vendredi 30 octobre 2009

Poèmes d'Aurore-Marie de Saint-Aubain




Eloge maniériste à l'Egée oubliée

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Il y a de cela bien longtemps, mes lectures me portèrent vers Honoré d'Urfé.
Je goûtais à l'Astrée, ô, mignardises exquises!
J'aspirais à la préciosité, appréciant Galathée, les bergeries, les fées!
Triton et Néréide, Céladon, doux Zéphyr, naïades pour le nymphée promises!
Plus tard, l'éther luminifère, aux pérégrinations de Cyrano voué,
M'ouvrit lors la Cosmogonie, après un intermède céruléen
Consacré à Anchise, à la troade d' Enée, bien que fort peu douée
Pour les spéculations astronomiques, leur préférant le Vieux Monde égéen!
Praeludium du Cantor! Églogue! Ilion conquise!
Ruines que ni Henriade, ni Franciade, ni Lusiades n'obvièrent!
Prosopopée dédiée à ce qui ne sera plus, fille soumise!
Deucalion s'en moqua, ô vestiges superbes qu'inondèrent
D'universels déluges, ensevelissant, loin de la mémoire des hommes,
Le Monde païen d'antan, à l'issue de cruels prodromes!
Le burgondofaron, par Gondebaud conçu, en l'abîme précipita Préneste,
Au deuil de palissandre et de sinople, voue-toi donc, Clytemnestre!

Aurore-Marie de Saint-Aubain : Épitaphes pour une culture enfuie (1885).

La rose ptolémaïque

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Le suc au doigt blessé du grain d'ampélopsis
Par l'amuïssement fortuit des novices d'Eleusis
Dégoutta de la trémière rose aux pétales blancs du lys.

Pétrarque renaissant, muse de Volubilis!
Ménade qu'en Agrigente lors voué à Myrtis,
L'épigone de Scopas modela pour Isis!

Péléen volcan, lapilis qu'aux rives de Thétys,
Emplirent les cinéraires urnes fleuries d'amaryllis!

Belluaire thébain, esclave de Sérapis!
Quête encor avec moi les larmes d'Anubis!

Sacrifices opimes qu'à l'ombre de Némésis,
Les dieux oubliés reçurent du grand Aménophis!

Roi des rois, retiens le bras vengeur occulté en l'ophrys!
Préfère en moi la Vie, blonde rose de Nephtis!
Belle d'entre les belles, goûte encor avec moi à l'iambe d'oaristys!

Aurore-Marie de Saint-Aubain : le cénotaphe théogonique (1879).

Rêverie vénitienne. (poème composé lors du séjour vénitien d'Aurore-Marie de Saint-Aubain, été 1888)
A Gabriele d'Annunzio
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Au bel été adriatique, je pris la nave pour les îles.
De la lagune millénaire, de la Cité des Doges, de Dandolo, de Loredan,
J'embarquai, accompagnée d'un doux parfum de sauge, d'une senteur subtile,
Pour rejoindre ma propre Cythère sise en Murano au sortir du Ponant.
Fouettée par les embruns, secouée par la houle,
Je méditais, songeant à l'héritage des Anciens,
Ignorant les autres voyageurs, la ridicule foule
Fuyant les moustiques qui infestaient aux heures vespérales la calle des gens biens!

Je me souvins d'un temple ruiné superposant les ordres,
Envahi par le lierre, qui allait jusqu'à tordre
Les stylobates de marbre de Paros, la colonnade ionique,
La stoa pœcile, tel le thyrse sophistique
Ébranlant le sombre theseion, lors que chût l'acrotère
En l'île de Samos, offusquant Jupiter!
Je vis la jeune thyade, demi-nue, dansant au son du sistre,
L'aulète de Thera, à l'ombre des thuyas, sortant du lieu sinistre.

Colonnettes marmoréennes où la belle passiflore
Fleurit et serpente en l'architectonique autel de la déesse Flore!
Madone en mégaron, au lys annonciateur, sise en l'antique niche,
Telle Marie-Madeleine, en la pinacothèque, enchanteresse blonde
A l'éclat vénitien de sa nonpareille parure, si riche,
Si riche, ô Bellini, qu'en observant lors l'onde,
Je vis en moi son reflet à mon exacte semblance
Alors que j'admirais, pâmée en l'Accademia, la sublime Renaissance.

