vendredi 28 octobre 2016

Cybercolonial 2e partie : Du rififi à Kakundakari-ville chapitre 17 4e partie.



Elle arpentait de ses pas empressés les venelles moites de l’antique cité.
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 Elle avait hâte d’accomplir sa vengeance. Sa vêture lui seyait à ravir. Elle avait enfin emprunté l’identité de celle qu’elle révérait. Ses anglaises de jais caressaient voluptueusement ses joues diaphanes. Elle arborait une robe de toute jeune fille, reconnaissable à son court ourlet qui lui battait les chevilles emprisonnées dans des bottines simples, toutes noires. Des mitaines de coton blanc gainaient ses longs doigts fuselés de pianiste. Elle approchait déjà du lieu fatidique. Elle était tout à la fois Alice, Angélique, Marie d’Aurore, toutes ces juvéniles brunes coruscantes à la vénusté légendaire et à la démarche gracile et évaporée. Tout en marchant, elle paraissait flotter en un éther, par-dessus, par-delà les brumes et les nuées baudelairiennes, effet sans doute du laudanum qu’elle avait absorbé afin que sa témérité ne faillît pas. Enfin, éclairée par une Lune incertaine et flavescente, elle aperçut le Rialto.
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Dans les sous-sols termitoïdes de la citadelle de M’Siri le Grand, les chevaliers hoplitiques
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 poursuivaient leur course. Le temps paraissait s’étirer jusqu’à être mis entre parenthèses. Comme dans le paradoxe d’Achille et la tortue, les poursuivants avaient beau se rapprocher de Daniel et de son groupe, jamais ils ne parvenaient à les rattraper. Ce moment de quasi immobilité menaçait de se muer en éternité.
Azzo fut le premier à ressentir quelque chose d’à la fois anormal et nouveau :
« Ennemis trous, ennemis percés ! »
Nul ne comprit excepté Violetta qui se retourna avant qu’une expression d’ébahissement ne s’inscrivît sur son visage.
« C’est quoi ces soldats passoires ? Je vois le jour à travers eux. »
A ces mots, Spénéloss verdit et déglutit. Il ne pouvait que confirmer ce que voyaient la métamorphe et l’hybride pré- K’Tou- Niek’Tou.
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-  Les malheureux ! déclara l’Hellados non sans contrariété. J’aperçois en eux une espèce de soupe gluante que je puis assimiler au chaos primordial.
Une altération marquait la structure même des caparaçons de bronze et de peau de buffle des guerriers. Elle semblait se déliter par place, non pas qu’ils fondissent ; c’eût été trop simple et trop miséricordieux. Les trois poursuivants se perforaient désormais de dizaines de béances qui, débouchant sur une ante matière, évoquaient maladroitement ces peintures de primitifs italiens détériorées par les inondations survenues à Florence en 1966
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 intentionnellement restaurées avec la conservation de lacunes témoignant des dégâts des eaux. Plus grave encore : les trous dans la matière tendaient à devenir autant de micro trous noirs, qui, prenant la consistance d’entonnoirs, aspiraient toutes les molécules des Africains, engloutissaient peu à peu ceux-ci, tels des tourbillons, des siphons ou de prosaïques éviers en train de se vider. Cette multiplicité de singularités locales allait s’amplifiant telle une lèpre avec une vélocité et une force de propagation inouïes.
En moins d’une minute, les trois chevaliers de Maria de Fonseca achevèrent de s’auto absorber, revenus à un état de pré matière originel. Spénéloss lucide, jeta à Daniel :
- Cette Afrique parallèle est en train de se désagréger. Nous n’avons que peu de temps devant nous.
Déjà, les parois des galeries étaient atteintes. Elles prenaient une consistance tour à tour spongieuse, pelucheuse et floconneuse avant de se consteller d’un chapelet de micro trous noirs. C’étaient toutes les assises de la citadelle qui étaient en train de « trembler » sur leurs bases.
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L’onde sombre ondulait sous les arches du Rialto tandis que, au mitant du pont illustre, emblématique de la Cité lagunaire, la fausse Alice accueillait l’Artiste fidèle au rendez-vous. A distance, dissimulés sous l’embrasure d’un porche, Michel Simon et Guillaume se tenaient prêts à intervenir en cas de nécessité.
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- Mademoiselle, me voici, commença le Danseur de Cordes. Vous avez fait appel à moi car vous avez besoin de ma protection.
- Tout à fait, sir, s’inclina la travestie.
Frédéric avait tôt fait de constater le grimage outrancier d’« Alice », ces joues blafardes enfarinées de théâtreuse, ces yeux charbonneux qui accentuaient son côté hâve et maladif, cette perruque brune, certes en vrais cheveux, mais, légèrement de guingois ; elle laissait ainsi deviner une tonalité plus claire chez la « damoiselle ». L’Artiste décida de jouer le jeu de la naïveté.
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- Miss, ainsi, vous vous êtes souvenue de notre rencontre à travers le miroir. Vous en êtes sortie mais avez gardé l’avantage de ce lieu hors du temps : votre jeunesse.
Ces paroles furent dites avec l’intention de déstabiliser la déguisée. Aurore-Marie ignorait tout de l’incursion de Frédéric dans cet autre monde. Aussi redouta-t-elle qu’il y eût acquis des facultés surhumaines et par conséquent, le même Pouvoir qu’elle. Les yeux de l’Artiste s’étaient posés sur les mains gantées de son interlocutrice. Une bague en forme de chevalière avait immédiatement attiré son regard mais il ne montra pas qu’il avait vu l’erreur de la dame. Il sut qui se cachait derrière ce piètre déguisement, derrière ce simulacre.
- Sir, accepteriez-vous de me prendre sous votre protection, sous votre aile ?
Détail incongru : bien que pour rappel, nous fussions au mois de juillet, la fausse Alice arborait un manchon à la main droite
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 qui dissimulait un objet dangereux. Tandis qu’elle parlait, subrepticement, la main remontait. Sans que ses yeux la trahissent et que l’Artiste eût eu le temps de capter le geste, Aurore-Marie fit feu à travers la fourrure.
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 Le Derringer à crosse de nacre cracha sa balle et Tellier, bien que son épaule gauche fût à peine entaillée, choisit de basculer du parapet du Rialto et de tomber dans les eaux sombres du canal. Le recul avait manqué mutiler la poétesse. Sous la douleur, Madame de Saint-Aubain lâcha son arme. De leur cachette, Michel et Guillaume sortirent de l’ombre afin de s’emparer de la scélérate. Mais une idée vint à Pieds Légers. Il agrippa brusquement le bras du comédien et lui commanda : « Arrière ! »
- Comment, arrière ?
- Chut, siffla le monte-en-l’air. Le Maître a usé du même stratagème contre les Thugs.
Aurore-Marie n’avait rien perçu de cette agitation ; dans un état second, transportée en l’irréalité, toujours sous l’influence du laudanum, elle s’agenouilla en prière, les vannes de sa raison ayant été ennoyées depuis longtemps.
Cependant, alors que tous deux s’étaient à nouveau renfoncés dans l’encoignure du porche humide, Guillaume murmura à l’oreille de Michel :
« Maintenant, silence. Le Maître tient à passer pour mort aux yeux de ses ennemis. »
La baronne de Lacroix-Laval, tout à son délire, se mit à réciter sous l’éclairage incertain des réverbères dont la douce lueur jaunâtre nimbait la silhouette évanescente de la meurtrière. Elle sollicita les mânes de Baudelaire en une imploration qu’elle psalmodia telle Sarah Bernhardt sur scène.
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 C’étaient les Litanies de Satan dans leur version de 1857 :
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Ô toi, le plus savant et le plus beau des Anges,
Dieu trahi par le sort et privé de louanges,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !

