samedi 12 décembre 2015

Cybercolonial 2e partie : Du rififi à Kakundakari-ville chapitre 10 2e partie.



Pendant que cette scène se déroulait, Aurore-Marie pénétrait dans les ors quelque peu fanés du palazzo
Vendramin. Elle désira aussitôt s’enquérir de la chambre où Richard Wagner avait rendu le dernier soupir. À cette occasion nonpareille, elle avait ostentatoirement paré ses mains délicates d’une paire de gants d’un luxe inouï. Non point que la matière - de l’agneau - en fût exceptionnelle. C’était leur fragrance qui formait la quintessence de leur singularité. Ils étaient parfumés à « l’eau d’ange ». Il s’agissait d’une reconstitution qui se prétendait authentique du parfum même des gants de la reine Marie-Antoinette. Benjoin, girofle, calamus, (une sorte d’ajonc odorant), cannelle, ambre, musc, styrax, noix muscade et pétales de rose de Provins exhalaient leurs senteurs entêtantes et composites.
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Avoir une telle ganterie représentait pour Aurore-Marie un acte politique revendiqué.
Parmi les opérations nécessaires à l’obtention de cette efflorescence créée par Jean-Louis Fargeon, parfumeur de la défunte reine, figurait le bain de la peau d’agneau dans une solution mélangée de talc. Cela engendrait une émulsion digne d’un grand secret alchimique.
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À Zanzibar, les Allemands avaient voulu se débarrasser du cheikh fou. Khalifah Bin Saïd possédait des geôles réputées notamment sur l’île de Pemba, où fut transporté l’importun. Alban collait aux basques de Rimbaud, voulant résoudre le mystère du personnage. Ce dernier s’en aperçut et, bon prince, lui accorda une entrevue en tête à tête.
Allongé sur des coussins moelleux, l’ex-homme aux semelles aux vents, offrit à son interlocuteur un long cigare fin que celui-ci s’empressa de refuser. Alban ne fumait pas. Gros lecteur, le jeune homme avait avalé, les longs soirs d’insomnie, toute la littérature du siècle dont il était originaire. Chose inattendue, il avait particulièrement aimé les poèmes d’Arthur Rimbaud qui, pourtant, ne correspondaient pas à sa morale rigide.
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En présence de cet homme, Alban ressentait un malaise, partagé qu’il était entre une sincère fascination et un dégoût qui ne l’était pas moins pour l’aventurier qu’il était devenu. Présentement, il ne pouvait comprendre les raisons qui poussaient le Français à aider une expédition allemande.
 - Herr Von Arnheim, j’ai conscience que je vous intrigue. Je voudrais en connaître la cause.
- Monsieur, j’ai ouï dire qu’autrefois, au temps de votre jeunesse tumultueuse, vous étiez connu pour être un poète.
- Je le reconnais volontiers. Mais tout cela est désormais très loin. Aujourd’hui, j’ai d’autres préoccupations plus prosaïques. Cependant, je m’étonne que vous sachiez une partie de mon passé.
- J’aime la poésie. Lors de mes soirées en solitaire, je lis souvent des ouvrages venus de tous horizons. C’est ainsi que j’ai pu poser mes yeux sur certaines de vos créations. Tenez, écoutez. Cela vous remémorera des souvenirs.
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu: voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes:
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d’ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles;
Alban fut vite interrompu.
-Dites-moi, monsieur, reprit Arthur en français, votre prononciation de la langue de Molière et de Voltaire ne recèle aucune pointe d’accent germanique.
- Ma gouvernante était française, balbutia Kermor.
- Hum… permettez-moi d’en douter. Quant à votre colonel von Stroheim, son accent est des plus étranges, hybride. J’y détecte des intonations autrichiennes, oui, mais pas seulement. Par moment, cela ressemble à de l’américain…
En lui-même, Alban se disait qu’Arthur était très fort, doté d’une ouïe remarquable.
- Je n’ai point fini. De l’américain, oui, mais pas celui de la côte est, des patriciens de Boston… qui êtes-vous vraiment?
Après une longue hésitation, Kermor se décida.
- En fait, monsieur Rimbaud, je suis français et mon ami Erich est américain, d’origine autrichienne.
- Pourquoi êtes-vous là?
- Mais vous-même? Pourquoi aider les Allemands? Cela ne s’apparente-t-il pas à un acte de trahison? À moins que vous soyez devenu un apatride sans scrupule…
- Mon adolescence fut marquée par la guerre de 1870... J’en ai vu les ravages de près.
- Oui, vous êtes natif des Ardennes, plus précisément de Charleville. Vous avez même écrit un poème intitulé Le dormeur du val…
- C’est exact… alors expliquez-moi…
- Mon ami et moi-même sommes ici en mission, mais pas pour les intérêts français… nous surveillons Oskar sans plus. Nous n’avons pas l’intention de saboter son expédition, bien au contraire. Officiellement, elle est là pour consolider l’assise territoriale de la Compagnie de l’Afrique orientale. En chemin, nous avons rencontré des difficultés que j’apparente au surnaturel.
- Il est vrai qu’ici, aussi, se sont manifesté des phénomènes curieux. Ainsi, un soir de la semaine dernière, alors qu’à la terrasse du palais je goûtais à la douceur de l’atmosphère enfin rafraîchie, après une journée particulièrement ardente, il m’a semblé que les étoiles, au lieu de scintiller, se métamorphosaient et se transformaient en tourbillons incandescents… de même, dans les palmiers, m’apparurent des silhouettes d’animaux incongrus et inconnus, non point des singes. Ces créatures étaient ailées mais aussi ressemblaient à des varans bipèdes…
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- Oui, des dinosaures arboricoles…
- Vous êtes bien informé, s’étonna l’ex-poète.
- Je ne puis vous dire pourquoi. Toutefois, sachez que je rends des comptes non pas au gouvernement français mais à un commandant apatride qui ne doit rien aux puissances européennes ou américaines.
