vendredi 15 août 2025

Etude en vert et jaune : prologue 3.

 

Quarante-huit heures avaient passé et le commandant Wu avait sollicité une entrevue avec les dirigeants du Conseil de la cité pour des raisons personnelles. Cette demande était assez inhabituelle de sa part et c’est pourquoi Lobsang Jacinto et Tenzin Musuweni n’avaient pas tardé à y répondre favorablement. 

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La pièce dans laquelle fut reçu Daniel Lin était des plus fonctionnelles avec ses tables encombrées par des ordinateurs munis de claviers souples et transparents, d’écrans holographiques de forme circulaire, d’agendas électroniques et de stylos virtuels. Cependant, des murs clairs aux tons beige et lilas, des tapis bleu pâle, des plantes de toutes sortes égayaient la pièce. L’éclairage provenait de lampes qui n’étaient pas visibles mais qui, pourtant, diffusaient une lumière douce et apaisante dans la petite salle. 

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Tenzin et Lobsang étaient assis sur des sièges confortables, épousant parfaitement les contours de leur anatomie respective. Quelques plantes ornaient des tables basses, des baobabs miniatures, des figuiers de barbarie, des rubans de Mingo et des jacinthes auxquelles se mêlaient des orchidées délicates. 

 Description de cette image, également commentée ci-après

Tandis que les deux bouddhistes examinaient avec la plus grande attention la demande du Superviseur général, celui-ci, debout, tâchait de ne pas afficher son impatience.

Daniel Lin avait pris soin de se vêtir sans ostentation comme les deux dirigeants. Des chemises blanches en lin, ouvertes sur des torses, des pantalons larges aux teintes neutres. Toutefois, alors que Jacinto et Tenzin portaient les cheveux longs, le daryl androïde avait une coiffure courte bien que sa mèche rebelle vînt parfois balayer son front. Pour mémoire, il est bon de rappeler que Musuweni était d’origine bantoue et Lobsang un pur Amérindien. Ce dernier était dans la force de l’âge, pas plus de quarante-cinq ans alors que le grand Noir avait environ soixante ans.

- Depuis la dernière période, vous n’avez pas formulé de demande particulière, faisait Lobsang Jacinto à l’adresse du commandant Wu.

- C’est tout à fait exact, convint l’interpellé.

- De plus, enchaîna le Bantou, vous avez accompli votre tâche avec le plus grand professionnalisme.

Ces paroles furent prononcées sur un ton neutre, la marque de Tenzin. Il en fallait beaucoup pour l’émouvoir.

- A la vue de votre dossier, il serait logique que nous acceptions de vous accorder le congé sollicité. Congé que vous méritez amplement, reprit l’Amérindien.

- Mais… hasarda Daniel Lin.

- Mais… vous connaissez suffisamment la Loi… vous vous refuserez, cela va de soi, à perturber le continuum spatio-temporel.

- Bien sûr, acquiesça le commandant Wu. Vos objections ne viennent pas de là.

- Vous ne vous trompez pas.

- Elles concernent la composition de mon équipe, articula lentement le Préservateur, réussissant à maîtriser sa contrariété.

- Tout à fait.

En son for intérieur, Dan El trépignait, se promettant de ne pas intervenir dans la psyché de ses deux interlocuteurs. Il voulait jouer franc jeu alors que cela aurait été si simple pour lui d’infléchir leur raisonnement et d’obtenir sans forcer leur consentement à sa requête plus que justifiée selon lui. Il mit toute sa volonté à ne pas succomber à la tentation. Les épreuves qu’il s’était jadis imposé avaient forgé son caractère et tempéré son impétuosité juvénile.

- Mon confrère a raison, appuya Lobsang Jacinto sur le même ton placide.

- Passons encore sur la présence du docteur di Fabbrini, proféra Tenzin. Nous comprenons parfaitement les raisons de son nom sur la liste. Vous ne pouvez décemment vous risquer dans le monde extérieur sauvage et imprévisible sans médecin qualifié.

- De plus, rajouta l’Amérindien, il est bon de ne pas séparer les familles. Le commandant Sitruk et Violetta seront heureux d’effectuer cette mission en compagnie de Lorenza di Fabbrini.