Ô Prince de l’exil, à qui l’on a fait tort,
Et qui, vaincu, toujours te redresses plus fort,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi qui sais tout, grand roi des choses souterraines,
Aimable médecin des angoisses humaines,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !

Qui même aux parias, ces animaux maudits,
Enseignes par l’amour le goût du Paradis,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !

Ô toi, qui de la Mort, ta vieille et forte amante,
Engendras l’Espérance, — une folle charmante !

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi qui peux octroyer ce regard calme et haut
Qui damne tout un peuple autour d’un échafaud,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi qui sais en quels coins des terres envieuses
Le Dieu jaloux cacha les pierres précieuses,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi dont l’œil clair connaît les secrets arsenaux
Où dort enseveli le peuple des métaux,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi dont la large main cache les précipices
Au somnambule errant au bord des édifices,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi qui frottes de baume et d’huile les vieux os
De l’ivrogne attardé foulé par les chevaux,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi qui, pour consoler l’homme frêle qui souffre,
Nous appris à mêler le salpêtre et le soufre,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi qui mets ton paraphe, ô complice subtil,
Sur le front du banquier impitoyable et vil,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi qui mets dans les yeux et dans le cœur des filles
Le culte de la plaie et l’amour des guenilles !

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !

Bâton des exilés, lampe des inventeurs,
Confesseur des pendus et des conspirateurs,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !

Père adoptif de ceux qu’en sa noire colère
Du paradis terrestre a chassés Dieu le Père,


Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !
Gloire et louange à toi, Satan, dans les hauteurs
Du Ciel, où tu régnas, et dans les profondeurs
De l’Enfer où, fécond, tu couves le silence !
Fais que mon âme un jour, sous l’Arbre de Science,
Près de toi se repose, à l’heure où sur ton front
Comme un Temple nouveau ses rameaux s’épandront !

Lors, il commença à bruiner dans les venelles sourdant d’humidité. La pluie fine accompagnait sa tristesse.
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A suivre...
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