Pyxide de Halos! Aryballe d'Ovide,
Qu'en l'Art d' Aimer avant l'exil fatal
Tu composas, Romain, en ta gloire gravide!
Par Murano, la route des verriers que trace le fanal,
Indique la vraie voie des Arts qu'emprunta la korê!
Kylix aux doux parfums, baume lors évaporé!
Balsamaire, ô ton inflorescence!
Sens, sens donc les traces de cette tendre essence!
Siècle augustéen, immémoriale geste,
Résidu émollient quelque part en Préneste!

De Boscoreale, le gobelet de nacre
Épand la liquoreuse lustration à la saveur âpre!
Le souffleur de verre, en sa démonstration, tel que le décrit Pline
Engendre depuis le four ardent le récipient à la douce patine!
Il répète encor sa tâche, modelant une coupe,
Incrustant des motifs inédits, irisés et niellés
Enfantant, inlassable, les chefs-d'œuvres à la couleur miellée,
Escarboucles satinées, échassiers de cristal à la brillante houppe,
Cattleyas bleutés, intrigantes églantines,
Zoomorphes lécythes, intailles de tourmaline!

Le maniériste tarabiscot des anses me rappela Le Tintoret!
Ces corps tordus, tourmentés, en ces toiles honorées!
Je rêvais à tout cela sur le vaporetto, accoudée à une balustrade, recevant les embruns,
Éclaboussée par la mer, en cette galéasse, ce moderne Bucentaure
Songeant aux caboteurs, aux pêcheurs du Cap Brun,
Aux généraux anciens, au combat du Métaure!
La Mer Adriatique, débouchant sur l'Orient
Face aux Balkans si tourmentés, à La Sublime Porte
Parfums des souks, épices douces, poivres de toutes sortes,
Évocateurs d'Aphrodite, des plaisirs émollients!

Lascifs souvenirs, qu'en Murano, qu'en Burano aussi, mais faut-il dire sempre?
Le poëte italien, mon disciple préféré,
Créa en mon esprit sans aucun référé,
Lorsque nous visitâmes ensemble les lagunaires contrées!
Strette d'opéra du Prêtre Roux, cadences syncopées,
Musique oubliée du carnaval, de la prosopopée!
Mystique de la chair, masques en soie de Venise!
Après l'acqua alta, que se lève la brise!
Orgiaque ritournelle, chamarrures damassées,
Huiles de Canaletto, profanes joies, fin des rites compassés!
Le Théétète lu, païenne fée, que reste-t-il de ta philosophie?
Seul le festif oubli, partagé par l'ami, la danse des loups sombres
Dans les vieux palais ducaux de la consiglia aux mascarons de diables
Aux méphistophéliques stucs las crépis d'une mousse pitoyable
M' enivrera lors, permettant qu'un instant s'atrophie
Le sentiment que ma vie déjà s'achemine vers le royaume des ombres!


Aurore-Marie de Saint-Aubain : « Psychés gréco-romaines » (1891).


Imploration en forme de thrène à un amour perdu (1881)

A Charlotte Dubourg

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Jouvencelle gravide à la rose sanglante,
De tes entrailles vives, de ta soie utérine,
L' Éruption génitrice que la vestale enfante
Surgit lors de la nymphe à la peau purpurine!

Charlotte! Sens donc la mort frôlée par le camélia blond!
Virginité perdue, musc, vétiver, qu'à la belle dryade,
Oppose la promise à l'égide, à l'ombilic oblong!
Entends-tu encor la pythonisse, la fameuse Annonciade?
Au bosquet de Délos, la cycladique sylphide en marbre de Paros
Te supplie, ô Charlotte, fille aimée d' Ouranos
Afin qu'en sa maternité elle la prenne en pitié
Tel l' hydrangea céruléen s'épanouissant libre de toute contingence,
Repoussant dans les limbes l'avorton de l'engeance,
En accueillant dans le giron des dieux ce symbole d'amitié!

Asparagus à l'ivoirin pistil! Imposte de béryl!
Incarnat de la blonde d'albâtre aux boucles torsadées,
De Charlotte ma mie qui par trop musardait
Vêtue de sa satinée mante parmi l'acanthe où gîte l' hideux mandrill!
Dorure de la nef en berceau où la mandorle de Majesté
M'apparaît solennelle, en sa Gloire romane et non plus contestée!
Inavouée passion, Dormition chantournée de Celle qui n'est plus!
Charlotte, ma virginale mie, sais-tu ô combien tu me plus?
Charlotte! Platonique égérie s'effarouchant à l'orée des manguiers où fleurit la scabieuse,
Tu me suis par delà le péril des syrtes, de la noire frontière, telle une ombre précieuse.

