samedi 17 septembre 2016

Cybercolonial 2e partie : Du rififi à Kakundakari-ville chapitre 17 1ere partie.



Chapitre 17
Le porche sous lequel Sir Charles avait mené la poétesse témoignait de la déliquescence de la Cité des Doges. Marqué deçà-delà de lichens verdâtres, il se cariait de salpêtre.
« Monsieur, je n’ai point l’heur de vous connaître. A moins que ma mémoire défaille…
- Souvenez-vous… L’an passé, à Londres, chez Lord Sanders.

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- En effet, mais cela reste vague. Ne seriez-vous point ce scientifique ou prétendu tel qui se vantait d’avoir confectionné une machine capable de matérialiser des fantasmagories en trois dimensions ?

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- Exactement !
- Je m’intéressais davantage à la promesse que me fit Oscar Wilde de traduire mes iambes gnostiques. Près d’un an s’est écoulé, et le poëte et dramaturge n’a toujours pas produit ce que j’attendais de sa part. Ceci étant, Monsieur… mais votre accent, et vos paroles imposent à mes lèvres purpurines qu’elles vous qualifient de Mister, votre conduite à mon égard est peu digne d’un gentleman. Vous me menâtes tantôt en ce lieu fort blet, par l’intermédiaire d’une créature aux appas…
- Je sais vos préférences ; vos goûts, Madame, ne me sont pas inconnus.
- Vous me piégeâtes avec brio, Mister ?
- Sir Charles Merritt, mathématicien.
Le baisemain qui s’en suivit acheva de gêner la baronne de Lacroix-Laval. L’obséquiosité de cet Anglais s’apparentait à l’hypocrisie d’un prince des chats fourrés, d’un Grippeminaud… Ce comportement cauteleux de patte-pelu occasionnait en l’épiderme d’Aurore-Marie une transsudation angoissée. De malvenues gouttes sudorifiques perlaient sur sa nuque duvetée de blond miel. Un commencement spasmatique de trémulations labiales et palpébrales trahissait son sentiment de PEUR. Oui, Aurore-Marie ressentait la peur, une peur atavique, quintessenciée, comme si elle se fût remémorée la présence de Sir Charles parmi les hérésiarques lors de la grande nuit de son intronisation du 18 septembre 1877.
- De moi, vous n’aurez rien à craindre. Par contre, mon ennemi… ou plutôt, notre ennemi commun…
- Parlez, Mister, expliquez-vous ! Pourquoi me trouvé-je présentement en ces lieux suintant de misère ? Qu’attendez-vous de moi ?
- Madame, seriez-vous prête à entendre un long et fastidieux récit, la relation d’événements remontant pour les plus anciens à plus de vingt années ?
- Dites toujours Sir, je m’impatiente. L’heure du thé est passée depuis longtemps. Me trompé-je ?
Comme pour achever d’envoûter la frêle jeune femme, Merritt s’amusa à caresser un des longs tortillons soyeux de la nonpareille chevelure de la baronne. Sous les gants de chevreau bleu glacier, les mains d’Aurore-Marie poissaient désormais de terreur. Elle attendait que Sir Charles lui tranchât la gorge, et, telle une goule gothique, s’abreuvât de son sang anémié. Quel plaisir malsain un Vampire de Polidori eût-il éprouvé à étancher sa soif au cou entaillé et pellucide d’une grande malade consomptive ?
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- Merritt n’est pas mon véritable patronyme.
Adossée dans un recoin, à quia, Alice feignait l’indifférence : cette révélation, elle la connaissait de longue date. Le chef de la pègre de Londres poursuivit posément :
- Je m’appelle Charles Lutwidge Dodgson, plus connu sous le nom de plume Lewis Carroll, du moins suis-je son double…négatif.
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- Marie d’Aurore ! Balbutia Aurore-Marie. Vous venez du miroir, c’est cela ? La vîtes-vous ?
