samedi 25 octobre 2014

Cybercolonial 1ere partie : Belles Lettres d'une Rose méconnue chapitre 3 2e partie.



  Aurore-Marie, après un franc souper, avait goûté à un repos paisible, appréciant cette douillette nuit enfouie dans la literie moelleuse d’une chambre très vieille France, au mobilier qui n’avait rien à envier à celui du Petit Trianon. Elle aima fort que la domesticité lui servît son déjeuner au lit, alors qu’elle demeurait anonchalie dans un vaporeux déshabillé de mousseline couleur lavande enveloppant son corps maigre. Elle conservait sur sa peau l’empreinte fragrante et persistance du parfum de chypre dont elle s’était enduite pour son premier soir. Une impression étrange et déroutante la traversa, alors qu’elle se remémorait la liste des invités : le comte Dillon, à la particule sans doute usurpée, Arthur Meyer, Rochefort, le marquis de Breteuil, 
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revenu de Londres, Alfred Naquet,
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 Gyp,
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 le baron Hermann Kulm, d’autres encore… ecclesia religieusement réunie sous l’égide de la duchesse afin d’entendre la Révélation des derniers plans de la bouche même du brav’général. Il tardait à Aurore-Marie que se manifestât cette nouvelle Harmonie du Soir, où, en compagnie de Marguerite de Bonnemains, elle se livrerait elle-même à une petite démonstration mondaine de ses talents de pianiste et de versificatrice héritière de Psappha. Nous venons de le dire : Madame se troublait. C’était une impression fugitive, presque une virtualité, teintée de pressentiments… Deanna serait là ; elle ne pouvait expliquer cette intuition intime, mais elle savait… Cela signifiait que sa volonté aspirait à contrôler les événements, à empêcher qu’on en détournât le cours nécessaire à l’accomplissement du Grand Dessein de la Revanche… en même temps que ses sentiments profonds envers l’aimée imaginée pourraient enfin se concrétiser, puisqu’elle l’avait vue, bien réelle, dans le train.  Or, Madame la baronne de Lacroix-Laval n’ignorait pas qu’il existait un écheveau de probabilités, inextricable, où s’entremêlaient, s’intriquaient, des possibles multiples. En 1873, on avait forgé un néologisme pour exprimer cela : uchronie. Cela signifiait qu’il fallait que tous évitassent la survenue d’un grain de sable susceptible de faire capoter tous les projets de Georges et de Madame Marie Adrienne Anne Victurnienne (prénom qu’elle avait en détestation) Clémentine de Rochechouart de Mortemart. Si ce grain de sable grippait toute la machinerie savamment huilée et mise au point - métaphore digne de Monsieur Jules Verne dont Aurore-Marie n’ignorait point les sympathies nationalistes - tous ici basculeraient dans une réalité différente consacrant la ruine de l’entreprise boulangiste. Aurore-Marie était une des rares personnes de ce siècle capable de raisonner ainsi, en plusieurs temps probabilistes et parallèles. Peut-être était-ce dû à son initiation d’octobre 1877 qui l’avait consacrée comme Élue ; peut-être la chevalière du Pouvoir cléophradien instillait-elle ces idées saugrenues dans sa cervelle ?
 Alphonsine l’avait habillée après qu’elle se fut toilettée. Aurore-Marie avait rendez-vous avec la duchesse en son atelier de sculptures. Guidée par un majordome porteur d’un archaïque flambeau surchargé de dorures, elle traversa l’exquise bibliothèque riche d’Elzévirs et d’éditions princeps, avec sa galerie de bois et ses portraits, dont celui de Mademoiselle de Lavallière par Mignard en costume de Marie-Madeleine. Au doigt de la poétesse, la chevalière phosphorait comme un fantasmagore de Robertson,
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 ajoutant au mystère de cette galerie peuplée d’ancêtres en buste ou en toile des Crussol d’Uzès. Marie Clémentine (pour les intimes), avait rappelé à la baronne de Lacroix-Laval l’agencement du château ; l’atelier jouxtait sa chambre à coucher, au premier étage. Dès qu’elle y eut pénétré, Aurore-Marie constata que son amie avait revêtu la défroque de Manuela, son nom d’artiste, une peu seyante blouse grise en toile.
