’elle.
Cependant, ce n’était pas Lise en tant que fille du sang de la poétesse qui captait son message, mais l’alter ego parthénogénétique venu au jour le 1er mai 1881. Pour la raison dévoyée d’Aurore-Marie, Lise n’était que la principale hypostase de son culte, mais dans son souci de se sortir de cette prison, elle en oubliait les autres doubles qui eux aussi étaient à même de percevoir une partie de l’appel. Dès le début, Albin avait été triste de constater le manque d’instinct maternel de son épouse vis-à-vis de Lise. Toutefois, au fil des mois et des années, celui-ci frémissait et Aurore-Marie était capable d’éprouver un attachement sincère pour la fillette.

Loin de là, mais simultanément, un garçonnet exactement du même âge que Lise de Saint-Aubain, qui, profitant du printemps avancé, avait quitté l’antique château auvergnat de Sarcenat où il demeurait afin, en esprit curieux, d’aller observer la nature, entendit cette voix féminine intérieure appeler à l’aide.
Fort pieux, l’enfant, qui se dénommait Pierre d’une stature plus grande que son âge, mince, le visage allongé, les yeux vifs et curieux, crut avoir affaire à la Vierge. Troublé, il tomba à genoux et récita trois Ave. Le phénomène cessa, immédiatement, et tout penaud, car croyant avoir commis une faute, Pierre s’en revint chez lui. Il garderait longtemps le souvenir de cet incident.
Plus incongrûment, une autre personne entendit le message à un moment des plus inopportuns. Tandis que son illustre client
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 lui faisait des poutous partout et des guili-guili, DS De B de B, un peu pompette, crut être la victime d’une illusion. Un éclair de lucidité lui fit penser à un tour de Daniel Lin, mais elle ne pouvait s’y tromper : elle avait reconnu la voix d’Aurore-Marie. Elle jeta une insulte :
« Bloody whore ! Holy shit ! »
Et l’autre de répliquer :
« Shocking !
- Votre Altesse, ce n’est pas à vous que je m’adressais… »