La déduction de la poétesse n’étonna pas Sir Charles. Il savait avoir affaire à une intelligence supérieure, du moins, une intelligence tourmentée, hétérodoxe, digne d’affronter Frédéric Tellier.
- Belle prescience, ma chère. Comment avez-vous deviné que je suis une créature venue de l’autre côté ?
Aurore-Marie ne pouvait se vendre, révéler tous ses secrets que seul Kulm partageait : c’était par son excursion derrière le miroir que le Pouvoir l’avait révélée comme l’Elue.
- Votre intuition, reprit Sir Charles, peut s’expliquer aisément. Nous sommes deux incarnations du Mal, et si vous en représentez le zénith féminin, moi j’en suis le côté masculin achevé. Les forces maléfiques sont destinées à se rencontrer, à s’assembler. Vous vous êtes aventurée en l’outre-lieu ; vous en êtes revenue, acquérant la faculté d’anticiper, de machiner des plans.
- Je ne suis point une conjuratrice !
- Vos sens demeurent à jamais exacerbés. En théorie, rien ne vous arrête. Peut-être un reste d’éducation peut cependant vous freiner. Attirance, aimantation, fascination et répulsion.
Aurore-Marie ne put répliquer. Elle se refusait à révéler la fragilité de ses nerfs, son talon d’Achille, toutes ses faiblesses, et ce que l’on nommerait ses névroses. Elle vivait dans l’obsession du Mal, dans la crainte que ses perversions, canalisées, réfrénées, se sussent. Elle conservait une réserve qui l’empêchait d’aller trop loin.  
- Vous qui assassinâtes une première fois à un âge encore tendre, êtes apte à renouveler cet acte mainte et mainte fois.
Sir Charles serrait la poétesse comme en un étau. Aurore-Marie avait l’impression de devenir la proie du Serpent de l’Eden. Elle se sentait suffoquer, succomber, capituler sous l’étreinte de l’anaconda dont, peu à peu, les anneaux s’enroulaient autour de son corps frêle. Elle regrettait que Sir Charles l’eût percée à jour. Mais elle n’était pas prête à lui obéir et à perpétrer n’importe quel crime dont il lui ferait assumer la responsabilité tout entière. Or, la perversion du mathématicien n’avait pas de limite : il jouait avec les faiblesses physiques de la baronne. En cet instant, il se réjouissait d’être un homme en possession de tous ses moyens. Bien qu’il fût agnostique, en son for intérieur, il remerciait la Providence de lui avoir procuré tous les avantages de la masculinité.
Sir Charles fréquentait les écrivains décadents, les opiomanes, les alcooliques, syphilitiques et phtisiques, ceux atteints aussi du Grand Mal. Ainsi, il connaissait un certain Robert Louis Stevenson et son projet de nouvelle portant sur le dédoublement de personnalité, la dissociation des deux essences, Bien et Mal. Et Lord Sanders, ce dépravé notoire auquel manquaient le talent et l’imagination pour mettre en musique ses frasques, incarnait le pinacle, l’apothéose, de tous les péchés de Sodome. Son argent lui permettait tout. Merritt oppressait Aurore-Marie, comme s’il eût voulu la priver d’air. En outre, sa main droite ne cessait d’évaluer l’ovale de l’intaille de chrysobéryl qui chatoyait au cou de Madame de Lacroix-Laval. Le bijou de glyptique, de pierre fine, représentait un profil casqué hoplitique, Athéna Pallas. Aurore-Marie, tout à sa décadence, avait exigé que l’artiste représentât la déesse coiffée, parce qu’elle s’était extirpée, en armes, de la cuisse de Zeus, matrice d’un genre nouveau. Aussi, la protubérance bulbeuse du casque semblait recouverte d’une membrane placentaire évocatrice, empoissée d’un ichor de parturiente, constellée d’incrustations de jadéite. Et un doigt, un seul doigt de Sir Charles pressait cela, ce bijou, jusqu’à ce que la poétesse toussât.