- L’Oberst von Preusse a ordonné l’emprisonnement à Pemba du déséquilibré. Il m’est apparu que vous aviez hâte de vous défaire de ce personnage encombrant. Je pourrai l’interroger car mes pérégrinations m’ont amené à étudier l’arabe puis le swahili, langues indispensables en ces contrées exotiques, langues de commandement des troupes de Tippo Tip et N’Gongo Lutete. En ce moment, j’approfondis l’amharique.
- Excellente idée. Je vous ai révélé tout ce qu’il m’était autorisé de vous dire. A votre tour…
- Monsieur…
- De Kermor…
- Quoi que vous pensiez, je ne suis pas un traître. Je feins de favoriser l’Allemagne afin de la détourner des affaires européennes. Coloniser la côte orientale de l’Afrique représente un dérivatif de choix pour l’Empereur et un moyen de prévenir un embrasement du vieux continent.
- Finement pensé, souffla Alban.
- Le jeu que je joue est dangereux, tortueux. J’ai vent de ce qui se passe en France. Vous avez écarté du gouvernement un général revanchard, prêt à tout pour obtenir gain de cause et renverser la République. Or, je ne mange pas du pain de ce Boulanger-là!
- Moi non plus, rétorqua Kermor sur le même ton, désormais complice.
Après avoir marqué une pause, Alban enchaîna :
- En fait, notre présence ici, à cette heure, à Erich et à moi, a pour origine les manigances du général Boulanger. Tout comme nous, il va débarquer en Afrique, mais sur la côte Ouest. Nous avons pour mission de l’entraver. Voilà pourquoi nous avons rejoint les troupes de Guillaume.
- Soit, mais que vient chercher Boulanger ici ? Des territoires pour agrandir l’empire ?
- Non point, un minerai nécessaire à la fabrication d’une arme redoutable, capable d’anéantir une ville entière.
- D’outre Rhin, bien sûr.
- Tout à fait.
- Dans ce cas, monsieur, je vais vous aider. Je vous approvisionne en mitrailleuses, en dynamite et en fusils…à répétition.
- Merci. Ces armes auront leur utilité contre le Général Revanche, si nécessaire.
- Bon courage et bonne chance.
Les deux hommes s’étaient compris. Ils se serrèrent la main pour sceller le marché.
A Venise, palazzo Vendramin, Gabriele d’Annunzio n’osait déclarer à Aurore-Marie que le parfum exhalé par ses gants lui paraissait aussi toxique qu’un poison. C’était selon lui un foudroiement mortel, un venin tégumentaire, épidermique, gainant ses mains de poétesse. Aussi, préféra-t-il détourner un temps la pensée de notre versificatrice en attirant son attention sur la décoration fastueuse des salles du palais, mais aussi sur ces eaux-fortes du graveur maniériste néerlandais de la fin du XVIe siècle Hendrick Goltzius dans lesquelles scènes bibliques et mythologiques se mélangeaient pour le plus grand bonheur de l’esthète. Il avait lui-même choisi les œuvres de Goltzius dont il souhaitait qu’elles fussent encadrées sur les murs palatiaux.
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Ses yeux ambrés aimantés par ces chefs-d’œuvre graphiques surchargés, la baronne de Lacroix-Laval cessa quelques instants de penser au but de son intrusion en ces lieux. Ce n’était point le cas du cacatoès Alexandre, qui joua au cocodès exaspérant, toujours juché sur l’épaule gauche de sa maîtresse. Il voulait savoir ce qu’il faisait ici, loin de son perchoir des salons de Lacroix-Laval, de l’avenue lyonnaise des Ponts ou de Rochetaillée. Il fienta…

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Les geôliers du cheik fou n’eurent guère le temps de le garder. A peine quarante-huit heures après son incarcération effective, alors qu’on lui apportait son brouet, le cachot de Walid fut retrouvé vide. La volatilité du personnage étrange fit davantage croire à la manifestation surnaturelle d’un djinn qu’à une évasion ordinaire. Le sultan de Zanzibar en fut informé. Nul ne se soucia de partir à la recherche de cet évadé magique. Cependant scrupuleux, Khalifa Bin Saïd jugea bon de prévenir Rimbaud et les Allemands de cette escapade singulière que tous jugèrent de peu d’importance.

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La colonne boulangiste progressait vaille que vaille à l’intérieur des terres, s’enfonçant toujours plus profondément en territoire Batéké. On approchait de la zone où se dressaient les fortins et postes à zombies commandés par le spectre du sergent Malamine. Il avait fallu soumettre plusieurs villages. Hubert de Mirecourt s’en était chargé usant de sa force persuasive. Il avait procédé au recrutement forcé de porteurs, de laptots, de capita. De fait, les actes de la troupe s’étaient apparentés à des exactions annonciatrices de celles de la colonne de Voulet et Chanoine une douzaine d’années dans le futur de la chronoligne source, celle répertoriée sous le numéro 1721.
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Les insubordinations et désobéissances, les velléités de désertion étaient punies soit par l’amputation du poignet droit, soit par l’exposition des contrevenants ligotés à des claies en attendant que les insectes vinssent s’en repaître. L’attitude de Pierre Fresnay aurait paru déconcertante à un non initié. Il paraissait cautionner les crimes de son supérieur ; c’était comme si, pour lui, tous ces êtres souffrants ou non avaient été des ombres, des fantasmagories agissant selon un scénario pré écrit. Alors, il se contentait de murmurer de temps à autre : « Kurtz ». Il s’agissait là d’une allusion au sinistre personnage du Cœur des ténèbres de Joseph Conrad publié quelques années plus tard. Il était vrai qu’au fur et à mesure cette Afrique-là prenait une consistance hallucinatoire. L’irrationnel l’emportait sur la raison et le cartésianisme capitulait devant l’inconcevable.
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« Nous voici au centre d’Hells’Kitchen, songea de Boieldieu. Mais ici, point de voyous, d’escarpes et de surineurs. Des monstres tout simplement. »
La chaleur moite ne laissait aucun répit aux hommes. Un pullulement agressif de moustiques venimeux les harcelait sans cesse. Les vareuses et les chemises des uniformes étaient si détrempées qu’elles auraient mérité qu’on les essorât au plus vite. Les peaux transpirées exhalaient un suint aigre à soulever le cœur.
