mercredi 31 octobre 2012

Aurore-Marie ou Une Etoffe Nazca : épisode 5.



11 septembre 1877.

En ce triste après-midi de fin d'été au ciel morne,  je me sentais particulièrement désœuvrée. Je venais de donner congé à une de mes élèves d'allemand, mademoiselle de**, dix-sept ans, fille du vicomte de**, à laquelle j'avais prodigué mes conseils éclairés de modeste professeur de cours particuliers aux fort modestes émoluments : « Mademoiselle, vous m'apprendrez pour la prochaine fois l'extrait du Don Carlos de Schiller et cette poésie de Novalis. N'oubliez pas de réviser vos conjugaisons du subjonctif, lui avais-je prescrit avant qu’elle me quittât. A la semaine prochaine. » 
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La semaine prochaine... le jour du rendez-vous de Cluny. Ni Henri ni Victoria n'étaient là, occupés à placer des tableaux chez le marchand d'art G**.[1] Pour tromper mon ennui, je contemplais de la fenêtre du salon les grilles de fer forgé de l'hôtel d'en face, avec leurs rai-de-cœur et leurs motifs lancéolés. Les passants avaient un air maussade, à l'image du ciel. Les trottoirs étaient détrempés par la pluie. Le camaïeu sombre des toilettes arborées par les deux sexes, puce, prune, grenat, chamois, Sienne, gris ou anthracite, sauf parmi les soldats au pantalon garance, les femmes de petite vertu aux chapeaux tout fleuris ou les cousettes, trottins et grisettes au juvénile sourire, n'arrangeait aucunement cette impression d'austérité générale dégagée par mes contemporains, dignes du protestantisme et du jansénisme des siècles passés. Il y avait de quoi faire accroire à un visiteur éventuel débarqué de l'époque de la « douceur de vivre », fardé comme en ce temps, dont je me remémorais ces toilettes extraordinairement extravagantes et colorées de la cour de Marie-Antoinette, que toute la France s'était convertie au calvinisme ou avait repris les édits somptuaires du Grand Cardinal.
Mathilde, notre bonne, vint m'informer qu'une personne frappait à l’huis avec insistance. Pouvais-je refuser qu'on lui ouvrît, qu'elle entrât en notre logement ? Devais-je éviter que vous, ma sœur et mon beau-frère, me grondassiez comme une enfant pour avoir osé permettre à un inconnu de recevoir notre hospitalité ; que vous me condamnassiez à demeurer enfermée au pain sec dans un cabinet noir jusqu'à la tombée du soir voire au-delà, telle la Jeanne du grand Victor Hugo, l'universel poëte, qui venait de publier son recueil L'art d'être grand-père ?
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J'ordonnai conséquemment à Mathilde de permettre au visiteur d'entrer. C'était la petite Aurore-Marie, les larmes aux joues, nu-tête, la résille défaite laissant échapper de longues mèches châtain clair. Une ravissante robe à petits carreaux écossais et à tournure chamois mettait en valeur sa fine silhouette. Elle était haletante, écarlate, en sueurs ! La malheureuse, à cause de sa course trop hâtive, souffrait de diaphorèse. Elle avait visiblement pris la poudre d'escampette, trompé la vigilance de ses gardiens. Notre adresse lui avait été utile, lui prodiguant le havre, le refuge, l'asile d'un nouveau Paradis, qui n'avait rien à voir avec celui, perdu, de Milton.
Les joues de pivoine de la malheureuse enfant luisaient. Elle risquait à tout le moins la syncope, et sa transpiration, si je n'intervenais pas, entraînerait en elle une fluxion de poitrine.
« Au secours ! Madame ! Protégez-moi ! » implora-t-elle de plus belle.
Je ne pouvais agir comme un Louis XIV rabrouant un courtisan en retard et lui déclarant : « Mon Sieur, il eût fallu que vous vous dépêchassiez. Nous détestons attendre ! »
La chétive pécore, pour parler comme monsieur de La Fontaine, ressemblait à une rose à peine éclose destinée à précocement passer. Une de ces roses que monsieur de Nerval, le poëte suicidé, avait alliée au pampre.