Mater Dolorosa, prends pitié de l' Impure
Dont le douloureux ventre rejette le fruit mûr!
Au sein de la matrice en feu pousse alors l'aubépine!
Parturiente blessée, meurtrie, je souffre en ma gésine.
Charlotte! Une dernière fois, Charlotte, fille de Laodicée,
Reviens-à moi! Rejoins-moi, pauvre muse, en ma Théodicée!
Implore donc Thanatos, ô mon Enfance à jamais enfuie!
Charlotte, astre de mon cœur, vois donc les larmes d'Uranie!
Traverse le Tartare, encor, encor, n'attends pas le tombeau!
Mon Artémis! Amour premier lors perdu pour toujours...adieu ma Rose en mon berceau!

Aurore-Marie de Saint-Aubain : « Eglogues platoniques » (1882).

Méditation botanique

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A l'ombre des sycomores quand fraîchit l'air du soir
Lorsque dort l'abeille vient le papillon noir
S'abreuver du nectar alors que je repose
Sur le vieux banc de grès, méditant près des roses.
Le luminaire de Séléné éclairait mon visage.
Sylphide égéenne descendue des nuages
En ce jardin suspendu, œuvre de Sémiramis
Exhalant mille senteurs dont se sustente l'astome
En massifs de magnolias, se croyant Adonis,
Tandis que je m'endors, languide, à peine prise en mon somme
Sommeil de la blonde, mortifère torpeur par la nue habitée
Ivre des mille parfums d'Ispahan, ô iris agité!

Adonc le vent nocturne évoque en moi toutes les fleurs.
Épuisée par l'air moite, je pense aux grappes de l'Algarve portugaise,
Aux fiers pélargoniums, abritée des ardeurs brûlantes, ô mes pleurs!
Bégonias, pensées et capucines, bouquets surgissant de la glaise!
Ô satiné philodendron! Érigéron, beau chrysanthème, bouquet de simples!
Dolente fille de porcelaine en ses atours amples!
Campanule et tulipe batave! Mon caducée, ô, messager des dieux!
Par Hermès trismégiste, célébrez ma beauté, mes joues érubescentes!
Oyez mes pleurs, en ces jardins de l'Alcazar aux lierres chlorophylliens si vieux
Que le sage Démosthène, tout à sa philippique
Ne vit pas en mon être la muse évanescente
Qu'il fallait célébrer aux champs élyséens, par lauriers olympiques!

Ô sages forsythias, agripaumes, lycopodes
Du monde originel aux antiques arthropodes
Surgis de l'eau, du Rien, de l'antédiluvien,
Peupler Gaia, l'exubérante sylve sinople
Des âges carbonifères et des pays permiens!
Primitive salamandre, fille du feu, ô nymphe d'Andrinople
Sise en l'arboretum, née de l'onde, de la conque, de la fougère pourprée!
Naissance d'Aphrodite, ô mon divin Sandro, bella donna sempre!
En Aulide, Iphigénie, au Taurus, fière Europe captive,
Ma tragique vie de souffrances voit en vous mon salut, ma passion exclusive!

Aurore-Marie de Saint-Aubain : « L'Amphiparnasse du XIXe siècle » (1884).

Exorde.

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Le rhéteur discourait en sa cathèdre devant un prytanée.
L'incipit de sa péroraison défendait l'hyménée.
Du fait de ses paroles, le démos vint nombreux,
Applaudir en l'agora de la polis à ses mots lumineux.
Il conta le passé, l'idéal hoplitique du citoyen attique,
Alors que moi, pauvre fille épiclère,
Je languissais au gynécée pleurant aux sons antiques,
A l'éphébie lors obsolète, à l'onde, aux songes du vieux clerc!