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Alphonsine n’avait pas trouvé Aurore-Marie dans sa chambre afin de lui porter sa tisane du matin. Victurnienne de Rochechouart de Mortemart s’était aussitôt enquise de son invitée, mobilisant la plus grande partie de sa domesticité. Elle fit fouiller de fond en comble tous les bâtiments, puis, après avoir reçu le coup de fil de l’époux (donné de l’hôtel particulier lyonnais de l’avenue des Ponts), elle se résolut à faire appel à la gendarmerie tout en étendant les recherches au parc et au bois alentours.
Comment Albin de Saint-Aubain avait-il fini par croire aux paroles de sa fille de sept ans ? Dans un premier mouvement, cet homme si posé avait cru que la fillette affabulait, comme tous les enfants de son âge. Puis il réfléchit au fait que jamais Lise n’avait menti. La petite était d’une honnêteté et d’une probité rares. Ce fut pourquoi il choisit de croire en son récit, aussi alambiqué et naïf qu’il parût. Lacroix-Laval ne disposait pas du téléphone au contraire de l’immeuble lyonnais.
Albin prit ses dispositions. Férue de nouveauté, la duchesse d’Uzès disposait à Bonnelles d’un combiné mural dernier cri dans lequel elle était contrainte de hurler dans le cornet acoustique qui transmettait des voix déformées et nasillardes, propres à surprendre quelques années plus tard un Marcel Proust et à produire un trait d’humour de la part de Noël-Noël dans un feuilleton uchronique oublié intitulé Le Voyageur des siècles.
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Les inconvénients et les imperfections acoustiques de l’invention de Graham Bell étaient multiples : le son y avait pour défaut soit d’aller et venir, soit de se réverbérer, soit enfin d’être transmis d’une manière discontinue comme des mots en pointillés. Il était donc nécessaire aux interlocuteurs de répéter leurs phrases plusieurs fois, d’en articuler distinctement le moindre terme afin de bien se faire comprendre. Il était vivement conseillé aux Bourguignons, aux Auvergnats et aux Marseillais de ne point utiliser cet appareil. 
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Par précaution, le baron consort envoya également un télégramme et un pli express au Havre où Barbenzingue s’occupait des ultimes préparatifs avant l’appareillage imminent du Bellérophon noir. Les tests de plongée et de retour à la surface s’étaient déroulés avec succès. De Boieldieu avait donné de sa personne en essayant deux scaphandres.
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Victurnienne avait beau faire ratisser le moindre boqueteau ou le plus petit fourré, elle envisageait déjà de draguer les deux étangs de sa propriété. Toute la valetaille était sur les dents, du majordome à la dernière des souillons (dont Carette déguisé). Elle fit sonder les murs, à la recherche de cachettes qui auraient pu servir à un prêtre réfractaire près d’un siècle auparavant, d’huis dérobés, d’alcôves oubliées, d’escaliers secrets. Même les caves les plus enfouies firent l’objet d’une fouille minutieuse, tout cela en vain. Les seules trouvailles consistèrent en une momie de chat emmuré près de la crémaillère d’une vieille cheminée du deuxième étage de l’aile ouest, des squelettes de corbeaux et de freux, un vieux jeu de chemin de fer oublié par son fils défunt et une cocarde blanche d’un carliste de 1830.
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Alors que le désespoir grandissait en elle, Victurnienne fut assaillie par une étrange voix à la tonalité masculine venue de l’éther luminifère, c’est-à-dire en langage actuel de l’espace. Daniel Lin avait jugé qu’il était temps de rassurer la bonne duchesse.
« Madame d’Uzès, votre amie est entre mes mains. Nul mal ne lui a été fait. Elle a pu se sustenter d’une aile de poulet et d’un blanc-manger (ce dessert crémeux avait été dérobé de justesse à la voracité d’Ufo).
- Mais…qui…qui êtes-vous ? bégaya Victurnienne. Comment puis-je entendre votre voix ?
- Je communique mentalement avec vous. Mon nom importe peu. Madame la baronne de Lacroix-Laval s’est mise sur mon chemin. J’ai dû lui donner une petite leçon. Elle vous reviendra bientôt saine et sauve sans que vous me versiez rançon.
- Mais enfin, je ne comprends mie ! Où se trouve-t-elle présentement ?
- Assez loin de chez vous.
- C’est-à-dire ?
- Hors de France, Madame.
- Ah ! Vous êtes un espion de Bismarck ! Ma pauvre et tendre Aurore-Marie aurait-elle déjà rejoint la frontière allemande, atteint l’Alsace ?
- Point du tout. Elle flotte actuellement dans l’éther en ma compagnie. J’oubliais celle de mon chat.
- Ah, mon Dieu ! Et son allergie ? Vous la mettez en danger de mort, monsieur !
- Nullement.
- Je vais lancer un avis de recherche et mettre en alerte toute la gendarmerie de France et de Navarre.
- Si le cœur vous en dit. Mais tous vos efforts sont inutiles. Dès demain, elle sera chez vous.
Imitant une série américaine de science-fiction fort célèbre, le commandant Wu articula ironiquement :
- Fin de communication. »
Aussitôt, le silence se fit autour de Victurnienne et dans sa tête. Légèrement ébranlée, la duchesse éprouva le besoin de reprendre les esprits, mais, forte femme, après s’être contentée d’avaler un verre de sherry, elle s’enquit de son homme de confiance et lui ordonna de se rendre à Rambouillet et de parler au capitaine responsable de la gendarmerie locale.