Le général Boulanger paraissait quelque peu épargné par cet inconfort. Il était vrai que le commandant de Mirecourt avait imposé aux tirailleurs sénégalais la fabrication d’un tipoye, une chaise à porteurs afin que le chef du corps expéditionnaire en bénéficiât conformément à son rang.
On apercevait en chemin çà et là d’étranges exhaussements ressemblant à des termitières. De fait, il s’agissait d’amalgames fantastiques de terre et de restes humains. Cette osmose résultait d’une bien particulière forme de décomposition. C’était tout ce qui restait de soldats portugais figés dans la mort lors de combats dérisoires pour les droits historiques du territoire de Cabinda. Curieusement, ces corps paraissaient remonter à une trentaine d’années ainsi qu’en témoignaient des détails désuets de leurs lambeaux d’uniformes plus ou moins durcis.
Des crânes grimaçants protubérants arboraient encore des casoars au plumet vertigineux, aux coloris ostentatoires de papegais. Au contraire des Africains superstitieux, Pierre Fresnay ne marquait aucune surprise. Les cages thoraciques des dépouilles avaient visiblement subi des lacérations dont on ne pouvait déterminer l’origine, simples panthères ou animaux plus ou moins fantastiques.
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Un des capita forcés murmura:
- Eux victimes de Kakundakari Kakou.
- Jamais entendu parler, siffla le commandant de Mirecourt.
- Dernier village de N’Gong là-bas, montra l’Africain. Les esprits de la forêt le défendent. Puis, premier fort de Malamine.
Son bras tendu désignait une clairière où déjà apparaissaient les toitures caractéristiques des cases traditionnelles.
Ce fut alors que la colonne affronta une double attaque par terre et par les airs. Celle-ci survint sans crier gare.
Une nuée de lézards volants appartenant à des espèces éteintes depuis des centaines de millions d’années plongea en piquets sur les hommes surpris et paniqués. Un paléontologue spécialisé dans la faune permo-trias, aurait identifié d’une part des Coelurosauravus aux ailes membraneuses déployées couvertes de dessins pareils à des ocelles et d’autre part des Longisquama insignis aux écailles étalées leur permettant d’être portés par les airs.
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Dans le même temps, une horde grondante surgissait de la clairière. Les soldats boulangistes virent une viande de brousse écorchée revenir à la vie. Imaginez des gorilles, des kenyapithèques, des proconsuls sans fourrure et sans peau, translucides, recouverts d’un mucus poisseux agissant comme un venin de grenouille tropicale et brandissant bifaces, hachereaux et casse-tête qu’on se serait plutôt attendu à trouver entre les mains d’Homo Erectus. On les eût pensés à peine extirpés d’une monstrueuse matrice. Leur réseau veineux et artériel, bleuâtre, luisait et phosphorait aux rayons d’un soleil devenu aussi cramoisi qu’une géante rouge moribonde.
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À ce spectacle, le lieutenant de vaisseau de Séverac se signa.
Sous l’émotion, les soldats peinaient à monter leur mitrailleuse et à ajuster leurs tirs. De colère, le général les apostropha durement.
- Bande de pleutres! Dois-je tout faire moi-même? Commandant, encouragez-les!
De Mirecourt obligea la troupe à s’aligner comme s’il n’y avait point d’attaque. Il commença à commander le feu.
«  Apprêtez armes! En joue… ». 
Les écorchés de singes ne se laissèrent pas distraire et continuèrent leur assaut tandis que les reptiles volants, de leurs pattes griffues, se saisissaient d’hommes affolés et les emportaient vers un mystérieux refuge. Une pluie lithique s’abattit sur la troupe. La projection des pierres acheuléennes était si dense que cela s’apparentait à une lapidation. De nombreux soldats étaient blessés soit à la tête soit dans les membres. Beaucoup saignaient, avivant la fureur des anthropoïdes de l’ère tertiaire.
Pierre Fresnay comme rompu à semblable escarmouche, eut un éclair de génie.
- Rien n’est réel ici. Plus vous pensez à eux, plus ils existent et sont tangibles. Plus ils vous tuent. Faites le vide dans votre tête. Ils disparaîtront.
Après avoir prononcé ces paroles surprenantes, le comédien se sentit frôlé par un souffle volatil, une espèce de vapeur glacée qui s’en vint le ligoter.
- A El… je ne te crains point. Pars.
Aussitôt l’étrange entité se dilua dans le Rien.
Plus aucune créature surnaturelle ne subsistait dans la clairière. Mais les cadavres s’amoncelaient, porteurs et soldats mêlés dans une mort fraternelle.
Une image subliminale traversa l’esprit de l’acteur. Un être albinos aux cheveux de lin et aux immenses bras mais vêtu d’une bure dominicaine…
- A El, Antor ou un de ses frères? Émit très loin de là Dan El… non… c’est impossible…
Les rescapés firent enfin leur entrée dans le village qui se terrait dans le silence. La troupe était décimée. Un homme sur trois avait survécu. Mais Boulanger était plus déterminé que jamais à poursuivre. Il fallait de nouveaux renforts, encore d’autres renforts. De Mirecourt arborait un visage fermé, celui des mauvais jours.  Comme de bien entendu, le capitaine de frégate de Tastevieille avait succombé à l’attaque. Il était vrai qu’on le traînait depuis longtemps comme un poids mort. Comme tous ses coreligionnaires de la Royale, il ne pouvait survivre à la perte du bâtiment qu’il commandait : son devoir de marin imposait qu’il s’effaçât, qu’il sombrât avec lui.  De Boieldieu insista pour qu’on lui rendît les honneurs militaires, au grand dam de Mirecourt qui trouvait qu’il s’agissait d’une perte de temps. Boulanger se rangea à l’avis du capitaine. Ainsi, il se montrait grand seigneur.
Après la macabre cérémonie, il fallut se rendre à l’évidence : les rescapés avaient besoin de repos avant de poursuivre. Le premier fort ou poste était encore à six kilomètres ; cette distance paraissait raisonnable mais il fallait s’attendre à tout dans cette Afrique revisitée.