Je me souvins : c'était en mes primes années, dans la cité d'Ixelles.
Mes sept ans accomplis, ayant quitté Bruxelles,
Père m'accompagna, moi, la fragile enfant,
En boutique enchanteresse, paradis du chaland,
Royaume des petites filles, ô marchand de joujoux!
Tu vendis pour cent sous ce catoptrique bijou!
Un phénakistiscope outre-Quiévrain conçu,
Par Plateau, magicien, inventeur au génie mal perçu!
Les images lumineuses, la pantomime de l'acrobate,
Commedia dell' arte du pantin hylobate,
Ces délicats dessins, précieux en leur écrin,
Ce disque mouvant, illusion chromatique,
Émerveillèrent mon cœur, effacèrent mon chagrin,
Mon spleen de petite fille aux boucles romantiques!
Lorsque vint le progrès, le jeu muta encor!
Au disque succédèrent les miroirs du beau praxinoscope!
Las! J'avais déjà quinze ans, la nostalgie au corps!
Regrets de ces années enfuies, prévues par l'horoscope!


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Adulte désormais, je me voue aux beaux arts!
Les picturaux prolégomènes de ces jouets anciens,
Agirent, tels tremplins, hors de mon quotidien,
Bien que désormais bannis en un hideux placard!
Ma vocation venue, s'ouvrirent à moi cénacles,
Salons aristocratiques où des poëtes oracles
Exprimaient leurs vers substantifiques
Pour émaux et camées, ô Parnasse mirifique!
Ma mondaine beauté sut plaire aux vieux roués,
Par talent affirmé, je conquis les honneurs,
Grâce aux humanités, je fus des plus douées!
Vint la préciosité, l'art pour l'art, ô bonheur!

A Rome et à l'Hellade, l'Orient s'additionna,
Tacfarinas, Jugurtha, Timgad, Leptis Magna,
Métaphores raffinées, insignes et pérennes vestiges,
Détruits par vieux Berbères, Schleus, Mzabites et Gagaouzes,
Par rezzous senoussistes, fantasias de prestige,
Méharis belliqueux ruinant bordjs de bouse!
Renaissance attendue suit toujours barbare déshérence,
Par le Quattrocento, moi, nouvelle Vénus, ô fruits en déhiscence,
Je proclame que revivra le Beau, de Catane au Mincio!
Masaccio, Masolino, Ghirlandaio, Maestà de Duccio,

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Transalpins « masterpieces »par Albion qualifiés,
Célébrez mon incarnat de porcelaine, ma chevelure de miel,
Sonnez, sonnez, trompettes de la gloire pour mon corps déifié!
Frêle certes je suis, mais reconnaissez en moi, quand vous rêvez au ciel,
La Nouvelle Aphrodite investie par Sapho en cycladique épithalame,
La nymphe gracile aux yeux ardents, d'un noisette de flammes,
Le très précieux nectar d' or, de cristal et d'onyx initié par la théogonie.
Nul versificateur, ni Pindare, ni Hésiode, ne me vouera aux gémonies!
Aurore-Marie de Saint-Aubain (1863-1894) : « La Nouvelle Aphrodite » (1888)
: poème manifeste ouvrant le recueil.
Ode à la nymphe furtive

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L'appel d'or retentit dans un ciel sans étoiles.
Je te vis, esseulée, en cette contrée, sans voiles.
Fugitive tu fus, ma sylphide craintive!
Coruscante dryade, fruit défendu, fornication furtive!
Thébaine aux yeux d'ébène, qu'Athéna Parthénos
Modela dans la glaise sur ordre de Chronos!

Matité d'une peau, carnation exotique!
Naïade d'Insulinde venue d' outre tropiques!
Noirs tes cheveux, de jais tes iris, mais point ton âme,
Qui mon cœur embrasa, voluptueux épithalame!
Farouche vahiné nourrie au caroubier,
Pygmalion te conçut, en futaie d'albergiers!

Es-tu des Îles Heureuses, de l'Arabia Felix?
De Ceylan, des Orientales Indes, du sommet de la Pnyx?
La superbe rabattue de l'Empereur de Chine,
Rejeta en toi, ma mie, la fière concubine!
Nue tu fus devant moi, prête aux transports hardis!
Neuve tribade en Thébaïde, prépare mon Paradis!

L'univers lutta lors, contre l'énergie sombre
Du Fils du Ciel trahi, réservant sa faconde,
Engloutissant les étoiles, les astres du Logos!
Corps à corps dantesque, victoire du Rien, ô nouveau Polémos,
Encor en apocryphes codex, Révélation, poussière en devenir,
Par l'eschatologie, voici La Mort, ô Néant à venir!

Aurore-Marie de Saint-Aubain : « La Nouvelle Aphrodite » (1888).