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Port-Saïd, soir du 15 juin 1888.
Parfaitement maquillées en bâtiments britanniques, les deux frégates de l’expédition secrète d’Otto von Bismarck faisaient escale pour ravitaillement avant leur entrée dans le canal de Suez. Tous les laisser-passer étaient en règle. Erich von Stroheim était devenu Matthew Farlane, Oscar von Preusse le lieutenant de vaisseau Andrew Merryweather et Werner von Dehner l’enseigne de vaisseau de première classe William Dungham. Alban se trouvait fort humilié d’être réduit à un rôle de cadet : Alexander Millcott.
Une nouvelle d’importance primordiale vibrait le long du fil qui chante, mettant en émoi tout le monde civilisé : le Kaiser Frédéric III venait d’expirer le jour même. Quelle serait la politique étrangère du nouvel Empereur ?
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Tandis que la contrition s’abattait sur l’équipage, le Foreign Office et le Quai d’Orsay étaient en émoi. Les directives étaient fort claires, explicites : quel que fût l’événement, et tant qu’on n’aurait pas débarqué sur les côtes d’Afrique orientale, il fallait feindre l’appartenance à Albion donc, afficher le moins possible des émotions qui eussent mis la puce à l’oreille aux autorités britanniques contrôlant le Canal. Ce n’était pas comminatoire, une sorte de commandement bismarckien imposant la maîtrise de soi, mais des officiers aux soutiers les plus patriotes, il fallut se soumettre. La capitainerie de Port-Saïd commissionna un contrôleur pour s’assurer de la conformité des cargaisons. Les commissaires de bord, jouant le jeu, reçurent le petit équipage britannique fort civilement. Les armes avaient été habilement camouflées derrière de fausses cloisons et des doubles fonds sous les lits des cabines. Les privates dont les fusils à baïonnettes n’impressionnaient aucunement leurs faux compatriotes, furent dupés. Le moindre détail avait été pensé. Dans le quartier des officiers, une lithographie de Victoria impératrice des Indes, trônait en bonne place, remplaçant le portrait de l’Empereur défunt. Rien ne pouvait faire penser à l’appartenance germanique du moindre matelot ou mousse. Tout avait été trié, jusqu’aux pipes, tabatières, tabac, cigares, boîtes de thé, biscuits, vaisselle, linge, médicaments, scalpels, journaux, photographies, courrier (fausses lettres en anglais), jusqu’au plus insignifiant objet personnel, afin que transparût la nationalité britannique des deux frégates. Les véritables possessions des marins avaient rejoint les armes derrière les cloisons et dans les doubles fonds. Les deux équipages, fort disciplinés, n’avaient pas discuté. Par excès de zèle, l’officier en second du Louise de Prusse avait accroché l’Union Jack au-dessus de son lit tandis que le bosco avait étalé une collection de cartes à jouer représentant tous les souverains britanniques depuis les Tudor. Quant au cuisinier, il avait mitonné un plat typique anglais : un rôti avec de la confiture de cerise et des sandwichs au jambon avec du chutney. Même les fromages (du stilton) et l’incontournable plum-pudding n’avaient pas été omis. Dans sa barbe, Erich Von Stroheim marmottait : 
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« Trop british pour être vrai. »
Afin de jouer lui aussi le jeu, Von Stroheim avait laissé négligemment traîner un numéro de Punch, la célèbre revue satirique où figurait en première page une caricature de Bismarck.
Il était inévitable qu’à ce régime, l’inspection du port apposât le cachet et le visa permettant de poursuivre la traversée.
Il y eut un ouf de soulagement perceptible lorsque le contrôleur et ses gardes se retirèrent. Tandis que les deux frégates s’engageaient dans le Canal, les marins allemands s’empressèrent de retirer quelques objets par trop britanniques.
On ne sut comment, mais un passager clandestin était parvenu à se dissimuler à bord de la vedette de la police du Canal et à s’infiltrer à bord. Quelle ne fut pas la surprise du réalisateur et comédien américano-autrichien de découvrir caché dans un canot de sauvetage une espèce de vieux fellah dégingandé, vêtu de hardes aux effluves puissants, manifestement un illuminé aux cheveux blancs hirsutes, aux yeux hallucinés, qui répétait sans trêve le mot : Balek ! Balek !
 