- Exactement ce que j’avais pensé, jeta Daniel Lin avec soulagement. Conseillers, voyez que j’avais envisagé tous les aspects…

-  Peut-être commandant Wu… naturellement, c’est pour les mêmes raisons que Louise de Frontignac et Gaston de la Renardière ont été sélectionnés.

- Certes…

- Bien… mais… pourquoi Saturnin de Beauséjour? Ce citoyen, utile à la communauté, fait un bien piètre aventurier, avança le Bantou.

 René Clermont - Unifrance

- Conseiller, je n’en disconviens pas. Toutefois, son érudition nous sera d’un grand secours, je vous l’assure.

- Soit… mais Beauséjour plus le capitaine Craddock! Cela constitue un mélange détonnant! Lança Jacinto en fronçant les sourcils.

- Sans compter miss Deanna Shirley, Monty Clift et… Julien Carette, compléta Tenzin.

- Nous ne voyons pas en quoi ces trois comédiens s’avèreront utiles pour le bon déroulement de la mission, fit sévèrement l’Amérindien.

- Conseillers, je vous garantis que j’ai tout calculé, tout prévu. Pour équilibrer cette équipe, pour contrebalancer ces différents caractères et tempéraments, je fais appel à la patience et à la logique d’Albriss.

- Hum… ceci s’avère un bon choix, il est vrai, admit Jacinto. Quant à mademoiselle Gronet, sa douceur proverbiale adoucira sans doute la potion pour les plus récalcitrants.

- Commandant, articula Musuweni, vous recherchez les situations périlleuses. Vous ne pouvez vous en passer, n’est-ce pas?

- J’allais le dire, marmonna Lobsang.

- Conseillers, vous connaissez mon passé sur le bout des doigts. Je reconnais que j’ai conservé mon inclination pour l’Aventure. Mon séjour dans la cité n’a en rien atténué ce trait de caractère.

- Merci pour votre honnêteté, déclara l’Amérindien. Un point joue en votre faveur, Daniel Lin…

- Ah? Au moins un donc…

- Les expéditions que vous avez menées précédemment avec succès plaident pour vous.

- C’est tout à fait juste, opina le Bantou. Mais miss Deanna Shirley a déjà roulé Saturnin de Beauséjour. Vous n’avez rattrapé le coup que d’un cheveu… je ne fais que rappeler ce qui figurait dans votre rapport.

- Oh! Il y a longtemps que j’ai tiré les leçons de ma précédente expérience. Je saurai me montrer plus vigilant, je vous le promets.

- Tant mieux, déclara Musuweni.

En vitesse accélérée, il lisait ledit rapport sur son écran de poche.

Pendant ce temps, Dan El commençait à afficher certains signes d’impatience. Toujours debout, il éprouvait le besoin de s’essuyer les mains sur les pans de sa chemise qui pendaient librement, rejetait en arrière sa mèche rebelle, ou encore se tordait machinalement les doigts.

Lobsang Jacinto vit tous ces gestes et sourit. Il pensait intérieurement que le Préservateur était en train de céder à sa nervosité native.

« Daniel Lin, murmura-t-il d’une manière inaudible, tenez bon… vous êtes capable d’attendre encore un peu le verdict… j’en suis convaincu… »

« Merci pour cette marque de confiance », répondit Dan El sur le même mode  

L’Amérindien connaissait une partie des secrets concernant le Superviseur général. En effet, il avait encore en mémoire son rajeunissement et sa guérison inespérée alors qu’il s’apprêtait à franchir la barrière entre ce monde-ci et l’au-delà. Mais il n’en allait pas de même pour les autres hôtes de l’Agartha. C’était pourquoi il se faisait souvent le complice du commandant Wu, le soutenant et lui prodiguant généreusement conseils et avis.

- Conseillers, me permettez-vous de vous répéter que cette expédition vise avant tout à préserver la vie de trois jeunes femmes, Yasmina, Chloé et Radia?

- Seulement? Il y a autre chose derrière…, commença le Noir.

- Commandant, vous désirez les ramener ici, dans la cité, fit Lobsang.