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Fragments d'un grammatiste antique

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Zeugite, père de mon père, viens donc joindre à tes lèvres ma bouche purpurine!
Eau-forte, taille-douce, résidus balsamiques d'une gloire androgyne,
Statue chryséléphantine engendrée par Phidias en un naos divin,
Mes yeux d'ambre, mes ongles de copal et mon buste ivoirin,
Allumèrent en ton cœur, nouveau panégyriste fol au triomphe indicible,
Voué à la célébration, à la gloire de mon corps, repoussant tout rival abhorré,
Les feux inextinguibles d'une passion innée pour mon être adoré!
Au pampre des frères Arvales, pourtant, tu te crus insensible!
Cippe, tertre, mausolée, cénotaphe, chef-d'œuvre de l'épigraphe,
Tel le grammatiste au calame d'orichalque sur l'argile gravée ajoutant son paraphe,
L'ennéade applaudit aux vertes espérances!
Hagiographe! Accomplis lors mon désir sans nuances!
Ops a parlé : bonne sera la récolte.
Qu'aux faux-semblants, le numismate en l'archivolte,
Fasse tomber le masque de mon amant fidèle,
Qu'au sexe semblable au mien le visage nu révèle!

Aurore-Marie de Saint-Aubain (1863-1894) : « Psychés gréco-romaines » (1891).

Apologue épistémologique


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Antan, au mont Hymette, les abeilles de lauriers couronnèrent leur roi.
De la Pnyx au Parnasse, de l'Olympe à Scylla,
Vieux tyrans, oligarques, ne surent par quel aloi,
Compromettre l'esclave de l'évergète Sulla!
De l'ergastule aux latomies, la révolte gronda.
Bagaudes, circoncelions, amis de Spartacus,
Au choreute vengeur par Suburre perclus,
Par plébéien arringatore la foule déborda!
Res gestae, catilinaires, en César retrouvés,
Les choéphores comiques lors furent donc dispersés!

D'orchestiques traités par Jupiter honnis,
Noyèrent dans le Tibre le dieu soleil d'Emèse!
De par la gnose chthonienne au vieux Marcion banni,
Recouvre en toi, Lydie, ta plus pure anamnèse!
Clementia, iustitia, pietas, vertus augustes!
Par préfets, equites ambitieux, la pourpre disputée,
Du prétoire à l'annone et du myste au plus fruste,
La laticlave toge à ta mort imputée,
Caton d'Utique exilé à Stabies, Ptolémée Philadelphe,
Proclame à Mars Ultor militaire anarchie!
Du palimpseste hétérodoxe naquit l'hétéradelphe!
Hermès Trismégiste, apocryphe Almageste!

Par hephtalites barbares l'indienne monarchie,
De Gupta à Rama, du Kushan à Ségeste,
S'effondra à jamais hors du rêve de Gallien!
De l'anacouklesis par taricheute ourdi,
Ton complot d'affranchi, ô mon césar Elien,
En Maximien Hercule croula donc, assourdi!
Oies capitolines, au Brenn celte averties,
La vestale trahie, son hymen perdu,
De son martyrologe païen au pagus, fière sotie,
Nul Esope ni Janus, pauvre vierge ptolémaïque,
Ne sauvera ton corps du châtiment apotropaïque!

Propitiatoires rites, sacrifices attendus,
Qu'en Gaule Cisalpine et qu'en Alpes Pennines,
A l'antoninianus pentacosiomedimnes,
Corrompus, telles charognes par tétra épiphanes,
Par pergamen ultime comme le prêcha l'épiscope Stéphane,
Vous condamnant à l'ardente géhenne,
A gésir lors céans tandis que le reflux de Rome,
Sous Majorien, Népos, Augustule, fin du tome,
Intronisa les Goths, substituant à l'Urbs l'Imperium non pérenne!

Aurore-Marie de Saint-Aubain : « Psychés gréco-romaines. » op. cit.

Péan hypostasique

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En la somme thomiste, le Sage reposant dans son gîte,
Pressentit l'hérésiarque abîme du divin Stagirite.
A l'haruspice encor, fut due nouvelle consécration,
Qu'elle qu'en soit la nature, ô procrastination,
Le pseudo périptère mégaron au Nouveau Dieu dédié,
Par pomoerium engeance en l'hypostyle naos,
Tel l' Orant psalmodiant : « Ô Seigneur Pan Logos! »,
Renversa l'Ancien Créateur au diadème radié!