Lorsque les Boulangistes atteindraient le Pool, afin de passer de l’autre côté du Congo, qu’en serait-il ? Où trouver des hommes en état de se battre ? Comment redonner du courage à cette troupe ? La force ne s’imposait plus. Une autre tactique de recrutement devait être employée.

***************

A distance, Daniel Lin avait suivi les épreuves subies par de Boieldieu et ceux qui l’accompagnaient. 
L’itinéraire emprunté par le commandant Wu n’avait présenté ni les mêmes aspérités ni les mêmes singularités.
Azzo était sans cesse en alerte. Il frémissait à la moindre anomalie, jetait des signaux d’alarme. Saturnin, prompt à la fatigue, avait voulu souffler un peu en s’adossant près d’un amas rocheux couvert d’une mousse verdâtre avenante. Non pas qu’il se fût agi d’une plante carnivore imitant la pierre par mimétisme, afin de piéger ses proies, mais, le roc ou prétendu tel émettait des gémissements à peine perceptibles, ce qui suffit à rendre jaune la figure de l’ex-fonctionnaire. Or, il y en avait toute une colonie comme ça!
Des roches vivantes, qui respiraient, suaient, hululaient, exhalaient des plaintes.
Deanna Shirley, quant à elle, avait constaté la bizarrerie croissante des fleurs.
- Des orchidées africaines! S’était-elle exclamée.
Du moins ces choses-là y ressemblaient-elles. Craignant qu’elles fussent empoisonnées, l’apprentie star glapit et appela Spénéloss à la rescousse afin qu’il analysât la nature exacte de cette floraison. L’extra-terrestre obtempéra et en mesura d’abord la température extérieure.
- Des fleurs de gaz, dont la température relevée est celle de -280°C! Absolument impossible, fit l’Hellados légèrement troublé.
- Des fleurs de fréon, renseigna Daniel Lin comme si tout cela était des plus naturels. D’autres sont constituées d’hydrogène, d’hélium ou d’azote. Pourquoi pas? Elles sont si belles, ne trouvez-vous pas? Voyez les teintes éthérées et dégradées qu’elles offrent aux esthètes perdus dans cette contrée. Sublime, non?
Mais l’étrange se vêtait de davantage d’incongruité. La flore reposait sur des éléments chimiques rares dans la table de Mendeleïev, fleurs de fluor, d’iridium, de palladium, de bore, de borax, d’éthylène, de bismuth, de polonium, d’einsteinium, de lawrencium, de stankinium, de charpakium, d’hawkingium, et ainsi de suite. Fleurs aussi d’odeurs, des senteurs matérialisées en forme de camélias, d’orchidées et de magnolias. Le vétiver, la bergamote, l’œillet et le lilas sans oublier la glycine se répandaient dans une atmosphère surchargée.
Craddock s’interrogeait sur la date à laquelle on se trouvait effectivement. Il perdait comme tout un chacun dans cette troupe ses repères chronologiques et climatiques. Mais il n’en allait pas de même du commandant Wu.
- Dites les gars, je n’hallucine point. Pas plus tard qu’hier, le sol était craquelé à cause de la saison sèche et aujourd’hui, tout est boueux. On n’est pas censé être le 20 juillet ce matin? Or, ma tocante, qui marche aux cristaux d’orona, indique que nous nous situons déjà au 10 novembre. Sachez qu’hier elle marquait que nous étions le 2 février 1887. Dans quelle hétérochronie nous as-tu entraînés, maudit Superviseur?
Comme en réponse, une pluie composite centrée sur lui seul se mit à tomber, le trempant jusqu’aux os. C’était une douche écossaise contradictoire à la fois composée d’une grêle glaciale et de hallebardes bouillantes.
- Merci mon Dieu! Ouille! Je gèle et je brûle à la fois. Quel enfer! Quel est le sinistre joueur qui me prend pour cible? Old Nick où es-tu que je m’explique avec toi?
Ces imprécations déclenchèrent un irrépressible fou rire communicatif chez Saturnin. Violetta et Deanna Shirley lui firent écho.
A cause d’un incident arrivé à O’Malley deux heures auparavant, elles discouraient des mérites respectifs du chien et du chat, chacune défendant la supériorité de l’intelligence de l’un sur l’autre, DS de B. de B. en particulier, qui s’arc-boutait sur ses positions, se refusant à reconnaître qu’Ufo avait allègrement roulé son briard bien-aimé.
« Ton chat est un fieffé roublard, et un hypocrite comme tous ceux de son espèce ! O’Malley est tombé droit dans cette mare, parce que ton Ufo lui a tendu un piège.
- Qui a commencé à chercher querelle ? Reconnais la responsabilité d’O’Malley.
- Il n’aime pas Ufo, parce que celui-ci est un chapardeur qui fauche sa ration ! S’empourpra la Britannique.
Les deux jeunes filles faisaient allusion au dernier incident qui avait vu s’affronter le félin transgénique et le chien plus ordinaire.
DS de B de B reprit:
- La vindicte de mon chien était légitime, siffla-t-elle entre ses dents. Ce ventre à pattes des forêts norvégiennes avait escamoté du râble de lapin jusque dans la gamelle d’O’Malley!
- Pff! Du râble de synthèse, précisa la jeune métamorphe. Daniel déteste que nos animaux consomment de la véritable viande… dans ta colère, tu pares ta grosse bête de toutes les qualités. Or, ton chien, stupide comme on n’en fait pas, engouffre quotidiennement trois kilos de nourriture. Tout y passe, y compris les cornets de glace, les loukoums et les macarons!
- Là, tu exagères! O’Malley sait lorsque je suis triste. Alors, il vient mettre son museau sur mes genoux et me lèche les mains.
- L’enfance de l’art.
- Il ne lui manque que la parole.
- Bah! Ufo est plus doué que le plus savant des Bonobo. Par exemple, il sait déchiffrer une centaine d’idéogrammes. Il reconnaît ceux de la nourriture, des jouets, du danger, (le signe du poison), de la musique, du pont, de l’homme qui marche, de la maison, etc.
- Tu en rajoutes encore.