- Oui, j’ose le proclamer. Pourquoi m’en cacherais-je? Yasmina a un avenir chez nous. Radia, elle, sera la présidente de ce Conseil dans cinq cycles. Quant à Chloé, après avoir entrepris des études de médecine sous la houlette de Denis O’Rourke, réexpédiée dans le monde extérieur, elle parviendra à enrayer une grave et récurrente épidémie sur la planète Nulara du système War en l’an 3050 de la chronoligne 1725. 

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- Vous avez fait bon usage du chronovision, proféra avec le plus grand sérieux Lobsang Jacinto.

- Conseiller, jeta Dan El, j’ai le même niveau d’autorisation que les membres les plus éminents du Conseil. 

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Mentalement, le jeune prodige en était à se ronger les ongles. Il bouillait, il rêvait de sauter d’un laps de temps à un autre mais il n’en fit rien.

- Votre but est donc humanitaire, poursuivit Tenzin.

- Altruiste…

- Oui, je vous l’accorde…il est digne de notre considération.

- Alors?

- Exprimez-vous en toute liberté, accorda l’Amérindien.

- Vous le savez, conseillers, je ne vous dissimule rien. Mon rapport préliminaire, des plus circonstanciés, en est la preuve. Ai-je jamais failli par le passé? Que je sache, tous mes amis et compagnons sont revenus sains et saufs de leurs différents voyages dans les mondes extérieurs. Y compris sous le règne d’Elizabeth Première ou encore au II e siècle de l’ère chrétienne, sous l’Empire romain. Sans parler du monde de Texcoco.

- Mais vous y avez rencontré des imprévus… et vous vous en êtes tirés plus que de justesse.

- Certes, Conseiller Tenzin…

- Vous étiez aux côtés de vos amis. Jamais vous ne les avez abandonnés. Jamais vous n’avez renoncé, cédé au découragement. Vos qualités personnelles, vos dons de daryl androïde ont été pour beaucoup dans ces succès.

- Merci Conseiller Jacinto, articula Daniel Lin avec reconnaissance.

- Soit, souffla Tenzin Musuweni. Mais il reste le cas de Gwenaëlle de Gashaka.

- Ainsi donc, vous en venez enfin à l’épine qui peut s’enfoncer dans mon talon.

- Votre façon de parler me démontre que vous saisissez parfaitement ce qui coince.

- Pourtant, ce n’est pas la première fois qu’elle m’accompagne dans les temps extérieurs.

- Oui, certes. Mais aujourd’hui, elle est enceinte de cinq mois et porte des jumeaux… je ne fais que lire le dernier rapport en date du docteur O’Rourke. Dans ces conditions, supportera-t-elle le voyage dans le désert inhospitalier des nouvelles contrées gagnées sur la mer?

- Conseiller, Gwenaëlle a affronté avec le plus grand courage des hordes sauvages d’Erectus lors de la crise de l’Out of Africa bis… 

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- Mmm… douta le Noir.

- Je tiens à elle plus qu’à tout. Je veillerai sur elle.

- C’est votre affection pour elle, votre amour qui vous fait parler ainsi.

- Oui, je suis fier de le dire! Pour elle, vous ignorez jusqu’où je suis prêt à aller. Je sacrifierais cent milliards de soleils, toute l’énergie requise pour le premier Big Bang,

 A model of the expanding universe opening up from the viewer's left, facing the viewer in a 3/4 pose.

 tous mes dons, toute mon Eternité pour qu’elle vive, qu’elle soit toujours à mes côtés, pleinement heureuse… Je donnerais ma Vie pour elle. Je vous le jure.

« Aïe! Pensa Dan El. Je suis allé trop loin en usant de mon Talent de Ying Lung ».

- Inutile d’en rajouter, remarqua Lobsang Jacinto en esquissant un sourire.

- Nous vous croyons. Nous ne doutons pas de votre sincérité. Ni de votre capacité à surmonter tous les obstacles, y compris les plus imprévisibles, acheva Tenzin.

- Nous accédons à votre demande, commandant Wu.

- Merci… merci mille et mille fois. Recevez ma reconnaissance éternelle. Je n’ai point pénétré vos esprits pour obtenir gain de cause.

- Du moment que vous nous le dites, Daniel Lin…

- Sur Bouddha, j’en fais le serment. 

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En prononçant ces paroles, Dan El n’exprimait que la stricte vérité.