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Je lui demandai de se calmer, de lentement tout m'expliquer, en lui disant que la police risquait de la rechercher parce que son père s'enquerrait assurément d'elle et ferait tout pour la récupérer. Il n'était pas sûr qu’Henri acceptât sa présence ! Je le lui déclarai franchement. Elle éclata en sanglots, transformés aussitôt en une crise de toux. Comme elle risquait plus que jamais la congestion, je demandai à Mathilde de préparer le tub avec de l'eau chaude afin qu'elle se réchauffât. Aurore-Marie n'en voulut pas, quoiqu’elle frissonnât grandement.
« Non, madame ! Je ne veux point me mettre nue devant une inconnue ! »
Je comprenais sa gêne, sa pudicité de jeune fille comme-il-faut, mais comment lui dire, lui faire admettre qu'aucun homme ne m'avait moi-même jamais connue, vue nue, et que je conservais donc mon intégrité ! Elle accepta toutefois que je la soulageasse avec des frictions. J'avais une pommade, un baume ou dictame souverain, remède de nos grands-mères, efficace pour prévenir les fluxions. Elle me permit enfin de la toucher, de la déshabiller, et que j'ôtasse son linge, y compris ses prudes pantalons, mais elle s'obstina à conserver sa chemise quoique celle-ci fût mouillée. Je lui dis de se mettre derrière un paravent, et je lui tendis une chemise de rechange, un peu grande et large pour elle. Dans cette tenue un peu équivoque, elle se laissa frictionner doucement. Ma position s'avéra fort ambiguë, au contact de ces chairs juvéniles et blêmes, de cette peau douce de petite poupée. Je sentais sous la chemise de batiste, qui appartenait à ma sœur, tout en la frottant vigoureusement de ce baume camphré, cette poitrine maigre et frémissante, ces côtes d'une demoiselle qui ne devait pas manger à sa faim. Mauvais traitements ou débilité de la santé ? Je ne le sus pas, car, par pudeur instinctive, elle tut ses problèmes corporels intimes, ses ennuis personnels, mais je compris à demi-mots qu'elle souffrait depuis la mort de sa mère, l'an passé, d'un mal mental que l'on nommait alors névrasthénie, allié à une anorexie. La demoiselle n'était pas encore réglée, nubile, et elle n'avait pas supporté son statut d'orpheline. 
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Calmée, elle se laissa rhabiller et coiffer. Ses magnifiques cheveux blonds foncés, indisciplinés, tombant jusqu'aux mollets, furent artistiquement torsadés et noués en une longue natte aux merveilleux reflets miellés, qui mettait en valeur son ovale d'elfe. Elle me dit, mutine :
« Madame, je voudrais que vous me coiffiez d'anglaises ! 
- Je n'ai pas de fer à friser à ma disposition. »
Je rajoutai la dernière touche en nouant au sommet de cette chevelure de rêve un ruban à carreaux assorti à sa robe. Bien qu’à nouveau en beauté, elle ne retrouva point toutefois le sourire. Tout en caressant de ses doigts fins d'albâtre un Delft en forme de magot chinois, elle se confia davantage :
« Je ne veux pas du destin que père me réserve! Je veux écrire de la poésie comme monsieur Leconte de Lisle, et jouer du piano. »
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Ce mot de destin revenait fréquemment en ses lèvres enfantines, sans que je susse pour l’heure ce qu’il sous-entendait. Aurore-Marie évoqua la mort de sa mère.
« Mère souffrait d'un squirre de la membrane utérine, dit-elle, sur un ton geignard et poignant. Elle était devenue d'une maigreur effrayante et elle souffrait beaucoup. Elle exhalait déjà une odeur de mort, et nous devions  masquer celle-ci en la badigeonnant constamment d'eau de Cologne, et en faisant chauffer des pastilles de menthe dans des cassolettes disposées dans tout notre château de Lacroix-Laval, en vain, hélas. »
Elle fondit en larmes. Vers les six heures du soir, Henri et Victoria revinrent au bercail. A mon grand soulagement, Henri ressentit autant que moi le désarroi de la fillette. Il accepta donc de l'héberger temporairement, sans toutefois souhaiter que ce séjour forcé allât au-delà du raisonnable. Si le géniteur de la malheureuse se manifestait, il faudrait bien obtempérer. Force devait rester à la loi !