- Non. Il comprend lorsqu’on lui parle en français, en anglais, en mandarin, en Hellados et ainsi de suite. Il capte les injures, celles qui lui sont adressées et là, il se venge… tu ne me crois pas? Demande donc à Daniel…
- Inutile. Il y a trois jours, j’ai voulu gronder ton chat, il m’a griffée sournoisement. Sans Lorenza et ses désinfectants, à l’heure qu’il est, j’aurais peut-être la gangrène avec le risque d’amputation!
- Penses-tu! Ufo est un chat aseptisé. Il sait nettoyer ses griffes.
Parler d’O’Malley ne signifiait nullement qu’on lui prêtât attention. Depuis quelques minutes, le chien paraissait folâtrer comme à son habitude, pourchassant des papillons.
Or, parmi ceux-ci, voletait une guêpe, qui, se sentant agressée par cette chose poilue, jappant et bondissant, ne trouva comme moyen de défense que de la piquer sur la truffe. Aussitôt le chien se mit à hurler.
Cet hyménoptère belliqueux revêtait l’aspect repoussant d’un mutant: les yeux à facettes avaient fusionné en une structure unique, globulaire, d’une teinte sang-de-bœuf, qui lui conférait l’allure d’un insecte cyclope. De plus, les pièces buccales s’étaient elles-mêmes agglomérées en une sorte de rostre, de second dard postérieur d’où sourdaient continûment des gouttelettes d’un venin foudroyant. On se demandait comment une telle créature parvenait à se sustenter. À moins qu’elle eût été conçue dans l’objectif triple et exclusif de se reproduire, de tuer et de mourir. C’est ce qu’elle fit d’ailleurs, amputée de son arme, son céphalothorax crevé.
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O’Malley était perdu. Il développait à une vitesse faramineuse des œdèmes qui bientôt, allaient l’empêcher de respirer. Mais Daniel Lin s’avisa du sort macabre qui attendait le briard. D’un seul coup, il fut auprès de l’animal et, le caressant, le guérit. Personne ne vit le tour sauf Carette.
- Mazette! Mon zig. Alors là, c’est bath de bath! J’crois pas qu’il m’explique le tour.
S’avançant vers le commandant Wu, il lui dit:
- Les bras m’en tombent! Plus fort que Jésus, celui de la Passion de Ménilmontant. Tu me rappelles Golgotha de Duvivier avec Harry Baur et Robert le Vigan…
- Arrête! Jeta Jean Gabin. J’y étais. Je jouais le rôle de Ponce Pilate.
- J’aime pas qu’on parle de ce foutu Goupi Tonkin avec son paludisme, siffla Louis Jouvet entre ses dents.
Gabin et Jouvet n’avaient pas compris ce qu’il venait de se passer. Daniel se contenta de sourire et de répondre mentalement à Carette.
- Chut… j’ai des dons de thaumaturges sans plus.
- Mais, objecta le comédien… Vous vous en foutez de l’ingratitude de Deanna… Elle ne saura jamais que vous avez sauvé sa foutue bête…
- Vous me donnez une idée. Voilà. Je lui rends son âge réel. Oubliez ce que vous avez vu… Compris?
- Compris, chef.
La fantasque jeune femme, toujours occupée dans son échange dialogué aigre-doux avec Violetta, ne s’aperçut pas immédiatement de sa métamorphose. Cependant, elle perçut un gloussement de la part de l’adolescente.
- Tiens, tu as récupéré tes œufs sur le plat ! Il était temps que tu remplisses un peu ton soutif, parce qu’au niveau sex appeal, une poupée mannequin à gros ventre et plate comme une punaise, tu repasses !
- Quoi ?
Deanna se tâta.
- Ma poitrine, elle est là ! Ma punition est donc finie ? Dois-je aller remercier ce sapajou de Daniel Lin ? Je m’en garderai bien !
La doctoresse était en train de proposer à boire à Dalio et à Saturnin, leur offrant de l’eau parfumée à la réglisse dans une gourde. Elle vit Deanna Shirley telle qu’en elle-même, une jeune femme enceinte d’une vingtaine d’années.
Elle murmura : « Enfin ! »
Puis, Lorenza se promit d’en parler à Daniel Lin le soir au campement.
Pendant ce temps, Azzo, stressé par une menace sourde, s’était brusquement jeté en avant, échappant à Gaston et Benjamin. L’homme semi préhistorique se mit à gesticuler en criant :
« Ne plus poursuivre ! Ça piège ! Ça piège ! »
Diverses statues effrayantes barraient le passage : mi africaines, mi tibétaines : un fétiche jumeaux Boccio, un masque chamanique népalais, un masque champignon de même provenance et surtout, un duo de figurines Alusi de l’ethnie Ibo.
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Il était inconcevable que l’Afrique se mélangeât à l’Asie. Le fétiche Boccio avait de quoi épouvanter les âmes sensibles. Il offrait aux regards la représentation d’une momie siamoise d’une gémellité mythique soudée dorsalement de frères symbiotiques aux traits stylisés seulement esquissés dont les deux paires de jambes se terminaient en forme de sabots. Cette œuvre singulière provenait de l’ethnie Fon sise dans ce qui était encore en 1888 le légendaire Dahomey des Amazones. Si Aurore-Marie de Saint-Aubain n’avait point été si raciste, elle se fût vouée corps et âme à une étude ethnographique féministe sur les grandes guerrières africaines des rois Glélé et Béhanzin.
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Des brins d’étoupes émergeaient des ombilics respectifs de chacun des jumeaux de manière à figurer ce qui demeurait des cordons matriciels maternels.
Les masques chamaniques népalais connus aussi des Tibétains d’avant le bouddhisme rapprochaient cultuellement les religions animistes himalayenne, sibérienne et inuit. Ces faces aux bouches édentées, aux yeux caves, sculptées dans l’écorce, défiaient les mortels qui osaient braver le tabou.
Le masque champignon de l’ethnie Dankhutta Raï, d’une noirceur d’ébène l’apparentant à la pourriture suprême, était pour Daniel Lin Wu une créature chthonienne familière dont son grand-père l’avait instruit dès sa petite enfance.
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En cette Afrique déviante, elle se trouvait dotée d’un enchantement lui conférant le pouvoir de repousser ses ennemis par le jet de vapeurs et de spores empoisonnées.