- Récapitulons, reprit le grand Noir. Vous voyagerez à treize…

- Quatorze. Je ne sépare pas Gemma de Symphorien. Jadis, je me suis montré trop léger… désinvolte même. Plus jamais je ne commettrai semblable faute.

- Jadis? Comment cela? Ah… vous faites allusion à la fameuse expédition dans le bassin conventionnel du Congo,  supposa Musuweni.

- Hum! Soupira Jacinto.

L’Amérindien se souvenait d’une autre mésaventure dans laquelle le Cachalot de l’espace s’était montré d’une fidélité à toute épreuve alors que Daniel Lin l’avait manipulé.

Le Préservateur répondit au Bantou avec le plus bel aplomb.

- C’est cela…

- Donc, vous serez quatorze à partir et votre absence objective ne devrait pas durer plus de trois mois.

- Vous ne pourrez assister à la fête du Jubilé, s’attrista Jacinto.

- Mais je resterai en communication avec la Cité.

- Par chronovision interposé ou par…

- Par un lien plus direct. Le contact télépathique.

- Mais s’il vous fallait revenir en urgence?

- Le translateur… après tout, le transfert ne concernera tout au plus que vingt personnes sur des coordonnées très précises.

- Ah! Commandant, nous savons que vous aimez les miracles, lança l’Amérindien.

- Ils ont une certaine propension à se multiplier lorsque vous êtes membre à part entière des expéditions extérieures, rajouta Musuweni avec une certaine sévérité.

- Je vous le dis et redis. Je veillerai à ne pas trop enfreindre les lois du Multivers, affirma le pseudo daryl androïde.

- Vous avez notre aval. Nous ne reviendrons pas là-dessus.

- Que Bouddha vous protège, Daniel Lin Wu.

Alors, les deux Conseillers se levèrent. La séance était terminée. Avec le plus vif soulagement, le commandant Wu salua les deux dirigeants et se retira avec un franc sourire sur son visage. Allons… il était parvenu à ne pas trop se dévoiler… maintenant, le Révélateur n’avait plus qu’à voir Albriss et le persuader de la nécessité de faire partie de la nouvelle expédition. Il savait que l’Hellados se plierait aux ordres du Conseil. Mais Dan El voulait lui faire savoir que c’était lui qui avait sollicité spécialement sa présence. Il devait lui en expliquer les raisons. Avant tout, il souhaitait conserver son amitié.

 

***************

 

Le même soir, Albriss avait accepté de dîner chez les Wu. Son épouse Renate ne l’accompagnait pas car elle était affectée au service de nuit à l’infirmerie principale de la cité. Daniel Lin, connaissant les goûts culinaires de l’extraterrestre, n’avait pas hésité à lui mijoter quelques plats végétariens typiques assez relevés.

Le repas avait eu lieu dans la salle à vivre, une pièce spacieuse, décorée avec soin. L’ameublement rappelait le design des années 1950-1960 si cher aux dessinateurs Will et Franquin. En sourdine, on entendait le Concerto brandebourgeois numéro 6 de Bach. 

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Pour une fois détendu, l’Hellados avait savouré pleinement le dîner, réfrénant sans difficultés sa gourmandise relative. Heureux de ce moment, Albriss termina ces agapes par une tasse de thé aux cinq épices, breuvage originaire de sa planète natale, une boisson que Gwenaëlle se garda bien d’ingurgiter prétextant fort à propos qu’elle devait vérifier si Bart dormait bien paisiblement dans son petit lit dans la chambre limitrophe.

Albriss était un Hellados à la peau noire légèrement cuivrée, aux cheveux raides avec quelques reflets bleus, et aux yeux sombres. Rien ne le distinguait des humains dans son aspect extérieur. Cependant, dans ses veines coulait un sang jaune soufré et sa température corporelle dépassait les 46°C. Pour l’heure, il n’avait pas revêtu son uniforme et s’était présenté chez la famille Wu vêtu simplement d’une longue tunique noire et les pieds chaussés de sandales de cuir fauve.  