« Ah, ma très chère, veuillez s’il vous plaît prendre tout comme moi vos précautions. Il serait messéant que votre toilette matutinale fût souillée par l’argile crue de mes modelages…Permettez à Jérôme (c’était là le nom du majordome), qu’il vous aide à mettre cette autre blouse prévue pour les visiteurs.
- Mais, rougit Aurore-Marie, cela n’est point un vêtement convenable, féminin, que dis-je ?
- Point d’enfantillages. Laissez-vous vêtir.
- C’est inesthétique, laid…infâme en tout point. Cela me messied fort !
- Petite coquette, je vous reconnais bien. Allons, observez bien mon art. Je vais esquisser votre propre buste.  Installez-vous sur ce fauteuil et prenez la pose que je vous indiquerai. »
 C’était bien parce que celle qui donnait les ordres était plus titrée qu’elle qu’Aurore-Marie ne se fit pas prier. Elle se laissa faire lorsque Manuela corrigea sa pose, allant jusqu’à toucher sa frimousse de poupée de porcelaine candide afin qu’elle présentât un profil avantageux, de trois quarts, qui masquait quelque peu la dysharmonie de son nez pointu. La duchesse ébouriffa légèrement la chevelure de la baronne, dérangeant les anglaises.
« Cela vous confère une allure inspirée par les muses, un peu sauvage, mystique même. Prenez votre expression la plus hallucinée, comme si le Saint-Esprit venait de vous habiter. Jouez les poëtesses prophétesses…
- Cela sera-t-il long ? s’inquiéta Aurore-Marie.
- Dix minutes d’immobilité, le temps que j’esquisse le rendu général de votre ovale pur, que je modèle vos cheveux avec la plus grande exactitude et que je confère à la glaise l’expression vraie de votre personnalité d’exception. »
 En fille narcissique, songeant que peut-être, en un prochain Salon, ce buste deviendrait un emblème adulé, une image officielle de sa petite personne, Madame de Saint-Aubain accepta de garder la pose aussi longtemps que nécessaire. Une fois satisfaite du résultat préliminaire que Manuela lui présenta, tout en suggérant çà et là de menues retouches propres à sublimer davantage sa quintessence de sylphide du Parnasse,  la gracieuse pécore s’affranchit de sa réserve et osa demander d’essayer à son tour …
« Cela est bien salissant, mais puisque vous y tenez. Un lavabo vous permettra de vous remettre au net. »
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 N’objectant rien, Aurore-Marie s’énerva sur une boule d’argile qu’elle tenta vainement, durant un bon quart d’heure, de façonner en forme de coupe grecque, confondant sculpture et céramique. Le résultat fut des moins probants, et Aurore-Marie s’essaya à une autre forme, celle d’une gracieuse faunesse toute baudelairienne, qu’elle voulut reproduire à partir d’un modèle achevé. L’original était tout en courbes voluptueuses, mais la baronne s’échinait à vouloir silhouetter la réplique à sa semblance gracile de préadolescente attardée. Elle pensait que la sveltesse insigne de la statue en ferait une incarnation d’elle-même, antiquisante et sensuelle, conforme à ses goûts féminins, antinomiques de ceux de ces messieurs. Elle se troubla ; ses doigts frémirent ; ses lèvres tremblèrent. Elle pleura, renonça, souillée toute de cette glaise, sa blouse maculée, sa douce figure salie ainsi que ses merveilleux cheveux torsadés et blondins, dont les longues mèches toutes en  entortillements s’étaient venues frôler inconsidérément le vil matériau brut de l’artiste.  La duchesse la cajola, la consola.
« Allons, ma mie. Le talent et l’inspiration ne font pas tout. Il faut aussi du labeur, beaucoup de labeur. Rome ne s’est point bâtie en un jour… Ne soyez point enfant.