Enfin, les deux figurines anthropomorphes Alusi d’origine nigérienne, se dressaient rigides, blanchies au kaolin, la bouche marquée par un rictus de dédain, le crâne surmonté d’un cimier rappelant quelque crête. Des bandes de peinture noire complétaient la tête, le torse et les chevilles.
Derrière, Daniel le savait, se trouvaient un surplomb, et en contre-bas, le poste français établi par Brazza pour conserver à la République le territoire du futur Congo Brazzaville afin de prévenir toute velléité d’annexion de la part de Stanley et des Belges. Ensuite, c’était le Pool qu’on devait traverser pour aborder la partie du Congo sous la souveraineté personnelle du roi Léopold II. Les deux rives du Pool constituaient les embryons des futures cités coloniales de Brazzaville et de Léopoldville.
Craddock grogna.
- Alors, patron on fait quoi? On fonce dans le tas ou on contourne l’obstacle?
Benjamin fronça les sourcils. Il était pour la prudence. Il espérait que Daniel Lin fût du même avis que lui. Mais le commandant Wu répondit:
- Si les figurines africaines sont muettes, l’artiste chamane qui a façonné les deux figures népalaises leur a insufflé le Verbe. Nous devons les interroger.
Sarcastique, Symphorien jeta:
- En tibétain ancien ou en foutraque d’argot volapük?
- Chut… elles commencent à émettre des sons…
Tous les membres de l’équipe s’étonnèrent de voir Daniel, un esprit si pragmatique, si pondéré, accepter le fantastique et le surnaturel sans afficher le moindre trouble. Les masques s’exprimaient en des borborygmes indéchiffrables. Seul Azzo réagit à ces phonèmes issus du fond des temps. Il était capable de les traduire mais imparfaitement.
- Ah… fit le commandant après avoir sollicité Azzo…
Les mots que l’homme préhistorique émettait étaient en effet déformés, incomplets, tronqués. C’était pareil à un papyrus lacunaire rédigé en démotique.
- Que se passe-t-il? Demanda Spénéloss.
- La traduction d’Azzo ne satisfait pas les masques, renseigna Daniel Lin…
- Avons-nous une solution?
- Bien sûr. J’établis le contact avec Uruhu.
Tandis que le Superviseur branchait son émetteur radio temporel, le masque champignon prenait une attitude menaçante.
Cependant, la liaison avec le Néandertalien fut rapidement établie.
- Lieutenant, veuillez écouter ceci attentivement, ordonna Daniel. Je ne vous cache pas qu’il y a urgence.
- Oui monsieur, obéit docilement Uruhu.
À l’audition des sons qu’échangeaient Azzo et le second masque chamanique dit des moyennes collines, Uruhu répliqua:
- Ce dialecte remonte à un million d’années. Il est dérivé de la langue des Gigantopithèques dans sa version himalayenne pratiquée par les Migous anciens et modernes. Autrement dit, ces masques s’expriment dans la langue des yétis. Je traduis…
Aussitôt dit, aussitôt fait.
- … territoire du Pool interdit… gardé par les esprits des ténèbres… commandés par le spectre du sergent Malamine… vous devez contourner tout le territoire en passant sous la terre et sous l’étendue d’eau…
- Ah non? Encore sous la terre? S’écria Violetta à qui cela rappelait vaguement quelque chose.
Doté soudainement de vie, le bras droit de buis de la seconde des figurines Alusi émit un craquement. Il bougea, s’étira, désignant l’entrée de ce qui ressemblait à un simple terrier.
- Mon cher Saturnin, sourit Louis Jouvet, vous allez devoir vous transformer en spéléologue patenté. Vous n’avez rien oublié de vos lectures julesverniennes j’espère?
- Non évidemment, fit Beauséjour en bombant son ventre.
Les figures chamaniques poursuivaient leur palabre toujours traduit par Uruhu, mettant en garde les explorateurs sur les dangers recelés par le souterrain.
- … itinéraire passer par les sous-sols, les soubassements du fort, puis, longer les enfers aquatiques peuplés par tous les esprits désolés.
- Cela me réjouit déjà! S’exclama Carette.
- Les pièges doivent pulluler là-dessous, rajouta Gabin. Je crois que nous ne sommes pas sortis de l’auberge. Pourquoi ne pas affronter directement Malamine, commandant?
- Nous avons une enfant et une femme enceinte avec nous, Jean. Laissons cela à Pierre et à Boulanger.
- Merci pour votre prévenance, Daniel! Jeta sèchement Deanna Shirley.
- Je recommande l’encordement, dit Benjamin… je m’attends à tout, comme sur la Lune jadis.
- Vous avez raison, Benjamin.
La communication cessa et tous suivirent les ordres du Canadien tandis que fétiches et masques retournaient à leur immobilité première pour s’évanouir immédiatement dans une dimension autre.
Daniel Lin aurait parfaitement pu traduire la langue des masques. Mais il s’en était bien gardé ne voulant pas réitérer son erreur précédente. De par sa véritable nature, il pratiquait tous les langages. Il craignait que Spénéloss, s’étonnant, le soumît une nouvelle fois au sondage mental. Le Ying Lung se refusait à une manipulation supplémentaire des esprits.


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La méthode de soumission pacifique prônée par de Boieldieu s’était avérée diantrement efficace. Le comédien avait prévu le coup en se munissant de sacs de lingots de sel, de verroterie et de coupons d’étoffes. Le chef du village avait approuvé les dons des Européens et ses meilleurs chasseurs s’étaient enrôlés avec enthousiasme, s’empressant de revêtir shorts, vareuses et havresacs, de coiffer la chechia de feutre écarlate des tirailleurs et de se munir d’un fusil Gras.
Les Africains s’étaient joints à la colonne en entonnant un chant de chasse d’une confondante modernité tant il comportait dissonances, rythmes échevelés et effets polyphoniques. Cela n’était pas du tout du goût d’Hubert de Mirecourt, qui, raciste, se refusait à reconnaître le génie artistique africain.