Gwenaëlle ne pouvait nier ses origines celtes. La jeune femme était une beauté rousse aux joues encore rondes mais grêlées de taches de rousseur, aux lèvres appelant le baiser, aux yeux vert émeraude et à l’abondante chevelure tombant en désordre sur ses épaules au galbe ravageur. Elle aussi était vêtue sans recherche excessive d’une robe lilas et de mocassins assortis. L’ourlet de son vêtement lui arrivait aux chevilles et l’ampleur de la robe dissimulait partiellement sa grossesse.

Quant à son compagnon, il était resté dans les tons, se contentant d’un pull bleu turquoise à col roulé et d’un pantalon de velours gris. Il avait également passé des chaussures de sport et son allure juvénile contrastait quelque peu avec le visage sévère de son ami. Jamais, ce soir-là, on n’aurait donné au commandant Wu les quarante-cinq ans qu’il était censé afficher.

Le thé servi, les deux hommes restèrent seuls. Maintenant, Une petite musique de nuit de Mozart était diffusée par un quelconque poste de radio. Albriss aborda le premier les raisons de sa présence chez le commandant Wu.

- Ainsi, c’est donc vous qui avez sollicité ma présence dans votre prochaine expédition, dit le Noir tout en faisant tourner une petite cuiller dans le liquide brûlant et parfumé.

- Oui, Albriss. J’ai besoin de votre pondération et le Conseil a reconnu la pertinence de ma demande.

- Merci de reconnaître mes qualités, répondit l’Hellados. Oh! Pardon! Mais je ne fais qu’énoncer la stricte évidence, Daniel Lin.

- L’orgueil vous est inconnu, Albriss. Je le sais pertinemment.

- Vous savez, commandant, la composition de cette équipe hétéroclite me gêne.

- J’en ai une conscience aigüe, je vous l’assure, mon ami.

 - Symphorien Nestorius Craddock ne m’aime guère. Le sieur de Beauséjour également. De plus, ses fantaisies peuvent prêter à sourire… mais le plus souvent, elles s’avèrent dangereuses et mettent en péril le succès de nos affaires. En fait…

- Oui? Poursuivez…

- En fait, je vous soupçonne de le vouloir dans cette expédition dans le but de vous divertir… de divertir la galerie. Vais-je trop loin dans ma sincérité?

- Nullement. Je ne me sens pas vexé. Il y a un peu de vrai dans vos propos. Toutefois, Saturnin se montrera un parfait garde-chiourme pour Deanna Shirley.

 Description de cette image, également commentée ci-après

 Ce petit démon ne pourra réitérer son coup de 1888. Un homme averti en vaut deux. Monsieur de Beauséjour aura à cœur de surveiller la donzelle car il lui garde une dose de rancune.

- Je veux vous croire. Je ne faisais pas partie de cette expédition… je le regrette assurément bien que Spénélos ait su tirer son épingle du jeu.

- Mieux que cela.

- Mais là où nous nous rendons, le danger nous menacera de tous côtés.

- Pas plus que précédemment. Là-bas, ce fut une Afrique devenue folle. Nous n’avons pas ri tous les jours mais nous nous en sommes sortis haut la main.

- Le commandant Sitruk me l’a raconté… et j’avais lu tous les rapports sur cette histoire. Vous avez déjà une parfaite idée du rôle que je dois tenir.

- Tout à fait, proféra Daniel Lin en finissant de boire son thé.

Il grimaça fugitivement.

- Je crois que je l’ai trop corsé, non?

-Un soupçon de piment en moins et il sera adapté aux palais humains.

- Donc, il vous a convenu. Tant mieux.

- Là-bas, reprit l’Hellados, dans ce monde en régression tant sur le plan technologique que sur le plan moral, redevenu intolérant et violent, je serai…

- Un riche marchand, renseigna le pseudo daryl androïde, parcourant les contrées des restes de la Chine à la Méditerranée, du désert de Gobi

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 et du Xinjiang jusqu’à Beyrouth, Mossoul, Alep et Alexandrie.

- Mais vous?

- Votre intendant, dévoué, bien entendu.

- Donc, vous ne recourrez pas au maquillage.

- Non. Ni Benjamin ni aucun d’entre nous d’ailleurs.

- Quant à nos compagnes?

- Hum…

- Vous hésitez à répondre. Pourquoi donc?