- Je…je poserai de nouveau pour vous…en déesse…nue… Non ! En nymphe ou en dryade ! s’exclama la poétesse entre deux sanglots.
- Vous n’y pensez point, ma chère. Je ne puis vous prendre comme modèle en pied…dans une tenue inadéquate, suggestive… indécente ! Le buste à la rigueur. Je vous promets d’achever votre buste. »
« L’immature enfant que voilà ! songea Madame. La voilà bien capricieuse. »
« Vous savez bien que cela nuerait à la bienséance qu’une dame de votre qualité acceptât de poser toute nue… Les modèles sont en général des hem…créatures… reprit la duchesse.
- Tenez votre promesse. J’irai la contempler au prochain Salon ! »
 Aurore-Marie savait le style de Manuela à sa convenance fort conservatrice en ce qui concernait les arts plastiques. Elle se complaisait dans l’académisme et la bibeloterie, dans l’emphase et la surcharge, visible dans ses bijoux, ses toilettes. Elle procéda à ses ablutions réparatrices, ordonna à Jérôme de lui ôter l’affreuse blouse et remit ses gants par-dessus la peau abîmée par la glaise de ses mains de précieuse.
« Certes, votre physique est celui d’une nymphe, d’une sylphide. En cela, vous avez bien raison. Mais, à moins de faire accroire que le modèle est une enfant de treize ans…les connaisseurs vous identifieront tous !
- J’accepte le buste à mon effigie, vous dis-je. Si vous refusez, je demanderai au scandaleux monsieur Rodin… »
 La duchesse d’Uzès ne voulut pas contrarier davantage la capricieuse jeune femme pour laquelle nul parent n’était plus là depuis longtemps pour lui mettre la bride.  Elle acheva de lui faire visiter l’atelier en lui montrant ses collections de poteries rustiques ramenées du Gard, du Languedoc et de Provence, non loin de ses terres d’Uzès, des jarres à huile d’olive, des toupins et des gloutes. Elle bavarda, exposant des considérations banales sur la luminosité du ciel provençal, le climat du Midi, les beautés du domaine d’Uzès où les poumons fragiles de son amie (qui ne cessait plus de toussoter sous la contrariété éprouvée par  son échec artistique) aimeraient à trouver un havre protecteur. Madame de Saint-Aubain avoua qu’à ces objets déplaisants campagnards et folkloriques, bons pour messieurs Mistral et Daudet qu’elle ne lisait point, elle préférait les bibelots précieux surchargés d’Angleterre ou de Sèvres.

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Jean Gabin et Julien Carette avaient communiqué au commandant Wu leur rapport circonstancié sur leur promenade aux halles Baltard.  Alors que, n’étant pas à un anachronisme près, Daniel Lin était occupé à savourer à juste titre un enregistrement virtuel tridimensionnel du concerto pour violon de Mendelssohn interprété par la sublime Phoebe Marcy, qu’elle lui avait dédicacé en personne peu avant son départ de l’Agartha, une phrase l’inquiéta dans le rapport, ce qui lui fit couper nette la fantasmagorie sonore.
« Betsy Blair aux Halles? Qu’est-ce qu’elle fiche ici? Décidément, tout est en train de foirer. On ne va pas rééditer le coup des clones de Stewart Granger, Peter Lorre et consorts! Je ne crois pas à une réplique. Il s’agit bien de la vraie mais qui l’a emmenée ici, à mon insu? Je contacte Lobsang immédiatement. Lui a dû se rendre compte de la disparition de la comédienne ». 
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Lobsang Jacinto, méditant paisiblement dans la forêt hydroponique du neuvième niveau, ne montra pas son agacement lorsqu’il répondit au commandant Wu.
- Effectivement, Betsy a disparu depuis une douzaine d’heures, confirma l’Amérindien bouddhiste. Mais je ne me suis pas inquiété. Des rumeurs ont couru sur le fait que cette jeune personne avait un nouveau petit ami. Clark Gable. 