Le capita qui précédait le tipoye du général stoppa net à deux mètres d’un contre-bas. Au-delà, il fallait se munir de jumelles spéciales pour scruter la topographie exacte du terrain.
Secondé par les autres officiers, de Séverac et de Boieldieu, le commandant de Mirecourt effectua les observations requises.
À portée des jumelles, à environ deux kilomètres, baignant dans un halo brumeux soufré, derrière un tertre, on devinait une succession, une imbrication d’une dizaine de fortins et de bordjs, les uns cubiques, d’autres polyédriques allant jusqu’à l’icosaèdre, certains enfin, pareils à de colossales forteresses de Vauban en étoile, intriquées tels des engrenages démesurés, agencés en un enchaînement qui rappelait les constructions de Mohenjo-Daro.
Le tertre lui-même, lorsque s’en précisaient les détails, acquérait une forme pyramidale de terril, dont la structure, c’était incontestable, était constituée d’amas, d’ossements humains à demi calcinés. Il s’agissait d’un ossuaire formé d’innombrables victimes du zombie Malamine et de ses cohortes maudites qui s’érigeait à la manière farouche d’un fétiche d’avertissement, de mise en garde. Des poussières cendreuses dissimulaient ces amalgames obituaires à un regard trop rapide. À cette vision dantesque, Hubert de Mirecourt ne put réfréner une légère trémulation d’angoisse.
« Jarnidieu! Jura-t-il. Je croyais qu’il n’existait qu’un seul fort. D’où sortent tous les autres? »
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Il était temps de procéder à l’instruction accélérée des nouvelles recrues si l’on voulait avoir un fifrelin de chance de prendre d’assaut ne serait-ce que la première casemate. En attendant l’heure de l’attaque, mieux valait camper sur ses positions. La tâche d’apprendre aux villageois le maniement du fusil échut à Boieldieu. Les sous-officiers avaient été décimés par l’attaque des anthropoïdes ; écorchés, éclopés ou morts, il ne demeurait plus qu’un sergent des fusiliers marins sur une civière, la jambe entourée d’attelles, étouffant les lancinements de sa douleur par des gorgées d’alcool tirées d’une fiasque. Le temps n’avait aucune importance.
Tandis que le cheminement du groupe de Daniel sous terre paraîtrait concentré sur seulement quelques heures, les « classes » des nouveaux tirailleurs « sénégalais » allaient nécessiter cinq jours de cours intensifs. Enfin, le moment de l’assaut décidé par le commandement, c’était à dire un Boulanger par trop impatient, aiguillonné par Hubert de Mirecourt, arriva.
Chair à canon enthousiaste, les Batékés se ruèrent comme un seul homme sur la pente en entonnant un chant de guerre triomphal, baïonnettes pointées en avant.
Pierre Fresnay se dit:
« Question poliorcétique, nous sommes entourés de minables. Comment voulez-vous obtenir la capitulation de cette forteresse maléfique sans même des béliers ou onagres médiévaux? ». 
Sur le parapet du premier bordj, apparemment nulle âme qui vive. En haut de la tour principale, flottait un drapeau tricolore effiloché et troué. Ce fut alors qu’une créature surnaturelle se matérialisa, se saisissant de la hampe du drapeau, la brandissant comme un défi, tout en criant:
« Vive la France! Vive la France! »
Ce cri, jeté par une bouche spectrale, rappelait cet acteur africain qu’on disait indigène, non crédité au générique du Brazza ou l’épopée du Congo, de Léon Poirier, tourné en 1939, s’exclamer à l’identique sous la pelure de Malamine.
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C’était là, au contraire, l’authentique sergent noir qui se dressait face à ses ennemis supposés, mais un sergent revenu d’outre-tombe, décharné, le teint passé et les yeux blancs roulant dans les orbites, revêtu d’oripeaux grotesques qui rappelaient vaguement ceux des zouaves. Un Turco, oui, dans toute sa splendeur, mais une splendeur de ténèbres!
La bouche de squelette de Malamine se démultiplia, articulant des ordres en différents dialectes, qui, en bambara, qui en wolof, qui en sérère, qui en casamançais. Les mots, comme aboyés, se répercutèrent en échos, changeant encore de langue, passant au toucouleur. Le zombie Malamine prit alors une consistance prismatique d’homme vitrail dont chacun des éclats s’en alla occuper toute la circonférence de chacun des fortins, se subdivisant bientôt en autant de duplicata armés jusqu’aux dents de l’héroïque second de Savorgnan de Brazza.
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Chaque fantôme, plus ou moins décomposé, aux lambeaux de peau pendouillant telles des manches de pourpoint du XV e siècle, parfois de la dimension d’une cape effrangée dont les découpures tourmentées rappelaient celles du vêtement emblématique d’un célèbre homme chauve-souris de comics américains,  se retrouva à manœuvrer mortier, canon, Lefaucheux, Gras, Chassepot, pétoire de fantasia arabe ou berbère, mitrailleuse Gatling ou Maxim, lanceur de fusées indien de la fin du XVIIIe siècle, etc.
Le feu simultané de toutes ces armes cloua sur place et faucha les assaillants qui s’éparpillèrent en autant de corps foudroyés, fleurs sanglantes sur les torses et les membres, certains déchiquetés, à peine reconnaissables, d’autres défigurés.
Un sapeur osa s’avancer. Il arborait son tablier et sa hache réglementaires, sa barbe carrée caractéristique, sans oublier son bonnet à poils. C’était un géant de plus de deux mètres à la vaine bravoure, décorations étincelantes sur la poitrine, qui crut, par un contournement, pouvoir briser les portes du fortin du tranchant dérisoire de son arme.
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/95/Sapeur_Camember_trou.png/300px-Sapeur_Camember_trou.png
Or, la citadelle était, pour l’heure, inexpugnable.
Se déstructurant et se restructurant sans cesse, les lames prismatiques Malamine, en des effets cubistes étourdissants, assaillirent ce valeureux légionnaire, le découpant en lamelles, le tranchant en morceaux.