- Certaines seront vos biens, d’autres vos concubines…

- En effet. Je comprends votre hésitation. Ce n’est pas un beau rôle que vous m’avez réservé là. Marchand d’esclaves et polygame. Mais qu’attendre d’autre de ce monde retourné à la sauvagerie?

- Retourné à la sauvagerie et à la barbarie par la faute de l’Occident…

- Par la faute de l’humanité tout entière, Daniel Lin, tout simplement. Admettez-le donc pour une fois.

- Allez-vous encore me débiter votre antienne habituelle sur la stupidité des Terriens? Sur l’inconséquence d’une espèce immature?

- Je m’en garderais bien. Je sais combien vous êtes prompt à contrer mes arguments. En tant qu’en partie humain, daryl donc, vous défendez toujours vos frères. Quels que soient leurs torts. Pourtant, les deux mille pistes temporelles que j’ai vues et étudiées me prouvent combien j’ai raison.

- Cependant, Albriss, permettez-moi une remarque. Vous vivez parmi les humains. Vous avez choisi votre situation. De plus, votre épouse Renate est humaine. Alors…

- Daniel Lin, il est vrai que je réside ici, dans la cité de l’Agartha, loin des miens. À la suite d’une certaine mésaventure dont tous les ressorts me sont encore inconnus.

- Le regrettez-vous?

- Absolument pas! Lança Albriss sur un ton catégorique. Ce séjour ici m’a permis de vous connaître et de gagner votre amitié.

- De trouver également l’amour.

- Oui. Il est exact que j’ai Renate. Elle m’apporte beaucoup et me permet de comprendre les êtres qui m’entourent. Ainsi, je ne m’enferme pas dans ma solitude condescendante. Je ne me sens pas supérieur.

- Y compris vis-à-vis des Troodons et des Marnousiens? Ou encore des Otnikaï? 

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- Je tâche de ne pas éprouver ce complexe de supériorité.

- Dans ce cas, vous conformerez-vous aux ordres du Conseil?

- Me laissez-vous le choix?

- Certainement. Je ne veux pas me conduire en despote. Ce n’est pas moi qui dirige la cité. Je ne désire que maintenir ce précieux lien d’amitié qui nous unit. De plus, je suis votre obligé pour des tas de raisons et…

- Daniel Lin, vous ne me devez rien.

- Encore votre réserve helladienne? Ou votre comptabilité logique?

- Non, Daniel Lin, pas du tout. Sans vous, j’aurais sombré dans la routine. Sans vous, j’aurais perdu mon équanimité. Le spleen m’aurait guetté  et, tôt ou tard, j’aurais accompli l’irréparable.

- Malgré la présence de Renate?

- Oui, malgré cela. Vous seul m’avez obligé à relever des défis intellectuels et spirituels. Votre philosophie bouddhiste pour commencer… le fait que vous soyez toujours d’humeur égale alors que votre tâche n’est pas une sinécure…

- Arrêtez de me passer la brosse. Je n’en mérite pas tant. Sincèrement, Albriss, je ne puis vous contraindre à vous joindre à l’expédition.

- Je le sais. J’ai également conscience que vous n’avez pas non plus pénétré mon esprit. Je vous en suis des plus reconnaissants.

- Renate ne sera pas du voyage, Albriss.

- Je suis déjà au courant. Je ne vous le reproche point. Mon épouse n’est pas habituée à vivre en dehors de la cité.

- Toutefois, un point vous tracasse encore.

- Qui supervisera durant votre absence?

- Frédéric Tellier. Il a déjà donné entière satisfaction à ce poste.

- Certes. Mais il ne possède pas vos talents de diplomate.

- Ni toute mon expérience. Cependant, le Conseil s’en accommode.

- Alors, pourquoi pas moi?

- Tout à fait.

- Dans ce cas, je cesse là, Daniel Lin et je me rends à vos souhaits.

La conversation achevée, l’Hellados se leva et prit congé de son hôte avec civilité.

- Demain, nous commencerons les préparatifs, fit Albriss. Quelle heure vous conviendrait, Daniel Lin?

- Sept heures trente.

- Sept heures trente. Très bien. Que la nuit vous soit douce, Superviseur.

- La Providence y veillera, mon ami.