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Le lendemain, alors que nous servions à la pauvre fillette un plantureux petit déjeuner, Victoria nous dit, inquiète :
« Observez bien la fenêtre d'en face ! J'ai l'impression que des acolytes de Monsieur Albéric de Lacroix-Laval nous épient. Ces sournois savent où Aurore-Marie a trouvé refuge, et ils la guettent pour l'enlever. Ils se tiennent en tapinois !
- Si c'est le cas, cela signifie que ce monsieur refuse d'utiliser les voies légales. Il a quelque chose à cacher aux autorités.
- Monsieur Fantin-Latour, pleurnicha la jeune fille. Croyez-moi ! Père veut faire de moi une « Élue » d'un culte interdit, jeta-t-elle, se décidant enfin à en dévoiler davantage sur ce destin promis. Il veut me conduire de force dans un sanctuaire caché. Il a de nombreux complices. Il croit que j'ai été désignée par une divinité pour la servir.
- Divinité, sanctuaire ? répondit Henri, sceptique. Vous affabulez, mademoiselle de Lacroix-Laval. Êtes-vous saine d'esprit, ou souffrez-vous de la maladie de la persécution ? Votre cas intéresserait beaucoup messieurs Blanche et Charcot.
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- Je dis la stricte vérité ! fit-elle, irritée, ses grands yeux couleur de résine traversés par d'étranges et fugaces lueurs. Si vous ne me croyez point, demandez à mademoiselle Jacquemart, qui était en train d'exécuter mon portrait avant que je ne m'enfuie ! Mademoiselle Charlotte m'a dit que son amie avait noté les inscriptions de la chevalière de Père et de ses complices. Il me destine à porter le même bijou qui marquera mon appartenance au même culte et me désignera à ses disciples comme la « Grande Prêtresse ».
- Qu'y-a-t-il de gravé sur cette bague ? questionna Henri, toujours aussi peu convaincu.
- Τετρά Επιφάνεια Κλεόφαντις ! Πάν Ζώον ! Πάν Χρόνος ! Πάν Φύσις ! Πάν Λόγος ! Τετρά Σφαίρα Έύθύφρων ! Σφαίρα  κύβοέξάεδρον! Σφαίρα έικοσίεδρον (…) s'exalta la fillette, toute pourprine. Je continue, monsieur ? 
- C'est du grec revu et corrigé, fis-je : « Tetra Epiphaneia Cleophrades ! Pan Zoon ! Pan Chronos ! Pan Phusis ! Pan Logos ! Tetra Sphaira Euthyphron ! Sphaira cuboexaedron ! Sphaira icossiedron… »
- Il y en a encore deux autres au moins. Peut-être le total serait-il de sept sphères ? poursuivit Aurore-Marie. Ce culte dériverait de l’Almageste de Claude Ptolémée, des sphères armillaires de Kepler et des gnostiques...
- Vous en savez beaucoup, jeune demoiselle, coupa Henri.
- Je subis une initiation forcée depuis plusieurs mois. Père me gave comme une oie du Périgord afin que j'assimile un savoir hérétique. J'ai grand’ peur, monsieur Fantin ! »
Ignorant le laps de temps durant lequel Aurore-Marie séjournerait chez nous, je sortis lui acheter deux robes, du linge de rechange (bas, pantalons de dessous, chemise et jupon) et une chemise de nuit. La triste et malingre fillette passait ses journées à composer des vers de mirliton surchargés de références à la mythologie gréco-romaine, ampoulés et empesés au point d'en devenir inintelligibles pour le profane. Il y était question d' « okéanides », de « nymphes », d’ « hamadryades », de « satyresses », de « Séléné », d' « Arès » et d'autres personnages de la mythologie... Elle me dit, de sa petite voix si douce, de sa petite bouche rose, avec une spontanéité charmante et  juvénile : « Je veux être Leconte de Lisle ou rien. », comme monsieur Hugo l'avait  lui-même écrit au même âge -puisqu'elle nous avait appris qu'elle avait quatorze ans - : « Je veux être Chateaubriand ou rien ».
Le reste de son temps, elle chantonnait mélancoliquement ou jouait du piano, reprenant en particulier cette vieille romance ou chanson de Jean-Paul Égide Martini, composée sur des paroles de Jean-Pierre Claris de Florian : Plaisir d'amour.  En ces instants, elle ressemblait davantage à un misérable petit singe, un atèle ou un ouistiti pitoyable et mal peigné.
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« Plaisir d'amour ne dure qu'un moment,
Chagrin d'amour dure toute la vie.
J'ai tout quitté pour l'ingrate Sylvie
Elle me quitte et prend un autre amour.