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- Ce n’est pas son genre, s’exclama Daniel Lin.
- Pour moi, se justifia Lobsang, ce n’était là qu’un détail.
- Chacun est libre de vivre sa vie comme il l’entend dans la Cité, soit. Mais les détails singuliers s’accumulent bigrement depuis quelques jours.
- Superviseur, ne m’en veuillez pas.
- C’est déjà oublié. Bonne fin de méditation, conclut le Prodige.
Dan El se leva de son siège confortable et mit alors en route l’ordinateur quantique attaché à la consultation de toutes les archives du Pantransmultivers. Le Préservateur l’avait conçu presque à son image. L’IA pouvait tout faire ou presque, sauf créer. Fusionnant avec l’Intelligence artificielle, il parcourut plus vite que la lumière les données archivées du printemps 1888 dans cette piste temporelle-ci mais également dans d’autres encore assez proches.
L’improbable appareil ressemblait à un cube d’une taille fort modeste. Presque transparent, on y voyait parfois de fulgurantes lumières le parcourir à l’intérieur.
Il y eut comme une espèce de film apparemment en boucles mais avec diverses variantes, qui captait la présence d’une chanteuse de rue se produisant en plusieurs endroits des Halles selon l’heure ou le jour, changeant d’emplacement à son gré en fonction de la générosité des badauds. Ce petit manège durait depuis cinq jours si Daniel Lin devait en croire son super ordinateur. C’était bien Betsy O’Fallain, le faux nom dont s’était affublée Betsy Blair, conforme en tous points, guenilles incluses, à la description du rapport des deux Français. Mais le Superviseur remarqua davantage encore.
Le soir, Betsy s’éloignait du quartier, puis prenait place dans une voiture, non un simple fiacre mais tout de même pas un huit ressorts. Le véhicule la conduisait en plein centre de Paris, au siège du journal Le Gil Blas où elle était alors prise en charge par une grande femme brune, imposante, souvent vêtue de rouge. Betsy lui rapportait tout ce qu’elle avait pu observer.
Daniel Lin s’intéressa, comme il se doit, à la nouvelle venue. Accélérant encore sa recherche, il fit défiler à une vitesse subliminale, tous les portraits des femmes qui comptaient en ce temps-là dans différents milieux parisiens. Enfin, il obtint ce qu’il voulait, un photochrome de la journaliste féministe et suffragette Yolande de la Hire.
«  Tiens! Dois-je paraphraser Spock? Fascinant! IA, affiche-moi donc toute la prose de Yolande de la Hire. Houlà! Cela ressemblerait à de la diffamation, ou à de la calomnie à l’encontre de la baronne de Lacroix-Laval que cela ne m’étonnerait pas! Qui stipendie donc cette Yolande pour qu’elle ponde de pareils billets? Qui a intérêt à salir la réputation de mon adversaire? ».
Les articles de Yolande de la Hire étaient proprement incendiaires. Ils accusaient Aurore-Marie de Saint-Aubain d’avoir usurpé sa fortune et son talent qui revenaient de plein droit à sa cousine irlandaise lésée, Betsy. Pour rappel, la mère de la baronne était d’origine irlandaise. 
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Chose plus grave encore, Yolande sous-entendait que la poétesse usurpatrice et sainte-nitouche se trouvait à la tête d’une conspiration visant à abattre la Gueuse, autrement dit la République, par le biais d’une secte d’illuminés dont elle était la Grande Prêtresse, secte disposant de fonds conséquents finançant le général Boulanger. Elle révélait également qu’elle avait été témoin, le 18 septembre 1877, de la cérémonie initiatique durant laquelle Aurore-Marie avait été intronisée dans les souterrains des thermes de Cluny.
Daniel Lin affina encore ses recherches dans les relations de Yolande de la Hire. Ainsi, il vit que la jeune femme appartenait à un club féministe influent militant pour le droit de vote des Françaises, pour l’heure, citoyennes de seconde zone.  Parmi ses amies et connaissances, on trouvait Séverine
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 et Rachilde,
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 alors que Gyp, d’extrême droite, gravitait dans le cercle des intimes de la baronne de Lacroix-Laval.