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- Pour moi, vous tuerez, une nouvelle fois. L’acceptez-vous ?
- Sir, je ne commets aucun acte gratuit. Cela doit entrer dans mes intérêts. Je ne vois pas pourquoi je serais votre instrument exclusif de mort. Vos sicaires ne vous suffisent-ils pas ?
- Celui qu’il me faut éliminer par votre grâce sait déjouer les pièges les plus complexes tendus par mon génie. Il s’est rendu à Venise, non pas en villégiature, mais commandé par le devoir. Comme il combattit mon mentor Galeazzo di Fabbrini, il poursuit la lutte contre moi. Il ambitionne de mettre la main sur un de ces écrits antiques, un codex apparemment ésotérique qui pourtant recèle de grandes choses aux yeux d’un esprit averti.
- Le codex de Gabriele ! S’exclama la baronne. Je l’avais avant que cette Betsy défigurée vînt me le disputer. Où est-il ? Il y a un hiatus, une ellipse dans mon vécu.
- Voudriez-vous parler de ceci, Madame ?
De sa redingote de gentleman, Sir Charles extirpa le livre vénérable. Il l’exhibait tel un sucre. Aurore-Marie était subjuguée par la puissance de ce génie du mal. Elle songeait encore à ce projet fol et scandaleux de roman, et imaginait son héroïne affronter un tel homme, seul à même de contrer ses machinations. Tout un extrait futur s’incrusta en son cerveau :
  A l’échange de ces paroles acides, Cléore s’agita davantage d’un frisson de colère. Une brise malencontreuse secouait ses anglaises et toute la tige de cette fleur du vice. Elle s’engouffrait, en vent mauvais, sous la toile de la tente, parcourant les allées d’un aquilon annonciateur de péril. La comtesse s’éloigna d’Allard, hautaine, la tête haute et pourpre, affichant sa fâcherie, en un claquement de talons accompagné du friselis nerveux de ses jupes.

Pendant ce temps, Alice s’ennuyait ferme. Un petit chat tigré roux de gouttière, efflanqué, le poil miteux, les yeux jaunes enfiévrés, vint se frotter contre les bottines de l’éternelle adolescente. Il quémandait une pitance quelconque. Il aurait bien pu sauter dans un des canaux et tenter d’y pêcher un poisson. Mais le malheureux animal, affaibli par la faim qui tenaillait ses entrailles et sans doute trop peureux pour tenter de nager, espérait attendrir les quidams ou les bonnes âmes du quartier par ses petits miaulements explicites. Instinctivement, Alice Liddell s’abaissa afin de caresser le jeune félin. En cet instant, elle regrettait l’absence de Dinah ; il y avait longtemps que sa chatte était morte, fauchée par le grand âge. Les miaulements redoublèrent de force lorsque la jeune fille prit le miteux matou dans ses bras afin de le caresser et de le bercer.
- Pussy, pussy. Que n’ai-je un hareng pour rassasier ta faim.