Plaisir d'amour ne dure qu'un moment,
Chagrin d'amour dure toute la vie.
Tant que cette eau coulera doucement
Vers ce ruisseau qui borde la prairie
Je t'aimerai, me répétait Sylvie.
L'eau coule encor, elle a changé pourtant.
Plaisir d'amour ne dure qu'un moment,
Chagrin d'amour dure toute la vie. »

Cette chanson était en vogue sous Louis XVIII, voire même du temps du Directoire. La voix d’Aurore-Marie, fin cristal presque grêle, immature, était celle d'une soprano n'ayant point encore travaillé la profondeur du « coffre » et le « masque ».

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Le deuxième soir, tandis que je lisais dans ma chambre un quelconque roman anglais, une traduction de Mrs George Eliot (mes souvenirs hésitent désormais à me permettre de m’en remémorer le titre), mademoiselle de Lacroix-Laval vint me visiter à l’insu de ma sœur. L’heure du souper était passée ; je m’apprêtais à me coucher, et je m’attendais à ce que notre hôte forcée fût déjà en tenue de nuit. Ma surprise fut grande : Aurore-Marie était vêtue comme pour sortir en ville, non point d’une toilette de promenade propre à sa jeunesse, mais du soir, tout en soie et satin, d’une nuance gris perle, agrémentée d’une longue traîne dite à l’écrevisse et d’un décolleté, dérisoire au vu de sa gorge plate, comme si elle eût désiré que je l’emmenasse au théâtre ou au bal, bien qu’elle n’en eût point encore l’âge. Elle avait relevé ses longs cheveux de miel blond-roux en un chignon pesant, surmonté d’une aigrette, attaché laborieusement par de multiples épingles. Elle toussotait, nerveuse ; elle paraissait prise d’étouffements d’anxiété. Elle avait une requête à formuler, bien que j’ignorasse laquelle. Son regard jaune semblait embrumé. Ses joues empourprées par la gêne accentuaient l’évanescence du reste de son visage triangulaire, d’une diaphanéité presque pellucide. Je perçus un léger tremblement de ses petites mains parées de longs gants blancs, déjà d’adulte. La toilette ne lui allait pas car trop grande et trop large pour sa silhouette fluette ; elle l’avait empruntée à Victoria, sans le lui en demander la permission. Je ne puis m’en cacher : j’eus le sentiment ambigu qu’en ces atours d’adulte, Aurore-Marie espérait me séduire. Elle balbutiait, ne sachant quoi exprimer, pressentant l’inconvenance de sa démarche.
« Mademoiselle Charlotte… je… je souhaiterais vous faire part de… je ne puis supporter qu’on me cloître ici indéfiniment… Père m’a préparée pour le monde, pour, qu’en mes quinze ans accomplis, je puisse briller en société et… »
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Voulait-elle s’aventurer dehors, en quelque lieu mondain, inconvenant eu égard à sa jeunesse, malgré la menace de ses cerbères sans doute continûment à l’affut ?
« Il n’est point temps mademoiselle ; vous êtes en danger, vous le savez bien.
- A mon âge, on éprouve le besoin de s’aérer. Voilà bien deux jours que je ne suis point sortie. L’heure impose, selon nos codes, le port d’une robe du soir… Je suis une future baronne et… »
Peut-être n’était-ce de sa part que caprice, puérilité, mais mes narines ne me trompaient pas, tout comme mes yeux. Non seulement la pauvre enfant avait humecté sa peau d’essence de violette et d’eau de néroli, mais elle avait ourlé ses lèvres d’un léger maquillage, d’un rouge d’Espagne écarlate propre à une courtisane. Aurore-Marie faisait preuve d’une précocité insoupçonnée. Elle se fit suppliante, s’approcha de moi.
« Mademoiselle Charlotte, je vous en prie… Accordez-moi cette faveur, juste pour ce soir… Un pianiste renommé donne un concert à … et je voudrais l’entendre. »
Elle me prit le bras, me fit lâcher mon livre, se plaqua presque contre moi. Je sentis son cœur battre à grands coups. Elle parut quémander un câlin, une cajolerie mal placée, me prenant pour feue sa mère sans doute, en espérant que je cèderais. Je répliquai :
« Non, mademoiselle, vous devez vous déshabiller, vous coucher…
- J’ai grand’peur ! J’ai besoin de vous…
- Vous vous excuserez auprès de Victoria pour lui avoir subtilisé cette robe sans sa permission… Vous commîtes tantôt un acte répréhensible, et nous sommes en droit de vous expulser de notre domicile. Vous n’êtes pas chez vous, dois-je vous le rappeler ?
- Mademoiselle Charlotte, je ne puis. Je ne suis pas voleuse ! Ne celez rien ! »
Ne sachant comment la calmer tant les larmes commençaient à perler le long de ses joues maigres, prise d’une pitié soudaine, presque insensée, j’osai l’embrasser au front. Elle parut s’en contenter et me quitta, en taisant le sentiment, l’impression, que ce baiser lui avait prodiguée. C’était à peine si la pourpre permanente de ses pommettes s’était accentuée. Son doux parfum persista quelques instants dans ma chambre, avant de se dissiper. Je ne sus pourquoi ; je ne dis mot à Victoria, comme si je m’étais pliée à la volonté de mon hôte. Je considérais l’incident clos. Aurore-Marie venait de me subjuguer, et j’en étais marrie. Je regrettais l’avoir embrassée, comme sur un coup de tête irréfléchi. Bien que je n’eusse pas cédé à son caprice aristocratique, je ressentis un profond malaise, comme si je m’étais aventurée dans un territoire interdit que d’aucuns nommaient Gomorrhe. Je venais de réaliser combien, sous ses dehors souffreteux dont elle savait user à dessein, dont elle voulait tirer avantage, mademoiselle de Lacroix-Laval recelait un poison, un venin, propres à faire succomber, à foudroyer, des femmes ou des hommes plus faibles de tempérament que moi. J’attribuais cela à l’indétermination de l’enfance, bien qu’elle approchât de la nubilité.  
A suivre.
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[1] Sans doute s’agit-il de Goupil.