Poussant ses investigations jusqu’au bout, Dan El établit le lien majeur qui expliquait tout.
«  Yolande de la Hire est un agent du Deuxième Bureau français! Pari gagné! Ah! Son dernier article m’inquiète. Elle est au courant pour la soirée de Bonnelles. Elle doit s’y rendre avec Betsy Blair pour, officiellement, semer la zizanie, mais en réalité, pour recueillir les preuves nécessaires de l’avancée de la conspiration boulangiste. Ouille! Nous sommes deux sur la piste des plans du Bellérophon noir! Mon cher de Boieldieu, encore une mission pour vous. Sacré dilemme! Soit, je laisse agir les services secrets français sans intervenir, et ce sont eux qui auront alors la main haute pour déclencher une guerre prématurée contre l’Allemagne après s’être emparés des armes secrètes du brav’général, soit je donne expressément l’ordre à Michel, Symphorien et compagnie de permettre l’élimination physique de cette Yolande… J’ai horreur de me retrouver dans une telle situation. À charge pour mes amis de détruire toutes les pièces à conviction. Le reste viendra plus tard. Combien y a-t-il donc de réseaux d’espionnages sur l’affaire? Cinq? Davantage? Récapitulons:
- Le Deuxième Bureau;
-La Wilhelmstrasse;
- Le Foreign Office;
- Moi;
- Charles Merritt, l’épigone de Galeazzo ne peut rester sur la touche. C’est lui qui a volé les codex tétra-épiphaniques à Cluny en 1877. J’affirme cela sans savoir exactement pourquoi. D’ailleurs, j’attends incessamment le rapport de Frédéric Tellier, Spénéloss et Guillaume. Ah! Justement, le voici.
Le détenteur actuel desdits textes s’avère être une vieille connaissance d’une piste précédente. Lord Percival Sanders. Amusant! Que de beaux souvenirs. J’étais bien jeune alors. Je me cherchais encore. Mais laissons là les regrets. Établissons l’holo communication ».
Instantanément, un visage sympathique, long et malicieux, se matérialisa au centre de la chambre sise au Gros-Caillou.
- Bonjour, Daniel, commença Frédéric. Excusez-moi pour cette familiarité, mais le temps presse.
- Vous êtes à bord d’un ferry.
- Oui. Sir Charles a délégué plusieurs de ses agents pour agir en France. J’ai du gras. Ce noble personnage détient le codex original de Sokoto Kikomba du monde parallèle mexafricain découvert par l’aventurier Odilon d’Arbois au Mexique en 1863! 
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- Théoriquement, ce codex passe pour avoir été détruit en septembre 1877 à Cluny.
- Certes, mais vous avez fait une erreur, commandant.
Daniel Lin laissa passer cette phrase sans montrer sa contrariété.
- Vous n’êtes pas sans savoir que le codex de Sokoto Kikomba est la chronique royale des Moro Naba de Texcoco de 1311 à 2148.
- Décidément, mon passé alternatif me rattrape! Soupira le Superviseur. Poursuivez, Frédéric, aujourd’hui, je peux tout entendre.
- Le codex de Sokoto Kikomba décrit une guerre thermonucléaire survenue entre Texcoco et les Anasazi en l’an 2045 de la piste 1733. Il donne les secrets de l’arme atomique mais aussi la localisation dans le Bassin conventionnel du Congo des gisements de pechblende et d’uranium nécessaires à sa fabrication. Si l’on suit bien la traduction de d’Arbois.
- Vous pouvez avoir confiance en ce baroudeur sur cela.
- Merritt a compris l’intérêt du codex.
- Bien évidemment.
- Il veut détenir l’arme absolue, non dans un but militaire, mais pour pouvoir exercer un chantage sur tous les gouvernements européens afin d’avoir les mains libres dans ses différents trafics.