Après une chaleureuse et sincère poignée de mains - il n’y avait qu’avec le daryl androïde que l’Hellados acceptait ce contact direct - l’extraterrestre se retira. De toute manière, il commençait à se faire tard, un peu plus de vingt-trois heures, et il était temps de prendre un peu de repos.

Le Préservateur se permit un soupir de soulagement. Allons, il avait fort bien mené sa barque et une nouvelle fois, il avait gagné la partie sans user de son Talent. Il apprenait les règles de la vie en société auprès des petites vies, de ces créatures si prometteuses et si décevantes à la fois. Il s’améliorait et faisait un parfait humain. Il n’avait plus rien à retoucher dans sa couverture.

Se projetant le long du maillage de la Supra Réalité, Dan El vit que tout se déroulait correctement ou se déroulerait convenablement, sans trop d’anicroches dans le mille neuf cent milliardième schéma du Big Bang. Au-delà, il lui faudrait abandonner la base carbone… serait-ce judicieux? Tenter un nouvel essai… pourquoi pas? Il s’y attendait et cela l’attirait plus que jamais. Après tout, il l’avait déjà anticipé. La Vie pourrait-elle s’y développer? Il l’y contraindrait. Il le devait. Le modèle carbone commençait à devenir ennuyeux… oui, c’était le terme…

Dan El comme il s’était nommé bien avant les Origines, le Révélateur, Préservateur, Expérimentateur, voyait Tout. Tout ce qui serait, avait été, était. À loisir, il pouvait céder à ses pulsions créatrices qu’il ne freinait plus, à ses caprices… non, cela n’était pas le terme approprié. Créer était pour lui une nécessité, une contingence incontournable. Il pouvait EXPERIMENTER. Encore. Et encore et toujours, dans une ronde sans fin, dans une danse éternelle, dans des rebonds continus. Il ne s’en privait pas. Cela fouaillait dans ses entrailles, dans son Moi réel, cela sortait de lui sans cesse.

Cependant, il savait garder la mesure. Il l’avait appris jadis et antan, hier et demain. Parce qu’il avait expérimenté les petites vies, les avait côtoyées de près, parce qu’il ressentait intimement leur souffrance, leur peur, leur solitude, leur envie d’amitié et d’amour. Parce qu’il les comprenait, parce qu’il se confondait avec elles, parce qu’il était elles, parce qu’elles lui transmettaient leurs expériences, leur savoir. Parce qu’elles étaient l’INFORMATION, mais pas seulement. 

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Un échange équitable, réciproque et éternel? Oui, dans la mesure du possible.

Il n’y avait qu’une seule chose que Dan El peinait à accepter. La Mort… inéluctable, indispensable pour le besoin de l’Evolution. Elle permettait le renouvellement des mondes, du Multivers, elle favorisait les mutations dans toutes leurs diversités. Domestiquée, elle empêchait la stagnation de la Supra Réalité. Elle faisait la Création, une Création renouvelée, elle était emplie de promesses et portait… la Vie! Oui, la Vie.

L’Entropie servait Dan El, lui obéissait. Enchaînée, elle oeuvrait encore et toujours. Mais pour aboutir à ce résultat, il en avait fallu des combats, des luttes et du désespoir! Après bien des éons, le Préservateur avait fini par vaincre sa terreur, il était parvenu à triompher de ses démons intérieurs, de ses faiblesses.

Il ne lui manquait rien…. Rien? Ne se mentait-il pas? Parfois, il ressentait une douce mélancolie à l’idée qu’il avait frôlé un autre lui-même, un frère virtuel, un autre Ying Lung… mais c’était un vain songe, une menterie, une tentation abominable… une folie qui n’avait fait que générer chaos, désordre, désespérance et, pour finir, vacuité…

Qu’il le veuille ou non, il était l’Un, il était l’Unique…

Tandis que Daniel Lin, bien raccroché à ce prosaïque Univers constitué par la cité souterraine, remettait en place le service à thé à sa place après l’avoir essuyé, il sentit que Gwen l’appelait. Remisant au plus profond de lui les sirènes de la désolation, le jeune Ying Lung se hâta de rejoindre la compagne qu’il s’était choisi de toute éternité, il y avait une pico seconde, il y avait des centaines et des centaines de milliards d’années.