Pan Logos! Tetra Sphaira! Hypostase suprême!
Le porphyrogénète tétrarque à Dioclès opposé,
Ne vit point en ces sphères armillaires le Salut proposé!
La scolastique erreur du scoliaste en carême,
Détruisit à jamais l'iconodoule culte
Qu'Euthyphron célébra en cette grotte occulte!

Pan Phusis! Force, gloire, santé! Monophysite gnose!
Ta psyché, ton noûs, ton mana, à Porphyre dérobés,
La lie d' anachorète du stylite t'a vomi, myrmidon englobé!
Pontifex maximus! Sénèque te le dit dans l'Apocolocyntose :
« Aux mânes de Jupiter les dieux lares te dédient
Ce dithyrambe, ô princeps que Gaia nous envie! »

Pan Chronos! Laocoon te voit, en entropiques fragments,
Luttant, en vain, contre l'ophiolâtre Celse!
En l'opus quadratum tu t'écries, passionné : « Ne meurs point, ô mon Else! »
Mosaïque, universaux, Artes moriendi, temps détruit par segments!
Eclatement des lieux, dispersion de l'Histoire,
Aux quatre vents, en des échos multiples, destinées dérisoires!

Pan Zoon! La Vie fut en Toi, par deux règnes indicibles!
Lamarck l'écrivit, transformiste hérétique!
Au fixisme adverse, vainquit par l'émétique,
Le presbytre gardien, l' hubris incoercible,
De l'orthotodoxe codex du psalmiste chthonien!
De Cuvier, déboulonna lors la statue de gardien!

Aurore-Marie de Saint-Aubain : « Psychés gréco-romaines » op. cit.

Ambiguïtés gymniques

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Le peucédan ombellifère en sa fragrance trouble,
Par l'ignifuge éclat de ton regard pythique,
Éblouit mon cœur d'or et d'électrum antique!
Volatile enjôleur, psittacidé, mon double!
Au symbolique hoir je dédie l'incunable,
La pogonotonie de ton être admirable!

Par ciguë absorbée, ton honneur fut vengé,
Jeune vierge initiée à Sapho las soumise,
En villa des Mystères la bacchanale commise,
Fit rompre ton hymen livré à mille dangers!
Ton animadversion pour le dieu débauché
Aux satyriques mœurs n'opposa nul hochet!

Philodendron d'albâtre, myosotis de marbre de Carrare!
Tes formes inachevées, ta translucide peau, plaisaient à toute femme!
Santal, bigaradier, vétiver, merisier droits venus de Mégare!
L'arlequin exposé à l'habit de percale respira ton parfum, belle gamme!
Ton incarnat diaphane et ta gracile silhouette,
Te vouaient au rut de l'urus qui las te déflora, fillette!

Éros, permets-tu ces déviances romaines?
Qu'en Diodore de Sicile par vergobret agile,
Gutuat fanatique, barbe d'airain fragile,
Prêcha l'illuministe curée, ourdie en une semaine
Contre César, ô fils du thesmothète, ô tribun podestat!
Le Grand Roi des Guerriers, le Rix, l'Imperium affronta!

Déméter insoumise, orphique initiation, querelle des Cariatides!
Erechteion, tholos, eroon, theseion, propylées!
A Erato vouées lors des Panathénées, psychopompes Elysées!
L'éloquence servile des belles vierges candides,
Qu'en Arcadie, Thanatos, qu'en Cythère Aphrodite,
Mort, Amour, partout, en Gaia, Thalassa, divine commandite!
Athéna Parthénos, au voïvode rejetée, par l' higoumène détruite!
Le hiérophante hiéronymite la cacha en l'omphalos, au centre de la crypte!
Minos, ta thalassocratie sur le murex bâtie en égéenne myrte,
Prolégomènes d'Hellas, parturiente d'Athènes, gésine du génie grec construite!

Vénus anadyomène, de l'onde née, stéatopyges formes, callipyge beauté!
Leda! Danaé! Mes frêles nymphes adorées!
Que j'aimais en Lesbos, blondes mies honorées!
Le cygne et la pluie d'or, avatars théogoniques, hypostases de Zeus,
Sises en un panopticon au sein du niepçotype au réceptacle ôté,
Aux rires graveleux du pantin, du sombre Karagueuz,
Ne firent que peu de cas, sans parthénogenèse aucune,
Pour lors vous féconder sans nulle autre rancune!
Aurore-Marie de Saint-Aubain : « La Nouvelle Aphrodite » (1888)

En quête d'Absolu.