- Vous savez ce que cela sous-entend Frédéric? L’existence même de cette chronoligne, tout le plan boulangiste de cette guerre de revanche, reposeraient, j’en ai désormais la certitude, sur la présence d’une copie du même codex, effectuée ou donnée on ne sait pas encore par qui, pour le compte de madame de Saint-Aubain. Si Fu n’avait pas été anéanti, j’aurais dit que c’était lui  l’origine de ce micmac.
- Fu? Mais de qui s’agit-il?
- Laissez tomber Frédéric, je délire! Revenez au plus vite, mon ami.
- Non monsieur. Il me reste à étudier les codex de Cléophradès d’Hydaspe et d’Euthyphron d’Éphèse. De plus, j’ai eu vent d’un projet de voyage plus que suspect de Merritt à Venise dont j’ignore encore l’objectif. Dès que j’en aurai terminé avec mes deux agents suspects, je reviendrai à Londres.
- Faites pour le mieux, mais restez sur vos gardes.
Le commandant Wu voyait que le ferry naviguait sur une mer déchaînée. Il ne s’en inquiéta pas outre mesure. Au contraire, ce mauvais temps faciliterait le travail du danseur de cordes, qui n’hésiterait pas à envoyer par-dessus bord les sbires de Merritt, si nécessité s’en faisait sentir.
Après avoir coupé la communication, Dan El soliloqua pour lui-même.
«  Ai-je réellement la mémoire totale ou non? A-El m’entraverait? Je pensais bien l’avoir enfoui au plus profond de moi… mais il resurgit. Je ne me trompe point. Pourquoi? Je ne suis plus schizoïde. J’ai vaincu mes démons ».

***************

À quelques heures de cette soirée mondaine et politique qui promettait d’être mémorable - mais pour qui ? - le domaine de Bonnelles s’agitait de mille bruits et activités alors que de nouveaux domestiques étaient arrivés en renfort afin de faire face à la profusion d’invités plus ou moins autorisés.
Aurore-Marie craignait que le repas y fût surabondant et prétexte à bamboche. Il devait se tenir dans l’immense salon rectangulaire où, à chaque extrémité, s’ouvraient deux vastes baies. Au milieu de la pièce, on remarquait une imposante cheminée sculptée dont le manteau servait de cadre à un portrait de la belle-mère de l’actuelle duchesse d’Uzès. Tout en cette pièce était prétexte à profusion de meubles de tous siècles, du gothique revisité par les Romantiques au Napoléon III le plus capitonné et le plus lourdingue, surchargé à l’extrême de dorures du plus mauvais goût, de tableaux et de bibelots, de vases, des Sèvres, Saxe, Wedgwood, de Ming et de laques japonais. 
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Il y avait un autre vieux billard pendant de celui du deuxième salon réservé aux collections de bronzes. Mais ce n’était pas tout. En sus du clavecin peint et décoré par Nicolas Lancret, madame de Rochechouart de Mortemart avait pourvu aux penchants musicaux de son hôtesse en installant pour l’occasion un piano à queue de prix. 
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Comme il se doit, le majordome distribua les emplacements des différents convives selon leur rang social mais aussi en fonction des affinités de Madame. Aurore-Marie avait pris connaissance du menu non sans marquer son inquiétude. Elle souhaitait que les marmitons et l’échanson de la duchesse s’en tinssent à quelques mets, à peu de services, pas plus de trois, à une variété restreinte de vins et de boissons, à la condition que celles-ci fussent les moins opiacées et alcoolisées possibles. Son estomac d’oiselle était si promptement repu! Il atteignait fort tôt la satiété ; en cas d’abus, Madame la baronne absorbait alors les vomitifs et émétiques nécessaires à sa digestion. C’était là une contradiction flagrante avec l’exubérance de son style d’écriture qui contrastait avec ses goûts alimentaires d’anorexique et compensait son inappétence parcimonieuse érigée en système. Madame la baronne prenait soin à entretenir sa taille flexible d’adolescente attardée. Elle se moquait bien aussi de la provenance des extras, laissant ainsi les coudées franches à la duchesse. Or, là elle avait grand tort, car une multitude d’espions patentés s’étaient donnés rendez-vous à ce raout, y compris Daniel Lin Wu en personne. Matois, le commandant avait opté pour une apparence étonnante que nous nous refusons à dévoiler pour l’instant. Cependant, il devait gérer la turbulence de Violetta et de Deanna Shirley qui avaient insisté pour ne pas manquer cet événement. Autant Daniel Lin avait accepté pour sa pseudo nièce, dotée de dons de métamorphe et donc capable de se faire passer pour une personne plus âgée qu’elle, autant il avait tiqué devant les desiderata de l’actrice britannique dont les sautes d’humeur et le fantasque étaient connus de tous à l’Agartha.