Stroheim, qui comprenait l’arabe égyptien, conduisit le fou au capitaine du Louise de Prusse dont le nom fleurait la vieille France car d’origine huguenote : De La Guillotière.
« Commandant, avisez un peu ce passager clandestin : il est monté à Port-Saïd. 
 
- Pourquoi ne le jetez-vous pas par-dessus bord ?
- Sans doute, mais peut-être faudrait-il d’abord l’interroger.
- L’interroger ? Nous ne parlons pas arabe ici !
Von Stroheim sourit fugacement et fit :
- Je connais quelques mots, suffisamment pour questionner cet intrus.
- Gut, herr Stroheim.
Le vieil homme dodelinait de la tête et poursuivait sa litanie :
« Ifriqiya A-El ! Ifriqiya A-El ! Ebliss ! Ebliss ! Balek ! »
Erich lui posa quelques questions :
- Qui es-tu, que nous veux-tu ?
- Effendi, je suis le cheik Walid ! Le diable ! Le diable m’est apparu ! Il a posé ses griffes au sud, là où vous allez ! Le fantôme de Saïd Pacha est son allié ! Il commande aux troupes de tous les revenants, des armées de Pharaon englouties lors du passage de la Mer Rouge ! Il vient d’enrôler le spectre de Gordon Pacha succombé à Khartoum ! »
De ses doigts squelettiques, il égrenait convulsivement un chapelet.
Entendant cela, Erich préféra hausser les épaules. Il se voulait un esprit fort et ne croyait pas au surnaturel. Toutefois, il rapporta fidèlement les propos de l’illuminé à De La Guillotière. Il conclut :
« Herr Kommandant, ce n’est qu’un pauvre fou inoffensif.
- Oberst Von Stroheim, nous le débarquerons à la première escale. »
Erich opina de la tête et se retira avec son prisonnier qui fut enchaîné à fond de cale. Cependant, il avait reçu comme toute l’équipe de Daniel Lin le message de ce dernier après les incidents survenus au cœur de l’Afrique noire, auxquels avaient assisté Lorenza di Fabbrini et le reste de son groupe. Son esprit entraîné fit le lien. Une force inconnue allait leur mettre des bâtons dans les roues. Mais pour lui, il n’y avait rien là-dedans de fantastique ou de magique, mais seulement quelque chose relevant d’une technologie plus futuriste que celle dont disposaient les citoyens de l’Agartha.
Or, dès qu’ils eurent franchi le Canal, le bosco et le pilote du Louise de Prusse, Matthias et Hans, avaient constaté que les cieux se nimbaient de nuages aux coloris étranges : violine, fuchsia, mordoré, jaune soufre, qui formaient des écharpes fuligineuses striant l’horizon et le firmament. De plus, une houle scintillante commençait à se faire sentir alors que la gite des frégates s’accentuait. Des embruns de haute mer de teinte à la fois émeraude et rosâtre éclaboussèrent les coques des navires. Celles-ci passaient avec justesse entre des écueils improbables et invisibles : on entendait distinctement les crissements métalliques des bateaux gémissant contre des carapaces surdimensionnées de crocodiles du Nil, réincarnations de Sobek en personne égarées dans le Canal. D’ailleurs une silhouette reptilienne gigantesque apparut à la proue du Louise de Prusse. Epouvanté, Hans le pilote donna un brusque coup de barre, au risque de drosser son bâtiment sur la rive tribord. Il interpela Matthias :
« Teufel ! Ich weiss nichtsWo sind wir ?»
Une nappe de brouillard enveloppa les deux frégates allemandes et se fit si dense que Matthias recommanda à Hans :
« La corne de brume, actionne-la ! »

A suivre...

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