A quelques pas de là, Aurore-Marie réagit à la présence du chat. Ses narines frémirent et une quinte de toux envahit sa poitrine scrofuleuse. C’était le signe tant attendu de la capitulation et de la soumission. Sir Charles en profita pour articuler le nom de la cible :
- Frédéric Tellier. Celui à qui était prédit un grand avenir. Celui qui a commandité l’agression dont votre ami Edouard Drumont fut victime…

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Le maelström venait d’achever d’absorber l’ensemble de la troupe. Même Werner s’était contraint à obéir à la volonté de fer du colonel. Il avait pensé à une simple tornade constituée de particules sableuses. Cependant, le phénomène était tout autre. Il s’agissait bel et bien d’une singularité, d’un wormhole spatio-temporel, trou de ver en français, un raccourci permettant de brûler les étapes. Mais le tunnel s’avéra pervers. En effet, il ne se contentait pas de ballotter les hommes et tout ce qu’il avalait en tous sens. Il exerçait sur eux tout son pouvoir de distorsion, de remodelage de la matière. Non seulement, les soldats allemands, Alban et Erich subissaient des déphasages, des étirements, des contractions, des mosaïques hétérochroniques qui, simultanément, les métamorphosaient en créatures composites à tous les stades du développement biologique (de l’œuf fécondé au fossile) mais il jouait aussi avec le clavier infini du clavecin de la phylogenèse. Stroheim, Kermor, Von Dehner et les autres devenaient des composés exubérants d’ante matière, soupe primordiale potentielle, récapitulant tous les devenirs évolutifs, du premier penta quark à l’extinction de l’ultime étoile à neutrons, du premier battement cardiaque de l’embryon humain à l’achèvement de la minéralisation du squelette, du graviton au boson de Higgs, de LUCA à la manifestation terminale du Vivant sous la forme d’un super organisme constitué de nanites. Tout cela alors que le Panmultivers ne cessait de se remodeler et de recommencer après des rebonds enchaînés. Certaines de ces poupées composites, particules et antiparticules, blastula et stromatolithe, cœur d’étoile s’allumant pour la première fois et étendue glacée infinie d’un Univers moribond où plus un seul Soleil ne brillait, mangé par les trous noirs qui avaient tout colonisé, succombaient après maintes douleurs ressenties.
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https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/7/79/Candidate_Higgs_Events_in_ATLAS_and_CMS.png/260px-Candidate_Higgs_Events_in_ATLAS_and_CMS.png
Comme lors des périples au sein du Baphomet, le réseau tubulaire des possibles ne cessait de se ramifier et de se subdiviser. Écartelés, plusieurs lieutenants de Werner périrent. Leur étirement était devenu tel que les organismes finissaient par céder tandis que d’autres se dissolvaient en un magma bourbeux d’une incandescence inouïe. Ils étaient devenus énergie pure. Les cerveaux distendus, recomposés, des hôtes du trou de ver étaient incapables d’enregistrer l’information, de la restituer tant celle-ci s’avérait méga dimensionnelle et ultra véloce. Cela corroborait les théories des astrophysiciens du XXIe siècle, selon lesquelles l’information ne pouvait se perdre et convergeait en un point inconnu, inatteignable. Seules des bribes s’imprimaient çà et là dans les neurones d’Erich et de ses compagnons sans qu’ils parvinssent à en déchiffrer le sens puisque tout était superposé et simultané. Il s’agissait d’un encodage mais sa nature était analogique, c’était comme si ces prosaïques militaires allemands de la fin du XIXe siècle s’étaient retrouvés prisonniers, réduits à une taille « quantique » dans les réseaux de méta données de l’IA des Olphéans. Il était à craindre que tous se dispersent, qu’aucun n’arrivât à destination, que des morceaux disparates de matières organiques s’éparpillent çà et là, dans n’importe quel monde et quel temps. Il fallait absolument qu’une Intelligence guidât leur route. Erich ne pouvait s’imaginer déchiqueté, démembré sur de multiples planètes et chronolignes.
Les survivants perdirent enfin conscience. De fait, ils s’étaient fondus dans le rayonnement d’un des pré trans multivers - celui que Daniel avait privilégié pour l’instant. Ceux qui demeuraient émergèrent en une explosion de couleurs chatoyantes et de photons lumineux. Où et quand ?

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Tandis que Kwangsoon s’agenouillait avec respect aux pieds du trône de Maria de Fonseca, les chevaliers africains aux heaumes piriformes, menaçant les Français de leurs lances affûtées, leur imposèrent d’imiter le chef des Bekwe, mieux, de se prosterner front contre terre. Tous s’empressèrent d’obéir sauf Barbenzingue et Hubert de Mirecourt qui se refusaient à une telle humiliation. Une pointe dans les reins les fit changer d’avis. Sans nulle réticence, Pierre s’était plié à la coutume locale. Notre capitaine de Boieldieu vivait une aventure formidable qui surpassait, et de loin, toutes les fictions romanesques d’Allan Quatermain. Pourtant, l’inquiétude le taraudait.