- Je vous rappelle, dear Deanna, que vous êtes censément âgée de moins de quinze ans et qu’en aucun cas, vous n’êtes autorisée à souper avec les adultes!
- Quoi? C’est un scandale!
- Aurore-Marie vous a déjà vue. Donc la prudence et la discrétion s’imposent. Sinon, tout foire!
- Pour qui me prenez-vous? Je ne suis point si sotte!
- La bienséance pourrait vous imposer de faire dodo après avoir mangé à part avec les enfants.
- Cessez là, à la parfin! Vous m’humiliez.
- Point du tout. De plus, vous devez savoir que le repas sera adapté à votre âge.
- C’est-à-dire? S’enquit Deanna fort soucieuse. 
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- Pas de vin, pas de champagne, pas de galimafrées, pas de ces tourtes qui font votre ordinaire. Sans doute un potage aux pointes d’asperges, du blanc de poulet grillé accompagné de petits pois primeurs, rien de très bourratif comme vous vous en rendrez compte bien vite…
- Mais je vais crever de faim!
- Oui! Elle va crever la dalle! Se réjouit méchamment Violetta.
- Vous souhaiteriez mon dépérissement que vous ne vous y prendriez pas autrement !
- Oncle Daniel combat votre boulimie légendaire, digne de celle du Marsupilami africain, vous savez, celui qui ne s’exprime que par des Bahou !
Daniel fronça les sourcils et soupira :
- Encore une de tes réflexions bédéphiles mal placées !
- Parle pour toi, jeta l’adolescente d’un air pincé, tu t’es fait le portrait exact de S…
- Moineau ? Interrogea Deanna Shirley, l’œil émerillonné. Le nom que vous venez de prononcer ressemble à celui désignant le moineau en anglais.
Reprenant, après une pause, l’apprentie star, objecta courroucée : 
- O’Malley, dans toutes ces réjouissances? Qui va s’en occuper?
- Ce ne sont pas mes oignons! Il ne fallait pas vous encombrer de votre briard.
- Moi je sais qui va se charger de ton animal, fit la métamorphe ses yeux pétillant de malice. Jean Gabin…
- Au fait, pourquoi pas, acquiesça Daniel Lin. Puisqu’il fera le guet, cela lui sera facile de surveiller également le chien.
Pour pénétrer dans la propriété, ce fut un jeu d’enfant. Le commandant Wu usa d’hypnose, faisant croire à toute l’assemblée que les siens étaient des invités en bonne et due forme. De même, lorsque le maître d’hôtel engagea les extras, le même stratagème fut employé. Julien et Daniel revêtirent l’uniforme de leur fonction. Des tenues très Louis XV. 
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- Mince! Siffla Violetta. On se croirait chez Palankine dans Popaïne et vieux tableaux. 
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- Encore tes références bédéphiles, s’agaça Daniel Lin.
- Au fait, oncle Daniel, chapeau pour ton déguisement. Tu as pris des leçons auprès de Frédéric, lorsqu’il se fit passer pour un lad dans une affaire de vengeance…
- N’oublie pas aussi de rendre hommage à Marteau-pilon qui excelle dans ce type de couverture. 
A suivre...
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