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Un jour radieux, lors que je cheminais en sylve tropicale,
Un prospecteur apparut là, à mes yeux de sylphide aux paupières de percale.
Mes cheveux de colophane, en lâche chignon, resplendissaient pour Sol.
La moite chaleur de la contrée rendait mon frêle corps bien mol!
En cette prime Orénoque, je demandai à l'orpailleur, audacieuse :
« Dites-moi, brave homme, où trouve-t-on la Cité merveilleuse,
Qu'Appolodore rêva, que Vitruve dessina?
Ces dômes de feldspath, aux murs d' aigue-marine,
Ces toits d'opale qu'en songe Orellana,
Crut constitués d'or pur et non de vil torchis voué donc aux sentines?
Ce Paradis terrestre d'El Dorado qu'en « Telle du Conquest »[1],
Marchands aventuriers et corsaires de Queen Beth[2],
En vain recherchèrent parmi les Amazones,
Meurtrières cannibales de l'imprudent evzone! »

Ma robe de cotonnade beige collait à ma peau de poupée.
Impudique, empourprée, car j'étais sans corset,
je quêtais la réponse, caressant dans l'attente ma chevelure miellée.
Le rosissement de mes joues veloutées comme lady du Dorset,
Trahissait mon indisposition, mon impatience d'enfant,
Face au monophtalme homme des bois fort peu entreprenant!
Indifférent à ma grâce de blonde, de nymphe de satin alanguie,
L'indigène hispanique et métis si peu disert qu'il fût,
De son ardu mutisme, obstiné tel un druide par le culte du gui,
Hésita de longs instants en cette forêt touffue!
Il rêvait de teck, de sajou, de jaguar et d'autres pangolins,
D'enfer déclaré « vert », de dieux adamantins.

Il me parla enfin, sa chrysostome bouche,
Enchaînant mots chavantes tout en chassant les mouches!
Surprise par ce dialecte, sans interprète aucun,
Souffrant de mes vapeurs, harcelée par moustiques importuns,
Je tentai malgré tout d'en saisir la sémantique clef,
Jurant par l'ennéade et par le paraclet,
Que pour une telle révélation insigne l'explorateur moderne,
Verserait besants d'or, ducats, mines, statères de platine et deniers d'argent terne,
Sans toutefois m'arracher le secret de ce vieil indigène,
Ce sage Cincinnatus qui jamais ne put saisir ma gêne!

Sa charrue au soc de bronze, fier Ahenobarbus,
Son joug attelé de vieux boeufs au suovetaurile voués,
En pomoerium enceinte l'Imperium déposé, la toge mal nouée,
Je compris qu'il me dit : « Là-bas, loin, très loin, loin du mont Erebus! »
Plus loin que l'Antarctique! Que l'Inde! Que la Chine!
Ô Baudelaire, prince des poëtes modernes, vois lors ma mauvaise mine!
Edgar Poe, tombeau chanté par Mallarmé, parnassiens, symbolistes!
Des Esseintes! Leconte de l'Isle! Entonnez avec moi le péan animiste!
Mes déceptions opimes, dépouilles de tous mes songes, de ma quête d'Amérique,
Causèrent ma pâmoison en mon corps diaphane, psyché évanescente, ô Bébé Bru phtisique!
Aurore-Marie de Saint-Aubain : « La Nouvelle Aphrodite » op. cit.

Acrostiche boulangiste.

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/7e/Georges_Boulanger_Nadar.jpg

Bellone au champ d'honneur entonne le péan du guerrier,
Oaristys du grand Chénier résonnant à l'ombre des mûriers!
Unissez-vous, soldats, sous l'égide du Sauveur à la barbe d'airain!
Lapidaire! Ecoute le corps à corps des valeureux peltastes!
Armada improbable, célébrée en antiques glyptiques, en la psyché sans tain,
Négondo tropical, topique forsythia en leur cryptoportique, tragédie de Jocaste,
Gerousia armillaire célébrant encor les champions d'armes d'hast!
Éoliens dithyrambes, oyez le Général, sur Tunis monté, fier en l' amble,
Restaurer l'ancien trône, œuvrer enfin en Gaule pour que Peuple s'assemble!

Aurore-Marie de Saint-Aubain (1888)




[1] Prononcer pour la rime : « conquête ».
[2] Prononcer pour la rime : « Bette ».