« Quelle boucherie! Pensa Pierre Fresnay. Comprendront-ils qu’ils n’y arriveront pas ainsi? Tout cela relève de la construction mentale. Ce fortin improbable, occupé par un sergent fou, mort-vivant démultiplié, réside dans leurs têtes. C’est ainsi qu’ils concrétisent leurs fantasmes les plus terrifiants, que je parviens à voir. Ce sont des hallucinations dues à leur inconscient collectif. »
Alors, il s’avança seul au milieu des cadavres pantelants et démembrés, les mains dans les poches et sifflotant, sans même un revolver d’ordonnance, ayant simplement pris le soin de rajuster son monocle.
- Vous courez au suicide! S’exclama Hubert de Mirecourt.
Sa tactique était aussi insensée que celle de son homonyme de La Grande Illusion.
À l’image hideuse d’un Malamine plus ou moins putréfié, le comédien substitua dans son esprit celle d’un Erich von Stroheim encombré d’une minerve, lui rendant les honneurs.
Ce tour marcha.
« Rien n’est vrai. Il n’y a plus qu’un seul fort. Malamine est bien mort » fit-il à haute voix pour ses compagnons.
Cependant, il s’étonnait de l’absence de soldats ordinaires, qui eussent dû garder l’accès du fortin.
Ne demeuraient que des guérites de bois et des parapets désespérément vides, une tour où se dressait toujours le drapeau français secoué par un vent provenant du Pool proche, annonciateur d’un orage prochain.
Il poursuivit son avancée jusqu’à la porte redoutable où demeuraient les restes du sapeur héroïque. Il s’aperçut que les battants bâillaient, entrouverts…
« Nous pouvons entrer… Les lieux sont déserts ! »
C’était à la fois étonnant et regrettable. Tant de vies encore sacrifiées pour la prise d’un fort vide ! Pourquoi fallait-il rejouer l’absurdité de la prise des Tuileries le 10-août, lorsque les Suisses eux-mêmes avaient défendu un palais vidé de ses occupants royaux ?
Pierre s’adossa à la muraille en sifflant, attendant que les autres le rejoignent. Tous pénétrèrent avec une hésitation compréhensible et l’acteur eut l’impression de rééditer l’affaire de la Mary Céleste. Le silence de mort qui continuait à régner dans la cour intérieure du bordj était la seule note insolite qui continuât à subsister, silence parfois rompu, çà, là, par le rugissement lointain d’un fauve, par les grondements d’un orage tropical approchant, par les criaillements des singes cercopithèques et les chants des oiseaux.
« Personne ? Mais pourquoi donc ? Ce fort était censé héberger une soixantaine d’hommes… »
C’est ce que le Général Revanche connaissait en théorie des lieux, de la position coloniale avancée.
« Fouillez-moi tout ça de fond en comble, allez ! » éructa le commandant de Mirecourt.
Aux étages, rien. Dans le réfectoire encore rien. Dans le dortoir itou. L’armurerie n’avait même pas été pillée ! Tout était en place, fusils, deux batteries de mitrailleuses, même pas montées, cartouchières, buffleteries, havresacs, grenades, baïonnettes… le tout recouvert d’une fine couche de poussière.
« Ne reste-t-il rien à explorer ? » questionna de Boieldieu.
De fait demeurait un sous-sol qui servait à la fois à stocker les aliments de première nécessité : sucre, farine, café, lard… mais aussi à abriter des cachots destinés aux mutins et rebelles éventuels. Les lieux avaient été conçus pour parer à toute éventualité.
Lorsqu’ils daignèrent descendre en cet endroit, les soldats furent frappés par une odeur infecte, et par la clarté blafarde, flammée, persistant dans ce souterrain. Il y avait des torches le long des parois, des torches horribles, suiffeuses, constituées de dépouilles momifiées de singes dont la présence insolite témoignait de la persistance de l’enchantement, si du moins on eût pu qualifier d’enchantée une telle contrée.
« Mise en scène démoniaque ou autre chose ? » médita Pierre, qui envoya son rapport à Daniel.
Ce dernier lui répliqua mentalement qu’il était « très occupé », qu’il affrontait présentement des forces insolites. « Les poupées nous assaillent ! » déclara le commandant Wu.
Il était dommage que le comédien ne vît pas ce à quoi Daniel et ses amis devaient faire face. Il était également regrettable qu’il ne possédât aucune connaissance pointue en paléontologie. Il eût constaté, outre les « banales » momies torches de colobes,
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 la présence de cadavres naturalisés et embaumés de simiens anciens s’échelonnant de l’Eocène au Pliocène : encore des Proconsuls (un classique), mais aussi des Turkanapithèques, des Rangwapithèques (plus rares), des Dryopithèques, y compris des Oréopithèques
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européens. L’entité qui avait conceptualisé cette Afrique démentielle disposait de solides informations tout en se référant, en un clin d’œil moqueur, à la tragique mésaventure de la défunte Pamela Johnson lors de son exploration du muséum d’histoire naturelle fantasmé et simiesque.
Les réserves de nourriture que les soldats découvrirent étaient gâtées, envahies par les charançons et par la moisissure.
Cependant, provenant des cachots, se répercutaient de loin en loin des gémissements et des plaintes. C’était bien là la preuve qu’il y avait des survivants.
« Des rescapés ! » s’écria un caporal.
« Allons vite à leur rescousse! » ordonna Boulanger.
Sur leurs gardes, le doigt sur la gâchette, les boulangistes prirent la direction des cachots, forçant les serrures des différentes portes dont les judas avaient été operculés. Là, ils découvrirent une douzaine d’hommes, mourant de faim, étiques et hâves à souhait, hirsutes, la barbe jusqu’à la ceinture, dépenaillés, les pieds nus ou presque, leurs brodequins étant devenus un rêve presque oublié. Blancs, Noirs, tirailleurs et sous-officiers, c’était là tout ce qu’il restait de la garnison du fortin ; tenus captifs depuis près de deux ans,  ces fantômes n’avaient reçu aucune nourriture depuis quatre semaines. Ils en étaient venus à dévorer le cuir de leurs ceinturons et de leurs chaussures, à lécher le salpêtre des murs et à boire leur urine. Restés dignes dans leur malheur, ils s’étaient refusés à s’abaisser au cannibalisme.

A suivre...

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