Après tout, c’était pour Gwen qu’il avait opté pour l’humanité, qu’il avait revêtu cet avatar de chair qui lui allait désormais comme un gant. Il saurait s’en satisfaire. Foin d’une probabilité de voir naître un jour un autre authentique Dragon!

Il était comblé, vraiment comblé… Au-delà des mots, au-delà des sens, au-delà de tout entendement…

Or, donc, cette nuit-là, toute la cité fit des rêves merveilleux et connut la félicité la plus parfaite. Dans l’Agartha, tout vibra de bonheur, de la plus petite plante, du moindre brin d’herbe jusqu’au médusoïde Schluffpt, jusqu’au Kronkos Kiku U Tu.

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 Les sonorités les plus angéliques envahirent les couloirs et les corridors de la caverne souterraine, les cristaux s’illuminèrent, les artistes composèrent, peignirent ou sculptèrent de nouveaux chefs-d’œuvre, les écrivains emplirent des pages et des pages de récits fabuleux tandis que les passions les plus ardentes submergeaient les cœurs les plus enamourés. Sans le savoir, les êtres les plus privilégiés du Pantransmultivers, les quinze mille résidents de l’Agartha communièrent avec le jeune Dieu.

Au matin, des fontaines nouvelles toutes débordant d’une eau pure et transparente, des arbres bourgeonnant, des iris jaunes, des glaïeuls d’une beauté à faire se pâmer les âmes les plus endurcies, des murs ciselés par des arabesques de lumière liquide, des draperies d’une légèreté aérienne, des senteurs subtiles et délicates alliant la rose au jasmin, le chèvrefeuille au tilleul, des roitelets et des coccinelles, des mésanges et des cerises, des scarabées et des grenouilles, des papillons aux ailes si fragiles et aux couleurs si tendres et des coraux si pourpres, si bleus, si blancs, naquirent dans Shangri-La, émergèrent du Néant, du Rien, apparus comme par magie.

Nul ne s’en étonna mais tous s’extasièrent de voir le Rot du Dragon si embelli.

Dans le lit nuptial, Gwenaëlle soupirait, la volupté incarnée. Lovée contre son compagnon, elle ne s’en serait séparée pour rien au monde.

- Tu ne m’as pas trompée, Daniel Lin? Cette nuit, tu étais bien là, bien réel?

- Oui, ma Gwen, oui mon amour. C’était bien moi. Pleinement… Tout entier. Nullement accaparé ailleurs.

- Tu m’as aimée… tu as aimé…

- Oui… je t’ai aimée. Et tu m’as comblé… comme jamais…

- Pour la … première fois?

- Pour la milliardième fois, Gwen…

- Me mens-tu encore, mon maître? Mon Daniel Lin?

- Non… je dis vrai…

- Ganesh… Dan El…

- Mon véritable nom doit être tu, Gwen… souviens-t-en…

- Tout ce que tu me dis, tout ce que tu me commandes, je le veux également. Tu es bon… tu es si bon… veux-tu recommencer à me donner du plaisir? Le peux-tu? À moins que ton attention ne soit prise ailleurs… à l’extérieur…

- Rien ne m’occupe là, présentement. Mon seul souci est de te donner satisfaction… mon amour, ma rose éclose, mon bijou étincelant, ma Gwen pour toujours…

Précautionneusement, le jeune prodige entreprit sa compagne une fois encore. Quelques secondes plus tard, il fut lui aussi envahi par une félicité sans nom, une félicité si grande, qu’il eut toutes les peines du monde à ne pas s’y noyer.

Dan El s’accomplissait réellement dans cet acte d’amour charnel, dans cette submersion de ses désirs les plus brûlants. À chaque fois, il y trouvait des sensations nouvelles, il y reconnaissait cette ardeur, ce feu dont il ne pouvait désormais plus se passer, ce brasier qui faisait partie de lui et qui lui était devenu plus que nécessaire, plus que vital, cet élixir enivrant plus puissant que l’ambroisie et le nectar des dieux. Il explosait à l’intérieur de Gwen, et la Vie se propageait dans toute la Galaxie, dans tout le Multivers, au sein du Tout, de l’Infinité Eternité.

 

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A suivre...