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« Que fait donc Daniel ? Il n’a pas répondu à mes derniers messages ».
Ce que le comédien redoutait le plus, c’était que la concubine de M’Siri se prît pour la reine rouge d’Alice et ordonnât de faire supplicier tous les Blancs en leur coupant la tête, à moins qu’elle préférât les retenir captifs, encagés comme le malheureux C. Aubrey Smith.
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La souveraine ouvrit alors la bouche. A l’adresse de Kwangsoon, elle dit :
- Ka Kikomba, n’gwandé mulu
Le roi Pygmée lui répondit dans la même langue. Mieux vaut traduire bien que Pierre, muni de son traducteur universel comprît ce langage exotique.
- Ces ennemis ont violé l’interdit de Kikomba.
Obséquieux, Kwangsoon objecta :
- Majesté d’entre les Majestés, je sais leur avidité, leur cupidité. Je les ai conduits à vous délibérément afin qu’ils comprennent l’innocuité, l’inanité de leur projet.
- Veulent-ils piller de l’or ? Notre principal trésor ici est le minéral de vie et de mort.
- Hélas, c’est bien cela qu’ils visent. Ils veulent en faire une arme.
- Utilisée contre moi ? S’enquit la reine.
- Non point, Votre Majesté. Contre d’autres Blancs dans leurs terres lointaines.
Maria de Fonseca éclata de rire, dévoilant une dentition noircie et irrégulière.
- Les imbéciles ! Savent-ils que tous les esprits de l’Afrique se sont ligués contre eux ? Jamais ils ne parviendront à leur but. Kakundakari Kongo et Kikomba Kongo nous protègent.
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Elle claqua des doigts.
- Grand Vizir, amenez le représentant des dieux.
Un groupe de gardes, sous la conduite du Premier ministre, partit vers un des bâtiments de la forteresse qui communiquait avec les souterrains de tantôt. Après plusieurs minutes d’attente, les Français toujours prostrés, ils revinrent, portant sur ce qui ressemblait à un tipoye, une extraordinaire momie simiesque caparaçonnée de plaques d’or. Cette momie n’était pas un simple gorille. Il s’agissait de l’authentique relique de Pi’Ou lui-même. Or, chose encore plus incroyable, afin qu’on la crût encore en vie, elle avait bénéficié de procédés cybernétiques semblables à ceux des fœtus androïdes qui fournissaient l’énergie de la citadelle, autrement dit nous étions en présence d’un Toumaï robotisé.  
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Cependant, à l’observation de cette créature, Pierre doutait que les servomoteurs dont elle était dotée pussent aller jusqu’à lui conférer la parole. Par conséquent, il supposait que quelque prêtre s’était dissimulé soit derrière les guerriers, soit à l’intérieur même de Kikomba Kongo. Il s’exprimerait soit par ventriloquie soit tel l’automate joueur d’échecs de van Kempelen, autrement dit notre Baphomet reconverti, manipulé en ses entrailles par l’équivalent du Marnousien qui avait ainsi vaincu Napoléon lors d’une fameuse partie d’échecs lors d’un 1808 dévié.
Maria de Fonseca craignait que les Français refusent la sentence énoncée par le singe sacré. Aussi, Pierre Fresnay remarqua que les soldats casqués avaient amené des armes supplémentaires. C’étaient d’antiques fauconneaux, couleuvrines et arquebuses à mèche, ne tirant que des projectiles de bronze, de cuivre ou de pierre, vieilleries de plus de trois cents ans, qui devaient remonter au temps du royaume de M'banza-Kongo. Enfin, nombreux étaient les guerriers abrités par des pavois qui rappelaient ceux en usage au XV e siècle. De fait, ils étaient là autant pour protéger les hommes de la souveraine contre d’éventuelles velléités de rébellion des boulangistes que pour les préserver au maximum des radiations.
