vendredi 21 août 2015

Aurore-Marie ou une étoffe Nazca : scène coupée n° 4 : Deanna Shirley et The Constant Nymph.



Quatrième scène de l'e-book Aurore-Marie ou une étoffe Nazca non retenue par les Editions de Londres.
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  Hollywood, 1943. Plateau de tournage du mélodrame The Constant Nymph (Tessa, la Nymphe au cœur fidèle) d’Helmut Goulding, d’après le roman de Margareth Kennedy, avec Deanna-Shirley De Beaver de Beauregard, Charles Boyer et Peter Lorre.

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La jeune vedette avait des scrupules. Elle minaudait, comme à son habitude, dans sa loge, rechignant à une énième prise, jugeant son accoutrement de gamine attardée ridicule et peu seyant.

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« Mister Goulding, fit la blonde jeune femme roucoulante de son accent britannique apprêté, ne croyez-vous pas qu’il est ridicule voire ambigu de faire interpréter une fillette de quatorze ans par une jeune femme de vingt-cinq ? Ma sœur Daisy Belle – que je la déteste, celle-là ! – en pouffe de rire. Heureusement qu’elle n’est pas là pour me voir aux prises avec les habilleuses et les maquilleuses lorsque je suis contrainte d’enfiler ces oripeaux ! Des tresses, des pigtails avec des rubans, franchement ! Et cette robe qui ne ressemble à rien !
- Vous étiez physiquement la seule à correspondre au casting, répliqua d’un ton coupant le director. La Warner l’a voulu ainsi.
- Mais je suis simplement prêtée, pas sous contrat…
- C’est le star system, ma chère. Avec un tel rôle de composition, vous serez une nouvelle fois oscarisable.
- Daisy Belle va en crever de jalousie : elle attend encore la statuette tandis que moi, j’en détiens déjà une ! Alors, pourquoi pas deux…

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- D’un, vous n’êtes pas grande ; de deux, votre silhouette est fluette ; de trois …
- Me reprocheriez-vous de manquer de coffre ?[1] De plus, il me semble que vous bravez le code Hays… Après tout, je joue une mineure, un vert tendron amoureux d’un homme mûr…
- Billy Wilder a passé tous les obstacles de la commission de censure avec son Uniformes et jupons courts l’an passé…
- Ah oui, Susu ! Mais Ginger Rogers, c’était différent : il s’agissait d’un travestissement pour payer le train moins cher, tandis que moi…
- On ne discute pas à Hollywood sauf lorsqu’on est membre de la Screen Actor Guild…
- Il n’empêche ! Si vous saviez à quel roman peu recommandable mon rôle me fait penser ! Figurez-vous que George Cukor – vous connaissez son inversion, je suppose – lorsqu’en 39, j’ai tourné pour lui dans Femmes, a eu le culot de me faire visiter sa bibliothèque bourrée d’ouvrages licencieux et libertins. Il m’a montré en particulier un roman saphique notoire de la fin du XIXe siècle, Le Trottin, écrit par une certaine Aurore-Marie de Saint-Aubain, qu’il m’a décrite comme une lesbienne portée sur les gamines pré-pubères, un peu dans le genre de Tessa. J’ai eu la hardiesse de feuilleter le bouquin, non pas que je sois portée sur cette déviation qui me répugne, mais à titre de curiosité. C’était une traduction d’Oscar Wilde, sans tabou, sans inhibition victorienne. J’ai eu l’impression de me reconnaître en partie dans le personnage principal, la comtesse Cléore de Cresseville ! Celle-ci, je n’ose le dire, se travestissait en fillette de douze ans et faisait enlever des gamines qu’elle éduquait de manière qu’elles acquissent son orientation… je vous passe les scènes les plus osées… C’était d’une confondante dépravation, avec un soupçon de sadisme et de gothique anglais. Et Adelia, la favorite de Cléore, son amante de quatorze ans – comme Tessa ! J’en rougis de honte ! Sa description ressemblait à s’y méprendre à un mélange anticipé de miss Vivien Leigh et de miss Judy Garland ! Cheveux auburn, yeux verts, jolie voix, nez retroussé… C’était à croire que cette détraquée de la fin du XIXe siècle avait eu une vision prémonitoire des vedettes de notre époque ! »
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[1] En français dans le texte.