« Ce sous King Kong de carnaval est irradié, comme d’ailleurs tout le reste ici. Son poitrail émet des rayonnements mortels à la longue. De retour dans la Cité, il faudra me faire traiter. L’armure qui le constitue est amalgamée à l’uraninite et à l’isotope 238 de l’uranium. La pechblende affleure partout dans cette forteresse. Elle imprègne jusqu’aux moindres pierres des murailles ».
Maria de Fonseca s’exprima à nouveau.
- Avant que Kikomba Kongo ne prononce la sentence, vous devez regarder le ciel duquel émergera ce pourquoi vous mourrez.
Après qu’elle se fut tue, la nuit tomba brusquement. C’était un enchantement, une nouvelle singularité. De la voûte, des ombres s’animèrent.
- Des pantomimes ! S’exclama Hubert de Mirecourt. Elle nous prend pour des mômes !
Des silhouettes finement découpées et articulées jouaient leur saynète. A première vue, elles rappelaient, par leur facture, les théâtres d’ombres de Java et de Bali mais aussi ceux du Cambodge. Or, aucun marionnettiste ne manipulait les poupées. Cela tenait du prodige. Boieldieu comprit.
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« Il y a quelque part une lanterne magique. Il s’agit en quelque sorte de proto cinéma. Ce fat de Barbenzingue devrait arrêter de sous-estimer la technologie africaine ».
Les silhouettes mettaient en scène un épisode récent de l’histoire de la citadelle. Pierre avait d’ailleurs sous-évalué l’avancée technique de ces pantomimes lumineuses, elles-mêmes mal interprétées : c’était une espèce de « télévision » à la Jules Verne annonçant la technologie du Château des Carpates : l’appareil de projection avait été volé à l’expédition de Van Vollenhoven et inventé, il va de soi, par Charles Merritt (Aurore-Marie avait eu droit à une représentation mémorable en 1887 ) : comme le magicien d’Oz, Maria de Fonseca asseyait son pouvoir tyrannique sur ce leurre, qui projetait des images belliqueuses et terrifiantes pour des esprits naïfs et non avertis. Parmi celles-ci, il y avait des proto films ethnographiques de Cornelis constitués au cours de ses pérégrinations africaines, représentant des légions de guerriers d’ethnies diverses, surarmées, donnant l’illusion que la reine gouvernait une troupe considérable. Les ombres gigantesques de ces chasseurs-guerriers Zoulou,
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 cavaliers basuto,
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 chevaliers du roi des Ashanti ou du monarque du Swaziland, Danakil, ou garde Ndebele du roi Nobengula,
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envahirent la place. Elles intimidaient l’ennemi (ici, en l’occurrence les boulangistes). Pour ajouter à la terreur des Français, ces images s’accompagnaient du son. Ainsi, les soldats entonnaient des chants de guerre polyphoniques d’une beauté à couper le souffle. C’étaient là les prétendues légions de Kikomba Kongo. Lesdits chants étaient des panégyriques en l’honneur de la grande souveraine de la contrée.
Comme exaltée par la projection, l’idole simienne émit des borborygmes caverneux qui rajoutaient au tintamarre sonore du film. Kwangsoon traduisit les éructations de la divinité pour les Français.
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« A mort les étrangers ! A mort ! »
Le brav’ général pouvait recommander son âme à Dieu. Quelques gouttes de mauvaise sueur perlaient à son front. Avait-il peur ? Tandis que la cérémonie judiciaire atteignait son paroxysme, un flash inattendu, d’une insoutenable luminosité, aveugla momentanément l’assemblée disparate. Erich et les Allemands venaient de se matérialiser au moment crucial.
 A suivre...
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